L’appel a été interjeté le 12 décembre 2023 par la S.A.S. CSF contre une ordonnance de référé du tribunal de commerce d’Aubenas, datée du 28 novembre 2023. La S.A.S. CSF, filiale du groupe Carrefour, fournit des marchandises à la société [R] PMG, qui a résilié ses contrats de location gérance et de franchise avec la société Genedis, également filiale de Carrefour, en invoquant des manquements. Cette résiliation a entraîné la caducité du contrat d’approvisionnement avec la S.A.S. CSF.
Après un inventaire des marchandises restituées, la S.A.S. CSF a émis un avoir, mais a ensuite constaté que la société [R] PMG restait débitrice d’une somme de 298 983,48 euros. Malgré des mises en demeure, la société [R] PMG n’a pas réglé cette somme. La S.A.S. CSF a alors demandé une saisie conservatoire sur les comptes de la société [R] PMG, qui a été autorisée par le tribunal. La S.A.S. CSF a saisi le tribunal de commerce pour obtenir le paiement de la somme due, mais la société [R] PMG a contesté la compétence du juge étatique, demandant un renvoi vers un tribunal arbitral. Le tribunal a déclaré la saisine mal fondée et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. L’appelante conteste cette décision, arguant qu’il existe un trouble manifestement illicite dû au refus de la société [R] PMG de payer les marchandises livrées. La société [R] PMG, de son côté, soutient qu’il n’y a pas d’urgence justifiant la saisine du juge des référés et qu’elle a des contestations sérieuses concernant les obligations du fournisseur. La cour a finalement infirmé l’ordonnance du tribunal de commerce, condamnant la société [R] PMG à payer la somme de 298 983,48 euros à la S.A.S. CSF à titre provisionnel, ainsi qu’aux dépens et à une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
23/03836
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/03836 – N° Portalis DBVH-V-B7H-JAYJ
AV
TRIBUNAL DE COMMERCE D’AUBENAS
28 novembre 2023 RG :2023 2368
S.A.S. CSF
C/
Société [R] PMG
Grosse délivrée
le 06 SEPTEMBRE 2024
à
Me Emmanuelle VAJOU Me Georges POMIES RICHAUD
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 06 SEPTEMBRE 2024
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Tribunal de Commerce d’Aubenas en date du 28 Novembre 2023, N°2023 2368
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Christine CODOL, Présidente de Chambre
Claire OUGIER, Conseillère
Agnès VAREILLES, Conseillère
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière à la Chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 13 Juin 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 06 Septembre 2024.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
Société CSF, SAS au capital de 100 347 710 €, immatriculée au RCS de CAEN sous le n° 440 283 752 et dont le siège social est sis [Adresse 6], poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, Postulant, avocat au barreau de NÎMES
Représentée par Me Stéphanie DRODE de la SELARL BEDNARSKI – CHARLET & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
SARL [R] PMG, au capital de 7.500 euros, immatriculée au RCS d’AUBENAS sous le numéro 814605754 prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur [F] [R], domicilié ès-qualités au siège social sis,
[Adresse 3]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD de la SELARL CABINET LAMY POMIES-RICHAUD AVOCATS ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me François-xavier AWATAR de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LYON
Affaire fixée en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 06 Juin 2024
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 06 Septembre 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour
Vu l’appel interjeté le 12 décembre 2023 par la S.A.S. CSF à l’encontre de l’ordonnance de référé rendue le 28 novembre 2023 par le tribunal de commerce d’Aubenas, dans l’instance n° RG 2023 2368 ;
Vu l’avis de fixation à bref délai du 5 janvier 2024 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 3 juin 2024 par la S.A.S. CSF, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé,
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 31 mai 2024 par la SARL [R] PMG, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé,
Vu l’ordonnance du 5 janvier 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 6 juin 2024 ;
Vu l’autorisation donnée par ordonnance du 15 janvier 2024 à la S.A.S. CSF d’assigner la SARL [R] PMG à jour fixe,
Vu l’assignation à jour fixe, délivrée le 26 février 2024, à la requête de la S.A.S. CSF à la SARL [R] PMG à comparaître devant la cour d’appel de Nîmes à l’audience du 13 juin 2024;
Sur les faits
La S.A.S. CSF est une filiale du groupe Carrefour ayant pour activité la fourniture en gros de marchandises à prédominance alimentaire à destination de tout commerce de détail ou de gros, exploitant ou non sous enseignes du groupe Carrefour.
