Révision du loyer commercial et prolongation tacite du bail : enjeux et conséquences.

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Révision du loyer commercial et prolongation tacite du bail : enjeux et conséquences.

Le bail commercial, lorsqu’il a été conclu pour une durée supérieure à neuf ans et qu’il s’est prolongé tacitement, est soumis à des règles spécifiques de révision du loyer. Selon l’article L.145-9 du Code de commerce, en l’absence de congé ou de demande de renouvellement, le bail se prolonge tacitement. De plus, l’article L.145-34 précise que si la durée du bail excède douze ans, le loyer devient déplafonné, permettant au bailleur de demander une révision du loyer à la valeur locative sans avoir à justifier de modifications notables des éléments de commercialité. En l’espèce, le bail initial a expiré et s’est prolongé tacitement, ce qui a conduit à son déplafonnement automatique après douze ans, permettant au bailleur de fixer le loyer à 1.800 euros par mois, conformément à l’article L.145-33 qui stipule que la valeur locative doit être déterminée en tenant compte des caractéristiques du local, de sa destination, des obligations des parties et des prix pratiqués dans le voisinage.

L’Essentiel : Le bail commercial, conclu pour une durée supérieure à neuf ans et prolongé tacitement, est soumis à des règles spécifiques de révision du loyer. En l’absence de congé ou de demande de renouvellement, le bail se prolonge tacitement. Si la durée excède douze ans, le loyer devient déplafonné, permettant au bailleur de demander une révision à la valeur locative sans justifications. Dans ce cas, le bail s’est prolongé tacitement, entraînant un déplafonnement automatique après douze ans, permettant au bailleur de fixer le loyer à 1.800 euros par mois.
Résumé de l’affaire :

Faits de l’affaire

Le 4 février 2004, un bail commercial a été conclu entre un bailleur et une société exploitant un magasin, portant sur un local de 200 m² avec garage, pour un loyer initial de 609 euros par mois. En décembre 2007, le loyer a été révisé à 809,80 euros et le bail a été étendu à un local supplémentaire de 60 m². Le bail s’est prolongé tacitement après son expiration en février 2013.

Demande d’augmentation de loyer

En mai 2022, le bailleur a demandé une augmentation du loyer à 1.800 euros par mois, à compter de juillet 2022, par voie d’huissier. La société locataire a contesté cette augmentation par courrier recommandé. Le bailleur a ensuite renouvelé sa demande par plusieurs courriers, et en décembre 2022, la société locataire a signifié un congé pour mettre fin au bail.

Procédure judiciaire

En janvier 2023, le juge des loyers commerciaux a autorisé le bailleur à assigner la société locataire, qui ne s’est pas présentée à l’audience. Un jugement du 17 mai 2023 a déclaré le bail déplafonné, fixé le loyer à 1.800 euros, ordonné l’apurement des comptes, et condamné la société locataire à payer le différentiel de loyer avec intérêts.

Appel de la société locataire

La société locataire a interjeté appel du jugement en juin 2023, contestant plusieurs points, notamment la déplafonnement du loyer et le montant fixé. Le bailleur a répondu en demandant que l’appel soit déclaré irrecevable et en confirmant le jugement.

Décisions de la cour d’appel

La cour a déclaré l’appel recevable, mais a rejeté la demande de nullité de l’offre de renouvellement du bail, confirmant que le bailleur n’était pas tenu de délivrer un congé pour la révision du loyer. La cour a également confirmé le montant du loyer révisé à 1.800 euros, ordonné l’apurement des comptes, et débouté la société locataire de ses demandes de dommages-intérêts et de remboursement des travaux réalisés.

Condamnation aux dépens

La société locataire a été condamnée aux entiers dépens de l’instance d’appel et à payer au bailleur une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le délai de recours pour interjeter appel ?

Le délai de recours par la voie ordinaire est d’un mois en matière contentieuse, conformément à l’article 538 du code de procédure civile.

