Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Versailles
Thématique : Imputabilité des arrêts de travail suite à un accident du travail : enjeux de preuve et présomption.
→ RésuméAccident du travailLe 30 décembre 2019, une victime a subi un accident du travail en retirant un sac d’une poubelle, ce qui lui a causé des douleurs au bras droit. Un certificat médical a été établi, indiquant une « scapulalgie droite après port de charges lourdes ». Prise en charge par la CPAMLa Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) a reconnu l’accident comme étant lié au travail par une décision en date du 27 mars 2020. La victime a bénéficié d’arrêts de travail et de soins jusqu’au 30 avril 2022. Contestations de l’employeurLa société employeur, SAS GSF ARIES, a contesté l’imputabilité des arrêts de travail à l’accident, saisissant la Commission Médicale de Recours Amiable (CMRA) le 27 juillet 2023, puis le tribunal judiciaire de Versailles le 9 janvier 2024. Demandes de la société employeurLors de l’audience du 20 décembre 2024, la société a demandé au tribunal d’enjoindre à la CPAM de transmettre le dossier médical de la victime et de juger inopposables les arrêts de travail postérieurs au 5 janvier 2020, tout en sollicitant une expertise judiciaire. Arguments de la CPAMLa CPAM, bien que absente à l’audience, a soutenu que la décision de prise en charge était justifiée et que la présomption d’imputabilité s’appliquait aux soins et arrêts de travail. Elle a également contesté la demande d’expertise. Décision du tribunalLe tribunal a rejeté la demande de la société d’enjoindre la CPAM à transmettre le dossier médical et a également rejeté la demande d’inopposabilité des arrêts postérieurs au 5 janvier 2020. Il a constaté un litige médical sur l’imputabilité des soins et a ordonné une consultation médicale judiciaire. Consultation médicale judiciaireLe tribunal a désigné un consultant pour examiner le dossier médical de la victime, déterminer les lésions initiales, et évaluer la relation entre l’accident et les arrêts de travail. Les frais de consultation seront pris en charge par la CPAM. Prochaines étapesL’affaire sera examinée à nouveau lors d’une audience de contentieux médical prévue pour le 8 septembre 2025. Les dépens sont réservés en attente de l’issue de la mesure de consultation. |
Pôle social – N° RG 24/00046 – N° Portalis DB22-W-B7I-RZ6Z
Copies certifiées conformes délivrées,
le :
à :
– S.A.S. GSF ARIES
– CPAM DE L’ESSONNE
– Me Michaël RUIMY
N° de minute :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL
CONTENTIEUX GENERAL DE SECURITE SOCIALE
JUGEMENT RENDU LE VENDREDI 14 FEVRIER 2025
N° RG 24/00046 – N° Portalis DB22-W-B7I-RZ6Z
Code NAC : 89E
DEMANDEUR :
S.A.S. GSF ARIES
1 rue du Petit Clamart
78140 VELIZY-VILLACOUBLAY
Représentée par maître Michaël RUIMY substitué par maître Grégory KUZMA, avocats au barreau de LYON,
DÉFENDEUR :
CPAM DE L’ESSONNE
Département juridique
2 rue Ambroise Croizat
91040 EVRY CEDEX
Non comparant, ni représenté
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Madame Marie-Sophie CARRIERE, Vice-présidente
Monsieur Olivier CRUCHOT, Représentant des employeurs et des travailleurs indépendants
Monsieur [P] [E], Représentant des salariés
Madame Clara DULUC, Greffière
DEBATS : A l’audience publique tenue le 08 Septembre 2025, l’affaire a été mise en délibéré au 14 Février 2025
Pôle social – N° RG 24/00046 – N° Portalis DB22-W-B7I-RZ6Z
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [O] [B] [N] [W] a été victime d’un accident du travail le 30 décembre 2019, “en retirant un sac d’une poubelle avec les deux bras et en reposant le sac elle aurait ressenti une douleur au bras droit”, ce qui lui a occasionné des douleurs dans le bras y compris coude coté droit, le certificat médical initial du 30 décembre 2019 faisant état d’une « scapulalgie droite après port de charges lourdes ».
La CPAM par décision en date du 27 mars 2020 a pris en charge au titre de la législation professionnelle, l’accident survenu le 30 décembre 2019.
Madame [O] [B] [N] [W] a bénéficié d’abord d’arrêts de travail du 30 décembre 2019 au 8 février 2021 puis de soins post consolidation du 8 février 2021 au 30 avril 2022.
La société SAS GSF ARIES a d’abord saisi le 27 juillet 2023 la CMRA en contestatation de l’imputabilité au travail de l’ensemble des arrêts de travail et leur relation avec l’accident survenu le 30 décembre 2019 puis le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles le 9 janvier 2024 à l’encontre de la décision de rejet implicite de la commission médicale de recours amiable de la CPAM des Yvelines.
En l’absence de conciliation entre les parties, après trois renvois à la mise en état, le dossier a été fixé à l’audience du 20 décembre 2024.