Le 26 octobre 2015, la société Genedis, également filiale du groupe Carrefour, a donné en location gérance à la société [R] PMG un fonds de commerce de vente en gros de produits alimentaires et non alimentaires à destination des commerçants et professionnels, sous l’enseigne Promocash, composé d’un local et d’un drive.
Le 14 octobre 2015, la société [R] PMG a régularisé un contrat de franchise Promocash avec la société Genedis.
Concomitamment au contrat de franchise, la société [R] PMG (le client) a signé un contrat d’approvisionnement avec la S.A.S. CSF (le fournisseur), pour une durée de sept années, renouvelable par tacite reconduction.
Invoquant divers manquements de la société Genedis et de la société CSF dans l’exécution de l’ensemble contractuel, la société [R] PMG a résilié, par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 juin 2022 les contrats de location gérance et de franchise.
Par courrier du 29 juin 2022, la société [R] PMG a informé la société CSF de cette résiliation du contrat de location gérance entraînant ipso facto la caducité du contrat d’approvisionnement régularisé entre les sociétés CSF et [R] PMG, avec prise d’effet au 30 septembre 2022.
Le 1er octobre 2022, il a été procédé à un inventaire contradictoire des marchandises en stock qui ont été restituées à la S.A.S. CSF.
Le 11 octobre 2022, la S.A.S. CSF a émis un avoir d’un montant de 1 020 724,09 euros TTC.
Après imputation de l’avoir de reprise de stock ainsi que des ristournes définitivement acquises par le client, la société CSF a arrêté un décompte au 1er juin 2023 faisant ressortir que la société [R] PMG restait débitrice d’une somme de 298 983,48 euros TTC.
Par courrier du 20 septembre 2022, la SARL [R] PMG a fait part à la S.A.S. CSF de sa volonté de mettre en oeuvre la clause ‘règlement des litiges’ prévue à l’article 13 du contrat d’approvisionnement et d’entamer une résolution amiable de leur différend. Par courrier du 6 octobre 2022, la S.A.S. CSF a accepté le principe de la démarche de conciliation.
Le 27 avril 2023, la société CSF a mis en demeure la société [R] PMG de lui régler sous quinzaine la somme de 485 040,93 euros au titre des factures de marchandises restées impayées.
Par ordonnance rendue le 20 juin 2023, la S.A.S. CSF a été autorisée à faire procéder à une mesure de saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la SARL [R] PMG pour sûreté et conservation de la somme de 298 983,48 euros.
Le 4 juillet 2023, la S.A.S. CSF a dénoncé à la SARL [R] PMG la saisie conservatoire pratiquée le 3 juillet 2023 entre les mains de la Caisse d’Epargne Loire Drôme Ardèche.
Sur la procédure
Par exploit du 16 juin 2023, la Société CSF a saisi le président du tribunal de commerce d’Aubenas aux fins de voir condamner la société [R] PMG, à titre provisionnel, au paiement de la somme de 298 983,48 euros TTC.
La SARL [R] PMG a demandé au juge des référés de se déclarer incompétent au profit d’un tribunal arbitral.
Par ordonnance du 28 novembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce d’Aubenas a :
-Déclaré mal fondée la saisine de la juridiction étatique pour connaître des demandes de la société CSF,
-Renvoyé les parties à mieux se pourvoir
-Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
-Fait masse des dépens, qui seront partagés également entre les parties, dont ceux de greffe, liquidés à la somme de 40,65 euros TTC.
Le 12 décembre 2023, la S.A.S. CSF a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.
