Conflit d’intérêts et obligations contractuelles entre associés dans une société commerciale.

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Conflit d’intérêts et obligations contractuelles entre associés dans une société commerciale.

L’article 1843-4 du Code civil stipule que, dans les cas où la loi renvoie à cet article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, la valeur de ces droits est déterminée par un expert désigné, soit par les parties, soit, à défaut d’accord, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent. Cet expert doit appliquer les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties. En l’absence d’accord sur le prix, la cession des actions ne peut être considérée comme effective tant que la valeur n’est pas déterminée, ce qui implique que l’associé concerné conserve sa qualité d’associé jusqu’à ce que le prix soit fixé.

L’article 1240 du Code civil établit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Cela signifie qu’une violation d’une obligation contractuelle, comme une clause de non-concurrence, peut engager la responsabilité de son auteur, même en l’absence de préjudice direct, car la simple violation peut suffire à justifier une demande de dommages et intérêts.

L’article 10.2 du pacte d’associés précise que les parties s’interdisent de concurrencer les activités de la société tant qu’elles sont titulaires de titres et jusqu’à l’expiration d’une période de 12 mois après la cessation de leurs fonctions. Cette clause est considérée comme légitime et proportionnée au regard des intérêts de la société, et son non-respect peut entraîner des conséquences juridiques pour l’associé qui y contrevient.

L’article 32-1 du Code de procédure civile permet de condamner une partie qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive à une amende civile, sans préjudice des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés. Cela vise à sanctionner les comportements qui nuisent au bon fonctionnement de la justice et à protéger les parties contre des actions judiciaires injustifiées.

L’Essentiel : L’article 1843-4 du Code civil stipule que la valeur des droits sociaux d’un associé est déterminée par un expert désigné, soit par les parties, soit par jugement. Cet expert doit appliquer les règles prévues par les statuts ou conventions. En l’absence d’accord sur le prix, la cession des actions n’est pas effective, et l’associé conserve sa qualité d’associé. L’article 1240 du Code civil établit que toute faute engage la responsabilité de son auteur, même sans préjudice direct.
Résumé de l’affaire :

Exposé du Litige

La société par actions simplifiées, créée par un dirigeant d’entreprise le 23 août 2018, a un capital social de 25 000 euros réparti en 25 000 actions. Son activité principale est l’achat et la vente de produits alimentaires et non alimentaires via une plateforme de commerce en ligne, incluant des produits contenant du CBD. Le 3 janvier 2021, le dirigeant a nommé un directeur général. Un pacte d’associés a été conclu le 16 janvier 2021, stipulant une promesse de vente en cas de départ de l’un des associés. Le 9 février 2021, le dirigeant a cédé 49,99 % des parts sociales à ce directeur général.

Conflit et Révocation

Le 21 mai 2021, le dirigeant a informé le directeur général de son intention d’exercer la clause de promesse de vente. Lors de l’assemblée générale du 2 juin 2021, le directeur général a été révoqué. Le 8 juin 2021, le dirigeant a notifié l’exercice de la clause de promesse de vente ‘bad leaver’, mais la proposition de cession a été refusée par le directeur général. Un jugement du tribunal de commerce a désigné un expert pour établir la valeur des actions, mais le directeur général a contesté la révocation et a assigné le dirigeant pour abus de droit.

Jugement et Appel

Le tribunal de commerce a rendu un jugement le 17 novembre 2022, déboutant le directeur général de sa demande de nullité de l’assemblée générale et de dommages et intérêts pour révocation abusive, tout en condamnant le dirigeant à verser une somme au titre de l’obligation de non-concurrence. Le dirigeant et la société ont interjeté appel de ce jugement, demandant l’infirmation de certaines décisions.

Arguments des Parties

Dans leurs conclusions, le dirigeant et la société ont soutenu que la clause de non-concurrence n’avait pas été violée et que le directeur général avait manqué à ses obligations. Ils ont demandé l’infirmation du jugement et la condamnation du directeur général à verser des dommages et intérêts. De son côté, le directeur général a contesté la validité de la révocation et a demandé l’infirmation du jugement en ce qui concerne ses propres demandes.

Décisions de la Cour

La cour a examiné les obligations de non-concurrence des deux parties. Elle a constaté que le dirigeant avait effectivement violé son obligation de non-concurrence en exploitant la marque de la société par le biais d’une autre entreprise. En revanche, la cour a également retenu que le directeur général avait violé ses propres obligations de non-concurrence en rejoignant une entreprise concurrente. La cour a donc infirmé certaines décisions du tribunal de commerce tout en confirmant d’autres, notamment en ce qui concerne les dommages et intérêts.

