Tribunal judiciaire de Draguignan, 26 novembre 2024, RG n° 23/02091
Tribunal judiciaire de Draguignan, 26 novembre 2024, RG n° 23/02091

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Draguignan

Thématique : Responsabilité et devoir d’information dans les transactions immobilières

Résumé

Contexte de la Promesse de Vente

Le 18 septembre 2019, Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L] ont signé une promesse de vente pour un immeuble à [Localité 16], pour un montant de 350.000 euros, avec un acompte de 3.000 euros. La signature de l’acte authentique était prévue pour le 31 décembre 2019. Le bien comportait une piscine, mais des problèmes de conformité et des servitudes de passage ont été mentionnés.

Problèmes de Conformité et de Servitudes

Un portail d’accès, non mentionné dans l’acte, a été installé sur le chemin de la servitude, ce qui a suscité des inquiétudes chez les futurs acquéreurs. Le notaire, Maître [Z], a informé les acheteurs le 18 décembre 2019 de l’impossibilité de fermer le portail, en raison de l’enclavement de la propriété voisine et du refus de la mairie de délivrer un certificat de conformité pour les travaux réalisés.

Renonciation à l’Achat

Le 20 décembre 2019, Maître [Z] a proposé un délai supplémentaire aux acheteurs pour trouver une solution avec le vendeur, mais en l’absence d’accord, les époux [X] ont finalement renoncé à l’achat. Ils ont alors décidé d’agir en justice contre le notaire et le vendeur pour obtenir réparation de leur préjudice.

Actions en Justice et Demandes d’Indemnisation

Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L] ont assigné la SCP [D] [Z] [10], la SAS [11] et Monsieur [U] [M] devant le tribunal judiciaire de Draguignan, demandant des dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral, ainsi que le remboursement de frais liés à l’échec de la vente.

Arguments des Parties

Les époux [X] ont soutenu que le notaire avait manqué à son obligation d’information et de conseil, tandis que le vendeur avait dissimulé des informations essentielles concernant le portail et la piscine. En réponse, la SCP [D] [Z] [10] a demandé la mise hors de cause de la société de courtage d’assurance et a contesté toute faute de sa part.

Décision du Tribunal

Le tribunal a mis hors de cause la société de courtage et a condamné solidairement Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à indemniser les époux [X] pour leurs préjudices matériel et moral. Les frais de justice ont également été mis à la charge des parties condamnées.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
_______________________

Chambre 1

************************

DU 26 Novembre 2024
Dossier N° RG 23/02091 – N° Portalis DB3D-W-B7H-JYHP
Minute n° : 2024/533

AFFAIRE :

[P] [X], [H] [X]-[L] C/ S.A.S. [11], [U] [M], S.C.P. [D] [Z] [10]

JUGEMENT DU 26 Novembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Madame Alexandra MATTIOLI

JUGES : Madame Virginie GARCIA
Madame Chantal MENNECIER

GREFFIER lors des débats : Madame Fanny RINAUDO, Directrice des Services de greffe Judiciaires
GREFFIER lors de la mise à disposition : Madame Nasima BOUKROUH

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Septembre 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2024 prorogé au 26 Novembre 2024

JUGEMENT :

Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision réputée contradictoire et en premier ressort.

copie exécutoire à : Me Isabelle CALDERARI
la SCP LOUSTAUNAU FORNO
Délivrées le

Copie dossier

NOM DES PARTIES :

DEMANDEURS :

Monsieur [P] [X]
[Adresse 7]
[Localité 8]

Madame [H] [X]-[L]
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentés par Me Isabelle CALDERARI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat postulant, Me Sylviane MAZARD, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

D’UNE PART ;

DÉFENDEURS :

S.A.S. [11]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Jean-luc FORNO, de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

Monsieur [U] [M]
dernier domicile connu : [Adresse 14]
[Localité 16]

non comparant

S.C.P. [D] [Z] [10]
[Adresse 15]
[Localité 16]

représentée par Maître Jean-luc FORNO, de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

D’AUTRE PART ;

******************

EXPOSE DU LITIGE

Le 18 septembre 2019, Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L] ont signé en l’Etude de la SCP [D] [Z] [10] une promesse de vente portant sur un immeuble situé [Adresse 1], [Localité 16], cadastré section BW [Cadastre 3] et BW [Cadastre 4], appartenant à Monsieur [U] [M], pour un prix de 350.000 euros.

La réitération de l’acte authentique devait intervenir le 31 décembre 2019 au plus tard, et un acompte de 3.000 euros a été versé par les bénéficiaires de la promesse.

Le bien comprend une piscine pour laquelle une déclaration de travaux avait été obtenue, tandis que l’opposition de non-contestation relative à la réalisation de celle-ci n’avait pas été délivrée.