En vertu d’une autorisation donnée par ordonnance du 15 janvier 2024, la S.A.S. CSF a assigné à jour fixe, par exploit du 26 février 2024, la SARL [R] PMG à comparaître devant la cour d’appel de Nîmes à l’audience du 13 juin 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l’appelante demande à la cour, au visa des articles 83 et suivants du code de procédure civile, 917 et suivants du code de procédure civile, 1103, 1104, 1165 anciens, 1219, 1289 anciens, 1342, 1583 et 1651 du code civil, et enfin 873, 1449, 1451 à 1454, 1459 et 1460 du code de procédure civile, de :
« Infirmer la décision entreprise des chefs suivants :
Déclarons mal fondée la saisine du juge étatique pour connaître des demandes de la société CSF ;
Renvoyons les parties à mieux se pourvoir ;
Disons n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Fait masse des dépens, qui seront partagés également entre les parties, dont ceux de greffe, liquidés à la somme de 40,65 euros TTC».
-Joindre les appels RG 23/03836 et 24/00186
-Se déclarer compétente pour statuer sur l’appel diligenté par la société CSF à l’encontre de l’ordonnance rendue par Monsieur le Président du tribunal de commerce d’Aubenas en date du 28 novembre 2023.
-Dire l’appel de la société CSF recevable et bien fondé et en conséquence,
Y faire droit,
-Réformer l’ordonnance rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce d’Aubenas en date du 28 novembre 2023 en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de la société CSF, au profit du tribunal arbitral convenu, renvoyant les parties à mieux se pourvoir.
Statuant à nouveau :
Vu le trouble manifestement illicite subi par la société CSF du fait du refus délibéré de la société [R] PMG d’exécuter son obligation contractuelle de paiement des marchandises livrées et demeurées impayées,
-Ordonner à la société [R] PMG d’avoir à exécuter son obligation de payer les factures de marchandises livrées et demeurées impayées, selon décompte certifié arrêté au 1er juin 2023 et ce, à hauteur de 298 983,48 euros TTC.
En tout état de cause :
-Condamner la société [R] PMG à payer à la société CSF la somme de 298 983,48 euros TTC à titre provisionnel.
En toute hypothèse :
-Débouter la société [R] PMG de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires, outre appel incident.
-Condamner la société [R] PMG au paiement d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de la Maître Emmanuelle Vajou, avocat aux offres de droit.»
Au soutien de ses prétentions, l’appelante fait valoir que le premier juge a refusé d’apprécier l’urgence, au regard du trouble manifestement illicite, considérant que « ce texte est seulement applicable lorsqu’une contestation sérieuse existe alors que précisément…, il ne peut être fait droit à la demande provisionnelle qu’en l’absence de contestation sérieuse». Ce faisant, il a ajouté aux dispositions de l’article 873 alinéa 1 une condition que le texte ne prévoit pas, à savoir : l’existence d’une contestation sérieuse, qui n’est nullement requise par les dispositions dont il s’agit. Le refus d’une partie d’exécuter ses engagements contractuels à raison d’une action judiciaire en interprétation voire en contestation de la validité de ceux-ci caractérise l’existence d’un trouble manifestement illicite dès lors qu’elle est tenue de se conformer au principe selon lequel le contrat conclu doit être exécuté par chacune des parties tant qu’il n’a pas été statué sur son interprétation ou sa validité par les juges du fond compétents. L’existence d’un trouble manifestement illicite implique en soi l’urgence à le faire cesser. Il est établi que le fournisseur a livré des marchandises commandées par la cliente à hauteur de 298 983.48 euros TTC et que ces dernières n’ont pas été payées et ce, malgré mises en demeure en date des 6 octobre 2022 et 27 avril 2023. La cliente n’a formé aucune réclamation dans les 48 heures de la réception des marchandises conformément aux conditions générales de vente. La cliente n’a formé aucun recours dans les délais requis à l’encontre de l’ordonnance du 20 juin 2023 par laquelle le président du tribunal de commerce d’Aubenas a fait droit à la demande de mesures conservatoires formée par le fournisseur . Ainsi, la créance du fournisseur, s’agissant d’impayés de marchandises, est tout à fait incontestable, certaine, liquide et exigible. Les prétendues perturbations logistiques ne concernent pas les marchandises livrées et dont le paiement est réclamé ; par définition, en effet, les articles manquants n’ont pas été facturés à la cliente, ce qu’elle ne conteste pas.
