Escroquerie aux crypto-actifs

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Escroquerie aux crypto-actifs

En matière d’escroquerie aux crypto-actifs, la victime ne saurait se prévaloir des dispositions du code monétaire et financier relatives aux obligations des banques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en ce que ces dispositions ne visent pas à protéger des intérêts privés.

En effet, il s’agit de règles professionnelles poursuivant un objectif d’intérêt général qui ne peuvent servir de fondement à une action en responsabilité civile.

Les obligations incombant au prestataire de services d’investissements sont sans commune mesure avec celles incombant à un prestataire de services de paiements exécutant un ordre de virement authentifié par le donneur d’ordre, les obligations respectives du prestataire de services d’investissements et du prestataire de services de paiements s’inscrivant au demeurant dans des contextes économiques et réglementaires fort différents.

La directive (UE) n°2015/849, dont la base juridique réside dans l’harmonisation des législations des Etats-membres fondée sur l’article 114 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, poursuit un objectif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans le but de préserver l’intégrité des établissements bancaires et financiers et la stabilité du système financier, en prévoyant des sanctions pénales et administratives qui, adoptées par les Etats-membres, doivent être suffisantes, proportionnées et dissuasives.

Si le considérant 61 susmentionné envisage la protection des consommateurs, cet objectif demeure incident au regard des finalités principales du texte de l’Union qui s’attache à la préservation de l’intégrité des établissements bancaires et financiers et la stabilité du système financier.

D’ailleurs, ce considérant 61 de l’exposé des motifs de la directive (UE) n°2015/849 confie aux autorités européennes de surveillance le soin de soumettre à la Commission de l’Union européenne des projets de normes techniques de réglementation n’impliquant pas de choix politiques.

Pareille démarche révèle que si le droit de l’Union avait entendu faire de l’obligation de vigilance inhérente à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme la source d’un droit à réparation au profit du particulier en cas de manquements inhérents de la part des établissements bancaires et financiers assujettis, il l’eut précisé par un choix clairement formulé dans la directive 2015/849 dont Madame [N] se prévaut, dès lors à tort, du non-respect des dispositions.

L’Essentiel : Madame [M] [C], épouse [N], a investi 138.985 euros dans des crypto-actifs après avoir ouvert un compte à la Société Générale en 2017. Entre mai 2018 et janvier 2020, elle a effectué 28 virements vers d’autres États membres, suspectant une escroquerie. Elle a déposé une plainte en février 2020 et a mis en demeure les banques de rembourser ses investissements, les accusant de négligence. La Société Générale a rejeté sa demande, tandis que mBank a demandé à être exonérée de toute responsabilité. Le tribunal a finalement débouté Madame [N], considérant qu’elle n’avait pas prouvé les manquements des banques.
Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

Madame [M] [C], épouse [N], a ouvert un compte à la Société Générale et a été incitée à investir dans des crypto-actifs lors d’une rencontre professionnelle en septembre 2017. Elle a signé plusieurs bulletins de souscription pour des produits d’investissement, notamment un « Livret de placement Crypto+ » et un autre produit auprès de la société TVT, totalisant des investissements de 138.985 euros.

Démarches de Madame [N]

Entre mai 2018 et janvier 2020, Madame [N] a effectué 28 virements vers des comptes dans d’autres États membres de l’Union européenne. Estimant avoir été victime d’une escroquerie, elle a déposé une plainte auprès de la gendarmerie nationale le 25 février 2020. Par la suite, elle a mis en demeure la Société Générale et mBank SA de lui rembourser les sommes investies, reprochant aux deux banques un manque de vigilance dans l’exécution des virements.

Réponses des banques

La Société Générale a rejeté la demande de Madame [N], invoquant le principe de non-immixtion dans les affaires de ses clients. En réponse, Madame [N] a assigné la Société Générale et mBank en recherche de responsabilité. La Société Générale a soutenu que Madame [N] ne prouvait pas le contexte frauduleux et que les virements étaient réguliers, tandis que mBank a demandé à être mise hors de cause, arguant qu’elle n’avait pas de lien contractuel avec Madame [N].

Arguments de Madame [N]

Madame [N] a demandé l’application de la loi française, invoquant des manquements aux obligations de vigilance des banques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Elle a également reproché à la Société Générale un manquement à son obligation d’information, arguant que les montants et la fréquence des virements étaient anormaux et auraient dû alerter la banque.

Position des banques sur les manquements

La Société Générale a affirmé qu’elle avait respecté ses obligations en tant que teneur de compte et que les virements n’étaient pas anormaux. Elle a également souligné que Madame [N] avait donné des ordres de virement sans informer la banque de la nature réelle des transactions. De son côté, mBank a soutenu qu’elle n’avait pas de responsabilité dans cette affaire, n’ayant pas de relation contractuelle avec Madame [N].

Décision du tribunal

Le tribunal a déclaré la loi polonaise applicable au litige opposant Madame [N] à mBank. Il a débouté Madame [N] de toutes ses demandes, considérant qu’elle n’avait pas prouvé les manquements des banques et qu’elle avait agi de manière volontaire dans ses investissements. Madame [N] a été condamnée aux dépens, et il n’a pas été fait application de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité des banques en matière de vigilance lors de l’exécution des ordres de virement ?