L’acte mentionne l’existence de plusieurs servitudes, parmi lesquelles une servitude de passage au profit de la parcelle cadastrée [Cadastre 5], dont le propriétaire était [R], dans les termes suivants :

 » A titre de servitude réelle et perpétuelle, le propriétaire du fonds servant constitue au profit du fonds dominant et de ses propriétaires successifs un droit de passage en tous temps et heures et avec tous véhicules…. Ce droit de passage s’exercera exclusivement sur le chemin…. il ne pourra être ni obstrué ni fermé par UN PORTAIL D’ACCES sauf dans ce dernier cas accord entre les parties….  »

Un portail d’accès, non mentionné à l’acte étant édifié sur chemin de la servitude, les époux [X] ont sollicité à plusieurs reprises l’office notarial afin d’obtenir des informations sur le fonctionnement de celui-ci.

Le 18 décembre 2019, soit l’avant-veille de la date de la signature de l’acte authentique prévue le 20 décembre 2019, Maître [Z] a informé les futurs acquéreurs de l’impossibilité de fermer le portail de la propriété compte tenu de la situation d’enclavement de la propriété voisine et du refus de la Mairie de délivrer un certificat de conformité pour les travaux réalisés sur l’immeuble depuis 2004 ainsi que pour la piscine en raison du risque de noyade lié à l’impossibilité de fermer le portail.

Le 20 décembre 2020, Maître [Z] n’a pas souhaité que l’acte authentique soit signé et a accordé aux acheteurs un délai supplémentaire de 10 jours afin qu’ils trouvent une solution avec le vendeur, notamment une éventuelle remise de prix en compensation des travaux à entreprendre afin de sécuriser la propriété. En l’absence de remise de prix consentie par Monsieur [U] [M], les époux [X] ont renoncé à l’achat envisagé.

Faisant valoir que les fautes conjuguées du notaire, qui a manqué à ses obligations professionnelles, et du vendeur, qui a intentionnellement dissimulé des informations essentielles aux acheteurs, leur ont causé un préjudice tant matériel que moral, Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L], suivant acte du 13 mars 2023 converti en procès-verbal de recherches infructueuses pour Monsieur [U] [M], ont fait assigner la SCP [D] [Z] [10], la SAS [11] et Monsieur [U] [M] devant le tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN afin d’en obtenir l’indemnisation.

Dans leurs conclusions du 7 février 2024, ils demandent au tribunal, au visa des articles 1112-1, 1240 du code civil, de :

-CONDAMNER solidairement Monsieur [U] [M], la SCP [D] [Z] [10] prise en la personne de son représentant légal, outre la société de courtage d’assurance [11] à leur payer la somme de 29.980,66 euros minimum à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice matériel ;
-CONDAMNER solidairement Monsieur [U] [M], la SCP [D] [Z] [10] prise en la personne de son représentant légal et la société de courtage d’assurance [11] à leur payer la somme de 6000 € à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral ;
-CONDAMNER solidairement les mêmes à leur payer la somme de 3000 € en application de l’article 700 du CPC outre les entiers dépens.

Au soutien de leurs demandes, ils mettent en avant la faute délictuelle du notaire sur le fondement de l’article 1240 du code civil consistant en la violation de son obligation d’information et de conseil des parties, soulignant que Maître [Z] s’est abstenu de leur fournir les informations nécessaires leur permettant de prendre une décision éclairée concernant l’acquisition du bien, quant à la servitude grevant le bien et à l’absence de conformité des travaux. Ils lui reprochent :
– l’imprécision et l’incomplétude des documents contractuels, et notamment des implications des servitudes dont les plans n’étaient pas annexés ;
– le défaut de réponse à leurs demandes d’informations réitérées ;
– la négligence dans la vérification des documents d’urbanisme et la conformité des travaux ;
– d’être demeuré taisant sur l’impossibilité de fermer le portail alors qu’il en était informé au minima le 10 décembre 2019.

Ils reprochent à Monsieur [U] [M] de leur avoir sciemment dissimulé des informations essentielles, en violation de son devoir de loyauté et de bonne foi dans la transaction immobilière, s’agissant de :
– l’installation du portail sans autorisation ;
– la non divulgation de l’absence d’accord de la voisine alors qu’il a produit un courrier contesté auprès de la mairie de [Localité 16] faisant état du prétendu accord de Madame [R] pour tenter de régulariser la situation après signature du compromis ;
– la fausse déclaration sur le responsable de la non-déclaration du portail, puisqu’il a tenté de dissimuler son implication dans l’installation irrégulière du portail en attribuant la responsabilité à une société tierce.