Conclusion

La cour a finalement condamné le dirigeant et la société à verser une somme au directeur général sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et a ordonné le paiement des dépens d’appel. Les décisions prises par le tribunal de commerce ont été partiellement infirmées et confirmées, reflétant la complexité des relations entre les associés et les obligations contractuelles en jeu.

Q/R juridiques soulevées :

Sur l’obligation de non-concurrence du dirigeant d’entreprise

La question se pose de savoir si le dirigeant d’entreprise a respecté son obligation de non-concurrence après l’exercice de la clause de promesse de vente.

Selon l’article 10.2 du pacte d’associés, les parties s’interdisent de concurrencer directement ou indirectement les activités de la société pendant une période de 12 mois après la cessation de leurs fonctions.

Le dirigeant d’entreprise soutient que la cession des actions a été actée dès l’exercice de la promesse de vente, ce qui aurait mis fin à son obligation de non-concurrence. Cependant, l’absence d’accord sur le prix de cession rend la situation plus complexe.

L’article 1843-4 du code civil stipule que la valeur des droits sociaux doit être déterminée par un expert en cas de contestation. En l’espèce, le prix n’a été fixé qu’après l’évaluation de l’expert, ce qui signifie que le dirigeant d’entreprise n’a pas perdu sa qualité d’associé avant cette date.

Ainsi, tant que le prix n’était pas déterminé, l’obligation de non-concurrence demeurait en vigueur.

Sur la violation de l’obligation de non-concurrence par le dirigeant d’entreprise

La question se pose de savoir si le dirigeant d’entreprise a effectivement violé son obligation de non-concurrence.

Il est établi que le dirigeant d’entreprise a utilisé la marque Fedora Crew, développée par la société, pour commercialiser des produits via une autre société dont il est l’unique associé.

L’article 10.2 du pacte d’associés précise que les parties doivent s’abstenir de toute activité concurrente. En l’espèce, le dirigeant d’entreprise a détourné la marque au profit de sa nouvelle société, ce qui constitue une violation manifeste de cette obligation.

Le préjudice subi par la société est direct, car la commercialisation des produits par la société concurrente a entraîné une perte d’activité pour la société initiale.

Sur l’obligation de non-concurrence du salarié

La question se pose de savoir si le salarié a respecté son obligation de non-concurrence après sa révocation.

Le salarié soutient qu’il n’a pas violé cette obligation, arguant que la clause de non-concurrence est disproportionnée par rapport à la faible activité de la société.

L’article 1219 du code civil permet à une partie de refuser d’exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne. En l’espèce, le salarié fait valoir que la violation de l’obligation de non-concurrence par le dirigeant d’entreprise le libère de sa propre obligation.

Cependant, la clause de non-concurrence est clairement définie dans le pacte d’associés et s’applique tant au salarié qu’au dirigeant.

Sur l’abus de majorité lors de la révocation du dirigeant d’entreprise

La question se pose de savoir si la révocation du dirigeant d’entreprise a été effectuée dans le respect des règles de l’intérêt social.

L’article 1240 du code civil stipule que tout fait causant un dommage à autrui oblige son auteur à le réparer. La révocation ad nutum, bien que sans motif, peut être qualifiée d’abusive si elle est contraire à l’intérêt social.

Le dirigeant d’entreprise soutient que sa révocation a entraîné la perte de relations commerciales essentielles pour la société. Cependant, il n’est pas prouvé que cette perte soit directement liée à sa révocation.

L’article 4.1.2 des statuts de la société précise que le directeur général est révocable à tout moment sans juste motif, ce qui renforce la légitimité de la décision de révocation.

Sur l’abus de droit dans la procédure judiciaire

La question se pose de savoir si la procédure engagée par le salarié constitue un abus de droit.

L’article 32-1 du code de procédure civile permet de sanctionner ceux qui agissent de manière dilatoire ou abusive. Les appelants soutiennent que l’assignation du salarié visait à retarder la procédure de désignation d’un expert.

Cependant, le tribunal a jugé que certaines demandes du salarié étaient fondées, ce qui indique que son action en justice n’était pas totalement infondée.

Ainsi, l’absence de preuve d’une action abusive de la part du salarié conduit à la confirmation de la décision du tribunal de commerce sur ce point.

Sur les demandes accessoires et les dépens

La question se pose de savoir si les dépens et les indemnités doivent être alloués au salarié.

L’article 700 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante peut être condamnée à verser une somme à l’autre partie pour couvrir ses frais.

En l’espèce, la cour a décidé de condamner solidairement le dirigeant d’entreprise et la société à verser une somme au salarié, en tenant compte des circonstances de l’affaire.

Les dépens d’appel sont également à la charge de la partie perdante, ce qui est conforme aux dispositions légales en vigueur.