La responsabilité des banques en matière de vigilance lors de l’exécution des ordres de virement est encadrée par plusieurs dispositions légales, notamment celles relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Selon l’article L.561-1 du Code monétaire et financier, les établissements financiers doivent mettre en place des mesures de vigilance à l’égard de leurs clients et des opérations qu’ils effectuent. Cela inclut l’obligation de s’assurer que les opérations ne sont pas suspectes et de signaler toute anomalie.

En vertu de l’article 1240 du Code civil, la responsabilité civile peut être engagée en cas de faute. Cependant, la jurisprudence a établi que le banquier a une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client. Cela signifie qu’il ne peut pas interférer dans les décisions de son client tant qu’il n’y a pas d’anomalie manifeste dans les opérations.

Ainsi, dans le cas de Madame [N], la Société Générale a soutenu qu’elle n’avait pas de raison de douter des virements effectués, car ceux-ci ne présentaient pas d’anomalies apparentes. Les montants des virements, compris entre 1.000 et 4.000 euros, ne pouvaient pas être considérés comme anormaux, sauf pour un virement spécifique justifié par un achat immobilier.

En conclusion, la responsabilité des banques en matière de vigilance est conditionnée par l’existence d’anomalies manifestes dans les opérations, ce qui n’a pas été démontré dans le cas présent.

Quelles sont les implications de la non-application des dispositions de LCB-FT dans le cadre d’une action en responsabilité ?

Les dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) visent principalement à protéger l’intégrité du système financier et à prévenir les abus.

L’article L.561-1 du Code monétaire et financier stipule que les établissements doivent exercer une vigilance renforcée sur les opérations suspectes. Cependant, ces dispositions ne sont pas conçues pour protéger les intérêts privés des clients.

La jurisprudence, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2004, a clairement établi que les règles de LCB-FT ne peuvent pas servir de fondement à une action en responsabilité civile. Cela signifie que même si une banque ne respecte pas ses obligations de vigilance, cela ne donne pas automatiquement droit à un client à une réparation pour préjudice.

Dans le cas de Madame [N], la Société Générale a soutenu que les dispositions de LCB-FT étaient inapplicables à sa demande, car elles ne visent pas à protéger les intérêts privés. Par conséquent, même si des manquements étaient avérés, cela ne suffirait pas à engager la responsabilité de la banque.

En résumé, la non-application des dispositions de LCB-FT dans une action en responsabilité signifie que le client ne peut pas se prévaloir de ces manquements pour obtenir réparation, car ces règles sont d’ordre public et visent un intérêt général.

Comment la loi applicable est-elle déterminée dans les litiges transnationaux impliquant des banques ?

La détermination de la loi applicable dans les litiges transnationaux est régie par le Règlement (CE) n°864/2007, dit « Rome II », qui traite des obligations non contractuelles.

L’article 4 de ce règlement précise que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient. Cela signifie que, dans le cas de Madame [N], la loi polonaise a été retenue comme applicable, car les fonds ont été perdus dans un compte ouvert auprès de la société mBank, qui a son siège en Pologne.

De plus, si les parties ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique. Dans le cas présent, bien que Madame [N] soit en France, le lieu de survenance du dommage étant en Pologne, la loi polonaise a été jugée applicable.

Il est également important de noter que si le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays, la loi de cet autre pays peut s’appliquer. Cependant, dans le cas de Madame [N], aucun lien de ce type n’a été établi.

En conclusion, la loi applicable dans les litiges transnationaux impliquant des banques est déterminée par le lieu de survenance du dommage, conformément aux dispositions du Règlement Rome II.

Quels sont les droits des consommateurs en matière d’information lors d’investissements financiers ?

Les droits des consommateurs en matière d’information lors d’investissements financiers sont principalement régis par le Code civil, notamment par les articles 1112-1 et suivants, qui imposent une obligation d’information aux professionnels envers leurs clients.

L’article 1112-1 stipule que le débiteur d’une obligation d’information doit fournir à son créancier toutes les informations nécessaires à la prise de décision. Cela est particulièrement pertinent dans le cadre des investissements financiers, où les clients doivent être informés des risques associés.

En outre, la directive (UE) n°2015/849 souligne l’importance de la protection des consommateurs dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Bien que cette directive vise principalement à protéger l’intégrité du système financier, elle implique également que les consommateurs doivent être informés des risques liés aux produits financiers.

Dans le cas de Madame [N], elle a soutenu que la Société Générale avait manqué à son obligation d’information en ne l’avertissant pas des risques associés aux investissements dans des crypto-actifs. Cependant, la banque a rétorqué qu’elle n’avait pas connaissance des détails des investissements et que Madame [N] avait pris ses décisions de manière autonome.