Ce délai court à compter de la notification du jugement querellé, comme le précise l’article 528 du même code.

Dans cette affaire, la société BL Grand Fond a interjeté appel le 26 juin 2023 du jugement rendu le 17 mai 2023, qui lui avait été signifié le 2 juin 2023.

Ainsi, son appel est déclaré recevable.

Quel est le fondement de la nullité de l’offre de renouvellement du bail ?

La société BL Grand Fond soutient que l’offre de renouvellement du bail commercial signifiée par M. [K] le 11 mai 2022 doit être annulée, car elle n’était pas accompagnée d’un congé, conformément à l’article L.145-11 du code de commerce.

Cet article stipule que le bailleur qui souhaite obtenir une modification du prix du bail doit faire connaître le loyer proposé dans le congé ou dans la réponse à la demande de renouvellement.

Cependant, le renouvellement d’un contrat de bail n’est pas obligatoire, comme l’indique l’article L.145-9 du code de commerce, qui précise que le bail se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat en l’absence de congé ou de demande de renouvellement.

Dans ce cas, M. [K] n’a pas cherché à obtenir un renouvellement exprès, mais simplement une révision du loyer, ce qui ne nécessitait pas de délivrer un congé.

Par conséquent, la demande de nullité de l’offre de renouvellement est rejetée.

Quel est le principe de fixation du loyer lors du renouvellement tacite ?

Selon l’article L.145-34 du code de commerce, le taux de variation du loyer lors de la prise d’effet du bail à renouveler ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux, sauf en cas de modification notable des éléments mentionnés aux articles L.145-33.

Lorsque le bail se prolonge tacitement et que plus de douze ans se sont écoulés depuis la prise d’effet, le déplafonnement est automatique, et le bailleur n’a pas à prouver de modification notable des facteurs de commercialité.

Dans cette affaire, le bail initial a expiré le 4 février 2013 et s’est prolongé tacitement jusqu’au 5 juillet 2023, ce qui a entraîné un déplafonnement à compter du 4 février 2016.

Le loyer révisé doit donc correspondre à la valeur locative, conformément à l’article L.145-33, qui précise que cette valeur est déterminée d’après les caractéristiques du local, la destination des lieux, et les prix pratiqués dans le voisinage.

Quel est le fondement de la demande de dommages et intérêts ?

La société BL Grand Fond demande 150.000 euros à titre de dommages-intérêts, en se fondant sur l’article 1240 du code civil, qui stipule que tout fait de l’homme causant un dommage oblige son auteur à le réparer.

Elle soutient que M. [K] l’a contrainte à délivrer un congé, ce qui l’aurait privée de son droit d’exploiter son fonds de commerce.

Cependant, il appartenait à la société BL Grand Fond de solliciter le renouvellement du bail, et l’inaction du bailleur ne constitue pas une faute.

De plus, la société BL Grand Fond a choisi de donner congé en sachant que le bail n’avait pas été renouvelé, ce qui ne lui conférait pas droit à une indemnité d’éviction.

Ainsi, la demande de dommages-intérêts est rejetée.

Quel est le sort de la demande de remboursement des travaux réalisés ?

Conformément à l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées dans le dispositif des dernières conclusions.

La société BL Grand Fond demande le remboursement des travaux réalisés lors de l’entrée dans les lieux, mais ne développe aucun moyen au soutien de cette prétention et ne produit pas de preuve.

En conséquence, la cour déboute la société BL Grand Fond de sa demande de remboursement, dont le bien-fondé n’est pas prouvé.

Quel est le sort des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile ?

La société BL Grand Fond, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne les dépens.

De plus, la cour condamne la société BL Grand Fond à payer à M. [K] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et lui ajoute une somme complémentaire de 2.000 euros pour l’instance d’appel, tout en la déboutant de sa propre demande à ce titre.

COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE

2ème CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° DU 27 FEVRIER 2025

N° RG 23/00662 –

N° Portalis DBV7-V-B7H-DSST

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de POINTE-A-PITRE en date du 17 mai 2023, dans une instance enregistrée sous le n° 23/00005

APPELANTE :

Sarl BL Grand Fond, à l’enseigne ‘Brico Leader’, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège ci-après,

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Suzanne PORIBAL-GATIBELZA, de la SELARL JURISDEM, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIME :

Monsieur [G] [K]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Mahamadou TANDJIGORA, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 18 novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Frank ROBAIL, président de chambre,

Mme Annabelle CLEDAT, conseiller,

Mme Aurélia BRYL, conseiller,

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 30 janvier 2025. Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de l’absence d’un greffier.

GREFFIER,

Lors des débats : Mme Sonia VICINO, greffier.

Lors du prononcé : Mme Solange LOCO, greffier placé

ARRÊT :

– contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

– signé par M. Franck ROBAIL, qui a signé la minute avec Madame Solange LOCO, Greffier placé, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 4 février 2004, à effet du même jour, M. [G] [K] a donné à bail à la Sarl BL Grand Fond, exploitant à l’enseigne Brico Leader, un local à usage commercial situé à [Localité 1] d’une surface de 200 m² avec garage attenant de 18m², moyennant un loyer mensuel de 609 euros. Le terme du contrat était fixé au 4 février 2013.

Suivant avenant de révision du 15 décembre 2007, le loyer a été porté à 809,80 euros par mois à compter du 1er janvier 2008, le bail ayant été étendu à un local de 60 m².

Ce bail s’est prolongé tacitement postérieurement au 4 février 2013.

Par courrier daté du 4 mai 2022, signifié à la société BL Grand Fond par acte d’huissier de justice du 11 mai 2022, M. [K] a demandé à sa locataire de s’acquitter d’un loyer déplafonné de 1.800 euros par mois à compter du 30 juillet 2022.

Par courrier recommandé du 4 juillet 2022, la société BL Grand Fond s’est opposée à cette augmentation de loyer.

Le bailleur a renouvelé sa demande par courrier recommandé de son conseil du 21 septembre 2022, reçu par sa locataire le 23 suivant, puis a adressé à la société BL Grand Fond, par ce même conseil, un mémoire aux fins de modification du loyer commercial daté du 22 novembre 2022, suivant courrier recommandé réceptionné par son destinataire le 20 décembre 2022.

Le 27 décembre 2022, la société BL Grand Fond a fait signifier à M. [K], bailleur, un congé à effet du 30 juin 2023.

Par ordonnance du 26 janvier 2023, après avoir constaté la remise au greffe, le 25 précédent, d’un mémoire aux fins d’autorisation d’assigner à jour fixe, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a autorisé M. [K] à assigner la société BL Grand Fond à l’audience du 15 mars 2023, à laquelle la défenderesse n’a pas comparu.

Par jugement réputé contradictoire du 17 mai 2023, le juge des loyers commerciaux a :

– dit que le bail expiré ayant eu une durée supérieure à 12 ans se trouvait déplafonné,

– fixé le loyer du bail renouvelé consenti par M. [G] [K] à la Sarl BL Grand Fond à la somme mensuelle de 1.800 euros en principal, outre les charges, soit à la somme annuelle de 21.600 euros à compter du 30 juillet 2022,

– ordonné l’apurement des comptes entre les parties sur cette base,

– condamné en conséquence la Sarl BL Grand Fond à payer à M. [K] le différentiel de loyer avec intérêts au taux légal depuis le jour de l’échéance du loyer ainsi fixé,

– dit que dans le mois de la signification du jugement, exécutoire par provision, les parties dresseraient un nouveau bail dans les conditions de loyer ainsi fixées et, qu’à défaut, le jugement vaudrait bail,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné la Sarl BL Grand Fond à payer à M. [K] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Ce jugement a été signifié le 2 juin 2023 à la Sarl BL Grand Fond, qui en a interjeté appel par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 26 juin 2023, en précisant que son appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement.