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 18 NOVEMBRE 2024

N° RG 22/05577 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-NAO6

Monsieur [E] [S]

S.A.S. [7]

c/

Monsieur [J] [K]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 novembre 2022 (R.G. 2021F01280) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 08 décembre 2022

APPELANTS :

Monsieur [E] [S], demeurant [Adresse 1]

S.A.S. [7], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 2]

Représentés par Maître Gaessy GROS, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Vincent FILLOVA, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur [J] [K], demeurant [Adresse 3]

Représenté par Maître Sarah GUEMATI substituant Maître Jérémy LAMBERT de la SELAS ELIGE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 octobre 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

La société par actions simplifiées [7], créée par M. [S] le 23 août 2018, a un capital social de 25 000 euros réparti en 25 000 actions.

Elle a pour activité l’achat et la vente de produits alimentaires et non alimentaires via une plate-forme de commerce en ligne, et commercialise, plus précisément, des produits contenant du CBD.

Le 3 janvier 2021, M. [S], unique associé de la société [7], a nommé M. [K] aux fonctions de directeur général.

Le 16 janvier 2021, M. [S] et M. [K] ont conclu un pacte d’associés au terme duquel ils se sont mutuellement consenti une promesse de vente en cas de départ de l’un d’entre eux de ses fonctions de mandataire social ou de salarié, communément appelée ‘clause good/bad leaver’.

Par contrat de cession d’actions du 9 février 2021, M. [S] a cédé 12 499 actions, soit 49,99 % des parts sociales de la société, à M. [K].

Par courrier du 21 mai 2021, M. [S] a informé M. [K] de son intention d’exercer la clause de promesse de vente, selon les conditions prévues par l’article 10.3.2 du pacte d’associés.

Lors de l’assemblée générale du 2 juin 2021, M. [K] a été révoqué de ses fonctions de directeur général en application de la clause de révocation ad nutum prévue à l’article 4.1.2 des statuts de la société.

Par courrier du 8 juin 2021, M. [S] a notifié à M. [K] l’exercice de la clause de promesse de vente ‘bad leaver’ et lui a adressé une proposition amiable de prix de cession le 18 juin suivant, refusée par M. [K] par courrier officiel du 30 juin 2021.

Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux, saisi par M. [S], a désigné un expert ayant pour mission d’établir la valeur économique des actions de la société [7]. Le rapport de l’expert a été déposé le 9 juin 2022. M. [K] a refusé le règlement proposé par M. [S], qui a procédé au séquestre de la somme sur un compte CARPA.

Par acte extrajudiciaire du 15 novembre 2021, M. [K] a assigné M. [S] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir juger que M. [S] a abusé de son droit de vote et que sa révocation des fonctions de directeur général a été abusive.

Par jugement rendu le 17 novembre 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit :

– déboute M. [K] de sa demande de nullité de l’assemblée générale du 2 juin 2021,

– déboute M. [K] de sa demande de dommages et intérêts pour révocation abusive,

– condamne M. [S] à verser à M. [K] la somme de 5 000,00 euros (cinq mille euros) au titre de son obligation de non-concurrence,

– déboute M. [S] de sa demande reconventionnelle pour manquement aux obligations du pacte d’actionnaire,

– déboute M. [S] de sa demande au titre d’une procédure abusive,

– condamne solidairement M. [S] et la société [7] à payer à M. [K] la somme de 3 000,00 euros (trois mille euros) au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

– condamne solidairement M. [S] et la société [7] aux dépens,

Par déclaration en date du 8 décembre 2022, M. [S] et la société [7] ont relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués, intimant M. [K].

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 05 septembre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [S] et la société [7] demandent à la cour de :

Vu l’article 32-1 et 54 du code de procédure civile,

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu la jurisprudence,

Vu les statuts de la société,

Vu le pacte d’associés conclu entre M. [S] et M. [K] le 16 janvier 2020,

– déclarer recevable et bien-fondé M. [S] et la société [7] en leur appel de la décision rendue le 17 novembre 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux ;

Y faisant droit,

– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 17 novembre 2022 en ce qu’il a :

– condamné M. [S] à verser à M. [K] la somme de 5 000 euros au titre de son obligation de non-concurrence ;

– débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle pour manquement aux obligations du pacte d’actionnaire;

– débouté M. [S] de sa demande au titre d’une procédure abusive;

– condamné solidairement M. [S] et la société [7] à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné solidairement M. [S] et la société [7] aux dépens.

