Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Agen
Thématique : Conflit sur la vérification des créances en milieu coopératif agricole
→ RésuméContexte de l’affaireLa SCEA de Canet, exploitant agricole, cultive des pruniers et a adopté l’agriculture biologique en 2017. Elle est membre de la Coopérative d’utilisation du Matériel Agricole des Prunelaies de Beausoleil (CUMA), qui collecte, transforme et met à disposition des équipements agricoles à ses adhérents. Procédure judiciaire initialeLe tribunal de commerce d’Auch a ouvert une procédure de redressement judiciaire à la demande de la SCEA de Canet le 3 décembre 2021. La CUMA a ensuite assigné la SCEA de Canet pour obtenir le paiement de 106.492,32 euros. Le juge a déclaré la CUMA irrecevable en raison d’un défaut de qualité à agir. Déclaration de créanceLa CUMA a déclaré une créance de 113.590,81 euros dans le cadre de la procédure collective de la SCEA de Canet. Le 25 juillet 2022, la SCEA de Canet a été exclue de la CUMA pour non-paiement de factures et non-respect d’engagements. Décision du juge commissaireLe 9 avril 2024, le juge commissaire a admis la créance de la CUMA pour 106.492,32 euros, à titre chirographaire. La SCEA de Canet et le mandataire judiciaire ont interjeté appel de cette décision. Arguments des partiesLa SCEA de Canet conteste la créance de 84.425,92 euros, ne remettant en cause que partiellement la créance de 22.066,40 euros. Elle soutient l’existence de contestations sérieuses qui écartent la compétence du juge commissaire. La CUMA, quant à elle, demande la confirmation de l’ordonnance et le rejet des demandes de la SCEA de Canet. Vérification des créancesLa cour a examiné la validité des créances déclarées. Elle a confirmé l’admission de la créance de 22.066,40 euros, mais a infirmé la créance de 13.397,61 euros relative aux indemnités des administrateurs, en raison de l’absence de validation par l’assemblée générale. Conclusion de la courLa cour a confirmé l’ordonnance du juge commissaire pour une créance de 93.094,71 euros, tout en rejetant les demandes des parties fondées sur l’article 700 du code de procédure civile. Les dépens d’appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective. |
ARRÊT DU
05 Mars 2025
MDB / NC
——————–
N° RG 24/00494
N° Portalis DBVO-V-B7I
-DHDT
——————–
[P] [Y]
SCEA DE CANET
C/
Société CUMA DES PRUNELAIES DE BEAUSOLEIL
——————-
GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 68-2025
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Civile
Section commerciale
LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,
ENTRE :
Madame [P] [Y] en qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SCEA DE CANET
[Adresse 3]
[Localité 1]
SCEA DE CANET prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [H] [L]
RCS AUCH 382 716 611
Lieu-Dit ‘[Adresse 4]’
[Localité 2]
représentées par Me Sandrine FOURNIER, avocate postulante au barreau d’AGEN
et Me Anne-Marie ABBO, SELARL ABBO, avocate plaidante au barreau de TOULOUSE
APPELANTES d’une ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce d’AUCH en date du 09 avril 2024,
RG 2022 01855
D’une part,
ET :
Société CUMA DES PRUNELAIES DE BEAUSOLEIL prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège
RCS Auch 777 029 299
‘[Adresse 4]’
[Localité 2]
représentée par Me Louis VIVIER, avocat postulant au barreau d’AGEN
et Me Jérôme CARLES, avocat associé de la SCP CAMILLE & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
D’autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 16 octobre 2024, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Marianne DOUCHEZ-BOUCARD, Présidente de chambre, qui a fait un rapport oral à l’audience
qui en a rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre elle-même de :
Valérie SCHMIDT et Jean-Yves SEGONNES, Conseillers
en application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile et après qu’il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
L’affaire a été communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis par écrit
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
‘
‘
FAITS ET PROCÉDURE
La SCEA de Canet exploite des terres agricoles sur lesquelles elle cultive des pruniers. Elle est passée à une agriculture biologique dans le courant de l’année 2017.
La SCEA de Canet est l’une des quatre adhérentes de la Coopérative d’utilisation du Matériel Agricole des Prunelaies de Beausoleil (ci-après CUMA) qui a pour activités de :
– collecter, trier et sécher les prunes provenant de la production des exploitations agricoles;
– transformer et valoriser sous toutes formes les prunes et les écarts de triage ;
– mettre à disposition de ses adhérents et pour l’usage exclusif de leur exploitation tous équipements agricoles nécessaires à leur activité agricole.
