Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Nice
Thématique : Poker en ligne : blocage des gains en cas de fraude
→ RésuméExposé du litigeLa société exploitante d’un site de poker en ligne a organisé un tournoi auquel a participé une joueuse, qui a remporté un gain significatif. Cependant, la société a suspecté une collusion frauduleuse entre la joueuse et son concubin, également joueur sur le même site. En conséquence, la société a bloqué le compte de la joueuse et a lancé une enquête interne. Demande de la joueuseLa joueuse a assigné la société en justice pour obtenir le paiement de ses gains et des dommages-intérêts. Elle a contesté les accusations de fraude, arguant que les conditions d’utilisation du site n’étaient pas claires et que les soupçons de la société étaient infondés. Réponse de la sociétéLa société a soutenu qu’elle avait agi conformément à ses obligations légales de détection de la fraude. Elle a affirmé que la joueuse avait violé les conditions d’utilisation en permettant à son concubin d’utiliser son compte après son élimination du tournoi, ce qui constitue une collusion. Éléments de preuveLa société a produit un rapport d’enquête et des enregistrements de conversations téléphoniques pour prouver ses allégations. La joueuse a contesté la validité de ces preuves, affirmant qu’elles étaient modifiées et non représentatives de la réalité. Décision du tribunalLe tribunal a statué que la joueuse avait effectivement permis à son concubin d’accéder à son compte, ce qui constituait une fraude. Par conséquent, la société était justifiée dans ses actions de blocage de compte et de refus de paiement des gains. La joueuse a été déboutée de ses demandes et condamnée à payer des frais à la société. |
COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)
JUGEMENT : [P] [K] c/ Société REEL MALTA LIMITED
N° 25/
Du 11 Février 2025
4ème Chambre civile
N° RG 21/00125 – N° Portalis DBWR-W-B7F-NHIG
Grosse délivrée à
Me Charles-pierre BRUN
expédition délivrée à
Me Matthieu ESCANDE
Me Laura MORE
le 11 Février 2025
mentions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du onze Février deux mil vingt cinq
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Madame Cécile SANJUAN PUCHOL
Assesseur : Madame Isabelle DEMARBAIX, Juge rédacteur
Assesseur : Madame Diana VALAT
Greffier : Madame Taanlimi BENALI.
DÉBATS
A l’audience publique du 18 Novembre 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 11 Février 2025 par mise à disposition au greffe la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées ;
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 11 Février 2025, signé par Madame Cécile SANJUAN PUCHOL Présidente, assistée de Madame Estelle AYADI, Greffier, auquel la minute de la décision été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDERESSE:
Mme [P] [K]
[Adresse 2]
[Adresse 13]
[Localité 1]
représentée par Me Laura MORE, avocat au barreau de NICE, avocat postulant, Me Matthieu ESCANDE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
DEFENDERESSE:
REEL MALTA LIMITED
représentée par son représentant légal domicilié es qualités au siège
[Adresse 5]
[Adresse 5] à [Localité 21]
MALTE
représentée par Me Charles-pierre BRUN, avocat au barreau de NICE, avocat postulant
EXPOSE DU LITIGE
La société Reel Malta Ltd est une société de droit maltais qui exploite, en France, un site de poker en ligne, Pokerstars.fr, en vertu d’un agrément conféré par l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ), qui a remplacé, en 2020, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (l’ARJEL).
Cet agrément lui a été octroyé dès l’ouverture à la régulation du marché des jeux en ligne en France en 2010, et a été renouvelé en 2015 et 2020.
Du 9 au 11 septembre 2018, la société Reel Malta Ltd a organisé un tournoi réunissant 6430 participants auquel s’est inscrit Mme [P] [K] qui a terminé première et a remporté la somme de 150.271,41 euros créditée sur son compte ouvert sous le pseudonyme [018].
Suspectant une collusion frauduleuse de Mme [K] avec son concubin, [V] [I], également titulaire d’un compte utilisateur sur le même site sous le pseudonyme [04], la société Reel Malta Ltd a bloqué son compte de vainqueur du tournoi et diligenté une enquête interne.