Et statuant à nouveau,

– dire et juger que M. [S] n’a commis aucune violation de son obligation de non-concurrence;

– dire et juger que M. [K] a manqué à ses obligations du pacte d’actionnaire;

– condamner M. [K] à verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir manqué à ses obligations de non concurrence et de non sollicitation;

– reconnaître le caractère abusif de la procédure intentée par M. [K] en première instance;

– prononcer une amende civile à l’encontre de M. [K] en application de l’article 32-1 du code de procédure civile;

– condamner M. [K] à verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir abusivement engagé cette procédure;

– confirmer pour le surplus la décision déférée en ses dispositions non contraires aux présentes;

– condamner M. [K] à verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 18 septembre 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [K] demande à la cour de:

Vu les articles 1589 et 1219 du code civil,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces produites,

– déclarer recevable et bien fondé M. [K] en son appel incident de la décision rendue le 17 novembre 2022 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux ;

Y faisant droit,

– infirmer le jugement rendu le 17 novembre 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu’il :

– déboute M. [K] de sa demande de nullité de l’assemblée générale du 2 juin 2021,

– déboute M. [K] de sa demande de dommages et intérêts pour révocation abusive,

– condamne M. [S] à verser à M. [K] la somme de 5 000,00 euros (cinq mille euros) au titre de son obligation de non-concurrence,

– confirmer le jugement rendu le 17 novembre 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu’il :

– déboute M. [S] de sa demande reconventionnelle de condamnation de M. [K] pour manquement aux obligations du pacte d’actionnaires ;

– déboute M. [S] de sa demande de condamnation de M. [K] au titre d’une procédure abusive ;

– condamne M. [S] au titre de son obligation de non-concurrence ;

– condamne solidairement M. [S] et la société [7] à payer à M. [K], la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamne solidairement M. [S] et la société [7] aux entiers dépens.

Statuant à nouveau,

– débouter M. [S] et la société [7] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

– condamner la société [7] et M. [S] à payer à M. [K] la somme de 20 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice découlant de la violation de la clause de non-concurrence ;

– prononcer la nullité de l’assemblée générale de la société en date du 2 juin 2021 statuant sur la révocation de M. [K] de ses fonctions de directeur général pour abus de majorité par M. [S] ;

– condamner la société [7] et M. [S] à payer à M. [K] la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêt pour révocation abusive, brutale et vexatoire ;

en tout état de cause :

– condamner la société [7] et M. [S] au paiement d’une indemnité de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– condamner la société [7] et M. [S] aux entiers dépens de l’instance

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l’obligation de non-concurrence de M. [S]

1 – D’une part, M. [S] et la société [7] soutiennent que la clause ‘bad leaever’ prévoit un accord sur la chose et le prix et que le formalisme prévu par la clause a été respecté. La cession des actions de M. [K] a été actée dès que M. [S] a exercé la promesse de vente le 8 juin 2021. M. [K] ne pouvait plus se prévaloir de la violation de la clause de non-concurrence à compter de cette date. M. [S] précise qu’en l’absence d’accord amiable sur le prix de cession, celui-ci a été déterminé par l’expert dans son rapport du 9 juin 2022 et qu’il a séquestré les fonds sur un compte CARPA.

D’autre part, les appelants soutiennent que M. [K] n’a subi aucun préjudice, la valeur de la société évaluée par l’expert étant identique à celle retenue lors de l’entrée au capital de M. [K]. Par ailleurs, la différence de valorisation de la société entre juin 2021 et juin 2022 s’explique par un contexte de marché dégradé.

2- M. [K] conteste avoir perdu la qualité d’associé dès que M. [S] a exercé la promesse de vente puisqu’il n’y a pas eu d’accord sur la chose et le prix. Au surplus, le prix n’était pas déterminable, le pacte ne prévoyant pas de modalités de calcul mais faisant référence à ‘la valeur du marché’, rendant nécessaire l’intervention d’un expert. Il soutient que la date de la perte de la qualité d’associé ne peut pas, a minima, être antérieure à la date de la fixation du prix par l’expert, soit le 9 juin 2022.

Par ailleurs, M. [K] affirme que la marque Fedora Crew, déposée par la société [7], est exploitée par la société [6], dont M. [S] est président et associé unique, sans contrepartie pour la société [7].

S’agissant du préjudice, M. [K] fait valoir que la simple violation de la clause de non-concurrence engage la responsabilité de l’auteur de ladite violation et donne droit à l’octroi de dommages et intérêts, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’un préjudice.

Sur ce

3 – L’article 1843-4 du code civil dispose :

‘I. ‘ Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.

L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II. ‘ Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.’

L’article 1231-1 du code civil dispose :

‘Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.’

