Type de juridiction : Santé | Médecine
Juridiction : Tribunal judiciaire de Dijon
Thématique : Avis négatifs sur Google : liberté d’expression ou dénigrement ?
→ RésuméExposé du LitigeLe patient a été sous les soins du praticien dentaire, à compter du 21 janvier 2020 jusqu’au 31 octobre 2023, après avoir été pris en charge par un autre praticien. Son dossier médical a été restitué le 8 décembre 2023. Publication de l’Avis NégatifLe 26 décembre 2023, le patient a publié un avis négatif sur la page Google Business du praticien dentaire et sur un site spécialisé, exprimant son mécontentement concernant un soin dentaire qu’il a jugé raté et douloureux. Il a décrit des douleurs persistantes et une mauvaise expérience avec le personnel du cabinet dentaire, notamment des difficultés à obtenir un rendez-vous. Demande de Retrait de l’AvisPar l’intermédiaire de son avocat, le praticien dentaire a demandé, par courrier recommandé daté du 22 janvier 2024, au patient de retirer le commentaire. Cette demande est restée sans réponse. Action en JusticeLe praticien dentaire a ensuite engagé une procédure judiciaire le 4 novembre 2024, demandant la suppression de l’avis publié par le patient, ainsi qu’une indemnisation symbolique et des frais de justice. Il a soutenu que les propos du patient étaient mensongers et nuisaient à sa réputation professionnelle. Arguments du Praticien DentaireLe praticien a affirmé que l’intervention contestée avait été réalisée sans douleur et que le patient n’avait pas signalé de problèmes lors des visites suivantes. Il a également souligné que les plaintes du patient concernant des douleurs étaient infondées et que les soins avaient été appropriés. Réponse du PatientLe patient, représenté par son avocat, a demandé le rejet des demandes du praticien et a réclamé des dommages-intérêts pour abus de droit. Il a défendu son droit à la liberté d’expression, arguant que son avis était une critique légitime de son expérience. Décision du TribunalLe tribunal a ordonné au patient de retirer ses avis dans un délai de quinze jours, sous peine d’astreinte, et a condamné le patient à verser une somme au praticien dentaire pour les frais de justice. Les demandes reconventionnelles du patient ont été rejetées, et le tribunal a rappelé que la décision était exécutoire même en cas d’appel. |
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE DIJON
Affaire : Dr [X] [F]
c/
[J] [P]
N° RG 24/00565 – N° Portalis DBXJ-W-B7I-IRGT
Minute N°
Copie certifiée conforme et copie revêtue de la formule exécutoire délivrées le :
à :
Me Jean-Baptiste FAURE – 31Me Maxence PERRIN – 141
ORDONNANCE DU : 19 FEVRIER 2025
ORDONNANCE DE REFERE
Catherine PERTUISOT, 1ère Vice-Présidente du tribunal judiciaire de Dijon, assistée de Josette ARIENTA, Greffier
Statuant dans l’affaire entre :
DEMANDEUR :
Dr [X] [F]
né le [Date naissance 1] 1994 à [Localité 10] (MARNE)
[Adresse 4]
[Localité 7]
représenté par Me Jean-Baptiste FAURE, demeurant [Adresse 5], avocat au barreau de Dijon, postulant, Me Justine DAVENNE, demeurant [Adresse 5], avocat au barreau de Dijon, plaidant
DEFENDEUR :
M. [J] [P]
né le [Date naissance 3] 1972 à
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Jonathan SOUFFIR de la SCP CABINET EVY AVOCATS, demeurant [Adresse 8], avocats au barreau de Paris, plaidant, Me Maxence PERRIN, demeurant [Adresse 9], avocat au barreau de Dijon, postulant
A rendu l’ordonnance suivante :
DEBATS :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 8 janvier 2025 et mise en délibéré à ce jour, où la décision a été rendue par mise à disposition au greffe, ce dont les parties ont été avisées à l’issue des débats.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [J] [P] a été le patient du Dr [X] [F], à compter du 21janvier 2020 jusqu’au 31 octobre 2023, après avoir été celui du Dr [E], auquel le praticien a succédé.
Son dossier médical lui a été restitué le 8 décembre 2023.
