Tribunal judiciaire de Nanterre, 24 janvier 2025, RG n° 24/02246
Tribunal judiciaire de Nanterre, 24 janvier 2025, RG n° 24/02246

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nanterre

Thématique : Exclusion d’un candidat en raison de sanctions antérieures : enjeux et conséquences dans la passation de marchés publics.

Résumé

Contexte de l’affaire

La société acheteuse, SA EURE ET LOIR HABITAT, a initié une procédure pour la passation d’un marché public concernant la construction de 22 logements collectifs. L’entreprise candidate, LA DUNOISE BTP, a soumis une offre pour deux lots, mais a été exclue de la procédure en raison d’une résiliation antérieure de contrat.

Exclusion de l’entreprise candidate

Le 25 septembre 2024, la société acheteuse a notifié à l’entreprise candidate son exclusion, invoquant une sanction liée à une résiliation survenue dans les trois dernières années. L’entreprise candidate a contesté cette décision en assignant la société acheteuse devant le tribunal judiciaire, demandant la suspension de la procédure et l’annulation de l’exclusion.

Développements judiciaires

L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises avant d’être examinée le 10 décembre 2024. L’entreprise candidate a maintenu ses demandes, mais a limité ses prétentions au lot n°14, ayant constaté que le lot n°1 avait déjà été attribué. Elle a également augmenté sa demande de dommages-intérêts.

Arguments de l’entreprise candidate

L’entreprise candidate a soutenu que la résiliation qui avait conduit à son exclusion n’était pas fondée, car l’ancien gérant, responsable des manquements, n’était plus impliqué dans la société. Elle a également fourni des preuves de mesures organisationnelles mises en place pour éviter de futurs problèmes.

Position de la société acheteuse

La société acheteuse a contesté la recevabilité des demandes de l’entreprise candidate, arguant que la procédure pour le lot n°14 avait été déclarée sans suite en raison de l’absence d’offres. Elle a également demandé des dommages-intérêts pour procédure abusive, affirmant que l’entreprise candidate n’avait pas démontré qu’elle avait pris les mesures nécessaires pour éviter l’immixtion de l’ancien gérant.

Décision du tribunal

Le tribunal a déclaré que la demande de suspension de la procédure de passation du marché était devenue sans objet en raison de la déclaration sans suite du lot n°14. Il a également rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de la société acheteuse, condamnant cette dernière aux dépens et à verser une somme à l’entreprise candidate sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Conclusion

La décision du tribunal a mis un terme à la contestation de l’exclusion de l’entreprise candidate, tout en reconnaissant que la société acheteuse devait assumer les frais de la procédure. La présente ordonnance est exécutoire par provision.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

JUGEMENT RENDU SELON LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE AU FOND
LE 24 Janvier 2025

N° RG 24/02246 – N° Portalis DB3R-W-B7I-Z3DK

N°de minute :

Société LA DUNOISE BTP

c/

S.A. EURE ET LOIR HABITAT

DEMANDERESSE

Société LA DUNOISE BTP
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Eléni LIPSOS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0313, avocat postulant
et par Me Alexandre RIQUIER de l’AARPI Publica Avocats,, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R.014, avocat plaidant

DEFENDERESSE

S.A. EURE ET LOIR HABITAT
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Mathieu KARM de la SCP MERY – RENDA – KARM, avocats au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000040

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : François PRADIER, 1er Vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,

Greffier : Pierre CHAUSSONNAUD, Greffier

Statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 10 Décembre 2024, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour.

EXPOSE DU LITIGE

La société SA EURE ET LOIR HABITAT a lancé une procédure adaptée ouverte pour la passation d’un marché, soumise aux dispositions des articles R2123-1 et suivants du code de la commande publique, relatif à la construction de 22 logements collectifs en deux bâtiments situés [Adresse 5], [Localité 4].

La date limite de réception des offres était fixée au 23 juillet 2024 à 17h00.

L’entreprise LA DUNOISE BTP (anciennement dénommée Entreprise [B] SARL) a candidaté et déposé une offre au titre des deux lots suivants :

– LOT n° 01 : GROS OEUVRE, ECHAFAUDAGE
– LOT n°14: RAVALEMENT

Par un courrier du 25 septembre 2024, la société SA EURE ET LOIR HABITAT a informé la société LA DUNOISE BTP qu’elle était exclue de la procédure de passation en application de l’article L2141-7 du code de la commande publique et de l’article 3.1 du règlement de consultation au motif que, dans les trois dernières années la société LA DUNOISE BTP anciennement la société [B] a été sanctionnée par une résiliation et que ladite société n’a pas pris de mesures concrètes à prévenir toute nouvelle résiliation.

Contestant cette exclusion, la société LA DUNOISE BTP a, par acte en date du 30 septembre 2024, assigné à heure indiquée la société SA EURE ET LOIR HABITAT, devant le Président du tribunal judiciaire, selon la procédure accélérée au fond, aux fins de voir :

– ordonner la suspension de la procédure de passation pour les lots n°1, n°2 et n°3 et de l’exécution de toute décision qui s’y rapporte, et notamment de la décision d’attribution, ainsi que l’annulation de toute décision qui se rapporte à la passation ou à l’attribution du marché pour les lots n°1, n°2 et n°3,

– enjoindre à la société SA EURE ET LOIR HABITAT, si elle décide de poursuivre la procédure, de reprendre cette procédure de passation contestée en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, et en n’excluant pas la candidature de la société LA DUNOISE BTP,

– condamner la société SA EURE ET LOIR HABITAT au paiement de la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi que les entiers dépens.

