Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Marseille
Thématique : Responsabilité médicale et indemnisation des préjudices corporels : enjeux et perspectives.
→ RésuméContexte médical et intervention chirurgicaleM. [D] [I] a subi une opération en 1994 pour un spondylolisthésis L5-S1 de grade 3. À partir de mars 2013, il a commencé à ressentir des douleurs cervico-brachiales bilatérales importantes, accompagnées de dysesthésies. En 2018, il a consulté le Dr. [P], neurochirurgien, qui a recommandé une intervention chirurgicale pour décompression par arthrodèse de C5/C6 et C6/C7. L’opération a eu lieu le 27 novembre 2018 à la Clinique [3]. Conséquences post-opératoiresAu réveil, M. [I] a présenté une hémiparésie gauche et des dysesthésies dans les quatre membres. Un examen IRM a conduit à une nouvelle intervention chirurgicale, une laminectomie complémentaire. Après cette seconde opération, il a conservé des séquelles neurologiques et psychiatriques, notamment une parésie distale des membres supérieurs et une impotence fonctionnelle des membres inférieurs. Expertise judiciaire et conclusionsEn décembre 2020, M. [I] a obtenu la désignation d’un expert judiciaire, le Dr [U] [V], qui a conclu en octobre 2021 que les soins prodigués par le Dr [P] étaient conformes aux normes médicales. L’expert a qualifié l’accident de thérapeutique d’aléa, précisant que les complications neurologiques étaient rares, à hauteur de 0,2 % des cas. Demandes d’indemnisationEn mars 2023, M. [I] a assigné l’ONIAM, la CPAM des Bouches du Rhône et la société GAN EUROCOURTAGE pour obtenir réparation de son préjudice. Il a réclamé des sommes pour divers postes de préjudice, incluant des frais d’assistance, des pertes de gains, et des préjudices esthétiques et fonctionnels. Réponse de l’ONIAML’ONIAM a reconnu son obligation d’indemnisation mais a contesté le montant des demandes de M. [I], proposant des montants inférieurs pour plusieurs postes de préjudice. Il a également souligné que les indemnités perçues par M. [I] de la CPAM et d’autres organismes seraient déduites de l’indemnisation. Évaluation des préjudicesLe tribunal a évalué les préjudices de M. [I] en se basant sur le rapport d’expertise. Les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux ont été chiffrés, incluant des frais divers, des pertes de gains professionnels, et des souffrances endurées. Le total des préjudices a été estimé à 1 013 268,44 €. Décision du tribunalLe tribunal a condamné l’ONIAM à verser à M. [I] la somme de 933 268,44 € en réparation de son préjudice, après déduction d’une provision de 80 000 €. De plus, l’ONIAM a été condamné à payer 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°24/439 du 21 Novembre 2024
Enrôlement : N° RG 23/03460 – N° Portalis DBW3-W-B7H-3EMC
AFFAIRE : M. [D] [I]( Maître Jacques-antoine PREZIOSI de l’ASSOCIATION PREZIOSI CECCALDI ALBENOIS)
C/ ONIAM (la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS)
DÉBATS : A l’audience Publique du 26 Septembre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur
BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 21 Novembre 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
réputée contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEUR
Monsieur [D] [I]
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître Jacques-Antoine PREZIOSI de l’ASSOCIATION PREZIOSI CECCALDI ALBENOIS, avocats au barreau de MARSEILLE, vestiaire : 15032023
CONTRE
DEFENDEURS
LA CPAM DES BOUCHES DU RHONE, dont le siège social est sis « [Adresse 4]
défaillant
Compagnie d’assurance GAN EUROCOURTAGE, dont le siège social est sis [Adresse 7]
défaillant
ONIAM, dont le siège social est sis [Adresse 9]
représenté par Maître Patrick DE LA GRANGE de la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats au barreau de MARSEILLE
EXPOSE DU LITIGE :
M. [D] [I] a été opéré en 1994 d’un spondylolisthésis L5-S1 de grade 3.
Il a présenté, à compter de mars 2013, des douleurs cervico-brachiales bilatérales importantes associées à des dysesthésies.
Il a consulté le Dr.[P], neurochirurgien les 27 août et 24 octobre 2018 qui a posé l’indication opératoire proposant un geste de décompression par arthrodèse de C5/C6 et C6/C7.
Le 27 novembre 2018, le Dr.[P] procédait à cette intervention au sein de la Clinique [3] à [Localité 5].
