L’essentiel : L’Arrêté du 19 octobre 2020 autorise une expérimentation de surveillance électronique à distance pour contrôler l’obligation de débarquement des captures par certains navires de pêche français. Bien que cette mesure vise à lutter contre la pêche illicite, la CNIL a exprimé des préoccupations concernant la surveillance excessive des pêcheurs. Les caméras doivent être orientées pour filmer uniquement la chaîne de tri, préservant ainsi la vie privée des employés. De plus, les pêcheurs doivent être informés de la finalité du traitement des données, garantissant la transparence et le respect de leurs droits.
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Les technologies viennent au secours de la pêche illicite : l’Arrêté du 19 octobre 2020 autorise la mise en œuvre à titre expérimental (deux ans) d’un système de surveillance électronique à distance pour contrôler le respect de l’obligation de débarquement des captures par certains navires de pêche battant pavillon français. La CNIL a toutefois mis en garde contre une surveillance abusive des salariés pêcheurs. Directive « Police-Justice »Cette expérimentation s’inscrivait à l’origine dans le cadre du règlement (UE) n° 1380/2013 du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche (PCP) qui prévoit une obligation de débarquement des captures qui vise à mettre fin à la pratique consistant à rejeter en mer les captures de poissons non désirées. Dans la mesure où le traitement était principalement mis en œuvre à des fins de recherche et de constatation d’infractions pénales et administratives, il relevait a priori du champ d’application de la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016 et a été examiné au regard des dispositions des articles 87 et suivants de la loi du 6 janvier 1978. Aucune donnée sensible au sens de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 n’a vocation à être collectée par le traitement, celui-ci a donc fait l’objet d’un simple arrêté pris après avis motivé de la CNIL. Toutefois, pour qu’un traitement puisse entrer dans le champ d’application de la directive n° 2016/680 du 27 avril 2016, dite directive « Police-Justice », un traitement de données doit répondre à deux conditions cumulatives. Il doit d’une part poursuivre l’une des finalités mentionnées à son article 1er relatives à la prévention et la détection des infractions pénales, ainsi que les enquêtes et les poursuites en la matière, et d’autre part, être mis en œuvre par une « autorité compétente » au sens de cette directive. S’agissant du critère « d’autorité compétente », selon l’article 3.7 de la directive, ce terme s’entend d’une autorité à laquelle ont été dévolus des pouvoirs pour la prévention et la détection des infractions pénales, ainsi les enquêtes et les poursuites en la matière. Les dispositions du code rural et de la pêche maritime reconnaissant aux agents de contrôle du ministère de l’agriculture et de l’alimentation tant des pouvoirs de police administrative que des pouvoirs de police judiciaire, ce critère était donc rempli. S’agissant du critère de finalité, si l’installation de caméras de surveillance a notamment pour objet de constater d’éventuels comportements infractionnels, il apparaît que la finalité principale poursuivie par le traitement est le respect de l’obligation de débarquement des captures. Aussi, la CNIL a considéré que le traitement susvisé ne relevait pas du champ d’application des dispositions du titre III de la loi « Informatique et Libertés » transposant la directive dite « Police-Justice », mais de celui du RGPD. Finalités légitimesL’obligation de débarquement des captures de pêche visée par l’article 15 du règlement (UE) relatif à la PCP vise à interdire aux pêcheurs de rejeter à la mer les captures accidentelles (prises inférieures à la taille réglementaire, quota déjà atteint, espèce protégée, etc.) en décomptant ces prises du quota de capture autorisé lors de leur débarquement. Il résulte du règlement (UE) relatif à la PCP que le respect de l’obligation de débarquement aux fins notamment d’éviter la surexploitation des ressources vivantes aquatiques constitue une finalité légitime. Surveillance des salariésAlors qu’en matière de vidéosurveillance, la CNIL n’admet principalement l’installation de caméras sur le lieu de travail qu’à des fins de sécurité des biens et des personnes, elle a