En second lieu, l’appelante soutient que les prétendues inexécutions contractuelles invoquées pour les besoins de la cause par la cliente n’ont fait l’objet d’aucune décision de justice a fortiori définitive. La cliente ne justifie par ailleurs nullement d’une quelconque obligation contractuelle du fournisseur de s’aligner sur les tarifs pratiqués par ses concurrents,
Sous le prétexte d’une exception d’inexécution manifestement infondée, la cliente ne fait que se faire justice à elle-même, ce qui constitue en soi un trouble manifestement illicite.
L’appelante fait observer que monsieur le président du tribunal de commerce d’Aubenas a, suivant ordonnance sur requête aux fins de mesures conservatoires diligentée par le fournisseur, reconnu les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance et donc l’urgence de ce chef. La cliente a cessé toute activité commerciale ; elle a acquis le 31 mars 2023 les parts de la société […] et n’est plus qu’une holding. Elle a cessé volontairement tout règlement des marchandises entre la dénonciation de son contrat de location-gérance et donc du contrat d’approvisionnement et la date d’effet de cette dénonciation. En dépit des mises en demeure réitérées transmises par le fournisseur, la débitrice n’a offert aucune garantie, ni procédé à un quelconque règlement. L’urgence s’infère en toute hypothèse de l’ancienneté de la créance. Le créancier n’a pas à démontrer que ce défaut d’exécution entraînerait pour lui un appauvrissement le plaçant dans une situation financière délicate. L’urgence peut plus simplement se justifier par la nécessité de mettre en ‘uvre la procédure avant que le débiteur ne disparaisse dans la nature ou ne mette en ‘uvre son insolvabilité.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l’intimée demande, au visa des articles 1104, 1219, 1231, 1231-1 du code civil, 700 et 872 du code de procédure civile, de :
-Confirmer l’ordonnance du tribunal de commerce d’Aubenas du 28 novembre 2023 en ce qu’il a :
Déclaré mal fondé la saisine du juge étatique pour connaitre des demandes de la société CSF ;
Renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
En toute hypothèse :
-Débouter la société CSF de l’ensemble de ses moyens, fins et prétentions;
-Condamner la société CSF au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
L’intimée précise tout d’abord qu’elle n’a informé la cour du caractère indivisible des contrats de franchise et d’approvisionnement que pour lui permettre d’apprécier le contexte de l’affaire qu’elle aura à juger.
L’intimée souligne que le fournisseur ne démontre en rien l’urgence justifiant la saisine du juge des référés. Si la clause compromissoire prévoit bien la possibilité pour chacune des parties de saisir le juge des référés avant toute action au fond devant un tribunal arbitral, cette saisine doit respecter les dispositions de l’article 1449 du code de procédure civile. Le fournisseur ne craint pas de prétendre que l’urgence s’inférerait de l’ancienneté de la créance qui serait l’unique condition justifiant de la saisine du juge des référés. A ce titre, l’appelante n’hésite pas à dénaturer les termes de nombreux arrêts qu’elle cite au soutien de sa demande. La société intimée ne rencontre nullement de difficultés financières justifiant le critère de l’urgence. Une procédure de conciliation était en cours lorsque la demanderesse a assigné sa cliente démontrant la parfaite mauvaise foi de la société appelante, dans le cadre de la présente affaire. Une procédure de médiation est en cours devant le Centre de Médiation et d’Arbitrage de [Localité 4] portant justement sur les créances invoquées qui entrent dans l’assiette des négociations. En tout état de cause, la somme de 283.156,03 euros qui se trouvait sur le compte courant de la cliente a été d’ores et déjà été saisie à titre conservatoire. La trésorerie de la clinete ne s’en trouve pas affectée. L’absence d’activité commerciale d’une société n’est pas un critère permettant de caractériser l’urgence, Monsieur [R], gérant de la société [R] PMG est bien caution personnelle de la somme de 275.000 euros ; la cliente justifie d’une trésorerie confortable ; elle ne va naturellement pas être liquidée, ni ses actifs dissipés par Monsieur [R] dans la mesure où la liquidation amiable de la société [R] PMG lui ferait perdre son droit d’agir au titre des inexécutions contractuelles des sociétés du groupe Carrefour et donc tout espoir d’être indemnisée.