A cette date, la société SAS GSF ARIES, représentée par son conseil, a soutenu oralement ses conclusions n°3 et demande au tribunal de :
– à titre liminaire, enjoindre à la CPAM et son service médical de transmettre l’entier dossier médical de Mme [O] [B] [N] [W] visé à l’article R142-1-A du CSS au docteur [Y], médecin consultant de la société et surseoir à statuer puis réouvrir les débats dès réception effective du dossier médical par le médecin conseil désigné par la société,
– à titre prinicpal,
* juger qu’aucun arrêt de travail ne couvre la période entre le 05 et le 16 janvier 2020,
* juger que la CPAM ne justifie pas de la continuité des symptomes et soins,
* par conséquent, juger inopposable à la société les arrêts et soins postérieurs au 05 janvier 2020,
– à titre subsidiaire,
* ordonner une expertise judiciaire sur pièces et désigner tel expert avec pour mission de se faire remettre l’entier dossier médical de Mme [O] [B] [N] [W] par la CPAM et/ou son service médical, retracer l’évolution des lésions et éventuelles hospitalisations de Mme [O] [B] [N] [W], déterminer si l’ensemble des lésions à l’origine de l’ensemble des arrêts de travail pris en charge peuvent résulter directement et uniquement à l’accident survenu le 30 décembre 2019, déterminer quels sont les arrêts et lésions directement et uniquement imputables à cet accident, déterminer si une pathologie évoluant pour son propre compte et indépendante de l’accident est à l’origine d’une partie des arrêts de travail, dans l’affirmative dire si l’accident a pu aggraver ou révéler cette pathologie ou si, au contraire, cette dernière a évolué pour son propre compte, fixer la date à laquelle son état de santé directement et uniquement imputable à l’accident survenu le 30 décembre 2019 doit être considéré comme consolidé et adresser aux parties un pré rapport afin de leur permettre de présenter d’éventuelles observations et ce avant le dépôt du rapport définitif,
* juger que les opérations d’expertise devront se dérouler uniquement sur pièces,
* ordonner dans le respect des principes du contradictoire, du procès équitable et de l’égalité des armes entre les parties dans le procès, la communication de l’entier dossier médical de Mme [O] [B] [N] [W] par la CPAM au docteur [Y],
* dire que les frais d’expertise seront entièrement à la charge de la CPAM,
* et dans l’hypothèse où des arrêts de travail ne seraint pas en lien de causalité direct et certain avec la lésion initiale, juger ces arrêts inopposables à la société GSF ARIES.
En substance, elle indique ne pas contester la matérialité de l’accident de travail mais l’imputabilité de l’ensemble des arrêts à l’accident. Elle expose que la présomption d’imputabilité invoquée par la caisse n’est pas irréfragable mais simple. Elle rappelle que l’accident a donné lieu à un arrêt de 4 jours pour finir par un arrêt de 314 jours. Elle soutient l’inopposabilité des arrêts et soins au delà du 05 janvier 2020, madame [N] [W] [X] ayant repris son activité du 05 au 16 janvier 2020.
Elle ajoute enfin produire une note de son médecin conseil qui relève un possible état antérieur et une absence de lien de causalité entre l’accident et la totalité des arrêts de la salariée, justifiant qu’il soit a minima ordonné une mesure d’expertise médicale.
La caisse, absente à l’audience, mais représentée lors des audiences de mise en état, demande aux termes de ses conclusions n°2 au tribunal de :
– à titre principal, dire que l’irrégularité procédurale devant la CMRA n’est pas susceptible d’entrainer l’inopposabilité à l’égard de l’employeur de la décision de prise en charge de l’ensemble des arrêts et soins prescrits à Mme [O] [B] [N] [W],
– à titre subsidiaire,
* dire et juger que c’est à bon droit que la caisse a pris en charge au titre de l’accident survenu à Mme [O] [B] [N] [W] les soins et arrêts de travail prescrits à compter du 30 décembre 2019 jusqu’à sa consolidation,
* dire et juger que les soins et arrêts de travail observés par Mme [O] [B] [N] [W] bénéficient de la présomption d’imputabilité à l’accident survenu le 30 décembre 2019 et sont donc opposables à la société GSF ARIES conformément à l’article L 2415 du code de la sécurité sociale,
– à titre infiniment subsidiaire, rejeter toute demande d’expertise médicale judiciaire.
En substance, elle rappelle que la CMRA est une commission dépourvue de tout caractère juridictionnel de sorte que les exigences du procès équitable ne s’appliquent pas au recours préalable obligatoire. Elle en déduit que la non transmission du rapport dans le cadre du recours pré contentieux ne caractèrise pas un non respect du principe du contradictoire. Elle ajoute sur ce point que si la transmission du rapport constituait une formalité substantielle, le délai de quetre mois pour statuer débuterait à compter de sa transmission.