relevé que le traitement en cause est susceptible de permettre de contrôler de façon générale l’activité des pêcheurs sur ces navires, au-delà du seul respect des obligations de débarquement, et de les placer sous surveillance permanente. La CNIL a demandé, dans la mise en œuvre de l’expérimentation, que des garanties appropriées soient prises par le ministère afin que l’atteinte portée aux droits des salariés soit limitée au strict nécessaire. Les caméras devront être orientées de façon à ne filmer que la chaîne de tri du navire et à éviter de filmer, autant que possible, le visage des salariés. La CNIL a aussi appelé l’attention du ministère sur le fait que de tels dispositifs de surveillance ne sauraient devenir la solution systématique dans le cadre du contrôle des différentes obligations pesant sur les particuliers et les professionnels. Information des salariés pécheursConformément aux dispositions de l’article 13 du RGPD et de l’article L. 1222-4 du code du travail, les employés devront être informés individuellement de l’ensemble des mentions d’information prévues par le premier de ces textes. Des panneaux d’information, en nombre suffisant par rapport à la zone filmée, devront être placés de façon visible et contenir a minima les mentions suivantes : la finalité du traitement, le nom du responsable de traitement, la durée de conservation des images, la possibilité d’adresser une réclamation auprès de la CNIL, ainsi que la procédure à suivre par l’employé pour demander l’accès aux enregistrements le concernant. Ces panneaux devront également comporter des pictogrammes afin de faciliter la compréhension immédiate de l’information par les employés. Les droits d’accès et de rectification s’exerceront auprès de la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture du ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Durée de conservation des images collectéesLes données relatives aux images captées par les dispositifs de vidéosurveillance installés sur les navires de pêche sont conservées pour i) une durée ne pouvant excéder quarante-cinq jours lorsqu’elles sont enregistrées sur des navires effectuant des marées d’une durée moyenne comprise entre zéro et quinze jours ; ii) une durée ne pouvant excéder soixante jours lorsqu’elles sont enregistrées sur des navires effectuant des marées d’une durée moyenne supérieure à quinze jours. A l’issue de ce délai, les enregistrements sont automatiquement effacés. En cas de contentieux, les images seront extraites du dispositif et conservées pendant la durée de la procédure judiciaire ou administrative. Si les durées susvisées ne correspondent pas à la doctrine classique de la Commission en matière de vidéosurveillance, elles paraissent néanmoins justifiées par le contexte particulier, le temps passé en mer pouvant dépasser quinze jours. Les prestataires privés chargés du visionnage et de l’analyse ne pourront prendre connaissance des enregistrements qu’une fois les navires débarqués et que le visionnage des enregistrements est une tâche longue. Par ailleurs, les données enregistrées par les capteurs de mesures ainsi que celles relatives aux positions du navire sont conservées pendant une durée ne pouvant excéder trois ans. A noter que les prestataires privés chargés du visionnage et de l’analyse (qui n’ont pas encore été choisis par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation) devront répondre à l’ensemble des conditions fixées par l’article 28 du RGPD. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les principales mesures de l’Arrêté du 19 octobre 2020 concernant la pêche illicite ?L’Arrêté du 19 octobre 2020 autorise la mise en œuvre d’un système de surveillance électronique à distance pour contrôler le respect de l’obligation de débarquement des captures par certains navires de pêche battant pavillon français. Cette expérimentation est prévue pour une durée de deux ans et vise à lutter contre la pêche illicite en s’assurant que les pêcheurs respectent les réglementations en matière de captures. Cependant, la CNIL a exprimé des préoccupations concernant le risque de surveillance abusive des salariés pêcheurs, soulignant l’importance de protéger les droits des travailleurs tout en garantissant la conformité aux lois sur la pêche. Quel est le cadre juridique de l’expérimentation de surveillance électronique ?L’expérimentation