Cour d’appel d’Angers, 25 mars 2025, RG n° 21/00359
Cour d’appel d’Angers, 25 mars 2025, RG n° 21/00359

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel d’Angers

Thématique : Conditions de mise en œuvre d’une garantie d’actif et de passif : exigences de notification et conséquences d’un formalisme non respecté.

Résumé

Dans cette affaire, un gérant et associé majoritaire d’une société de sécurité privée a décidé de céder ses actions dans le cadre de son départ à la retraite. En collaboration avec son associé, un directeur administratif et financier, ils ont conclu un protocole de cession avec une autre société intéressée par l’acquisition de l’intégralité du capital. La cession a été finalisée le 31 mars 2016, avec une garantie d’actif et de passif stipulant que les cédants devaient garantir les éléments de l’actif et du passif de la société cédée.

Peu après la cession, des réclamations ont été adressées au cédant par le nouveau gérant de la société acquéreuse, signalant des litiges et des demandes de paiement qui pourraient engager sa responsabilité. Le cédant a contesté ces réclamations, arguant qu’elles concernaient des événements survenus après la cession, sauf un litige déjà connu. Malgré cela, la société acquéreuse a mis en demeure le cédant de régler une somme au titre de la garantie d’actif et de passif, en détaillant plusieurs réclamations.

Le cédant a alors saisi le tribunal de commerce pour faire déclarer la caducité de la garantie, soutenant que la société acquéreuse n’avait pas respecté les formalités nécessaires pour la mise en œuvre de cette garantie. Le tribunal a donné raison au cédant, déclarant la garantie caduque et déboutant la société acquéreuse de ses demandes.

La société acquéreuse a interjeté appel, mais la cour d’appel a confirmé le jugement de première instance, soulignant que la société acquéreuse n’avait pas respecté les obligations d’information prévues dans la convention de garantie. En conséquence, la demande de réparation pour dol a également été rejetée, et la société acquéreuse a été condamnée aux dépens.

COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – COMMERCIALE

CC/ILAF

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 21/00359 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EY2L

jugement du 09 Décembre 2020

Tribunal de Commerce d’ANGERS

n° d’inscription au RG de première instance 2019002741

ARRET DU 25 MARS 2025

APPELANTE :

S.A.S. […]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean BROUIN de la SCP AVOCATS DEFENSE ET CONSEIL, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 321027 et par Me Benoit GABORIT, avocat plaidant au barreau de SAINT-NAZAIRE substitué par Me Emmanuelle CELIS

INTIME :

Monsieur [W] [J]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 8]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Pierre LAUGERY de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 13901100

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 28 Janvier 2025 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport et devant M. CHAPPERT, conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 25 mars 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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FAITS ET PROCÉDURE

M. [W] [J] était gérant et associé majoritaire pour détenir 9 000 des 9 500 actions de la société (SARL) […] (dite […]) qui exploite une activité de sécurité privée.

Dans la perspective de son départ à la retraite, M. [J] et son associé, [C] [M], directeur administratif et financier, sont entrés en contact avec la société […] (devenue SARL […] aux droits de laquelle vient désormais la SAS […]) qui s’est montrée intéressée par l’acquisition de l’intégralité du capital de la société […].

Le 25 février 2016, un protocole de cession a été régularisé.

Selon acte sous seing privé du 31 mars 2016, M. [J] et M.'[M] ont cédé à la SAS […] la totalité des titres qu’ils détenaient dans le capital de la société […], au prix de 500 000 euros qui a été réparti à concurrence de 94,74% au bénéfice de M. [J] (soit 473 684 euros), et de 5,26% au bénéfice de M. [M] (soit 26 316 euros).

