Conflit sur la compétence d’expertise contractuelle et clauses contradictoires

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Conflit sur la compétence d’expertise contractuelle et clauses contradictoires

L’Essentiel : La société fournisseur et la société acheteur ont signé un contrat d’approvisionnement le 15 mai 2001, incluant une clause compromissoire pour le règlement des litiges. En 2007, le fournisseur a découvert des irrégularités tarifaires, entraînant la désignation d’un expert en 2008. Suite à la demande de décharge de l’expert initial, un nouvel expert a été désigné, mais sa nomination a été jugée caduque par la cour d’appel en 2020. Le fournisseur a alors déposé une nouvelle requête pour le remplacement de l’expert, qui a été acceptée malgré la contestation de l’acheteur, dont les arguments ont été rejetés par la cour.

Contexte de l’affaire

La société Codis Aquitaine (fournisseur) et la société Logis, désormais remplacée par la société CSF (acheteur), ont signé un contrat d’approvisionnement le 15 mai 2001. Ce contrat incluait une clause compromissoire pour le règlement des litiges et stipulait que, en cas de désaccord sur le prix des marchandises, le président du tribunal de commerce de Pau serait saisi pour désigner un expert indépendant.

Découverte des irrégularités

En 2007, le fournisseur a découvert des taux de marges sur les prix fournisseurs qui ne respectaient pas les conditions tarifaires convenues. Suite à cela, une ordonnance du 14 janvier 2008 a permis la désignation d’un expert pour examiner la situation, conformément aux termes du contrat.

Changements d’expert

L’expert initial a demandé à être déchargé de sa mission, entraînant la désignation d’un nouvel expert par le juge en charge des expertises. Cependant, la cour d’appel a constaté, le 8 décembre 2020, que la désignation de ce nouvel expert était caduque en raison d’un défaut de consignation de la provision dans les délais impartis.

Nouvelle demande de désignation d’expert

Le fournisseur a soutenu que l’arrêt de la cour d’appel ne déclarait pas caduque la mesure d’expertise ordonnée en 2008, mais seulement la désignation de l’ancien expert. Par conséquent, le fournisseur a déposé une nouvelle requête le 1er février 2021 pour le remplacement de l’expert, en se basant sur l’article 18 du contrat.

Rejet de la rétractation

L’acheteur a tenté de faire rétracter l’ordonnance qui avait accédé à la demande de remplacement de l’expert, mais a été débouté par une ordonnance du 21 septembre 2021.

Arguments de l’acheteur

L’acheteur a contesté la décision en affirmant que l’absence de consignation de la provision entraînait la caducité de la désignation de l’expert, ce qui aurait dû affecter l’ensemble de la mesure d’expertise. De plus, il a soutenu que le juge étatique ne devait pas se déclarer compétent en raison de la clause compromissoire.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que, selon l’article 1448 du code de procédure civile, un litige relevant d’une convention d’arbitrage doit être déclaré incompétent par le juge étatique, sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi. Elle a également noté que les clauses du contrat d’approvisionnement, bien que complémentaires, permettaient au président du tribunal de commerce de Pau de désigner un expert en cas de contestation sur les prix, sans méconnaître la clause compromissoire.

Conclusion

La cour d’appel a donc rejeté les arguments de l’acheteur, considérant que la clause compromissoire était manifestement inapplicable à la demande de désignation d’expert, qui relevait d’une clause attributive de compétence distincte. Les moyens soulevés par l’acheteur ont été jugés inopérants ou non fondés.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de la clause compromissoire dans le contrat d’approvisionnement ?

La clause compromissoire, selon l’article 1448 du code de procédure civile, stipule que lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente, sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

Dans le cas présent, l’article 18 du contrat d’approvisionnement contient une clause compromissoire qui soumet à l’arbitrage toutes les contestations relatives à l’exécution ou à l’interprétation du contrat.

Cette clause a été négociée en même temps qu’une stipulation permettant la désignation d’un expert par le président du tribunal de commerce de Pau en cas de contestation sur les prix des marchandises.

Ainsi, la coexistence de ces deux clauses, l’une compromissoire et l’autre attributive de compétence, ne contredit pas le principe selon lequel l’arbitre doit statuer en priorité sur sa compétence.

Quelles sont les conséquences de la caducité de la désignation de l’expert ?

L’article 271 du code de procédure civile précise que l’absence de consignation de la provision dans le délai et selon les modalités imparties entraîne la caducité de la désignation de l’expert.

Dans cette affaire, la cour d’appel a constaté la caducité de la désignation du nouvel expert en raison du défaut de consignation de la provision dans les délais prescrits.