Au réveil, M.[I] présentait une hémiparésie gauche nette avec des dysesthésies des quatre membres.
Un examen IRM était réalisé en urgence et conduisait l’équipe soignante à pratiquer un nouveau geste chirurgical consistant en une laminectomie complémentaire.
L’évolution à l’issue cette seconde intervention chirurgicale était marquée par une parésie distale des deux membres supérieurs prédominant à gauche avec des dysesthésies prédominant du même côté, ainsi qu’une impotence fonctionnelle motrice des membres inférieurs relative prédominant du côté gauche.
Le 4 décembre 2018, M.[D] [I] quittait la Clinique [3] pour la Clinique [8]. Il restait hospitalisé au sein de cet établissement jusqu’au 11 décembre 2018, date à laquelle il commençait sa rééducation en hospitalisation de jour jusqu’au 28 décembre 2018.
Le 16 janvier 2019, M.[I] consultait à nouveau le Dr. [P] qui constatait des dysesthésies hyperpathiques du membre supérieur gauche.
Conservant de nombreuses séquelles, tant sur le plan neurologique, que psychiatrique, M.[I] obtenait la désignation du Dr [U] [V] en qualité d’expert judiciaire par ordonnance en date du 09 décembre 2020.
L’expert déposait son rapport définitif le 26 octobre 2021.
Il concluait que les actes et soins prodigués par le Dr [P] avaient été consciencieux, attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science actuelle et précisait :
« il s’agit d’un aléa thérapeutique, risque inhérent à l’acte médical qui ne pouvait être maîtrisé.
Une atteinte neurologique de la moelle épinière, per et post-opératoire pour la chirurgie rachidienne cervicale ou dorsale est une complication possible, rare pour ne pas dire exceptionnelle référencée dans la littérature, à hauteur de 0.2% des cas. »
Par ordonnance en date du 23/09/2022 le juge des référés condamnait l’ONIAM à verser à Monsieur [I] une provision de 80 000 €.
***
Par actes en date des 03 et 15 mars 2023, M.[D] [I] a assigné devant le tribunal de céans la CPAM des Bouches du Rhône, la société GAN EUROCOURTAGE et l’ONIAM aux fins de :
– Condamner l’ONIAM à lui verser les sommes suivantes en réparation du préjudice subi du fait de l’accident médical survenu le 27 novembre 2018 :
> Au titre des frais d’assistance à expertise : 2 760 €
> Au titre des pertes de gains actuels : 91 276.53 €
> Au titre des pertes de gains futurs : 537 730.24 € dont à déduire la pension d’invalidité
> Au titre de l’incidence professionnelle : 281 545.34 €
> Au titre de l’aide humaine :
-› Échue : 114 300 € à parfaire par une somme de 75 € par jour à compter du 02/03/2023 et jusqu’à la date de la décision à intervenir
-› à échoir : 946 158 €
> Au titre du déficit fonctionnel temporaire : 11 325 €
> Au titre des souffrances endurées : 20 000 €
> Au titre du préjudice esthétique temporaire : 5 000 €
> Au titre du déficit fonctionnel permanent : 104 000 €
> Au titre du préjudice d’agrément : 30 000 €
> Au titre du préjudice esthétique permanent : 4 000 €
> Au titre du préjudice sexuel : 20 000 €
> Au titre des dispositions de l’article 700 du CPC : 3 000 €
– Assortir les sommes allouées en principal des intérêts au taux légal à compter de la demande en Justice le 13 décembre 2016, et ordonner la capitalisation des intérêts par année entière à compter de cette même date, en application des dispositions de l’article 1343-2 du Code Civil ;
– Condamner l’ONIAM aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 21 février 2024, M.[D] [I] maintient ses demandes.
Il fait valoir que l’ensemble des critères énoncés par le législateur nécessaire à une demande indemnitaire au titre de la solidarité nationale à charge de l’ONIAM sont remplis ; que l’intervention chirurgicale litigieuse est postérieure au 5 septembre 2001 ; que le taux de déficit fonctionnel permanent retenu par l’expert est de 40% ; que cet accident médical est en lien avec ses préjudices.