M. [K] a remis au greffe sa constitution d’intimé par voie électronique le 12 septembre 2023.

Par ordonnance du 31 janvier 2024, le premier président de la cour d’appel de Basse-Terre a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire formée par la société BL Grand Fond mais a aménagé cette exécution provisoire en l’autorisant à consigner la somme de 15.000 euros à la CARPA jusqu’au terme de la procédure d’appel et à en justifier dans le mois auprès de M. [K].

Par ordonnance du 22 février 2024, le conseiller de la mise en état a débouté M. [G] [K] de sa demande de radiation de l’affaire pour inexécution et l’a condamné à payer à la Sarl BL Grand Fond la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’incident, ainsi qu’aux entiers dépens de cet incident.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 septembre 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience du 18 novembre 2024, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 30 janvier 2025.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ La Sarl BL Grand Fond, appelante :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 14 juin 2024, par lesquelles l’appelante demande à la cour de :

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

– dit que le bail expiré ayant eu une durée supérieure à 12 ans se trouvait déplafonné,

– fixé le loyer du bail renouvelé consenti par M. [G] [K] à la Sarl BL Grand Fond à la somme mensuelle de 1.800 euros en principal, outre les charges, soit à la somme annuelle de 21.600 euros à compter du 30 juillet 2022,

– ordonné l’apurement des comptes entre les parties sur cette base,

– condamné en conséquence la Sarl BL Grand Fond à payer à M. [K] le différentiel de loyer avec intérêts au taux légal depuis le jour de l’échéance du loyer ainsi fixé,

– dit que dans le mois de la signification du jugement, exécutoire par provision, les parties dresseraient un nouveau bail dans les conditions de loyer ainsi fixées et, qu’à défaut, le jugement vaudrait bail,

– condamné la Sarl BL Grand Fond à payer à M. [K] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,

– statuant à nouveau :

– à titre principal, prononcer la nullité de l’offre de renouvellement du bail,

– subsidiairement :

– maintenir le montant du loyer à la somme de 809,80 euros jusqu’au départ de la Sarl BL Grand Fond des locaux loués,

– condamner M. [K] à lui payer une somme de 150.000 euros à titre de dommages-intérêts,

– en tout état de cause :

– condamner M. [K] à lui rembourser le montant des travaux réalisés lors de l’entrée dans les lieux,

– condamner M. [K] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

2/ M. [G] [K], intimé :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 avril 2024, par lesquelles l’intimé demande à la cour de :

– déclarer l’appel interjeté par la Sarl BL Grand Fond, enseigne Brico Leader, irrecevable et en tout cas mal fondé,

– constater que la Sarl BL Grand Fond n’offre aucun moyen sérieux de nature à entraîner l’infirmation du jugement querellé du 17 mai 2023,

– en conséquence :

– débouter la Sarl BL Grand Fond de toutes ses demandes fins et conclusions,

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre le 17 mai 2023,

– condamner la Sarl BL Grand Fond aux entiers dépens et à lui payer une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la recevabilité de l’appel :

M. [K] demande à la cour, dans le dispositif de ses conclusions, de déclarer irrecevable l’appel interjeté par la société BL Grand Fond, mais sans développer le moindre moyen d’irrecevabilité.

La cour ne procédera donc d’office qu’à la seule vérification de la recevabilité au plan du délai pour agir, qui est d’ordre public.

A ce titre, l’article 538 du code de procédure civile dispose que le délai de recours par la voie ordinaire est d’un mois en matière contentieuse. Aux termes de l’article 528 du même code, ce délai court à compter de la notification du jugement querellé.

En l’espèce, la société BL Grand Fond a interjeté appel le 26 juin 2023 du jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre rendu le 17 mai 2023, qui lui avait été signifié le 2 juin 2023.