En résumé, les droits des consommateurs en matière d’information lors d’investissements financiers incluent le droit d’être informé des risques, mais la responsabilité de fournir ces informations peut dépendre de la nature de la relation entre le client et la banque.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

à
Me CHANDLER
Me GASTEBLED
Me MORELLI

9ème chambre 2ème section
N° RG 22/09650 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXMOH
N° MINUTE : 4

Assignation du :
19 Juillet 2022

JUGEMENT
rendu le 13 Décembre 2024
DEMANDERESSE

Madame [M] [C] épouse [N]
[Adresse 3]
[Localité 6]

représentée par Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159 et Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant

DÉFENDERESSES

S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 4]
[Localité 5] / FRANCE

représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0077

Société MBANK S.A.
[Adresse 2]
[Localité 1] / POLOGNE

représentée par Maître Nicolas MORELLI de l’AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0186

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles MALFRE, 1er Vice-Président adjoint
Augustin BOUJEKA, Vice-Président
Alexandre PARASTATIDIS, Juge

Décision du 13 Décembre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 22/09650 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXMOH

assistés de Diane FARIN, Greffière,

DÉBATS

A l’audience du 15 Novembre 2024 tenue en audience publique devant Augustin BOUJEKA, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 13 décembre 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [M] [C], épouse [N] (ci-après Madame [N]) était titulaire d’un compte ouvert dans les livres de la Société Générale.

Elle affirme avoir été démarchée, à l’occasion d’une rencontre professionnelle intervenue en septembre 2017, par une personne qui l’a incitée à investir son épargne dans des crypto-actifs proposés par des sociétés spécialisées dans ce type de placement.

Ainsi, le 15 décembre 2017, Madame [N] a signé un bulletin de souscription au profit de la société Crypto Consultancy LTD pour un produit dit « Livret de placement Crypto+ », pour une durée de douze mois, rémunéré au taux de 16% mensuel, moyennant un versement initial de 2.000 euros.

Le 25 mai 2018, Madame [N] a signé un autre bulletin de souscription au profit de la société TVT pour un investissement d’une durée de douze mois, « au taux minimum technique garanti de 5,75% », avec un versement initial de 20.000 euros.

Entre le 29 mai 2018 et le 23 janvier 2020, Madame [N] a effectué 28 virements représentant la somme totale de 138.985 euros au titre de ces placements, depuis son compte ouvert dans les livres de la Société Générale à destination de comptes ouverts dans d’autres Etats membres de l’Union européenne.

Estimant avoir été victime d’une escroquerie, Madame [N] a, le 25 février 2020, déposé plainte auprès de la gendarmerie nationale.

Par deux lettres recommandées avec accusé de réception distinctes, Madame [N] a mis en demeure respectivement la Société Générale et la banque de droit polonais mBank SA d’avoir à lui rembourser, pour la première, la somme de 138.985,10 euros et pour la seconde, la somme de 104.334,10 euros, sous quinzaine, en reprochant aux deux établissements bancaires leur manque de vigilance à l’occasion de l’exécution des ordres de virement afférents aux investissements en crypto-actifs qu’elle a effectués.

Par réponse du 21 avril 2022, la Société Générale s’est prévalue du principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client pour rejeter la demande de Madame [N].

C’est dans ce contexte que par acte du 19 juillet 2022 et par un autre du 2 août 2022, celui-ci étant signifié selon les voies européennes, Madame [N] a fait assigner respectivement la Société Générale et la société mBank en recherche de leur responsabilité.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 19 septembre 2024, Madame [N] demande à ce tribunal, au visa des directives européennes n°91/308/CEE, n°2001/97/CE, n°2005/60/CE, n°2015/849, n°2018/843, du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit « Rome II », des articles 1240, 1241, 1231-1, 1104 et 1112-1 du code civil, L. 133-10 du code monétaire et financier, de :
• Prononcer la loi française comme applicable à l’action en responsabilité qu’elle a intentée à l’encontre de la société mBank S.A.
• Si mieux n’aime le tribunal, statuer conformément au droit applicable et en justifier
A titre principal :
• Juger que les sociétés Société Générale et mBank S.A. n’ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
• Juger que les sociétés Société Générale et mBank S.A. sont responsables des préjudices subis par Madame [N].
• Condamner in solidum les sociétés Société Générale et mBank S.A. à rembourser à Madame [N] la somme de 104.334,10 €, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
• Condamner la société Société Générale à rembourser à Madame [N] la somme de 36.651 €, correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
• Condamner in solidum les sociétés Société Générale et mBank S.A. à verser à Madame [N] la somme de 28.197,02 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
• Condamner in solidum les sociétés Société Générale et mBank S.A. à verser à Madame [N] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
• Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A titre subsidiaire :
• Juger que les sociétés Société Générale et mBank S.A. ont manqué à leur devoir général de vigilance.
• Juger que les sociétés Société Générale et mBank S.A. sont responsables des préjudices subis par Madame [N].
• Condamner in solidum les sociétés Société Générale et mBank S.A. à rembourser à Madame [N] la somme de 104.334,10 €, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
• Condamner la société Société Générale à rembourser à Madame [N] la somme de 36.651 €, correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
• Condamner in solidum les sociétés Société Générale et mBank S.A. à verser à Madame [N] la somme de 28.197,02 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
• Condamner in solidum les sociétés Société Générale et mBank S.A. à verser à Madame [N] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
• Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A titre infiniment subsidiaire :
• Juger que la société Société Générale n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Madame [N].
• Juger que la société Société Générale est responsable des préjudices subis par Madame [N].
• Condamner la société Société Générale à rembourser à Madame [N] la somme de 140.985,10 €, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
• Condamner la société Société Générale à verser à Madame [N] la somme de 28.197,02 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
• Condamner la société Société Générale à verser à Madame [N] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
• Condamner la même aux entiers dépens.