Par le même acte, les cédants ont souscrit une garantie d’actif et de passif au profit de la société […] en s’obligeant à garantir les éléments de l’actif et le passif de la société […] vigilance sécurité, tels qu’ils seront arrêtés dans le bilan clos le 31 mars 2016 et, dans le cas où l’une quelconque de leurs déclarations serait inexacte, à réparer, dans les conditions prévues, le préjudice réel subi de ce fait par le bénéficiaire ou par la société […] et à dédommager de surcroît, sur justificatifs, le bénéficiaire du montant des frais et dépenses engagés en rapport avec cette inexactitude ou omission. Ont été fixés un seuil de déclenchement de cette garantie, à 7 500 euros, constitutif d’un montant de franchise global, ainsi qu’un plafond de garantie, à 150 000 euros.

Le transfert de propriété des actions de la SARL […] a eu lieu le 1er avril 2016.

M. [L] [R], gérant de la société […], est devenu également gérant de la société […].

Par lettre recommandée à l’entête de la société […], signée par M. [L] [R], du 25 janvier 2017 avec avis de réception, a été notifié à M.'[J] un certain nombre de réclamations susceptibles, selon l’auteur de la lettre, d’engager la responsabilité de M. [J]. Ce dernier était invité à prendre rendez-vous pour envisager les ‘suites à donner’, et il lui été indiqué que la remise en cause judiciaire de la cession n’était pas exclue.

Par lettre recommandée de son conseil du 7 février 2017 adressée à la société […], M. [J] a contesté le bien-fondé de la mise en jeu de la garantie, en indiquant qu’au regard des informations transmises, la réclamation avait pour origine la période postérieure au 31 mars 2016, à l’exception d’un litige avec la société Agoge sécurité ayant déjà conduit à la mise en oeuvre de la garantie de passif.

Par lettre recommandée du 16 mars 2017 avec avis de réception, toujours à l’entête de la société […], M. [R] a rappelé à M. [J] les différents ‘dossiers en cours dans lesquels [votre] responsabilité de dirigeant est engagée, les demandes et/ou les litiges étant liés à des événements antérieurs à la date de rachat de votre entreprise’, en listant les mêmes réclamations que celles dont il était fait état dans la précédente lettre.

Par lettre recommandée de son conseil du 24 avril 2017, M. [J] a de nouveau réfuté le bien-fondé des demandes de la société […] en ajoutant que la convention de garantie signée entre les parties prévoyait une franchise de 7 500 euros.

Par lettre recommandée du 10 mai 2017, à l’entête de la société […], M. [R] a vainement renouvelé ses demandes.

Par lettre officielle de son conseil du 3 août 2018, adressée au conseil de M. [J], la société […] a mis en demeure M. [J] et M.'[M], de régler, au titre de la garantie d’actif et de passif, une somme globale de 57 145,61 euros après déduction du seuil de déclenchement de 7’500’euros, ce sans délai. Cette lettre reprend précisément les divers postes de réclamations relevant selon elle de la garantie, à savoir :

– celle de M. [M] (en détaillant les sommes réclamées par ce dernier, indiquée pour mémoire, dans l’attente de décision de justice) qui a saisi le conseil des prud’hommes d’Angers par requête du 21 décembre 2016 afin d’obtenir la condamnation de la société […] à lui payer des sommes dans le cadre de sa demande de liquidation de ses droits à la retraite à compter du 1er juillet 2016 (dont un solde de congés payés) et qui a donné lieu à un jugement du 1er décembre 2017 dont M. [M] a fait appel ;

– celle de Mme [E] qui a saisi le conseil des prud’hommes d’Angers par requête du 20 juin 2016 (résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur, licenciement abusif, demandes relatives à l’absence de visite médicale d’embauche et périodique…, demandes en paiement de diverses sommes). La société […] a formé appel du jugement rendu le 23 novembre 2017 condamnant la société […], condamnation payée à hauteur de 23’698,68’euros.

– celle de Mme [S] [O] (en détaillant les sommes réclamées, dans l’attente de décision de justice) qui a saisi le conseil de prud’hommes de Dole le 21 décembre 2016 (résiliation judiciaire de son contrat de travail, paiement de diverses sommes). Mme [O] a formé appel du jugement du 5 septembre 2017.