Par conclusions signifiées le 05 janvier 2024, l’ONIAM demande au tribunal de :
– Constater qu’il ne conteste pas son obligation indemnitaire au profit de M.[I] au titre de l’aléa thérapeutique survenu lors de l’intervention du 27 novembre 2018 ;
– Réduire le montant de l’indemnisation provisionnelle de M.[I] à de plus justes proportions, dans la limite des montants suivants :
> Frais d’assistance à expertise : 700 €
> Assistance tierce personne temporaire : rejet et subsidiairement 18 174 €
> Perte de gains professionnels actuels : rejet
> Perte de gains professionnels futurs : rejet
> Incidence professionnelle 20 000€
> Perte de droits à la retraite : rejet
> Assistance tierce personne permanente : rejet et subsidiairement pour la période échue 38 818€ et pour la suite rente trimestrielle de 2 678€
> Déficit fonctionnel temporaire : 5 144 €
> Souffrances endurées : 10 000 €
> Préjudice esthétique temporaire : 2 000 €
> Déficit fonctionnel permanent : 60 913 €
> Préjudice esthétique permanent : 2 126 €
> Préjudice d’agrément : 6 000 €
> Préjudice sexuel : 8 000 €
– Déduire du montant qui sera alloué à M.[I], les sommes éventuellement perçues en application d’un contrat de garantie des accidents de la vie ;
– Déduire du montant qui sera alloué à M.[I], la provision de 80.000 € versée en exécution de l’ordonnance de référé en date du 23 septembre 2022 ;
– Débouter M.[I] de sa demande formulée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens ;
– Rejeter toute autre demande.
L’ONIAM soutient qu’il a son propre référentiel d’indemnisation ; que cet outil propose une grille d’évaluation pour chacun des postes de préjudices prévus par la nomenclature Dintilhac ; que son application, dans le cadre d’une indemnisation par la solidarité nationale, qui impose un traitement égalitaire des victimes du service public hospitalier et du service privé de santé sur l’ensemble du territoire, est particulièrement légitime; que la version revalorisée au 1er avril 2022 de ce référentiel a été approuvée par le conseil d’administration de l’ONIAM avec le vote favorable des associations représentatives des patients et victimes ; qu’il s’oppose à l’application du barème de capitalisation paru en 2022 à la Gazette du Palais sollicité par M.[I] qui n’a rien d’officiel, la Gazette du Palais étant une revue d’analyse, de veille juridique et judiciaire, organisée par domaines de spécialisation. Il rappelle que les indemnités qui ont pu être versées tant par la CPAM que par tout organisme de protection complémentaire ou garantie accident de la vie seront déduites de l’indemnisation qui lui sera allouée par le tribunal et ne pourront donner lieu à aucune prise en charge par l’ONIAM.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures susvisées.
Citées à personnes morales, ni la CPAM des Bouches du Rhône, ni la compagnie d’assurances GAN COURTAGE n’ont constitué avocat.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 09 septembre 2024, et l’affaire renvoyée à l’audience de plaidoirie du 26 septembre 2024. Elle a été mise en délibéré au 21 novembre 2024.
PAR CES MOTIFS :
LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire, en matière civile ordinaire, en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
EVALUE le préjudice corporel de M.[D] [I], ainsi qu’il suit :
– frais divers………………………………………………………………………………………..2 760,00€
– tierce personne temporaire………………………………………………………………..28 000,00€
– pertes de gains professionnels actuels…………………………………………………73 183,83€
– tierce personne permanente………………………………………………………………415 296,00€
– pertes de gains professionnels futurs………………………………………………….211 703,61€
– incidence professionnelle…………………………………………………………………100 000,00€
– déficit fonctionnel temporaire……………………………………………………………..11 325,00€
– souffrances endurées………………………………………………………………………..20 000,00€
– préjudice esthétique temporaire……………………………………………………………5 000,00€
– déficit fonctionnel permanent……………………………………………………………102 000,00€
– préjudice esthétique permanent…………………………………………………………….4 000,00€
– préjudice d’agrément………………………………………………………………………..20 000,00€
– préjudice sexuel……………………………………………………………………………….20 000,00€
TOTAL…………………………………………………………………………………………1 013 268,44€
PROVISION A DÉDUIRE………………………………………………………………….80 000,00€
RESTE DU………………………………………………………………………………………933 268,44€
EN CONSÉQUENCE :
CONDAMNE l’ONIAM à payer avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement à M.[D] [I] :
– la somme de 933 268,44€ en réparation de son préjudice corporel, et ce déduction faite de la provision précédemment allouée,
– la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
DÉCLARE le présent jugement commun et opposable à la CPAM des Bouches du Rhône ;
JUGE qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision ;
CONDAMNE l’ONIAM aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Jacques-Antoine PREZIOSI, avocat, sur son affirmation de droit.
AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 21 Novembre 2024
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?