Par dernières écritures signifiées le 30 septembre 2024, la Société Générale demande à ce tribunal, au visa des articles 1240 du code civil, L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, de :
Juger que Madame [M] [C] épouse [N] ne démontre pas le contexte frauduleux sur lequel elle fonde ses prétentions
Juger que les dispositions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prévues par les articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier sont inapplicables dans le cadre de l’action initiée par Madame [M] [C] épouse [N] à l’encontre de Société Générale
Juger que Société Générale a respecté son obligation d’exécuter les ordres de virement transmis par Madame [M] [C] épouse [N]
Juger que Société Générale n’a, en la circonstance, commis aucune faute susceptible d’avoir engagé sa responsabilité
Juger que Madame [M] [C] épouse [N] ne démontre aucun préjudice indemnisable et, qu’en toute hypothèse, les graves manquements qu’elle a commis sont de nature à exonérer totalement Société Générale de toute responsabilité dans les pertes qu’elle aurait à déplorer
En conséquence,
Débouter purement et simplement Madame [M] [C] épouse [N] de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions
Condamner Madame [M] [C] épouse [N] à verser à Société Générale une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
La condamner aux entiers dépens.
En tout état de cause,
Ecarter l’exécution provisoire de droit, celle-ci n’étant pas compatible avec la nature de l’affaire.

Par dernières écritures signifiées le 2 octobre 2024, la société mBank demande à ce tribunal, au visa de l’article 4 du règlement (CE) N°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles, des dispositions de droit polonais applicables au présent litige, des dispositions de la section III du chapitre VI du code monétaire et financier, des articles 1240 du code civil, 514-1 et suivants du code de procédure civile, de :
A titre principal
– Mettre hors de cause la société mBank dans la présente instance,
A titre subsidiaire
– Juger les demandes indemnitaires formulées par Madame [N] à l’encontre de mBank, mal fondées,
– Débouter Madame [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions formulées à l’encontre de mBank
A titre très subsidiaire, si, par extraordinaire, la responsabilité de mBank devait être retenue, et sans que le dispositif subsidiaire qui suit vaille une quelconque reconnaissance de responsabilité de mBank :
– Dire et juger que le montant des virements réalisés par Madame [N] sur des comptes ouverts auprès de mBank est de 55.000 euros
– Dire et juger que la faute de [W] [U] et [V] [G], ainsi que la faute de Madame [N] sont des causes limitatives de la responsabilité de mBank
– Dire et juger que le droit à réparation de Madame [N] se limiterait en toute hypothèse en une perte de chance
En conséquence :
– Statuer ce que de droit sur la quote-part du préjudice imputable à mBank
– Constater que l’exécution provisoire du jugement est incompatible avec la nature de l’affaire et qu’elle entrainerait des conséquences manifestement excessives pour mBank
En conséquence
– Ecarter l’exécution provisoire du jugement
– Très subsidiairement : Ordonner à Madame [N] la consignation de toute somme qui viendrait à être payée par mBank, sur un compte ouvert spécialement à cet effet par le cabinet Bird & Bird, conseil de mBank, auprès de la Caisse de Règlement Pécuniaire des Avocats (CARPA)
En toute hypothèse
– Condamner Madame [N] à payer à mBank la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner Madame [N] aux entiers dépens de l’instance.

La clôture a été prononcée le 4 octobre 2024, l’affaire étant appelée à l’audience du 8 novembre 2024, reportée pour raisons de service à celle du 15 novembre 2024 et mise en délibéré au 13 décembre 2024.

Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes principales
Madame [N] soutient que la loi française est applicable au présent litige, en application des dispositions de l’article 4 du Règlement (UE) 864/2007 du 11 juillet 2007 dit « Rome II », en ce que la disparition des fonds est intervenue en France, pays considéré comme lieu de survenance du dommage et déterminant en conséquence la loi applicable.

Sur le fond des choses et à titre principal, Madame [N] invoque à son profit les dispositions de l’article 12 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sur le considérant n°61 de la directive (UE) n°2015/849 du 20 mai 2015, des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier et de l’article L.133-10 de ce dernier code, pour dire que les banques défenderesses ont manqué de vigilance, au sens de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, dans l’exécution des paiements en litige. Elle précise que tant par leurs montants inhabituels que par leur fréquence et leurs pays de destination, en l’occurrence l’Allemagne, la Bulgarie, les Pays-Bas, la Pologne et le Portugal, ces virements étaient anormaux. Elle indique que la Société Générale aurait dû s’informer sur les opérations litigieuses, peu important que la concluante se soit déplacée en agence pour faire exécuter le paiement le plus élevé dès lors que cette occasion privilégiée aurait dû inviter l’établissement à mieux se renseigner et à s’abstenir, le cas échéant, de donner suite à la demande de paiement. Elle ajoute que la Société Générale est d’autant plus fautive que les entités destinataires des fonds étaient inscrites sur la liste noire de l’Autorité des Marchés financiers, l’une le 15 mars 2018, l’autre le 25 juillet 2019. Elle reproche encore à la Société Générale et à la mBank de n’avoir pas tiré les conséquences du rejet de quatre opérations par le second établissement pour s’abstenir d’exécuter les opérations suivantes.