Par jugement du 3 décembre 2021, le tribunal de commerce d’Auch a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la SCEA de Canet, à la demande de cette dernière.
Par exploit extra-judiciaire délivré le 10 décembre 2021, la CUMA a fait assigner la SCEA de Canet devant le tribunal judiciaire d’Auch afin d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 106.492,32 euros. Aux termes d’une ordonnance du 16 juin 2022, le juge de la mise en état de cette juridiction a fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la SCEA de Canet pour défaut de qualité à agir, en vertu des articles 122 du code de procédure civile et L.622-21 du code de commerce, et a déclaré la CUMA irrecevable dans son action.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 26 janvier 2022, la CUMA a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la SCEA de Canet à hauteur de 113 590,81 euros.
La SCEA de Canet a été exclue, par délibération du 25 juillet 2022 prise par le conseil d’administration de la CUMA, en raison de l’absence de règlement de factures de charges fixes et variables, le non-respect de l’engagement d’activité et l’utilisation du matériel de la CUMA.
Par ordonnance du 9 avril 2024, le juge commissaire du tribunal de commerce d’Auch, en charge du redressement judiciaire de la SCEA de Canet, s’est déclaré compétent, a admis la créance de la CUMA pour la somme de 106.492,32 euros, à titre chirographaire, et a ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire.
La SCEA de Canet et Me [P] [Y], mandataire judiciaire, agissant es-qualités de commissaire à l’exécution du plan de cette dernière, ont interjeté appel de cette décision le 22 avril 2024. L’intégralité des chefs du jugement sont critiqués.
L’avis de fixation à bref délai a été envoyé aux parties le 15 mai 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions du 6 septembre 2024, la SCEA de Canet et Me [P] [Y], mandataire judiciaire, demandent à la cour de :
– réformer l’ordonnance déférée ;
– prononcer l’incompétence du juge commissaire en raison de l’existence de contestations sérieuses ;
Statuant à nouveau :
– rejeter la créance déclarée par la CUMA à hauteur de 84.425,92 euros ;
– admettre au passif du redressement judiciaire de la SCEA de Canet la créance déclarée par la CUMA pour un montant total de 22.066,40 euros ;
– condamner la CUMA au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
A l’appui de leurs prétentions, les appelantes font valoir qu’elles ne contestent pas la créance de 22.066,40 euros relative au non-paiement de deux échéances de 10.516,60 euros chacune, en lien avec l’achat de machines de récolte (2NSAP 1999 et 2NSAP 2007).
Au visa de l’article L. 624-2 du code de commerce, elles soutiennent que l’existence d’une contestation sérieuse écarte la compétence du juge-commissaire. Elles critiquent la motivation du juge commissaire en ce qu’elle se résume à considérer que la production de pièces comptables émanant du créancier suffit à justifier le montant de la créance de 84.425,92 sans examiner les contestations soulevées par le débiteur. La CUMA, et ce malgré la production des pièces comptables que les appelantes avaient réclamées devant le juge commissaire, demeure défaillante dans l’administration de la preuve de sa créance.
La seule production de deux factures ne permet pas de vérifier l’exactitude des sommes réclamées. La SCEA de Canet n’a jamais contesté être redevable « d’une créance » auprès de la CUMA. Elle a sollicité à maintes reprises des explications claires et précises sur le montant des sommes réclamées qu’elle n’a jamais obtenues.
Elles rappellent que la répartition des charges variables, en application du règlement intérieur de la CUMA, est fonction du poids des prunes vertes apportées à la station par chaque adhérent. Elles réclament, devant la cour, la communication du carnet de métrologie permettant de vérifier l’exactitude des pesées. Le tableau de répartition des charges ne suffit pas à déterminer le détail tant des charges fixes que des charges variables. En outre, la CUMA ne communique pas aux adhérents les tarifs de séchage avant la récolte, contrairement à d’autres coopératives. Elle facture à ses adhérents des indemnités allouées aux administrateurs qui demeurent anormalement élevées alors que le tonnage est passé de 1 804 en 2017 à 611 en 2020. Le montant de ces indemnités n’est pas approuvé préalablement en assemblée générale, et ce en violation des dispositions de l’article 30 des statuts de la CUMA. A défaut de production des procès-verbaux d’assemblées générales fixant en amont de l’exercice l’indemnité globale allouée aux administrateurs, les indemnités perçues ne sont pas justifiées, ni valables et ne sauraient être répercutées aux adhérents.
