Tribunal judiciaire de Créteil, 8 avril 2025, RG n° 23/00122
Tribunal judiciaire de Créteil, 8 avril 2025, RG n° 23/00122

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Créteil

Thématique : Reconnaissance de la faute inexcusable en matière d’accident du travail

Résumé

Un salarié de la société [14], engagé en tant que préparateur approvisionneur, a subi un accident du travail le 6 septembre 2019. L’accident, survenu sur son lieu de travail, a été déclaré par l’employeur le 19 septembre 2019, précisant que le salarié a ressenti une douleur à l’épaule droite en tentant de tirer un rolls. Aucun témoin n’a été mentionné dans la déclaration. Un certificat médical a confirmé une tendinopathie de l’épaule droite, et la caisse a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle. Le taux d’incapacité a été fixé à 18% puis réduit à 10% par un jugement ultérieur.

Le salarié a saisi le tribunal judiciaire de Créteil le 6 février 2023, demandant la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Lors de l’audience, il a soutenu que l’accident était dû à la défectuosité d’un rolls, dont l’employeur aurait eu connaissance. Il a affirmé que des alertes avaient été émises concernant la sécurité des rolls, mais que l’employeur n’avait pas pris les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des travailleurs.

De son côté, l’employeur a contesté les circonstances de l’accident, arguant que la déclaration du salarié ne mentionnait pas de défaillance du rolls. Il a également souligné qu’aucun témoin n’avait corroboré les dires du salarié concernant la bascule du rolls. Le tribunal a examiné les attestations de collègues, mais celles-ci n’ont pas apporté de preuves suffisantes concernant les circonstances précises de l’accident.

Finalement, le tribunal a conclu qu’aucune faute inexcusable de l’employeur n’était établie, déboutant ainsi le salarié de ses demandes et le condamnant aux dépens.

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T.J de [Localité 6] – Pôle Social – GREJUG01
N° RG 23/00122 – N° Portalis DB3T-W-B7H-UBSM
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRÉTEIL
Pôle Social
JUGEMENT DU 8 AVRIL 2025
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DOSSIER N° RG 23/00122 – N° Portalis DB3T-W-B7H-UBSM

MINUTE N° Notification
Copie certifiée conforme délivrée par LRAR aux parties.
Copie certifiée conforme délivrée par vestiaire lettre simple.
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PARTIES EN CAUSE :

DEMANDEUR

M. [S] [R], demeurant [Adresse 1]
comparant, assité par Me Sandrine Dos Santos, avocat au barreau de Paris, vestiaire : D1966

DEFENDERESSE

Société [12] [Localité 11], dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Charlotte Cret, avocat au barreau de Paris, vestiaire : P0141

PARTIE INTERVENANTE

[3], sise [Adresse 8]
représentée par Me Virginie Farkas, avocat au barreau de Paris, vestiaire E1748

DEBATS A L’AUDIENCE PUBLIQUE DU 20 FEVRIER 2025

COMPOSITION DU TRIBUNAL:

PRESIDENTE : Mme Valérie Blanchet, première vice-présidente

ASSESSEURS : M. Jean Brillant, assesseur du collège salarié
Mme [Z] [L], assesseure du collège employeur

GREFFIER : M. Vincent Chevalier

Décision contradictoire et en premier ressort rendue au nom du peuple français, après en avoir délibéré le 8 avril 2025 par la présidente, laquelle a signé la minute avec le greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE :
Salarié de la société [14], M.[S] [R], engagé depuis le 17 février 1997, en qualité de préparateur approvisionneur, a été victime le 6 septembre 2019 d’un accident du travail.
La déclaration d’accident établie par l’employeur le 19 septembre 2019 mentionne que le salarié a été victime le 6 septembre 2019 à 11 heures 30, sur son lieu de travail d’un accident « en voulant tirer un rolls, la victime a senti une douleur à l’épaule droite ». Il est précisé qu’il est entré en contact avec le rolls, le siège des lésions est au niveau de l’épaule droite et le salarié a ressenti une douleur.
Il n’est pas mentionné de témoin.
Cet accident a été inscrit sur le registre d’accident du travail bénins en ces termes : « en voulant tirer un rolls, la victime a senti une douleur à l’épaule droite ».
Le certificat médical initial du 19 septembre 2019 constate une « tendinopathie de l’épaule droite ».
L’intéressé a fait parvenir à la caisse un certificat médical de nouvelle lésion prise en charge.
Le 19 novembre 2020, la [4] a notifié à l’employeur sa décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle.
L’état de santé du salarié a été déclaré consolidé au 2 novembre 2021 et son taux d’incapacité a été fixé à 18% pour « limitation moyenne des amplitudes de l’épaule droite avec amyotrophie de l’épaule sur membre dominant ».
Par jugement du 20 mars 2024, dans les rapports de la caisse avec l’employeur, ce taux a été ramené à 10%.
Par requête du 6 février 2023, la victime a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Créteil d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 16 octobre 2024, date à laquelle l’affaire a été renvoyée à la demande des parties à celle du 16 janvier 2025 et enfin à celle du 20 février 2025.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. [R] demande au tribunal de dire que l’accident de travail dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de la société [12] Orly, son employeur, au visa de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, de fixer au maximum la majoration de la rente versée par la [3], avant dire droit, d’ordonner une expertise médicale afin de permettre d’évaluer l’ensemble des préjudices subis, de lui accorder une provision de 8 000 euros à valoir sur le montant de l’indemnité qui lui sera attribuée en réparation de ses préjudices et versée par la caisse, de surseoir à statuer sur la liquidation définitive de ses préjudices et sur l’article 700 du code de procédure civile et d’ordonner l’exécution provisoire de la décision.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société [12] Orly demande au tribunal de débouter M. [R] de ses demandes et, subsidiairement, de limiter le recours de la caisse primaire au taux opposable de 10% retenu par le jugement du 20 mars 2024, d’ordonner une expertise médicale, de débouter le requérant de sa demande de provision et de dire n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
La [4] a oralement demandé au tribunal de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte sur la demande de reconnaissance de faute inexcusable et sur l’évaluation des préjudices. Elle sollicite la réduction du montant de la provision à de plus justes proportions et le bénéfice de son action récursoire à l’encontre de la société [13].