Le 26 décembre 2023, M. [J] [P] a publié sur la page Google Business du Dr [X] [F] ainsi que sur le site dentistepro.fr le concernant l’avis suivant:
« Dernier soin raté, extrêmement douloureux et aucune excuse ? Il m’a soigné une dent et la douleur a été terrible malgré les anesthésiques. Douleurs qui ont persistées pendant des mois. Comme si ça n’était pas suffisant, son travail est cassé au bout de deux mois en mangeant du pain de mie grillé ! Selon lui certainement à cause d’une “bulle”. Il ne s’est même excusé ! Bah non évidemment c’était pas de sa faute mais celle d’une “bulle”. J’ai essayé de prendre un rdv entre juillet et septembre 2023. Aucune réponse à mes appels. Enfin on m’a répondu c’est une nouvelle assistante qui m’a expliqué que ce n’était pas de sa faute et alors que je l’appelais depuis trois mois pour avoir un rdv, j’allais devoir attendre un mois de plus faute de place. Cette même personne qui avait dit qu’elle m’enverrait un e-mail pour me donner un rdv rapide une fois que sur que le dentiste aurait consulté ma radio, ne m’a évidemment jamais envoyé d’e-mail. Il a fallu que je rappelle moi-même, 7 ou 8 fois pour que ça décroche enfin, pour m’entendre dire qu’elle m’avait soi-disant appelé et n’avait pas laissé de message. Et pour elle tout est normal. C’est de ma faute. Je m’arrête là sur mes péripéties avec elle et ce cabinet qui furent bien plus nombreuses et tout aussi ubuesques. Bref, ces gens se pensent compétents et en plus ou prennent de haut. À vous de vous faire votre opinion. »
Par courrier de son avocat, daté du 22 janvier 2024 et adressé par voie recommandée avec accusé de réception, le Dr [X] [F] a vainement demandé à M.[J] [P] de retirer ledit commentaire.
Par acte de commissaire de justice en date du 4 novembre 2024, le Dr [X] [F] a attrait devant cette juridiction M. [J] [P] aux fins de voir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– juger recevable et bien fondée sa demande ;
– ordonner la suppression, dans un délai de 15 jours suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, du commentaire publié par le défendeur sur les pages Google business et dentistepro.fr le concernant, le tout sous astreintes de 50 € par jour de retard ;
– condamner M. [J] [P] à lui verser la somme de l’euro symbolique à titre de dommages-intérêts ainsi qu’à la somme de 1000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Il s’est prévalu des dispositions de l’article 835 alinéas du code de procédure civile et 1240 du code civil. Il a prétendu que M. [P], qui a tenu des propos mensongers, ne reposant sur aucune base factuelle et jetant le discrédit sur la qualité de l’exercice de son art, s’est ainsi livré à une opération de dénigrement. Il a fait valoir que le dénigrement se distingue de la diffamation et doit être soumis au régime de la responsabilité délictuelle.
Il a mis en exergue que l’intervention relative à l’onlay dont l’efficacité est décriée a eu lieu le 15 juin 2022, sans qu’aucune douleur ne soit alors évoquée, ni davantage dans l’année qui a suivi, si bien qu’aucun anesthésique, ni aucun antalgique ne se devaient d’être prescrits.
Il a exposé les avant-derniers soins prodigués au défendeur, soulignant qu’ils avaient pris place le 16 octobre 2023 au titre du motif annoncé de “contrôle annuel”, à l’occasion duquel il a constaté la perte de l’ onlay posé sur la dent N°47 lors du rendez-vous du 15 juin 2022. Il a dit qu’il n’avait alors réalisé qu’ un pansement provisoire et qu’il avait été retenu qu’une nouvelle intervention s’avérait nécessaire rapidement, pour poser un nouvel onlay à titre gratuit.
Il a ajouté que le dernier rendez-vous avait eu lieu le 31 octobre 2023 ensuite de la perte d’une obturation sur la dent N°15 opérée par son prédecesseur et à l’issue duquel avait été prescrit la réalisation d’un scanner, scanner analysé dès le 9novembre 2023, toutes actions engagées sans soins invasifs. Il a dit qu’il avait alors projeté une intervention globale d’1 heure 30 et que la fixation du rendez-vous avait été difficilement fixé à février 2024.
S’il a admis qu’il pouvait être ardu de prendre rendez-vous auprès de son cabinet, notamment parce que son agenda est rempli à six mois, il a mis en exergue que les appels dont se prévaut le demandeur n’ont été tentés qu’entre les mois de juillet et décembre 2023, alors que les actes qui auraient pu être traumatiques et la perte de l’onlay auraient eu lieu respectivement en juin et en septembre 2022.
À l’audience du 8 janvier 2025, le Dr [X] [F], représenté par son conseil, a renouvelé les termes de son acte introductif d’instance. Il a conclu au rejet de la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formulée du chef de l’abus de procédure. Mettant en exergue leur manque de base factuelle et de mesure, il a dénié que les propos de M. [P] s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et relèvent de la liberté d’expression.