Par conclusions du 8 juillet 2024, la CUMA demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée, de débouter la SCEA de Canet de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’appui de ses prétentions, elle soutient que la SCEA de Canet tente de complexifier le fonctionnement interne de la CUMA. La SCEA de Canet était elle-même associée coopératrice et présidente pendant 6 ans, entre 2009 à fin 2014 de la CUMA qui a toujours fonctionné de la sorte sans que cette dernière n’émette jusqu’à aujourd’hui la moindre contestation. Elle constate en premier lieu que la SCEA de Canet ne conteste pas la créance de 22.066,40 euros relative à l’achat de machines de récoltes. S’agissant de la créance de 84 425,92 euros, elle explique que la facture du 30 juin 2020 correspond à la campagne de séchage de l’année 2019 et s’élève à un montant de 75 731,16 euros représentant le compte débiteur de la SCEA de Canet. Elle ajoute que la SCEA de Canet a réglé la somme de 20 000 euros, puis s’est engagée par lettre du 18 décembre 2020, à verser le solde dû à la concluante avant le 31 mars 2021. Elle a remis le jour même, au cours de l’assemblée générale, deux chèques de 10 000 euros chacun qui ont été encaissés, à sa demande, les 7 et 18 janvier 2021. Ainsi au 18 janvier 2021, son compte courant ne présentait plus qu’un solde de 35 731,16 euros. Le 30 juin 2021, la CUMA a adressé à la SCEA de Canet la facture de la campagne de séchage 2020 augmentant le débit de son compte courant adhérent à 84 425,92 euros. Arguant que la seconde facture produite, faisant apparaître le solde débiteur de son compte courant, ne permettait pas de vérifier l’exactitude des sommes réclamées, la SCEA de Canet a sollicité, par l’intermédiaire de son conseil, la production de la comptabilité analytique 2020-2021, le tableau de répartition des charges fixes et variables pour chaque adhérent, la justification de la rémunération des administrateurs, les procès-verbaux des assemblées générales des années 2020 et 2021, l’extrait du compte courant adhérent depuis 2019. Ainsi et sauf à ce que la SCEA de Canet remette en cause le nombre de ses propres hectares exploités et de ses prunes récoltées, elle estime justifier parfaitement de sa créance, les sommes réclamées à celle-ci ayant été calculées sur la base du détail des charges fixes et variables de la CUMA et selon les modalités prévues au règlement intérieur, étant précisé que le tarif de séchage ne peut être connu préalablement à la récolte dans la mesure où il varie selon chaque adhérent en fonction de ses charges fixes et de ses charges variables. Enfin, la SCEA de Canet semble s’interroger sur les indemnités perçues par les administrateurs de la CUMA. Ces indemnités sont votées lors de l’AG de l’exercice précédent et visent à indemniser les administrateurs du temps qu’ils consacrent à la gestion ainsi qu’à l’organisation de la récolte. Pour l’exercice 2020/2021, l’assemblée générale a décidé de fixer à 20 000 euros l’allocation globale attribuée aux membres du conseil d’administration et cette résolution a été approuvée à la majorité, conformément à l’article 30 des statuts. L’allocation des indemnités de l’exercice clôturé de l’année 2018 est indifférente au présent litige et a été approuvée à la majorité lors de l’assemblée général du 21 décembre 2018.
Par conclusions du 08 octobre 2024, le Procureur Général, sur la recevabilité de l’appel et au fond, s’en rapporte à la décision de la cour.
La cour pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties fait expressément référence à la décision entreprise et aux dernières conclusions régulièrement déposées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’affaire a été fixée à plaider à l’audience en date du 16 octobre 2024.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition et en dernier ressort,
Confirme l’ordonnance du 9 avril 2024 rendue par le juge commissaire du tribunal de commerce d’Auch en ce qu’elle a admis la créance de la CUMA des Prunelaies de Beausoleil à hauteur de la somme de 93 094.71 euros TTC, à titre chirographaire ;
L’infirmant pour le surplus :
Rejette la créance de la CUMA des Prunelaies de Beausoleil portant sur les indemnités compensatrices des administrateurs contenues dans les charges fixes réclamées à la SCEA de Canet, à hauteur de 13 397,61 euros TTC ;
Y ajoutant :
Rejette les demandes des parties fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
Le présent arrêt a été signé par Marianne DOUCHEZ-BOUCARD, présidente, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, La Présidente,
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?