s’inscrit dans le cadre du règlement (UE) n° 1380/2013, qui établit une politique commune de la pêche (PCP) et impose une obligation de débarquement des captures. Cette obligation vise à mettre fin à la pratique de rejet en mer des captures non désirées, contribuant ainsi à la durabilité des ressources maritimes. Le traitement des données dans ce contexte est également examiné à la lumière de la directive (UE) 2016/680, qui concerne la protection des données dans le cadre des activités de police et de justice. Quelles sont les conditions pour qu’un traitement de données entre dans le champ d’application de la directive « Police-Justice » ?Pour qu’un traitement de données soit soumis à la directive « Police-Justice », il doit répondre à deux conditions cumulatives. Premièrement, il doit viser à prévenir ou détecter des infractions pénales, ainsi qu’à mener des enquêtes et des poursuites. Deuxièmement, il doit être mis en œuvre par une « autorité compétente » définie par la directive. Dans le cas de l’expérimentation, les agents de contrôle du ministère de l’agriculture et de l’alimentation remplissent ce critère, car ils disposent de pouvoirs de police administrative et judiciaire. Quelles sont les finalités légitimes de l’obligation de débarquement des captures ?L’obligation de débarquement des captures, stipulée par l’article 15 du règlement (UE) relatif à la PCP, vise à interdire le rejet en mer des captures accidentelles, telles que les prises inférieures à la taille réglementaire ou les espèces protégées. Cette mesure est essentielle pour éviter la surexploitation des ressources vivantes aquatiques, ce qui constitue une finalité légitime pour la mise en œuvre de la surveillance électronique. Le respect de cette obligation contribue à la durabilité des stocks de poissons et à la préservation de l’écosystème marin. Quelles sont les préoccupations de la CNIL concernant la surveillance des salariés pêcheurs ?La CNIL a exprimé des préoccupations quant à l’utilisation de caméras de surveillance sur les navires de pêche, soulignant que cela pourrait permettre un contrôle excessif de l’activité des pêcheurs. Elle a noté que la surveillance pourrait aller au-delà du simple respect des obligations de débarquement, plaçant ainsi les salariés sous une surveillance permanente. Pour atténuer ces préoccupations, la CNIL a demandé que des garanties soient mises en place, telles que l’orientation des caméras pour ne filmer que la chaîne de tri et éviter de capturer les visages des employés. Comment les salariés pêcheurs seront-ils informés de la surveillance ?Conformément à l’article 13 du RGPD et à l’article L. 1222-4 du code du travail, les salariés devront être informés individuellement des modalités de la surveillance. Des panneaux d’information devront être installés de manière visible sur les navires, indiquant la finalité du traitement, le nom du responsable, la durée de conservation des images, et les droits des employés. Ces panneaux devront également comporter des pictogrammes pour faciliter la compréhension des informations par les salariés, garantissant ainsi la transparence du processus de surveillance. Quelle est la durée de conservation des images collectées par vidéosurveillance ?Les images captées par les dispositifs de vidéosurveillance sur les navires de pêche sont conservées pour des durées spécifiques. Elles ne peuvent excéder quarante-cinq jours pour les navires effectuant des marées de zéro à quinze jours, et soixante jours pour ceux effectuant des marées de plus de quinze jours. Après ces délais, les enregistrements sont automatiquement effacés, sauf en cas de contentieux, où les images seront conservées jusqu’à la fin de la procédure judiciaire ou administrative. Quelles sont les conditions pour les prestataires privés chargés de l’analyse des enregistrements ?Les prestataires privés qui seront chargés du visionnage et de l’analyse des enregistrements devront respecter les conditions fixées par l’article 28 du RGPD. Cela inclut des obligations en matière de protection des données et de confidentialité. Il est important de noter que ces prestataires ne pourront accéder aux enregistrements qu’après le débarquement des navires, en raison de la nature des opérations de pêche et du temps nécessaire pour visionner les enregistrements. |
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