Cela signifie que la mesure d’expertise ordonnée est également considérée comme caduque, ce qui a des implications sur la possibilité de contester la compétence du juge étatique pour connaître du remplacement de l’expert désigné.

La société Codis a tenté de faire valoir que seule la désignation de l’ancien expert était caduque, mais la cour a jugé que la caducité affectait l’ensemble de la mesure d’expertise.

Comment la cour d’appel a-t-elle interprété la clause attributive de compétence ?

La cour d’appel a relevé que la clause attributive de compétence, qui permet au président du tribunal de commerce de Pau d’ordonner la désignation d’un expert, est distincte de la clause compromissoire.

Elle a constaté que ces stipulations contractuelles, bien que négociées ensemble, ont institué une procédure de désignation d’expert en cas de contestation sur les prix, ce qui donne compétence exclusive au président du tribunal de commerce.

Ainsi, la cour a jugé que la clause compromissoire était manifestement inapplicable à la demande de désignation d’expert, relevant d’une clause attributive de compétence distincte.

Cette interprétation a permis de rejeter le moyen tiré de l’incompétence du juge étatique, affirmant que la coexistence des deux clauses ne créait pas de contradiction manifeste.

Quelles sont les implications de la décision sur la compétence du tribunal arbitral ?

L’article 1448 du code de procédure civile stipule que le juge étatique doit se déclarer incompétent lorsque le litige est destiné à l’arbitrage, sauf si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable.

Dans cette affaire, la cour d’appel a confirmé que la clause compromissoire ne s’appliquait pas à la demande de désignation d’expert, ce qui a permis au juge étatique de statuer sur cette question.

Cela souligne l’importance de la distinction entre les clauses compromissoires et attributives de compétence dans les contrats, et comment leur coexistence peut influencer la compétence des juridictions.

La décision de la cour d’appel a donc des implications significatives sur la manière dont les parties peuvent structurer leurs contrats et les recours disponibles en cas de litige.

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 mars 2025

Rejet

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 162 F-D

Pourvoi n° P 22-17.166

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 MARS 2025

La société CSF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 22-17.166 contre l’arrêt rendu le 5 avril 2022 par la cour d’appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l’opposant à la société Codis Aquitaine, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Tréard, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société CSF, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Codis Aquitaine, après débats en l’audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Tréard, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Pau, 5 avril 2022), la société Codis Aquitaine (la société Codis) et la société Logis, à laquelle se trouve substituée la société CSF (la société CSF) ont conclu le 15 mai 2001 un contrat d’approvisionnement contenant, en son article 18 relatif au règlement des litiges, une clause compromissoire et prévoyant, en outre, en cas de contestation relative au prix des marchandises, la saisine du président du tribunal de commerce de Pau, par voie de requête, aux fins de désignation d’un expert qualifié, indépendant des parties contractantes.

2. Se plaignant d’avoir découvert à la faveur d’une sentence rendue en 2007 des taux de marges pratiqués sur les prix fournisseurs contraires aux conditions tarifaires contractuelles, la société Codis a obtenu, par une ordonnance rendue sur requête du 14 janvier 2008, devenue définitive, la désignation d’un expert, en application des stipulations du contrat.

3. L’expert ayant demandé à être déchargé de sa mission, un nouvel expert a été désigné pour son remplacement par une ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises de ce tribunal.

4. Sur recours en rétractation de la société CSF, la cour d’appel a constaté le 8 décembre 2020 la caducité de la désignation du nouvel expert pour défaut de consignation de la provision dans les délais prescrits et dit n’y avoir lieu à relever la société Codis de cette caducité.

5. Faisant valoir que l’arrêt n’avait pas jugé caduque la mesure d’expertise ordonnée le 14 janvier 2008 mais seulement la désignation de l’ancien expert, la société Codis a, par requête du 1er février 2021, saisi le président du tribunal de commerce d’une nouvelle demande de remplacement de l’expert sur le fondement de l’article 18 du contrat.

6. La société CSF, ayant sollicité la rétractation de l’ordonnance faisant droit à cette demande, a été déboutée par une ordonnance du 21 septembre 2021.

Sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche et le quatrième moyen

7. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, qui est préalable

Enoncé du moyen

8. La société CSF fait grief à l’arrêt de confirmer l’ordonnance du 21 septembre 2021 en ce qu’elle avait rejeté ses demandes, alors :

« 1°/ que l’absence de consignation de la provision dans le délai et selon les modalités impartis entraîne la caducité de la désignation de l’expert ; que la caducité de la désignation de l’expert atteint la mesure d’expertise ordonnée ; qu’en retenant, pour juger que la société CSF n’était plus recevable à contester la compétence du juge étatique pour connaître du remplacement de l’expert désigné, que l’exception d’incompétence soulevée par la société CSF méconnaissait l’objet du litige en ce que la société Codis Aquitaine avait « exclusivement saisi le président du tribunal de commerce d’une demande de changement d’expert pour accomplir la mission prévue dans l’ordonnance du 14 janvier 2008 », quand la caducité de la désignation de M. [I] avait atteint la mesure d’expertise toute entière, la cour d’appel a violé l’article 271 du code de procédure civile ;

2°/ qu’il appartient à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence ; que le juge étatique saisi d’un litige destiné à l’arbitrage doit se déclarer incompétent, sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu’en rejetant l’exception d’incompétence soulevée par la société CSF au profit du tribunal arbitral, sans caractériser la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, seules de nature à faire obstacle à la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur sa compétence, la cour d’appel a violé l’article 1448 du code de procédure civile ;

3°/ que, subsidiairement, toute stipulation contraire à la clause compromissoire stipulée dans un contrat est réputée non écrite ; qu’en retenant, pour rejeter le moyen de rétractation de la société CSF, que les parties au contrat d’approvisionnement avaient stipulé une clause ayant « pour effet de donner compétence exclusive au président du tribunal de commerce de Pau pour ordonner l’expertise contractuelle sur l’évolution tarifaire ou le prix fournisseur », quand cette clause, qui, selon le sens donné par la cour d’appel, avait pour objet de donner compétence au juge étatique en contravention de la clause compromissoire prévue au contrat, aurait dû être réputée non écrite, la cour d’appel a violé l’article 1448 du code de procédure civile ;

4°/ subsidiairement, il appartient à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence ; que le juge étatique saisi d’un litige destiné à l’arbitrage doit se déclarer incompétent, sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; que la contradiction existant entre une clause compromissoire et une clause attributive de compétence figurant au même contrat ne rend pas manifestement inapplicable la clause compromissoire ; qu’en retenant, pour rejeter le moyen de rétractation présenté par la société CSF selon lequel le tribunal arbitral était compétent, que les parties avaient stipulé au contrat d’approvisionnement une clause ayant « pour effet de donner compétence exclusive au président du tribunal de commerce de Pau pour ordonner l’expertise contractuelle sur l’évolution tarifaire ou le prix fournisseur », quand l’existence de cette clause, attribuant compétence au président du tribunal de commerce de Pau pour désigner un expert, ne rendait pas manifestement inapplicable la clause compromissoire avec laquelle elle entrait en contradiction, la cour d’appel a violé l’article 1448 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. Conformément à l’article 1448 du code de procédure civile, lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

10. Après avoir constaté que l’article 18 du contrat d’approvisionnement, relatif au règlement des litiges, contient une clause compromissoire et, en son dernier alinéa, une stipulation contractuelle prévoyant, en cas de contestation relative aux prix des marchandises, que la partie la plus diligente pourra demander, par voie de requête auprès du président du tribunal de commerce de Pau, la désignation d’un expert qualifié, indépendant des parties contractantes, qui aura notamment pour rôle d’apprécier l’évolution tarifaire, l’arrêt relève que ces stipulations contractuelles, négociées par les parties en même temps que la clause compromissoire, ont institué une procédure contractuelle de désignation d’un expert en cas d’évolution tarifaire ou de contestation des prix des fournisseurs, donnant compétence exclusive au président du tribunal de commerce de Pau pour ordonner une telle mesure.

11. En l’état de ces seules constatations, dont il ressortait la coexistence au sein de l’article 18 du contrat, de deux clauses complémentaires et non contradictoires, l’une compromissoire, soumettant à l’arbitrage toutes contestations auxquelles pourrait donner lieu l’exécution ou l’interprétation du contrat et confiant aux arbitres le rôle d’apprécier le cas échéant tout préjudice de l’une ou l’autre des parties, et de déterminer les modalités de dédommagement, l’autre attributive de compétence, pour ordonner la désignation, prévue contractuellement, d’un expert qualifié, indépendant des parties contractantes, en cas de contestation sur les prix, c’est sans méconnaître le principe selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer en priorité sur sa compétence que la cour d’appel, qui a fait ressortir que la clause compromissoire était manifestement inapplicable à la demande de désignation d’expert relevant d’une clause attributive de compétence distincte, a rejeté, à bon droit, le moyen tiré de l’incompétence du juge étatique.

12. Le moyen, inopérant en sa première branche qui attaque des motifs qui doivent être tenus pour surabondants, n’est pas fondé pour le surplus.


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