Par exploit introductif d’instance du 23 octobre 2020, Mme [K] a assigné ladite société en paiement de ses gains et allocation de dommages et intérêts.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 27 février 2024, elle sollicite voir :
– condamner la société Reel Malta Limited au paiement de la somme de 150.321,91 euros avec les intérêts de retard au taux légal à compter du 5 juin 2019, ainsi que le bénéfice de l’anatocisme ;
– la condamner au paiement de la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la clôture abusive de son compte joueur ;
– la condamner au paiement de la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du refus de vente sans motif légitime de son compte joueur ;
– déclarer irrecevables les pièces n° 5, 6 et 8 produites par la la société Reel Malta Limited ;
– condamner la société Reel Malta Limited au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
– la condamner au paiement de la somme de 6.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux dépens ;
– ordonner l’exécution provisoire du jugement.
En premier lieu, Mme [K] fait valoir que la société Reel Malta Ltd lui oppose les conditions générales d’utilisation du site PokerStars.Fr, dont elle admet avoir eu connaissance et y avoir souscrit, mais souligne qu’aucune de ces dispositions ne décrit clairement, et de manière compréhensible, le comportement qui serait constitutif d’une fraude. Elle rappelle que les clauses contenues dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur doivent être interprétées dans le sens le plus favorable au consommateur en cas de doute, en application de l’article L. 211-1 du code de la consommation.
Elle affirme qu’il n’y a rien d’étrange ou de surprenant à ce qu’un couple partage le même ordinateur, la même adresse IP et la passion du poker ou encore se » dépanne financièrement » ou utilise lacarte de crédit de l’autre.
En deuxième lieu, elle affirme que la société défenderesse n’a que des soupçons et qu’elle ne rapporte pas la preuve de ses allégations. Elle rappelle que celle-ci ne peut se constituer de preuve à elle-même et lui fait grief de produire des enregistrements audios, qui sont modifiables et s’apparentent à un pseudo-interrogatoire de police réalisé par un inconnu, dans lequel tout consentement est inexistant et les voix méconnaissables. Elle souligne que le rapport d’enquête produit a été rédigé plus de quatre ans après les faits et à la demande de la société défenderesse. Elle estime que les conclusions de ce document ne sont pas probantes et confirment l’existence d’un doute quant au comportement collusoire allégué. Elle ajoute que les entretiens audios qui ont été enregistrés, ont été conduits par un agent spécialisé en » game integrity » dénommé » [N] de la PokenStars » qui se serait auto-proclamé expert. Elle en déduit que ce document est sans portée et ne revêt aucun caractère probant.
En troisième lieu, elle soutient que le poker est un jeu mixte, faisant intervenir à la fois le hasard et la sagacité des joueurs et rappelle la définition donnée par le législateur français qui le qualifie de jeu d’argent et de hasard. Elle déplore que la société défenderesse omette systématiquement et malhonnêtement la seconde dimension du poker.
En quatrième lieu, elle fait valoir que bien que sa maîtrise de ce jeu soit en deça de celle de son concubin, elle observe que ce dernier a été éliminé du tournoi qu’elle a remporté, de sorte que ses compétences ne sauraient être légitimement contestées par la société défenderesse qui, dans ses publicités, indique que tout un chacun peut jouer pour gagner.
En cinquième lieu, elle relève que la société défenderesse n’a pas déposé plainte à ce jour.