4 – Aux termes de l’article 10.2 du pacte d’associés intitulé ‘Non-concurrence et non – sollicitation’, les parties s’interdisent, tant qu’elles sont titulaires de titres et jusqu’à l’expiration d’une période 12 mois à compter du plus tardif entre la date à laquelle se fait la cession de titres et la date de cessation des fonctions de :

‘ Concurrencer, directement ou indirectement, notamment au travers d’autres sociétés ou entités de son groupe, les activité de la Société en France et notamment :

– Créer, acquérir ou gérer, sous quelque forme que ce soit, toute activité concurrente de celle de la Société,

– Apporter son concours de quelque manière que ce soit, en tant que conseil, actionnaire, dirigeant, associé, mandataire social, prestation ou autre, à une entreprise ayant une ou plusieurs activités concurrentes de celle de la Société,

– Induire des clients, des fournisseurs ou plus généralement des partenaires commerciaux de la Société à cesser ou à réduire leur courant d’affaires avec la Société, ou de les solliciter ou de contractualiser avec eux en vue de développer une solution concurrente;

(…)

– Exercer d’une manière générale toute activité dommageable et/ou dolosive pour la Société.’

L’article 10.3.2.10 du pacte d’associés précise que :

« Le Transfert sera subordonné à la délivrance : – Au Promettant B : de chèque ou ordre de virement d’un montant total égal au prix de vente des Titres cédés au titre de l’exercice de la Promesse B ;

– Aux Bénéficiaires B (ou le cas échéant aux bénéficiaires substitués dans l’exercice de la Promesse B) : des ordres de mouvement donnant à la Société ordre de procéder aux transferts des Titres cédés au titre de l’exercice de la Promesse B, au bénéfice des Bénéficiaires B (ou le cas échéant au bénéfice des bénéficiaires substitués dans l’exercice de la Promesse B) et des imprimés fiscaux n°2759 correspondants dûment remplis et signés par le Promettant B, ainsi que les justificatifs que les Transferts ont été reports sur le registre des mouvements de titres de la Société et dans les comptes individuels d’actionnaires et de titulaires d’autres Titres correspondant »

5 – Il doit être rappelé en premier lieu que la juridiction doit se placer au jour de l’introduction de la demande en justice pour apprécier l’existence de l’intérêt à agir et celui-ci ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l’auraient rendu sans objet.

En l’espèce, l’exercice par M. [S] de la clause de promesse de vente, le 21 mai 2021, n’a pas entraîné le transfert immédiat des titres, ni la perte de la qualité d’associé de M. [K], celle-ci ne pouvant être antérieure au remboursement effectif de ses droits sociaux, à défaut de clause statutaire contraire.

En l’absence d’un accord sur le prix, les fonds ont fait l’objet d’un séquestre sur un compte CARPA par M. [S] le 20 juin 2022.

Dès lors, quand M. [K] a assigné M. [S] devant le tribunal de commerce le 15 novembre 2021, il était encore associé et avait intérêt à agir.

6 – En second lieu, M. [S] ne conteste pas avoir utilisé la marque Fedora Crew par le biais de sa société [6]. Il conteste en revanche l’existence d’un préjudice pour M. [K].

La société [7] a développé la marque Fedora Crew, laquelle fait l’objet d’une inscription à l’INPI. Les produits de cette marque sont désormais commercialisés par la société [6], dont M. [S] est l’unique actionnaire. L’objet social de la société [6] a par ailleurs été modifié le 16 juin 2021 avec l’ajout suivant : ‘ Activité des intermédiaires spécialisés dans le commerce d’autres produits spécifiques’. A ce jour, l’activité de la société [7] est réduite à néant, tandis que la société [6] réalise une partie de son chiffre d’affaires grâce aux vente des produits de la marque Fedora Crew.

Dès lors, la violation par M. [S] de son obligation de non-concurrence est avérée, celui-ci ayant détourné la marque Fedora Crew au profit de la société [6], dont il est président et unique associé.

7 – En dernier lieu, M. [K] fait valoir que son préjudice financier tient à la dévalorisation des titres de la société [7] et que son préjudice moral est caractérisé par son investissement personnel au sein de la société [7].

S’il est avéré que la société [7] a subi un préjudice de par la commercialisation des produits Fedora Crew par la société [6], le préjudice allégué par M. [K] n’est que secondaire, le préjudice direct étant subi par la société [7].

En tout état de cause, si tant est que cela soit établi, la perte de valeur des actions ne serait que la conséquence du détournement de la marque Fedora Crew par M. [S]. Il en résulte que le préjudice invoqué par M. [K] n’est ni personnel ni direct et il n’y a pas lieu de lui allouer des dommages et intérêts.

Le jugement du tribunal de commerce sera infirmé de ce chef et la cour, statuant à nouveau, rejettera cette demande.