En conséquence, son appel sera déclaré recevable.

Sur la nullité de ‘l’offre de renouvellement du bail’ :

Dans le cadre de l’instance d’appel, la société BL Grand Fond soutient que M. [K] lui a fait signifier le 11 mai 2022 une offre de renouvellement du bail commercial, offre dont elle demande l’annulation faute pour celle-ci d’avoir été assortie d’un congé, conformément à l’article L.145-11 du code de commerce.

Il est constant, en vertu de ce texte, que ‘le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l’article L. 145-9 ou dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l’article L. 145-10, faire connaître le loyer qu’il propose, faute de quoi le nouveau prix n’est dû qu’à compter de la demande qui en est faite ultérieurement suivant des modalités définies par décret en Conseil d’Etat.’

Cependant, ce texte n’a pas la portée qu’entend lui donner l’appelante.

Il impose en effet seulement au bailleur, dans l’hypothèse où il souhaite que le nouveau bail conclu par suite du renouvellement intègre immédiatement une modification du loyer, de préciser le montant du loyer qu’il souhaite obtenir.

En revanche, le renouvellement d’un contrat de bail arrivé à son terme n’est jamais obligatoire, à telle enseigne que l’article L.145-9 du code de commerce dispose que :

-‘ à défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat.’

– ‘ au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil.’

Dès lors, lorsque le contrat de bail a été tacitement reconduit après son terme, le bailleur peut se contenter d’obtenir la révision du loyer sans être tenu de proposer préalablement le renouvellement du bail, et donc sans délivrer de congé.

En l’espèce, malgré l’intitulé de son courrier signifié le 11 mai 2022 et les termes employés par le premier juge, il est établi que M. [K] n’a pas entendu obtenir le renouvellement exprès du bail commercial conclu le 4 février 2004, mais simplement une révision du loyer, et que le bail en cause n’a jamais été renouvelé expressément.

En effet, si l’objet de son courrier était libellé ‘réactualisation du loyer et renouvellement du bail en cours à compter du 30/07/2022″, le bailleur n’évoquait en réalité dans le corps de ce texte que l’augmentation du loyer à 1.800 euros par mois, en se prévalant du déplafonnement du loyer et de la nécessité de le fixer à la valeur locative des lieux loués.

D’ailleurs, même si la société BL Grand Fond s’est interrogée sur la portée de ce courrier à la fin de la lettre en réponse qu’elle a adressée au bailleur le 4 juillet 2022, en indiquant : ‘nous ne comprenons pas votre courrier, ayant pour objet un renouvellement du bail, qui n’est manifestement pas accompagné d’un congé’, et, en demandant au bailleur d’être plus précis, tous les développements de sa réponse qui précédaient cette interrogation étaient bien liés à sa seule contestation du loyer sollicité.

Par ailleurs, la société BL Grand Fond, qui n’avait pas accepté le moindre renouvellement, avait au contraire parfaitement conscience que le bail n’avait pas été renouvelé puisque, par acte du 27 décembre 2022, elle a donné congé au bailleur en indiquant ‘que ce bail avait été conclu pour une durée de neuf (9) années à compter du 4 février 2004, venu à expiration le 4 février 2013 et qu’il s’était prolongé tacitement à défaut de congé par le bailleur ou de demande de renouvellement formée par le locataire ; que la requérante entend par le présent acte mettre fin à la prolongation tacite du bail et lui donne en conséquence congé pour le 30 juin 2023″.

Dans ces conditions, M. [K] n’ayant pas entendu obtenir le renouvellement du bail, mais simplement la révision du loyer, il n’était pas tenu de délivrer un congé et il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de nullité formée par l’appelante.

Sur la fixation du loyer du bail prolongé tacitement :

Conformément aux dispositions de l’article L.145-34 du code de commerce, ‘à moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d’expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d’une durée égale à celle qui s’est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.

Les dispositions de l’alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l’effet d’une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.

En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.’