Il a exposé la chronologie de ses interventions sur la défendeur. Il a répliqué que celui-ci ne peut valablement soutenir que des actes invasifs et douloureux ont été réalisés lors de son dernier rendez-vous. Il a souligné que les actes préparatoires à la pose de l’onlay sont effectivement invasifs mais ont eu lieu en juin 2022, à l’occasion du rendez-vous précédant celui de la pose. Il a fait valoir qu’il n’a jamais été avisé de la perte de cette prothèse avant le rendez vous dont l’ objet déclaré de contrôle annuel. Il a souligné que le patient ne lui avait déclaré que la perte de l’onlay était intervenue en septembre 2023.
Il a mentionné la patience et la pédagogie développée pour la prise en charge de ce patient, dont son prédecesseur avait noté au dossier médical qu’il était “anxieux”.Il a fait état du caractère récent de sa prise en charge au titre d’un stress post traumatique allégué.
Il a cité de multiples avis de la même veine, délivrés par le défendeur s’agissant des commerçants ou autres thérapeutes.
Il a rétorqué qu’il est légitime de demander la suppression de dires mensongers pour rétablir la vérité et que par ailleurs M. [P] ne démontre l’existence d’aucun préjudice.
M. [J] [P], représenté par son conseil, a sollicité :
– le rejet des demandes soutenues par le Dr [X] [F] ;
– la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et financier causé par l’abus de droit d’agir en justice, ainsi que la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il a soutenu avoir livré son opinion légitimement partagée dans le cadre de son droit à la liberté d’expression. Il a argué de l’absence de preuve inverse du caractère mensonger de ses propos. Il a prétendu que l’avis publié discuté relève de la libre critique et ne constitue, ni un trouble manifestement illicite, ni un acte de dénigrement. Il a fait valoir qu’il se contente de relater l’expérience vécue avec le Dr[X] [F], en l’absence de toute intention diffamatoire ou injurieuse, ni de volonté de nuire. Il a mis en exergue que le praticien échoue à rapporter la preuve inverse.
Il a exposé que les soins de juin 2022, soit l’intervention consistant en la pose de l’onlay, prothèse dentaire, lui ont causé des douleurs insoutenables, qui n’ont pas été soulagées par injection supplémentaire d’anesthésiant, en dépit de ses réclamations réitérées. Il a répliqué prouver que des actes invasifs sont alors réalisés. Il a prétendu que les douleurs ont persisté jusque début 2023, l’empêchant d’avoir une alimentation normale, et que ses multiples appels au cabinet dentaire sont restés infructueux. Il a ajouté qu’il a tardé à solliciter le cabinet, dès lors qu’il ressentait encore les effets péjoratifs de cette séance de soins douloureuse. Il a dit avoir été contraint de recourir à une thérapie EMDR pour soigner les stress post traumatique qui en est issu. Il a assuré avoir perdu l’onlay dès le mois de septembre 2022 , en mangeant du pain. Il a précisé avoir ressenti des douleurs à d’autres dents pour lesquelles la prise de rendez-vous avait nécessité de multiples appels de sa part et à l’occasion desquels il avait été de nouveau exposé aux nombreux atermoiements du personnel du cabinet. Il a soutenu que celui-ci, indifférent à ses douleurs, ne respectait pas les engagements annoncés de le rappeler rapidement, ensuite de soins provisoires et d’examens complémentaire devant être soumis à l’analyse du Dr [X] [F], analyse réalisée sans diligence. Il a critiqué la durée de soins excessive proposée ensuite de la reprise de contact. Il s’est prévalu de sa seule demande de restitution de sa radio panoramique qui a été sanctionnée par la restitution de son dossier médical et le refus du praticien à le conserver comme patient. Il a discuté la valeur probante des attestations adverses.
Au titre de sa demande reconventionnelle, il a excipé de la volonté adverse de le réduire au silence en le dissuadant d’exprimer librement son opinion, pourtant protégée par les dispositions de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme.
PAR CES MOTIFS:
Statuant en référé par ordonnance contradictoire, et en premier ressort, par mise à disposition au greffe :
Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront,
Mais dès à présent,
Ordonnons à M. [J] [P] de procéder au retrait de ses deux avis respectivement publiés sur la page Google Business du Dr [X] [F] ainsi que sur le site dentistepro.fr à la page concernant le Dr [X] [F], le tout sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente décision ;
Condamnons M. [J] [P] à verser au Dr [X] [F] une somme de 1 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [J] [P] de l’intégralité de ses demandes reconventionnelles principale et accessoire ;
Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire par provision même en cas d’appel ;
Condamnons M. [J] [P] aux dépens
Le Greffier Le Président
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