Madame [N] se prévaut en outre des manquements à l’obligation générale de vigilance du fait de la mBank, estimant que cet établissement a encaissé des paiements aux montants et à des fréquences anormaux alors que les sommes en cause n’étaient pas en corrélation avec les activités conduites par les entités bénéficiaires, en violation des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier. Elle ajoute que le devoir de non-ingérence incombant au banquier ne dispense pas celui-ci d’exercer sa part de vigilance et le contrôle sur des opérations initiées par son client, à l’instar des virements, en décelant les anomalies tant matérielles qu’intellectuelles affectant de telles opérations. A cet égard, elle estime que la Société Générale a également manqué de vigilance à propos du fonctionnement du compte de la concluante en considération des différentes opérations en litige qui revêtaient manifestement un caractère anormal alors que, pour sa part, la société mBank n’a pas respecté l’obligation de vigilance et de contrôle lui incombant lors de l’ouverture des comptes ayant permis de réceptionner les fonds en litige. Elle estime que la circonstance que son compte a été suffisamment approvisionné préalablement à l’exécution des virements litigieux, est indifférente dès lors que ces opérations étaient anormales, pour être inhabituellement élevées. Elle souligne que le manque de vigilance de la société mBank est attesté par le fait qu’elle a refusé de communiquer la raison pour laquelle elle avait rejeté quatre opérations parmi celles dont la concluante a donné l’ordre d’exécution.

A titre subsidiaire, Madame [N] reproche à la Société Générale un manquement à l’obligation d’information lui incombant, en application des dispositions des articles 1112-1 et suivants du code civil. A cet égard, elle précise qu’un établissement bancaire est débiteur, au profit de son client, d’une obligation générale d’information, ainsi que d’une obligation spéciale d’information en matière d’investissement financier lorsque les biens acquis peuvent faire l’objet d’actes de blanchiment ou sont liés au financement du terrorisme. Elle indique que les virements litigieux, par leurs montants et leurs fréquences les uns et les autres anormaux, révélaient des anomalies intellectuelles appelant la mise en œuvre de cette obligation spéciale dont la Société Générale n’apporte pas la preuve de la mise en œuvre.

Madame [N] sollicite notamment, au titre des réparations qui lui sont dues, le remboursement de la somme de 104.985,10 euros correspondant aux sommes investies et perdues, l’allocation d’un préjudice matériel de 36.651 euros correspondant au montant restant de son investissement.

En réplique, la Société Générale sollicite le rejet de l’ensemble des demandes de Madame [N]. Elle souligne que Madame [N] ne justifie pas de l’existence de la fraude dont elle se dit avoir été victime, observant que la demanderesse ne produit pas la plainte qu’elle dit avoir déposée, encore moins des suites données à cette plainte, en sorte que les préjudices allégués ne sont pas démontrés.

La Société Générale affirme par ailleurs que certains ordres de virement étaient au bénéfice de Madame [N] elle-même, celle-ci ayant en outre indiqué des tiers erronés pour certains virements comme celui de 43.334,10 euros prétendument destiné à une acquisition immobilière, alors qu’elle a tu à la concluante les relations avec les deux plateformes destinataires réelles des virements dirigés vers différents Etats de l’Union européenne, seule la demanderesse ayant disposé des informations afférentes aux investissements auxquels elle a procédé. La Société Générale souligne le caractère inapplicable des dispositions des articles L.561 et suivants du code monétaire et financier, en ce qu’un particulier ne peut solliciter la réparation d’un préjudice du fait du non-respect de la réglementation que ces textes prévoient, lesquels ont pour finalité la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Elle ajoute que les fonds mobilisés par Madame [N] ne présentent pas au demeurant des indices d’une origine douteuse.

La Société Générale précise encore qu’elle était tenue d’exécuter les ordres de virement donnés par Madame [N], sous peine d’engager sa responsabilité, observant que ces virements ont été volontairement et en totalité ordonnés par Madame [N]. Elle rappelle être tenue d’une obligation de non-ingérence dans les affaires de ses clients et relève que, à propos de l’obligation de vigilance lui incombant, aucune anomalie apparente n’était caractérisée pour ces opérations, ni leurs destinations étrangères, ni la domiciliation étrangère comme le montant inhabituel et la fréquence des opérations litigieuses ne révélant pareilles anomalies. Elle note plus particulièrement que les montants des différents paiements étaient compris entre 1.000 euros et 4.000 euros qui ne sauraient dès lors être considérés comme anormaux, sauf celui de 43.334,10 euros exécuté le 2 septembre 2019 et justifié par un achat immobilier. Elle observe que ce dernier virement a été exécuté en agence, ce qui révèle la détermination de Madame [N] a passé les ordres en litige. Elle relève encore que les opérations litigieuses ont été échelonnées sur une période de 30 mois, précise que les entités bénéficiaires demeuraient inconnues d’elle, Madame [N] s’étant désignée comme bénéficiaire, ajoutant que le rejet de quatre opérations n’est pas significatif en ce qu’il s’agit d’une procédure courante.