La société intimée conteste le quantum de la créance due au fournisseur du fait de la violation par ce dernier de son obligation de livraison, obligation inhérente à tout contrat d’approvisionnement. Une contestation sérieuse sur l’existence du trouble ou sur son caractère illicite ou sur l’existence d’un dommage imminent fait nécessairement obstacle à ce que le des référés puisse prendre une mesure d’anticipation.
La société intimée rétorque qu’en tout état de cause et en vertu des dispositions précitées, le juge des référés ne peut accorder une provision qu’à condition que l’existence de l’obligation soit non sérieusement contestable. Or, constitue une contestation sérieuse l’appréciation d’une exception d’inexécution. La cliente reproche au fournisseur des perturbations logistiques constantes notamment sur la période septembre 2022, période de facturation des créances litigieuses justifiant qu’elle retienne le paiement des marchandises. Par ailleurs, le fournisseur lui a imposé une politique tarifaire abusive à l’achat en totale violation de son obligation de fournir à ses clients des marchandises à des conditions tarifaires compétitives (préambule du contrat d’approvisionnement).
Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
Il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’ordonner la jonction des instances enrôlées sous les n°23/03836 et 24/00186, l’instance étant désormais inscrite au répertoire général sous le seul n°23/03836 .
1) Sur la condition d’urgence
L’article 13 du contrat d’approvisionnement signé le 14 octobre 2015 stipule qu’à défaut d’accord amiable, les parties conviennent de soumettre leur différend sous l’égide du centre de médiation et d’arbitrage de la chambre de commerce et d’industrie de [Localité 4]. En cas d’échec de la médiation, toutes contestations auxquelles pourront donner lieu la conclusion, l’interprétation et l’exécution de l’accord seront soumises à trois arbitres.
L’article 1449 du code de procédure civile dispose que :
« L’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’Etat aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire.
Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d’instruction dans les conditions prévues à l’article 145 et, en cas d’urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d’arbitrage. »
En l’occurrence, la SARL [R] PMG ne justifie pas, ni même ne prétend avoir saisi une juridiction arbitrale.
La compétence exceptionnelle reconnue au juge des référés, en présence d’une convention d’arbitrage, est soumise à la condition de l’urgence (2e Civ., 13 juin 2002, pourvoi n° 00-20.077), ce que les parties s’accordent pour reconnaître.
En dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée le 27 avril 2023 et alors que sa situation de trésorerie le lui permettrait, la SARL [R] PMG refuse de régler la créance non sérieusement contestable de la S.A.S. CSF qui est d’un montant élevé de 298 983,48 euros et correspond à des factures exigibles depuis près de deux années.
La SARL [R] PMG n’exerce plus d’activité commerciale et est devenue une holding qui détient des parts sociale de la société […] exerçant une activité de vente et d’achat d’articles liés au domaine de la papeterie, de l’informatique, de la bureautique et de l’aménagement de bureau.
La saisie conservatoire opérée le 3 juillet 2023 a été fructueuse à hauteur de 283 156,03 euros, garantissant le paiement de la quasi intégralité de la créance ; toutefois, cette mesure deviendra caduque si la S.A.S. CSF n’obtient pas de titre exécutoire, à l’issue de la présente procédure.
Les trésoreries de la SARL [R] PMG et de la société […], constituées par un solde de compte bancaire courant, sont par nature susceptibles de fluctuations.
Si le gérant de la SARL [R] PMG s’est porté personnellement garant à hauteur de 275 000 euros de la société, lors de la signature du contrat d’approvisionnement, il n’est pas démontré que ses revenus ou son patrimoine lui permettent de faire face à un engagement aussi important.
Eu égard à l’ancienneté de la dette, à son montant et aux circonstances susceptibles de menacer son recouvrement, l’urgence est caractérisée.
Par conséquent, il convient d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré mal fondée la saisine du juge étatique pour connaître des demandes de la S.A.S. CSF et renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
2) Sur l’existence d’une obligation non sérieusement contestable
Aux termes de l’article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
L’article 873 du code de procédure civile prévoit que le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
La S.A.S. CSF soutient que le trouble manifestement illicite est caractérisé, l’existence d’une contestation sérieuse étant indifférente et ne constituant pas un obstacle au prononcé de mesures conservatoires destinées à le faire cesser.