– celle de M. [H] [V] qui a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Nazaire le 27 février 2017 (prise d’acte de la rupture aux torts exclusifs de l’employeur pour non-paiement de salaire et non-respect de sa santé ou de sa sécurité, licenciement sans cause réelle et sérieuse, paiement de diverses sommes). Désistement. Protocole d’accord transactionnel définissant une indemnité transactionnelle (1 602,40 € + 500 € + 13 897,60 €).

– celle de M. [F] (pour 5 000 + 3 100 = 8 100 euros), sur la base d’une condamnation à paiement prononcée par la cour d’appel d’Angers du 2’novembre 2016 à l’encontre de la SAS […]. Insuffisance de la provision intégrée aux comptes clos au 31 mars 2016.

– celle de M. [A] [Z] (montant pour mémoire, dans l’attente de décision de justice), ayant saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Nazaire (demandes à titre de rappel de salaire, indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, des conditions vexatoires de la rupture de son contrat). Bureau de jugement fixé au 21 décembre 2018 après échec de la tentative de conciliation.

– celle concernant les cotisations Malakoff-Médéric retraite (pour 4’434,90 euros), à la suite d’une mise en demeure par LRAR du 28 juillet 2017 au titre d’une régularisation pour l’année 2015 et un solde de cotisations pour le mois de février 2016, ces cotisations n’ayant selon elle pas été provisionnées.

– celle concernant un litige […]/Agoge sécurité (mise en jeu de la gap non contestée) au titre d’une sous-traitance d’un marché en 2015. Frais’d’avocats revendiqués (pour 1 786,33 euros) à la suite du rejet des demandes adverses par jugement du tribunal de commerce d’Angers du 8 mars 2017.

– celle concernant un litige relatif à l’aéroport de [Localité 7] (pour 15’168,40 euros), à la suite de la résiliation le 19 décembre 2015 d’une convention de sous-traitance des vols commerciaux à compter du 31 janvier 2016. La société […] a dû établir un avoir pour facturation injustifiée.

– celle relative à des cotisations TNS de M. [J] non provisionnées (pour 3 305 euros), du fait du prélèvement de cotisations personnelles RSI de M. [J] mises en paiement en mai et août 2016 alors que selon elle ces charges n’ont pas été provisionnées.

– celle relative à l’absence de renouvellement d’habilitations obligatoires de salariés (pour 8 219,08 euros) alors que la SAS […] aurait dû assurer une formation initiale ou un renouvellement au cours d’une période antérieure au 1er avril 2016 selon elle.

– celle (pour 2 821,48 euros) relative à des visites médicales non effectuées par la SAS […] pour des salariés embauchés avant le 1er avril 2016

– celle (pour 3 774,82 euros) relative à des primes d’habillage et de déshabillage des salariés sur le site de l’aéroport d'[Localité 6] pour une période antérieure au 1er avril 2016

– celle (pour 400 euros) relative à des honoraires divers non provisionnés selon elle (lettre de mission du 9 mars 2016 concernant la transformation de la société […] en SAS);

soit en l’état une somme de 64 645,61 euros, à minorer du seuil de déclenchement de 7 500 euros.

Cette lettre était accompagnée de pièces justificatives des réclamations.

Le 4 mars 2019, la société […] a fait assigner M. [J] devant le tribunal de commerce d’Angers en paiement d’une somme au titre de la garantie de passif. En cours de procédure, elle a porté sa demande à la somme de 106 778,55 euros.

En défense, M. [J] a sollicité du tribunal, au visa des articles 1133, 1147 et 1165 du code civil, qu’il juge la société […] irrecevable en constatant que la garantie est caduque et de nul effet entraînant la déchéance du droit de la société […] à indemnisation ; subsidiairement, qu’il constate que la société […] ne justifie pas d’augmentation de passif ou de diminution d’actif en référence à la situation comptable arrêtée au 31 mars 2016 ; à titre infiniment subsidiaire, qu’il constate que la société […] ne justifie pas d’un calcul de préjudice conforme aux modalités contractuelles convenues ; qu’en conséquence, il déboute la société […] de l’intégralité de ses demandes.