Ils soulignent que ces fautes conjuguées leur ont causé un préjudice matériel, puisqu’ils avaient obtenu leur prêt, transféré les fonds sur le compte du notaire et pris leurs dispositions pour déménager de la région Hauts de France et emménager dans les lieux le soir même de la signature de l’acte authentique, alors qu’ils ont été informés seulement deux jours plus tôt des difficultés. Ils précisent que ce préjudice est composé des frais bancaires liés au prêt consenti pour financer l’acquisition et les frais liés à la location en urgence d’un garde-meubles pendant plusieurs mois.

Ils invoquent également un préjudice moral puisqu’ils ont été confrontés à une grande déception et à un stress considérable, outre une perte de temps en raison de l’annulation soudaine de leur projet d’aménagement.

S’agissant de la responsabilité de [11], ils soulignent qu’elle a toujours été leur unique interlocuteur suite à la plainte qu’ils ont déposé auprès de la [9] et de la caisse régionale de garantie du Var. Ils ajoutent qu’elle ne les a pas informés du nom ni de la compagnie d’assurance responsable.

Dans leurs conclusions du 4 octobre 2023, la SCP [D] [Z] [10] et la SAS [11] demandent au tribunal de :

-ORDONNER la mise hors de cause de la [11] en sa qualité de courtier ;
-DEBOUTER Monsieur et Madame [P] [X] de toutes leurs demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées à l’encontre de la SCP [D] [Z] [10] à [Localité 16] ;
-les CONDAMNER à payer à la SCP [D] [Z] [10], la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
-les CONDAMNER aux entiers dépens distraits au profit de Maître Jean-Luc FORNO, avocat, membre de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, sur ses offres et affirmations de droit.

A titre liminaire, elles font valoir que la [11] est une société de courtage d’assurances qui n’a pas vocation à se substituer à l’assureur professionnel des notaires, les [13]/[12] SA, et qu’elle ne peut faire l’objet d’aucune condamnation et doit ainsi être mise hors de cause.

La SCP [Z] [10] affirme avoir effectué les diligences qu’il convenait en la matière, en mentionnant les différentes servitudes à l’acte et en relatant toutes les opérations d’urbanisme et la conformité des travaux, excepté s’agissant de la piscine, pour laquelle manquait l’opposition de non-contestation, et au sujet de laquelle le notaire a invité Monsieur [U] [M] à régulariser la situation. Elle souligne que l’acheteur s’est exécuté en écrivant à la mairie de [Localité 16] le 24 septembre 2019, et que ce n’est que le 10 décembre 2019 que l’opposition à la déclaration préalable a été rendue, quelques jours avant la régularisation de l’acte authentique, de sorte que le notaire a souhaité accorder un délai complémentaire aux acquéreurs pour leur permettre de se rétracter.

Elle conteste un quelconque manquement de Maître [Z], qui n’a pu prendre connaissance de l’impossibilité de fermer le portail que lors de la réception du refus du certificat de non-opposition délivré par la mairie. Elle souligne que le délai de réponse de la mairie n’a pas permis au notaire d’informer les époux [X] plus tôt de cette difficulté, de sorte qu’aucune faute ne peut lui être reprochée. Elle conteste également le préjudice invoqué concernant les frais bancaires qui devaient en tout état de cause être retenus par la banque en cas d’échec de la vente et dont la perte n’est pas liée à un quelconque manquement de l’étude. Elle ajoute que les demandeurs ne justifient pas d’une quelconque mise en demeure, le courrier du 10 septembre 2020 faisant simplement état d’un préjudice financier.

Monsieur [U] [M], bien que régulièrement assigné, n’a pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 février 2024 et renvoyé à l’audience collégiale du 5 septembre 2024, à l’issue de laquelle les parties ont été informées de la mise en délibéré de la décision par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024 prorogé au 26 Novembre 2024.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

MET hors de cause la société [11].

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à payer à Madame [H] [X] née [L] et à Monsieur [P] [X] la somme unique de 9.457,28 euros se décomposant comme suit :
– les échéances du prêt immobilier d’un montant de 2.099,78 euros ;
– les frais de déménagement d’un montant de 7.000 euros ;
– les frais d’agence immobilière : 325 euros ;

– les frais des lettres recommandées à la SCP [Z] et à la banque postale : 19,50 euros et 13 euros.

REJETTE toute autre demande ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à payer à Madame [H] [X] née [L] et à Monsieur [P] [X] la somme unique de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à payer à Madame [H] [X] née [L] et à Monsieur [P] [X] la somme unique de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, en ce compris les demandes au titre des frais et dépens de l’instance ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] aux dépens.

AINSI JUGE ET PRONONCE AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DRAGUIGNAN EN DATE DU 26 NOVEMBRE 2024.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

 


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