La Société Générale expose, à propos du manquement à l’obligation d’information, avoir tout ignoré des opérations sous-jacentes alors que Madame [N], particulièrement négligente, était seule en situation de connaître les informations dont elle reproche le manquement à la concluante. Elle indique que le préjudice, consistant en l’espèce exclusivement dans une perte de chance, n’est pas démontré, le préjudice moral allégué n’étant pas davantage démontré, à l’instar du lien causal.

La société mBank, pour sa part, relève la légèreté de l’action de Madame [N] à son encontre, affirmant que sur les 140.985 euros dont la demanderesse se prévaut à titre de préjudice, il résulte des écritures de l’intéressée que seuls 55.000 euros sont passés dans le compte ouvert par Madame [N] dans ses livres. Elle relève qu’alors que la plainte de Madame [N] pour escroquerie invoquée au soutien de la demande apparaît essentielle au règlement du présent litige, Madame [N] ne l’a produite qu’après que les défenderesses aient souligné son caractère déterminant. Elle affirme être étrangère au présent litige, en ce qu’elle n’a jamais entretenu une quelconque relation avec Madame [N] comme avec les sociétés dont Madame [N] dit avoir été victime. Elle souligne que Madame [N] a soutenu dans sa plainte avoir ouvert un compte dans les livres de la concluante pour se dédire dans ses dernières écritures, n’ayant pas communiqué les courriers électroniques dont elle allègue l’existence dans cette plainte malgré les sommations de la concluante en ce sens. Elle demande dès lors à être mise hors de cause.

Subsidiairement, la mBank expose que le droit polonais lui est seul applicable eu égard aux obligations de vigilance, en considération de l’article 4 du Règlement Rome II. Elle dit n’être jamais intervenue en qualité d’intermédiaire entre Madame [N] et les auteurs des faits dont la demanderesse se dit victime. Elle invoque les dispositions de l’article 415 du code civil polonais, ainsi que celles de l’article 6 de ce même code, ce dernier texte attribuant la charge de la preuve du fait illicite source du droit à réparation à la victime. Elle relève que Madame [N] se limite à des faits généraux formulés à l’encontre des banques, n’articulant aucun grief fondé sur le droit polonais à l’encontre de la concluante, étant observé que ni la demanderesse, ni les sociétés dont celle-ci se dit victime, n’étaient en lien contractuel avec la concluante, à quoi elle ajoute qu’aucun préjudice n’est établi en l’espèce.

Très subsidiairement, la société mBank estime, à l’instar de la Société Générale, que Madame [N] est mal fondée à se prévaloir des dispositions de l’articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, en ce qu’elles ont pour finalité la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, un particulier ne pouvant s’en prévaloir à son profit pour rechercher la réparation d’un préjudice. Elle expose encore que Madame [N] ne démontre nullement un manquement à l’obligation de vigilance prévue en droit français. Elle affirme être tenue au secret bancaire, indiquant que c’est précisément parce qu’elle s’est montrée diligente qu’elle a rejeté certains des virements initiés par Madame [N]. Elle relève en outre que Madame [N] ne démontre l’existence, ni des dommages allégués, ni le lien causal, ajoutant que la demanderesse s’est montrée en tout état de cause fautive en s’engageant dans une relation d’affaires avec un inconnu qui lui a été présenté par un autre inconnu, pour effectuer des placements dans des produits financiers au montant total de 154.995 euros dont elle affirme tout ignorer, de surcroît à destination de pays étrangers.

Sur ce,

Sur les manquements reprochés à la Société Générale

Il est de principe que le banquier teneur de compte est astreint à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client.

Au cas particulier, la Société Générale ne pouvait, sans enfreindre cette obligation de non-immixtion, procéder à une surveillance systématique des opérations passées dans le cadre du compte ouvert dans ses livres par Madame [N].

Or ainsi que le relève justement la Société Générale, Madame [N] ne saurait se prévaloir des dispositions du code monétaire et financier relatives aux obligations des banques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en ce que ces dispositions ne visent pas à protéger des intérêts privés.

En effet, il s’agit de règles professionnelles poursuivant un objectif d’intérêt général qui ne peuvent servir de fondement à une action en responsabilité civile.

Pour soutenir l’applicabilité de la réglementation répressive dont elle se prévaut, la demanderesse invoque certes l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 février 2008 (n°07-10.761).

Cependant, cette décision, qui règle un litige afférent aux obligations d’un prestataire de services d’investissements inhérentes aux prestations qu’il fournit à son client, poursuivant les desseins tout à la fois de protection des marchés, de maintien de la discipline professionnelle et de préservation des intérêts du client, n’est pas transposable au cas particulier.

En effet, les obligations incombant au prestataire de services d’investissements sont sans commune mesure avec celles incombant à un prestataire de services de paiements exécutant un ordre de virement authentifié par le donneur d’ordre, les obligations respectives du prestataire de services d’investissements et du prestataire de services de paiements s’inscrivant au demeurant dans des contextes économiques et réglementaires fort différents.