La S.A.S. CSF qui sollicite le paiement d’une provision à valoir sur une créance d’origine contractuelle dont elle se prévaut à l’encontre de la SARL [R] PMG ne saurait agir sur le fondement de l’article 873, alinéa 1, du code de procédure civile. Sa demande ne peut être examinée qu’au regard du second alinéa du même article qui en conditionne la recevabilité à l’absence de contestation sérieuse.
Il appartient au demandeur à la provision d’établir l’existence de la créance qu’il invoque et au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable (1ère Civ. 4 novembre 1987, n°86-14.379).
L’article 7-1 du contrat d’approvisionnement prévoit un paiement à 25 jours date de livraison de 5 en 5, pour toutes commandes passées à compter du 19ème mois d’exécution du dit contrat et jusqu’à son échéance.
En l’occurrence, il n’est pas contesté que les produits facturés ont bien été livrés à la SARL [R] PMG et qu’il ne lui est pas réclamé le paiement des produits manquants invoqués par cette dernière qui sont mentionnés comme tels notamment sur la facture n°27990 du 8 septembre 2022.
Les incidents mineurs déclarés par la SARL [R] PMG au titre de la casse ou d’un colis facturé mais manquant, lors de la livraison, ont donné lieu à un avoir compensatoire de 530 euros.
La SARL [R] PMG n’a pas formé de réclamation relative à la qualité des marchandises, dans le délai de 48 heures de leur réception, comme le prévoient les conditions générales de vente mentionnées au verso des factures litigieuses.
La S.A.S. CSF a donc bien exécuté son obligation principale de délivrance conforme de la marchandise vendue et dès lors, l’exception d’inexécution soulevée par la SARL [R] PMG, sur le fondement de l’article 1219 du code civil, ne constitue pas une contestation sérieuse.
La SARL [R] PMG invoque un manque à gagner et une perte de la clientèle au profit de la concurrence du fait des difficultés logistiques auxquelles elle s’est heurtée (retards et ruptures de stocks) et d’une politique tarifaire abusive pratiquée par la S.A.S. CSF.
Aux termes de l’article 1347-1 du code civil, la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.
En l’occurrence, il est seulement affirmé dans le préambule du contrat d’approvisionnement que, dans le cadre de son activité de négoce de produits alimentaires, le fournisseur a mis en place des moyens logistiques et commerciaux afin d’offrir aux clients des conditions tarifaires compétitives et un service performant ; il ne relève donc pas de l’évidence que le fournisseur ait pris un quelconque engagement à ce titre et qu’il ne s’agisse pas d’une pétition de principe.
L’obligation de la S.A.S. CSF de pratiquer des tarifs compétitifs fait donc l’objet d’une contestation sérieuse.
Par ailleurs, les défauts et retards d’approvisionnement allégués nécessitent une appréciation tant du comportement de la S.A.S. CSF que du préjudice qui pourrait en découler et échappent aux pouvoirs du juge des référés. Ils n’ont donné lieu, à ce jour, à aucune décision rendue au fond.
Pour refuser le paiement des factures échues qui constituent une créance certaine, liquide et exigible, la SARL [R] PMG ne saurait invoquer une compensation avec une créance indemnitaire qui n’est qu’éventuelle.
L’existence de l’obligation de la SARL [R] PMG n’étant pas sérieusement contestable, il convient de la condamner à payer à la S.A.S. CSF la somme de 298 983,48 euros TTC à titre provisionnel.
3) Sur les frais du procès
La SARL [R] PMG qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, distraits au profit de l’avocat de l’appelante.
L’équité commande d’allouer à la S.A.S. CSF une indemnité de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LA COUR,
Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les n°23/03836 et 24/00186, l’instance étant désormais inscrite au répertoire général sous le seul n°23/03836,
Infirme l’ordonnance en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Condamne la SARL [R] PMG à payer à la S.A.S. CSF la somme de 298 983,48 eurosTTC à titre provisionnel,
Y ajoutant
Condamne la SARL [R] PMG aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction pour ceux d’appel au profit de Me Vajou, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne la SARL [R] PMG à payer à la S.A.S. CSF une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
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