L’affaire étant venue la première fois à l’audience du 08 octobre 2024, elle a fait l’objet de deux renvois pour permettre aux parties de se mettre en état.

Elle a finalement été évoquée à l’audience du 10 décembre 2024, à l’occasion de laquelle, la société LA DUNOISE BTP a maintenu ses demandes initiales mais seulement pour le lot n°14, faisant observer que le marché avait été conclu pour le lot n°1 le 23 septembre 2024, soit le même jour que la décision d’exclusion. En outre, elle a porté à la somme de 6000 € le montant de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle expose qu’en cours d’instance, elle a appris que le lot n°14 avait été déclaré sans suite pour absence d’offre, étant considéré qu’une telle déclaration n’a pas pour effet, contrairement à la signature du contrat, de rendre irrecevable ses demandes ; qu’à cet égard, la société SA EURE ET LOIR HABITAT ne pouvait procéder à un abandon de la procédure pour absence d’offre, alors qu’elle avait été destinataire d’une offre de sa part.

En second lieu, elle précise que la résiliation prononcée le 21 mai 2024 relative à un marché de construction précédent sur la commune de [Localité 6], ayant servi de fondement à son exclusion du contrat, ne repose sur aucune base contractuelle, légale ou réglementaire, alors que Monsieur [B], dont le comportement serait à l’origine de cette rupture, n’est plus en charge de la gestion de l’entreprise et qu’il ne peut même plus intervenir physiquement ou matériellement sur aucun chantier en qualité de salarié ; que comme l’exige l’article L2141-11 du code de la commande publique, elle a fourni à la société SA EURE ET LOIR HABITAT permettant de démontrer la mise en œuvre de mesures organisationnelles au sein de la société afin que les manquements reprochés à la société [B] par le passé ne se reproduisent plus dans l’exécution du marché auquel elle a candidaté.

La société SA EURE ET LOIR HABITAT a conclu à l’irrecevabilité et au rejet des demandes de la société SARL LA DUNOISE BTP et a sollicité la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile, outre à celle de 8000 € en vertu de l’article 700 du même code.

Elle fait valoir que la contestation portant sur le lot n°14 est devenue de facto sans objet, dans la mesure où le pouvoir adjudicateur a décidé de mettre fin à la procédure de consultation, étant précisé que l’offre de la SARL LA DUNOISE BTP n’avait pas été analysée par la commission de travaux tenue le 19 septembre 2024, compte tenu que sa candidature avait été déclarée irrecevable.

Elle explique ensuite qu’en application de l’article L2141-7 du code de la commande publique et de l’article 3-1 du Règlement de consultation, elle avait la possibilité d’exclure la société SARL LA DUNOISE BTP dans la mesure où au cours des trois années précédentes, elle avait été sanctionnée par une précédente résiliation intervenue le 31 mai 2024 dans le cadre d’un marché de travaux antérieur ; qu’elle avait dû recourir à cette sanction sans mise en demeure au regard du comportement particulièrement grave et inadmissible de l’ancien gérant de cette société, dénommée anciennement SARL [B] de nature à causer une mise en danger grave et avérée du personnel intervenant et avoisinant ; que c’est pour ces raisons qu’elle a demandée à la société SARL LA DUNOISE BTP de produire tous éléments de fait et de droit de nature à démontrer que Monsieur [M] [B] n’avait plus aucun lien avec elle ; que si la société a changé de dénomination et a procédé à la désignation d’un nouveau gérant, il s’avère que Monsieur [B] en est devenu l’associé quasi unique au travers de deux sociétés holding, de sorte que la société SARL LA DUNOISE BTP ne démontrait pas qu’elle avait pris les mesures organisationnelles suffisantes pour la garantir de tout risque d’immixtion de la part de cette personne ; qu’au demeurant , celui-ci continue à s’ingérer dans la procédure de passation des marchés auxquels a candidaté la SARL DUNOISE BTP.

Conformément aux articles 455 et 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.

PAR CES MOTIFS

Statuant par décision mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DISONS que la demande en suspension de la procédure de passation du marché émanant de la société LA DUNOISE BTP est devenue sans objet, au regard de la déclaration sans suite quant à l’attribution du lot 14 ;

DISONS qu’il n’y a pas lieu à statuer sur la demande tendant à enjoindre à la société EURE ET LOIRE de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence si celle-ci décidait de poursuivre la procédure ou de reprendre celle-ci ;

DÉBOUTONS la société LA DUNOISE BTP de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNONS la société LA DUNOISE BTP à payer à la société SA EURE ET LOIR HABITAT la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

REJETONS la demande de la société LA DUNOISE BTP émise de ce chef ;

CONDAMNONS la société LA DUNOISE BTP aux entiers dépens de l’instance

RAPPELONS que la présente décision est exécutoire par provision.

FAIT À NANTERRE, le 24 Janvier 2025.

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT
Pierre CHAUSSONNAUD, Greffier
François PRADIER, 1er Vice-président

 


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