Elle en déduit que le seul objectif de la société défenderesse est de confisquer ses gains et de ne pas les redistribuer. Elle considère que ce refus de paiement n’est pas justifié.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 juin 2024, la société Reel Malta Limited sollicite voir :
– constater les agissements frauduleux du compte [018] ;
– constater la violation par Mme [K] des conditions générales d’utilisation du site PokerStars.Fr et notamment des articles 12 » votre compte et la sécurité » et 7 » usages interdits » ;
– prononcer qu’elle était bien fondée à suspendre, puis bloquer le compte de Mme [K], et à refuser de lui verser les gains du tournoi litigieux, en application de l’article 10 des conditions générales d’utilisation du site PokerStars.fr ;
– prononcer qu’elle est fondée à mettre un terme à la relation contractuelle entre elle et Mme [K], et à tout autre contrat avec Mme [K], en application de l’article 10 des conditions générales d’utilisation du site PokerStars.fr ;
– prononcer qu’elle est fondée à redistribuer les gains du tournoi litigieux aux autres joueurs, en application de l’article 10 des conditions générales d’utilisation du site PokerStars.fr ;
– débouter Mme [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– la condamner à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
La société Reel Malta Limited rappelle qu’elle a l’obligation de détecter et de lutter contre les activités frauduleuses en application des articles 320-3 et 320-4 du code de la sécurité intérieure et de l’article 18 troisième alinéa de la loi n° 2020-476 du 12 mai 2010.
Contrairement à ce qu’avance la demanderesse, l’utilisation par deux personnes, qui se prêtent des fonds et emploient la même carte bancaire comme instrument de paiement, à partir d’un même ordinateur et d’une adresse IP identique, sont autant d’indices requérant une vigilance particulière quant à la possibilité d’une fraude. La société Reel Malta Limited rappelle que l’opérateur agréé de poker en ligne a l’obligation de garantir l’intégrité et la sincérité des jeux, et que, pour ce faire, il est tenu de mettre en place un système de détection des ententes entre joueurs qui est une pratique prohibée. Elle ajoute que l’Autorité nationale des jeux veille au respect de ces règles.
Sur la fraude alléguée, elle fait valoir que Mme [K] a accepté les conditions générales d’utilisation de PokerStars, sans quoi l’ouverture de son compte n’aurait pas été possible. Elle affirme qu’il résulte de ces conditons que l’absence d’usage personnel du compte, la collusion, la manipulation du jeu et tout autre comportement malhonnête ou illégal, sans que cette liste soit limitative, sont autant d’agissements frauduleux et prohibés. Elle réplique que la fraude est définie de façon suffisamment explicite, claire et compréhensible, et que Mme [K] a commis une fraude en permettant au titulaire du compte [04] de se connecter sur son compte et de bénéficier ainsi d’une seconde chance, et de remporter le tournoi, en violation de la règle selon laquelle toute élimination du tournoi est définitive.
Elle souligne les liens inextricables, voire indivisibles, entre son compte [018] et celui de son concubin ouvert sous le pseudonyme [04] du fait notamment de l’utilisation d’un seul et même ordinateur, de la même adresse IP, de la tentative d’utilisation de la même carte bancaire pour approvisionner les comptes, d’un jeu similaire et des nombreuses connexions en chaîne de ces deux comptes. Elle observe que la demanderesse ne conteste pas l’utilisation liée des deux comptes.
Elle relève que lors des deux conversations téléphoniques enregistrées avec l’accord de la demanderesse et dont le contenu n’est pas contesté, il a été noté une absence de maîtrise du langage du poker et du fonctionnement des parties. Elle ajoute que les informations recueillies lors de ces enregistrements viennent corroborer les indices concordants de fraude issus de l’analyse des données techniques de PokerStars.Fr et du rapport Ecogra. Elle réplique que le poker n’est pas un jeu de hasard et qu’il requiert une pratique régulière et approfondie.
La procédure a été clôturée au 4 novembre 2024.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 18 novembre 2024 et mise en délibéré au 11 février 2025.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,
DÉBOUTE Mme [P] [K] de l’intégralité de ses demandes ;
DIT fondées les décisions prises par la société Reel Malta Ltd de bloquer le compte de Mme [P] [K] et de refuser de lui verser les gains remportés lors du tournoi organisé du 9 au 11 septembre 2018 ;
DIT que la société Reel Malta Ltd est également fondée à mettre un terme à la relation contractuelle avec Mme [P] [K] et à redistribuer les gains du tournoi litigieux aux autres joueurs ;
CONDAMNE Mme [P] [K] à payer à la société Reel Malta Ltd la somme de 10.000 euros (dix mille euros) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [P] [K] aux dépens.
Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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