Par jugement du 9 décembre 2020, le tribunal de commerce d’Angers a :

– dit recevables les actions de la société […] et de M. [J],

– débouté la société […] de sa demande à indemnisation au titre de la garantie d’actif et de passif, et a constaté qu’elle est caduque et de nul effet,

– condamné la société […] à payer à M. [J] la somme de 2’500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,

– dit que les dépens de la présente instance sont en totalité à la charge de la société […].

Par déclaration du 19 février 2021, la SARL […] a formé appel de ce jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes tendant à condamner M.'[J] à lui payer la somme de 106 778,55 euros au titre de la garantie d’actif et de passif, à condamner M. [J] à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à condamner M. [J] aux entiers dépens, et en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles et aux dépens ; intimant M. [J].

Les parties ont conclu.

Par ordonnance du 17 novembre 2021, le magistrat chargé de la mise en état de la cour d’appel d’Angers a ordonné une médiation, confiée au Centre Anjou Maine médiation et arbitrage, fixant à 800 euros la consignation à valoir sur la rémunération du médiateur. Par ordonnance du 25 janvier 2022, le’magistrat chargé de la mise en état a agréé Mme [P] [U] pour procéder à la mesure de médiation. Selon lettre parvenue au greffe le 25’juillet 2022, Mme [U] a informé la cour de ce que la médiation n’avait pu aboutir.

Suivant déclaration du 28 février 2023, la société […] a décidé, en’qualité d’associé unique de la société […], de la transmission universelle du patrimoine de cette dernière à son profit.

La société […] a été radiée du registre du commerce et des sociétés de Nantes le 31 mars 2023.

Les parties ont à nouveau conclu.

Une ordonnance du 27 janvier 2025 a clôturé l’instruction de l’affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La SAS […] demande à la cour de :

vu les dispositions des articles 1116, 1134, 1147 et 1382 du code civil dans leur version applicable au litige,

vu les articles 564, 565 et 700 du code de procédure civile,

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Angers le 9 décembre 2020,

statuant à nouveau,

à titre principal,

– dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée à se prévaloir de la garantie d’actif et de passif insérée dans l’acte de cession des actions de la société […] du 31 mars 2016,

– en conséquence, condamner M. [J] à lui payer la somme de 106 778,55 euros en réparation de son entier préjudice financier,

subsidiairement,

– dire et juger que M. [J] a agi par dol à ses dépens,

– en conséquence, condamner M. [J] à lui payer la somme de 114 278,55 euros en réparation de son entier préjudice financier,

en toute hypothèse,

– condamner M. [J] à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [J] à supporter les entiers dépens.

M. [J] demande à la cour de :

vu les articles 1134 et 1147 anciens du code civil,

vu l’article 1165 ancien du code civil,

vu l’article 546 du code de procédure civile,

– déclarer la société […], venant aux droits de la société […] irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel,

en conséquence,

– à titre principal, confirmer le jugement entrepris dans sa totalité notamment en ce qu’il a jugé que la garantie est caduque et de nul effet entraînant déchéance du droit de la société […], venant aux droits de […] à indemnisation,

– subsidiairement, constater que la société […], venant aux droits de […], ne justifie pas d’augmentation de passif ou de diminution d’actif en référence à la situation comptable arrêtée au 31 mars 2016,

– à titre infiniment subsidiaire, constater que la société […], venant aux droits de […] , ne justifie pas d’un calcul de préjudice conforme aux modalités contractuelles convenues,

– en toute hypothèse, débouter la société […], venant aux droits de […], de l’intégralité de ses demandes,

– condamner la société […], venant aux droits de […], à lui payer une somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société […] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens au soutien des prétentions des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

– le 14 octobre 2024 pour la SAS […],

– le 10 janvier 2025 pour M. [J].

PAR CES MOTIFS :

la cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris.

Y ajoutant,

Déclare recevable la demande en réparation d’un préjudice prétendument causé par réticence dolosive.

Rejette cette demande.

Condamne la société […] à payer à M. [J] la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société […] aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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