En vertu de ce texte et de l’article L.145-9 précédemment cité, lorsqu’à la fin d’un bail conclu pour une durée contractuelle de neuf ans, le bailleur n’a pas donné congé et le locataire n’a pas fait de demande de renouvellement, le bail se poursuit par tacite prolongation. Et, si plus de douze ans se sont écoulés depuis la date de prise d’effet du bail, le déplafonnement est alors automatique, et le bailleur n’a pas à démontrer de modification notable des facteurs de commercialité pour l’obtenir.

Dans ce cas, le prix du loyer révisé doit correspondre à la valeur locative, conformément aux dispositions de l’article L.145-33, qui prévoit en outre qu’a défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après :

– les caractéristiques du local considéré,

– la destination des lieux,

– les obligations respectives des parties,

– les facteurs locaux de commercialité,

– les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

En l’espèce, le bail initialement conclu par les parties le 4 février 2004 a expiré le 4 février 2013. Il s’est prolongé par tacite reconduction jusqu’au 5 juillet 2023, date de remise des clés suite au congé donné par le preneur, et s’est donc trouvé déplafonné à compter du 4 février 2016.

En conséquence, ainsi que le relève à juste titre l’intimé, les développements de l’appelante concernant l’absence de preuve d’une modification des facteurs locaux de commercialité sont inopérants et ne sont pas de nature à remettre en cause la décision du premier juge, qui a indiqué que le loyer devait être fixé sur la base de la valeur locative du bien.

Pour retenir une valeur locative de 1.800 euros par mois, le même juge a retenu :

– que le bail portait sur un local d’une surface de 200 m², un garage attenant de 18m² et un local supplémentaire de 60m², soit au total 278 m²,

– que le bailleur versait aux débats une attestation de valeur locative réalisée le 3 mai 2022 par M. [S] [W], expert immobilier, qui décrivait le bien objet du bail comme un local commercial de 206 m², utilisé en tant que magasin de bricolage et situé dans le bourg d'[Localité 1], dans la rue la plus commerçante de la commune, à proximité d’une boulangerie, d’une supérette, d’un libre service et d’un commerce d’articles divers,

– qu’en vertu de cette attestation, la valeur locative devait être fixée à 6,47 euros par mètre carré,

– que la société BL Grand Fond, non comparante, n’apportait aucun élément de nature à remettre en cause cette estimation, qui n’apparaissait pas excessive au regard des critères précédemment rappelés.

En cause d’appel, si l’appelante considère que le loyer mensuel de 1.800 euros sollicité par le bailleur est excessif, elle ne produit aucun élément de nature à remettre en cause l’avis de M. [S] [W], expert immobilier, produit par M. [K], se contentant de soutenir qu’il n’a pas été établi contradictoirement et qu’il émane du bailleur.

Cependant, s’il est constant que cet avis a été établi à la seule demande du bailleur, il a été régulièrement soumis à la discussion contradictoire des parties dans le cadre de l’instance devant le juge des loyers commerciaux, puis devant la cour d’appel.

Il appartenait dès lors au preneur, soit de solliciter une expertise judiciaire, ce qu’il ne fait pas en cause d’appel, soit à tout le moins de produire des éléments permettant de caractériser l’existence de divergences sur des points de fait pouvant justifier la mise en oeuvre d’une expertise à l’initiative du juge, conformément à l’article R.145-30 du code de procédure civile.

A ce titre, la société BL Grand Fond se contente de produire l’attestation de M. [Y] [D], datée du 28 mai 2021, gérant d’une supérette sise [Localité 1], qui déclare s’acquitter d’un loyer mensuel de 1.725 euros pour une supérette d’une surface de 405 m².

Cependant, cette attestation, qui ne précise ni l’adresse exacte du local commercial, ni l’importance de la surface destinée à la réception du public, ni même la date de conclusion du bail afférent au dit local, ne permet pas à la cour de s’assurer que ce témoignage concernerait des locaux équivalents eu égard à l’ensemble des critères de fixation de la valeur locative, tels qu’ils sont mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-7 du code de commerce.