En réalité, l’obligation de vigilance dont se prévaut Madame [N], qui est relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, ne peut être invoquée à son profit pour rechercher la réparation de son préjudice, ainsi que l’a précisé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 avril 2004 (n°02-15.054), dans une solution réitérée par la même formation le 21 septembre 2022 (n°21-12.335).

De plus, Madame [N] se prévaut des stipulations de l’article 12 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne selon lequel l’exigence de protection des consommateurs doit être prise en compte dans les politiques de l’Union et du considérant 61 de la directive (UE) n°2015/849 prévoyant l’adoption des normes techniques de réglementation pour assurer la protection des consommateurs.

Pour autant, il sera retenu que la directive (UE) n°2015/849, dont la base juridique réside dans l’harmonisation des législations des Etats-membres fondée sur l’article 114 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, poursuit un objectif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans le but de préserver l’intégrité des établissements bancaires et financiers et la stabilité du système financier, en prévoyant des sanctions pénales et administratives qui, adoptées par les Etats-membres, doivent être suffisantes, proportionnées et dissuasives.

Si le considérant 61 susmentionné envisage la protection des consommateurs, cet objectif demeure incident au regard des finalités principales du texte de l’Union qui s’attache à la préservation de l’intégrité des établissements bancaires et financiers et la stabilité du système financier.

D’ailleurs, ce considérant 61 de l’exposé des motifs de la directive (UE) n°2015/849 confie aux autorités européennes de surveillance le soin de soumettre à la Commission de l’Union européenne des projets de normes techniques de réglementation n’impliquant pas de choix politiques.

Pareille démarche révèle que si le droit de l’Union avait entendu faire de l’obligation de vigilance inhérente à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme la source d’un droit à réparation au profit du particulier en cas de manquements inhérents de la part des établissements bancaires et financiers assujettis, il l’eut précisé par un choix clairement formulé dans la directive 2015/849 dont Madame [N] se prévaut, dès lors à tort, du non-respect des dispositions.

Par ailleurs, Madame [N] a réalisé seule les investissements litigieux et la Société Générale, qui a agi en sa seule qualité de teneur de compte et non en tant que conseiller en investissements, était, en la circonstance, astreinte uniquement à son devoir général de vigilance.

Or en vertu de ce dernier devoir, sauf anomalie matérielle ou intellectuelle manifeste, la banque, du fait de son obligation de non-immixtion dans les affaires de son client, ne saurait questionner les virements régulièrement effectués par celui-ci, quel que soit le montant de ces opérations et leur opportunité, sauf à engager sa responsabilité en cas de refus d’exécuter lesdites opérations.

À cet égard, il importe peu que certains établissements bancaires, qui agiraient uniquement en qualité de teneurs de compte, fassent remplir à leurs clients des formulaires de mise en garde dans des situations similaires.

En effet, cette pratique, que relève Madame [N], ne saurait être créatrice de droits pouvant être invoquée d’une manière générale par tous les clients de tous les établissements bancaires.

En réalité, les virements en litige ne présentaient aucune anomalie puisque Madame [N] en a elle-même donné les ordres et reconnaît volontiers les avoir autorisés, ne les ayant contestés qu’après avoir découvert l’escroquerie dont elle a indiqué avoir été victime.

Il sera relevé, à ce dernier égard, que les paiements en litige portaient des montants compris entre 1.000 et 4.000 euros, lesquels ne peuvent être considérés comme anormaux en eux-mêmes.

Certes, Madame [N] estime devoir déceler une anomalie dans le virement au montant de 43.334,10 euros dont elle a signé l’ordre le 29 août 2019.

Il sera cependant relevé que cette opération, dont le montant élevé diffère particulièrement des autres, dont l’ordre a été de surcroît signé en agence, porte le motif « Achat immobilier » qui en justifie l’exécution par la Société Générale au demeurant tenue, par l’obligation de non-ingérence, de questionner plus outre sa cliente.

De plus, les 28 opérations de paiement en litige ont été exécutées sur une période comprise entre mai 2018 et janvier 2020, soit près de 19 mois, révélant une fréquence qui ne saurait, en elle-même, être considérée comme révélatrice d’une anomalie.

Il ne saurait par ailleurs être déduit une quelconque anomalie du fait que ces virements ont été effectués à destination de l’Allemagne, de la Bulgarie, des Pays-Bas, du Portugal et de la Pologne, s’agissant de pays membres de l’Union européenne et non de pays à risques ou considérés comme des paradis fiscaux.

Au demeurant, Madame [N] ne justifie nullement avoir informé la Société Générale de l’objet réel de ses virements.

Il ne saurait davantage être reproché à la Société Générale de ne pas avoir vérifié la légalité des activités exercées par les sociétés Crypto Consultancy LTD et TVT, bénéficiaires desdits virements, alors qu’en sa seule qualité de teneur de compte, cette obligation ne lui incombe pas.

Madame [N] n’est pas plus fondée à reprocher à la Société Générale de ne pas avoir tenu compte de ce que les deux sociétés bénéficiaires des virements étaient inscrites sur la liste noire des plateformes d’investissements frauduleux de l’Autorité des Marchés Financiers, dans la mesure où à la date des opérations de paiement en litige, aucune d’elle ne figurait sur cette liste.