Sur l’obligation de non-concurrence de M. [K] et l’exception d’inexécution

8 – M. [S] et la société [7] soutiennent que M. [K] est resté tenu à son obligation de non concurrence et de non sollicitation jusqu’au 8 juin 2022, conformément à l’article 10.2 du pacte d’associés.

Les appelants font valoir que M. [K] a violé ses obligations de non-concurrence et de non-sollicitation tant pendant son mandat de directeur général qu’après sa révocation.

Ils expliquent que neuf mois après sa révocation, en mars 2022, M. [K] est devenu responsable France dans la société [5], concurrente directe de la société [7].

Ils soutiennent également que M. [K] était en pourparlers avec la société [5] dès le mois de mai 2021 et qu’il a cherché à débaucher des salariés de la société [7] pour le rejoindre dans cette société concurrente.

En réplique à l’exception d’inexécution soulevée par M. [K], les appelants affirment que M. [K] n’étant plus associé, il ne peut se prévaloir d’une potentielle violation de la clause de non concurrence par M. [S] et qu’il restait seul tenu d’exécuter cette obligation, la clause étant parfaitement valide.

9 – M. [K] souligne que l’interdiction totale d’exercer son activité sur l’ensemble du territoire français pendant une durée d’un an est disproportionnée au regard de la faible activité de la société [7].

Il soutient par ailleurs que conformément à l’article 1219 du code civil, il pouvait refuser d’exécuter son obligation de non-concurrence, le pacte d’associés obligeant réciproquement les deux associés à s’abstenir de tout acte concurrentiel.

Sur la période antérieure à sa révocation, M. [K] indique qu’il n’a pas donné suite aux propositions de la société [5] en 2021 et que les messages et attestation de Mme [G] ne sont pas probants.

Concernant le préjudice allégué par les appelants, M. [K] conteste avoir influencé la société [5] dans sa décision de rompre ses relations commerciales avec la société [7]. Il n’a suspendu le paiement des factures de ce fournisseur que quatre jours, dans l’attente de recevoir un avoir dû à la société [7]. En tout état de cause, il n’avait pas la signature bancaire.

Sur ce

10 – Selon l’article 1219 du code civil : ‘Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.’

11 – Le tribunal de commerce a considéré, au visa de l’article 10.2 du pacte d’associés, que M. [S] avait renoncé à faire application de la clause de non-concurrence au motif qu’il n’est pas démontré qu’il ait touché l’indemnité prévue par cet article.

L’article 10.2 prévoit : ‘En toute autre hypothèse que l’existence d’un contrat de travail, les Fondateurs déclarent avoir pleinement pris acte de la portée du présent article et confirment que la contrepartie de leurs engagements au titre dudit Article est pleinement remplie par l’existence du Pacte’.

Entre associés, la clause de non-concurrence n’a pas à être indemnisée sauf si l’associé est également salarié.

M. [K] n’était ni salarié ni mandataire social rémunéré au sein de la société [7]. C’est donc à tort que le tribunal de commerce a jugé que M. [K] aurait dû toucher une indemnité prévue pour un associé exerçant un contrat de travail ou un mandat social rémunéré.

12 – Par ailleurs, la clause de non-concurrence prévue par l’article 10.2 du pacte d’associés, qui engage les deux associés, tant qu’ils sont titulaires de titres et jusqu’à l’expiration d’une période 12 mois à compter du plus tardif entre la date à laquelle se fait la cession de titres et la date de cessation des fonctions, est limitée dans le temps et dans l’espace. En outre, les activités visées sont directement en lien avec celles de la société [7]. La clause est dès lors proportionnée et légitime au regard des intérêts de la société [7].

13 – En l’espèce, M. [K] reçoit en mai 2021 une proposition d’embauche précise de la part de M. [X], directeur des ventes au sein de la société [5], concomitante à son voyage en Autriche. Le 17 mai 2021, la société [5] cesse toutes relations commerciales avec la société [7].

En mars 2022, M. [K] prend effectivement la direction de la filiale française de la société [5], principal fournisseur de la société [7], pour y exercer des fonctions de même nature que celles qu’il exerçait au sein de la société [7].

Dans le même temps, à partir de juin 2021, M. [S] permet à sa société [6] de commercialiser les produits de la marque Fedora Crew développée par la société [7].

Ainsi, les actions combinées des deux associés ont conduit à priver en moins d’un an la société [7] de toute activité.

Dès lors, la violation par M. [S] de son obligation de non-concurrence suffisait à libérer M. [K] de sa propre obligation, qu’il a méconnue en passant au service d’une entreprise concurrente. L’exception d’inexécution alléguée par M. [K] sera donc retenue.