Sur le fond, elle expose que la présomption d’imputabilité de l’accident au travail couvre les prestations servies jusqu’à la date de guérison ou de consolidation, l’employeur ne pouvant la renverser qu’en rapportant la preuve que les lésions ont une cause totalement et exclusivement étrangère au travail, ce que la société ne démontre pas. Elle précise que même en présence d’un état antérieur, l’employeur doit établir qu’il évolue pour son propre compte sans aucune lien avec le travail. Elle ajoute que la présomption d’imputabilité ne nécessite pas une continuité des symptomes et soins.
A tout fin elle s’oppose à la demande d’expertise, rappelant qu’elle n’a pas vocation à pallier à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.
Pour un plus ample exposé des faits de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il convient de se reporter aux écritures des parties conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 14 février 2025 par mise à disposition au greffe.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant en premier ressort et par jugement contradictoire, mixte mis à disposition au greffe le 14 février 2025 :
Déboute la société SAS GSF ARIES de sa demande liminaire tendant à ce que le tribunal enjoigne à la CPAM de l’Essonne ou son service médical de communiquer le rapport médical à son médecin le docteur [Y] et de sursis à statuer dans cette attente,
Déboute la SAS GSF ARIES de sa demande en inopposabilité au motif de la discontinuité des soins et arrêts postérieurs au 05 janvier 2020,
Constate l’existence d’un litige d’ordre médical sur l’imputabilité des soins et arrêts de travail indemnisés par la caisse primaire d’assurance maladie au titre de l’accident du travail dont a été victime madame [O] [B] [N] [W] le 30 décembre 2019 ;
En conséquence, avant dire droit,
Ordonne une consultation médicale judiciaire sur pièces ;
Désigne en qualité de consultant monsieur [H] [F] situé au Cabinet médical, Route de Marly, 95380 PUISEUX EN FRANCE, roland.rocton95@gmail.com avec pour mission de :
– prendre connaissance de l’entier dossier médical de Madame [O] [B] [N] [W] établi par la CPAM de l’Essonne ;
– déterminer exactement les lésions initiales provoquées par l’accident du 30 décembre 2019 ;
– fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec ces lésions ;
– dire si un état pathologique indépendant à décrire est à l’origine d’une partie des arrêts de travail et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état pathologique est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte ;
– dire si l’accident du 30 décembre 2019 a pu aggraver ou révéler cette pathologie ou si, au contraire, cette dernière a évolué pour son propre compte ;
– dire à partir de quelle date la prise en charge des soins et arrêts au titre de la législation professionnelle n’est plus médicalement justifiée au regard de l’évolution du seul état consécutif à l’accident ;
– fixer la date de consolidation des seules lésions consécutives à l’accident à l’exclusion de tout état indépendant évoluant pour son propre compte ;
Dit que la caisse transmettra sous pli confidentiel directement à l’attention du consultant désigné, conformément aux dispositions de l’article R.142-16-3 du code de la sécurité sociale, l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L.142-6 et du rapport mentionné à l’article L.142-10 du même code, et ce, dans les dix jours qui suivent la notification de la présente ordonnance,
Dit que la caisse, si elle ne l’a pas déjà fait, devra notifier ces rapports (rapport médical mentionné à l’article L.142-6 et rapport mentionné à l’article L.142-10 du même code) au médecin-conseil mandaté par la société SAS GSF ARIES, à savoir le docteur [Y] (coord) ,
Dit que la société SAS GSF ARIES pourra transmettre toute pièce utile directement au consultant dans le délai de vingt jours suivant la notification de la présente ordonnance,
Dit qu’à défaut de transmission des pièces dans les délais impartis, les parties s’exposent à un rapport de carence dont le tribunal tirera les conséquences ou à un rapport qui sera établi sur les seuls éléments parvenus au consultant ;
Dit que le consultant devra remettre son rapport au greffe avant le 30 juin 2025 et que le rapport sera notifié par le greffe aux parties ;
Dit que les frais de consultation seront pris en charge par la caisse nationale d’assurance maladie conformément aux dispositions des articles L.142-11 et R142-18-2 du code de la sécurité sociale ;
Rappelle que les honoraires du consultant sont fixés à l’article 1er de l’arrêté du 29 décembre 2020 modifiant l’arrêté du 21 décembre 2018 relatif aux honoraires et aux frais de déplacement des médecins consultants mentionnés à l’article R. 142-16-1 du code de la sécurité sociale ;
Renvoie l’examen de l’affaire et les parties à l’audience de contentieux médical qui aura lieu :
le 08 septembre 2025 à 15h30
Palais de Justice
Couloir des salles d’audience civile
1er étage – Salle J
5, Place André Mignot
78011 VERSAILLES CEDEX
Rappelle que la notification de la présente décision vaut convocation des parties ou de leurs représentants à ladite audience,
Réserve les dépens.
Rappelle les dispositions de l’article 272 du code de procédure civile aux termes desquelles la décision ordonnant l’expertise peut-être frappée d’appel indépendamment du jugement sur le fond sur autorisation du premier président de la cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime.
La Greffière La Présidente
Madame Clara DULUC Madame Marie-Sophie CARRIERE
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