En conséquence, faute pour l’appelante de rapporter la preuve d’éléments de nature à remettre en cause l’estimation de la valeur locative retenue par le premier juge, sur la base d’éléments tout à fait pertinents, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a fixé le montant du loyer révisé à 1.800 euros par mois.

En outre, aucune des partie ne contestant la décision du premier juge de fixer le point de départ du loyer révisé au 30 juillet 2022, le jugement sera également confirmé de ce chef.

Il le sera tout autant en ce qu’il a ordonné l’apurement des comptes entre les parties sur cette base, et condamné en conséquence la Sarl BL Grand Fond à payer à M. [K] le différentiel de loyer avec intérêts au taux légal depuis le jour de l’échéance du loyer ainsi fixé.

Sur la demande de dommages et intérêts :

Conformément aux dispositions de l’article 1240 du code civil, ‘tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.’

Sur le fondement de ce texte, la société BL Grand Fond sollicite la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en faisant valoir que le bailleur l’a contrainte à délivrer un congé pour régulariser l’offre de renouvellement du bail non accompagnée d’un congé et, qu’en agissant ainsi, M. [K] l’a privée de son droit d’exploiter son fonds de commerce et de la perception d’une indemnité d’éviction.

Cependant, il appartenait à la société BL Grand Fond, si elle le souhaitait, de solliciter le renouvellement du bail, l’inaction du bailleur à ce titre, qui n’est en aucun cas fautive, ne l’ayant nullement privée de cette possibilité.

Par ailleurs, ainsi que cela a été indiqué précédemment, elle a choisi de donner congé, alors qu’elle avait parfaitement conscience que le bail n’avait pas été renouvelé et qu’elle n’avait droit en ce cas à aucune indemnité d’éviction.

Enfin, elle pouvait parfaitement contester, y compris dans le cadre judiciaire, la demande de révision du loyer formée par le bailleur, qui n’impliquait pas obligatoirement qu’elle quitte les lieux.

En conséquence, la société BL Grand Fond échouant à rapporter la preuve d’une quelconque faute du bailleur, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Sur le remboursement des travaux réalisés lors de l’entrée dans les lieux :

Conformément aux dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, dans sa version applicable aux appels formés avant le 1er septembre 2024, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

En l’espèce, si la société BL Grand Fond demande à la cour, dans le dispositif de ses conclusions, ‘en tout état de cause’, de condamner M. [K] à lui rembourser le montant des travaux réalisés lors de l’entrée dans les lieux, elle ne développe aucun moyen au soutien de cette prétention dans sa discussion et ne produit pas la moindre pièce à ce titre.

En conséquence, il convient de la débouter de cette demande, dont le bien fondé n’est pas prouvé.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La société BL Grand Fond, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel. Le jugement déféré sera donc confirmé du chef des premiers de ces dépens.

L’équité commande de le confirmer également en ce qu’il a condamné la société BL Grand Fond à payer à M. [K] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et, y ajoutant, de la condamner à lui payer une somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel, tout en la déboutant de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l’appel interjeté par la Sarl BL Grand Fond,

Déboute la société BL Grand Fond de sa demande tendant au ‘prononcé dela nullité de l’offre de renouvellement du bail’,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions contestées,

Y ajoutant,

Déboute la S.A.R.L. BL Grand Fond de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil, ainsi que de sa demande de remboursement du montant des travaux réalisés lors de l’entrée dans les lieux,

Condamne la S.A.R.L. BL Grand Fond à payer à M. [G] [K] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel,

La déboute de sa propre demande à ce titre,

Condamne la S.A.R.L. BL Grand Fond aux entiers dépens de l’instance d’appel.

Arrêt signé par le président et le greffier aux jour, mois et an que dessus.

Le greffier, Le président,


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