Sur l’abus de majorité

14 – M. [K] soutient que si la révocation ad nutum n’a pas à être justifiée par un motif quelconque, la décision des actionnaires peut toutefois être qualifiée d’abus de majorité si elle est contraire à l’intérêt social et n’a été prise que dans l’intérêt des actionnaires majoritaires. Il précise que suite à sa révocation le 2 juin 2021, M. [S] a transféré l’ensemble des actifs de la société [7] au profit de sa société [6], dont il a modifié l’objet social le 16 juin 2021.

Il affirme que sa révocation a été contraire à l’intérêt de la société [7] puisqu’elle a entraîné la perte de son principal fournisseur et de son principal client.

La décision de révocation, par M. [S], associé majoritaire, constitue selon l’intimé un abus du droit de vote devant être sanctionné par la nullité de la délibération du 2 juin 2021.

15 – M. [S] et la société [7] font valoir que la révocation ad nutum permet de révoquer un dirigeant sans avoir à fournir de motifs, aucun contrôle juridictionnel ne pouvant s’exercer sur ceux-ci. Seules les circonstances dans lesquelles la révocation est intervenue peuvent rendre cette dernière abusive. Ils ajoutent qu’en tout état de cause, la perte du principal fournisseur et du principal client résultent non pas de la révocation de M. [K] mais de son comportement, ayant justifié la mise en oeuvre de la clause ‘bad leaver’.

Enfin, la diminution de la valorisation de la société est due à l’évolution du contexte économique.

Sur ce

16 – L’article 1240 code civil dispose : ‘Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.’

17 – L’article 4.1.2 des statuts de la Société prévoit que :

« Le Directeur Général est révocable à tout moment sans qu’il soit besoin d’un juste motif par décision collective des associés statuant à la majorité prévue pour les décisions ordinaires et sa révocation ne peut donner lieu à quelque indemnité que ce soit ».

18 – Pour être constitutive d’un abus de majorité, la décision sociale litigieuse doit avoir été prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser les actionnaires majoritaires.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la société [6], dont M. [S] est l’unique associé, commercialise les produits de la marque Fedora Crew développés par la société [7].

Il n’est pas non plus contesté que 14 jours après l’assemblée générale du 2 juin 2021, l’objet social de la société [6] a été modifié dans le but de commercialiser ces produits.

Enfin, il est constant que l’activité de la société [7] a été réduite à néant entre 2021 et 2022.

Cela étant, il n’est pas suffisamment démontré en quoi la révocation de M. [K] le 2 juin 2021 a eu pour conséquence la rupture des relations commerciales tant avec la société [4], principal client de la société [7], qu’avec la société [5], fournisseur de société [7].

En effet, les mails et factures produits par l’intimé ne permettent pas d’établir précisément les raisons de la rupture des relations commerciales avec la société [4]. En outre, dans son rapport en date du 9 juin 2022, l’expert comptable désigné par le tribunal de commerce relève que le chiffre d’affaires réalisé avec le client [4] a quasiment disparu au 2ème trimestre 2021, soit entre mai et juin 2021.

Par ailleurs, M. [K] a dès le mois de mai 2021 reçu une proposition d’embauche de la part de la société [5], donc à une date antérieure à sa révocation. L’expert note que les approvisionnements auprès de cette société correspondent aux 4 premiers mois de l’exercice 20121, soit entre janvier avril 2021. Dès lors, le lien entre la révocation de M. [K] et la fin des relations commerciales avec la société [5] n’est pas établi.

En revanche, en devenant l’unique associé de la société [7], M. [S] a pu organiser l’exploitation de la marque Fedora Crew par sa société [6], sans que M.[K] puisse, le cas échéant, s’y opposer et sans qu’une convention soit établie.

Les factures produites par l’intimé montrent que sur 2021/2022, le montant des ventes des produits Fedora Crew par la société [6] est trois fois supérieur au montant des ventes réalisées par la société [7]. La diminution de la valorisation de la société [7] ne peut être expliquée uniquement par l’évolution du contexte économique, comme le soutiennent les appelants.

Le rapport d’expertise judiciaire déposé le 9 juin 2022 indique que les comptes de la société [7] ne font état d’aucun produit lié à la marque Fedora Crew.

L’expert relève une dette financière de 118 080 euros à l’examen du bilan au 31/12/2021. La valeur de la société est nulle au regard des capitaux propres négatifs ( – 99 259 euros). Il valorise les actions de M. [K] à 12 499 euros.

En juin 2021, un document produit par l’intimé, qui émanerait du même expert-comptable, estime à 40 000 euros les titres de la société [7], soit 19 960 euros pour les titres de M. [K].