A ce propos, les virements en cause ont été exécutés au bénéfice, tantôt d’entités portant d’autres dénominations que celle de Crypto Consultancy LTD ou TVT, tantôt au profit de Madame [N] elle-même.

Si Madame [N] estime en outre que constitue un révélateur d’anomalie le rejet de quatre virements parmi ceux dont elle a donné l’ordre dans le cadre des investissements avérés frauduleux par la suite, il sera retenu, ainsi que le soutient la Société Générale, que cette procédure entre dans le cadre normal de fonctionnement de ce type d’opération.

Par ailleurs, c’est à tort que Madame [N] soutient que pesait sur la banque une obligation d’information générale, en particulier en matière d’investissements financiers, ainsi qu’une obligation spéciale d’information.

Il n’existe en effet au cas d’espèce aucune obligation générale ou spéciale de cette nature, faute de dispositions légales ou de stipulations contractuelles la prévoyant.

Par suite, c’est par une démarche volontaire et délibérée que Madame [N] a effectué les opérations de paiement qu’elle conteste dans la présente instance.

Elle est donc mal fondée à rechercher la responsabilité de la Société Générale, en sa simple qualité de teneur du compte depuis lequel ces virements ont été effectués, d’autant plus que Madame [N] n’a jamais informé sa banque de la teneur réelle de ces opérations qu’elle était alors déterminée à effectuer du fait des rendements espérés.

En conséquence, Madame [N] sera déboutée de l’ensemble de ses demandes dirigées à l’encontre de la Société Générale.

Sur les manquements reprochés à la société mBank

L’article 4 du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit « Rome II » dispose :

« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique.

3. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »

En application de ce texte, le lieu de survenance du dommage est celui de l’appropriation indue des fonds au moyen du compte matériellement détenu dans les livres de la société mBank, ayant son siège social en Pologne, pays où les fonds ont été placés et perdus par Madame [N].

Par suite, il convient d’appliquer la loi polonaise dans le conflit opposant Madame [N] à la société mBank.

S’agissant de la mise hors de cause de la société mBank dont celle-ci sollicite le prononcé, il sera rappelé, à titre liminaire, qu’en application des dispositions de l’article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

En l’espèce, certes, il n’est produit aux débats aucun élément démontrant que Madame [N], la société Crypto Consultancy LTD et la société TVT d’une part, la société mBank d’autre part, ont entretenu des relations contractuelles se rattachant au présent litige, ainsi que le soutient la société mBank.

Pour autant, les manquements dont Madame [N] fait reproche à la mBank ne se rattachent pas exclusivement à une relation contractuelle, ni la demanderesse, ni la société mBank n’argumentant d’ailleurs sérieusement dans ce sens.

Par suite, il y a lieu de rechercher si, en-dehors d’une relation contractuelle existant entre la société mBank et Madame [N], celle-ci est fondée à agir en responsabilité contre celle-là, en application du droit polonais.

A ce dernier égard, il sera relevé que Madame [N] ne formule aucune prétention fondée sur le droit polonais, se bornant à demander au tribunal de statuer conformément au droit français et, subsidiairement, conformément au droit étranger à condition d’en justifier.

Au cas particulier, la société mBank se prévaut des dispositions de l’article 6 du code civil polonais selon lequel la charge de la preuve d’un fait juridique incombe à celui qui entend tirer les effets juridiques d’un tel fait.

Cette société invoque encore les dispositions de l’article 455 du code civil polonais d’après lequel toute personne qui, par sa faute, cause un dommage à autrui, est tenu de le réparer.

La société mBank invoque encore l’article 362 du code civil polonais affirmant que si la personne lésée a contribué à la survenance ou à l’aggravation du dommage, l’obligation de réparer s’en trouve réduite en conséquence.

En l’espèce, il n’est produit aucun élément démontrant que les sociétés Crypto Consultancy LTD et TVT, avec qui Madame [N] a conclu les contrats de placement à l’origine des fonds perdus par la demanderesse, ont conclu des conventions de compte bancaire dont l’ouverture comme le fonctionnement ont causé un quelconque préjudice à Madame [N].

Il n’est pas d’avantage soutenu ni établi que ces sociétés ont indirectement, par un moyen quelconque, provoqué la perte des fonds virés depuis le compte ouvert par Madame [N] dans les livres de la Société Générale à destination d’un ou plusieurs comptes ouverts en Pologne dans les livres de la société mBank.

Par suite, Madame [N] ne démontre l’existence d’aucun manquement quelconque imputable à la société mBank, de telle sorte que ses demandes dirigées contre cette société doivent être rejetées.

Sur les demandes annexes
Succombant, Madame [M] [C], épouse [N], sera condamnée aux dépens.

Conformément à l’équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la teneur de la décision, il y aura lieu d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

DÉCLARE la loi polonaise applicable au litige opposant Madame [M] [C], épouse [N], à la société mBank SA 
DÉBOUTE Madame [M] [C], épouse [N], de l’ensemble de ses demandes 

CONDAMNE Madame [M] [C], épouse [N], aux dépens 

DÉCLARE n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile 

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires 

ECARTE l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 13 Décembre 2024

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


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