Toutefois, il n’est pas démontré que M. [S] ait prémédité la captation de la marque Fedora Crew par sa société [6]. Le mail intitulé ‘Fedora Crew > Deck 5″ adressé le 21 août 2020 par M. [S] à M. [K], ne permet pas de faire le lien avec la société [6].

Dès lors, faute d’éléments suffisamment probants, M. [K] sera débouté de sa demande et le jugement du tribunal de commerce sera confirmé de ce chef.

Sur les circonstances de la révocation

19 – M. [K] soutient que sa révocation est intervenue dans des circonstances brutales et vexatoires. Il fait notamment valoir que son accès au serveur commun a été supprimé alors qu’il était encore directeur général et associé, qu’il a été exclu des canaux de discussions commerciales, que M. [S] a demandé aux salariés de cesser toutes communications avec lui, que ses accès aux comptes bancaires de la sociétés ont été surveillés et que l’accès à ses courriels a été bloqué.

20 – La société [7] et M. [S] répliquent que les pièces produites par l’intimé sont des échanges non corroborées par son interlocuteur ni par un autre élément. Par ailleurs, M.[K] a été informé douze jours avant sa révocation des motifs de celle-ci et qu’il a été convié à une réunion pour s’exprimer à ce sujet.

Sur ce

21 – L’article 1240 code civil dispose : ‘Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ‘

22 – La révocation ad nutum peut intervenir à tout moment et n’est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l’honneur ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation.

En conséquence, la révocation décidée sous un prétexte fallacieux ne peut être qualifiée d’abusive. Elle ne donne pas droit à une indemnisation, sauf si elle est brutalement intervenue.

23 – Enfin, le principe selon lequel ‘Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même’ n’est applicable qu’à la preuve des actes juridiques.

24 – En l’espèce, les échanges Whasapp produits par l’intimé ne suffisent pas à établir un manquement à l’obligation de loyauté de la part de M. [S]. Ils mettent seulement en relief les dissensions entre les associés.

S’agissant du blocage allégué de l’accès aux mails, les échanges entre M. [K] et son conseil mettent en évidence que l’accès a été rétabli le jour-même où M.[K] s’en plaint auprès de son conseil, soit le 23 avril 2021.

La suppression du drive Fedora Crew par M. [S] au détriment de M. [N] et M. [K] le 21 avril 2021, ainsi que la création d’un nouveau groupe Whasapp, ne suffisent pas à établir une atteinte à l’honneur ou à la réputation de M. [K].

Au surplus, M. [K] a été informé avant sa révocation des motifs invoqués par M. [S] dans un courrier daté du 21 mai 2021. Dans ce courrier, M. [S] convie M. [K] à une réunion le 28 mai 2021 ‘afin que nous puissions échanger sur l’ensemble des éléments évoqués dans la présente et que vous puissiez présenter vos observations en réponse’. M. [K] ne s’est pas rendu à cette réunion.

Dès lors, si l’ensemble des pièces produites par les appelants sont révélatrices des tensions entre les associés, elles ne suffisent à établir le caractère brutal et vexatoire de la révocation de M. [K].

La décision du tribunal de commerce sera confirmée de ce chef.

Sur le caractère abusif de la procédure et l’amende civile

25 – La société [7] et M. [S] font valoir que par le biais de son assignation, M. [K] avait pour intention de retarder au maximum la procédure de désignation d’un expert judiciaire afin de retarder la mise en oeuvre de la clause ‘bad leaver’.

26 – M. [K] soutient que l’abus du droit d’agir en justice ne peut pas être caractérisé puisque certaines de ses demandes ont été reçues en première instance.

Sur ce

27 – L’article 32-1 du code de procédure civile dispose : ‘Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.’

28 – En l’espèce, les appelants font état d’une assignation infondée nuisant au bon fonctionnement de la société [7], alors que celle-ci était en difficulté bien avant l’assignation du 15 novembre 2021.

En outre, le tribunal de commerce ayant fait droit à une partie des demandes de M. [K], son recours était manifestement justifié. Ainsi, les appelants ne n’apportent pas la preuve d’une action abusive ou d’une faute de M. [K] susceptible d’entraîner l’allocation de dommages et intérêts. Il en va de même pour l’amende civile.

La décision du tribunal de commerce sera confirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

29 – En équité, il y a lieu de condamner in solidum M. [S] et la société [7] à payer à M [K] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Ils seront également condamnés aux entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 17 novembre 2022 en ce qu’il a condamné M. [S] à verser à M. [K] la somme de 5 000 euros au titre de son obligation de non-concurrence,

Statuant à nouveau,

Déboute M. [S] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de non-concurrence et de non-sollicitation,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [S] et la société [7] à payer à M [K] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [S] et la société [7] aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Magistrat


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