déclaré par la victime n’est pas discuté. Le débat porte exclusivement sur les conditions de la faute inexcusable de l’employeur, la société [13].
Le salarié soutient que l’accident s’est produit parce qu’il a chargé des colis un rolls dont la roue était défectueuse. Le rolls a basculé et il a tenté de le retenir en vain. Il explique que depuis le 3 février 2019, les salariés sont en charge de l’approvisionnement des magasins [10] et que l’employeur a mis à leur disposition des chariots de préparation de commande qui pèsent entre 150 et 200 kilos. Il explique que l’accident est lié à la défectuosité du rolls qui était connue par l’employeur. La défectuosité des rolls est à l’origine de nombreux accidents du travail qui ont fait l’objet d’alertes auprès du [5]. Alors que le risque de défectuosité de la roue était connu par l’employeur, il n’a pris aucune mesure pour qu’il travaille en sécurité. Il ajoute que l’employeur n’a pas produit le document unique d’évaluation des risques, et qu’il n’a pas mis en œuvre l’ensemble des mesures qui s’imposaient pour s’assurer de la fiabilité des rolls à supporter leur poids de charge.
L’employeur soutient en substance que les circonstances de l’accident ne sont pas déterminées, que le salarié a été victime d’un accident du travail mais qu’il n’est pas établi que cet accident a pour origine la défectuosité d’une roue du rolls. Il relève que la photographie d’un rolls dont la roue est cassée a été prise 3 semaines plus tard, que l’enquête interne diligentée après l’accident ne fait pas état d’une roue cassée pas plus que les comptes-rendus du [5].
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été l’origine déterminante de l’accident du travail subi par le salarié, il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes, y compris la faute d’imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.
En l’espèce, l’employeur soutient que les circonstances de l’accident ne sont pas celles avancées par le salarié. Il ressort de la déclaration d’accident du travail établie sur les seuls dires du salarié, en l’absence de témoin, que celui-ci en voulant tirer un rolls, a senti une douleur à l’épaule droite. Dans le registre des accidents de travail bénins, le salarié a déclaré que l’accident s’est produit alors qu’il voulait tirer un rolls. Ce registre, qu’il a signé, ne mentionne à aucun moment une quelconque défectuosité du chariot au niveau de la roue.

Bien plus, alors que le salarié explique à l’audience que des collègues se situaient en hauteur au niveau de l’installation du monte-charge, aucun témoin ne vient étayer les déclarations du salarié selon lesquelles le roll aurait basculé.

La photographie d’un roll dont la roue est défectueuse n’a pas été prise le jour de l’accident mais le 4 février 2021 et le 8 octobre 2019.

M [F] [O] fait état dans son attestation du 7 février 2025 que « dès les premières semaines d’activité sur la plate-forme [10], nous avons rencontré des problèmes avec les rolls, car les chauffeurs livreurs ne ramenaient pas les rolls expédiés mais en récupéraient d’autres dans divers magasins. La majorité des rolls était défaillant : roue cassée, ridelles tordues avec des hauteurs différentes. Cela a engendré de nombreux problèmes dans notre travail quotidiennement et a conduit à des accidents de travail. Nous avons signalé ces problèmes à plusieurs reprises à nos responsables ».

Dans son attestation du 10 mars 2021, M. [K] [C] fait également état d’un accident du travail dont il a été victime le 7 mars 2021 sans indiquer les circonstances de cet accident.

Dans son attestation du 10 mars 2021, M. [T] [A] indique qu’il a été victime d’un accident du travail le 15 septembre 2019 alors qu’il occupait le même poste que le requérant et qu’il a averti ses supérieurs sur les rolls défaillants et notamment en réunion du [7].

Le tribunal relève que ces attestations générales n’apportent aucun élément sur les circonstances précises de l’accident dont a été victime M. [R] et n’établissent pas que la tendinopathie de l’épaule attribuée dans le certificat médical du docteur [I] du 4 octobre 2019 à « une scapulalgie droite survenue après effort il y environ un mois » dont il souffre a pour origine une défaillance du roll.

Dans le procès-verbal du [5] du 31 mai 2019, est essentiellement évoquée la montée en flux de marchandises, les surstocks, le taux d’occupation des entrepôts en février et avril 2019 mais aussi le fait qu’à compter du 8 mai 2019, le stock est devenu en dessous de la capacité de stockage suite à la mise en place du débord sur Marne avec une capacité de 1 000 palettes.

Dans le procès-verbal du comité social et économique du 23 octobre 2019, tenu immédiatement après l’accident, qui mentionne M. [R] en qualité de membre titulaire représentant au [7], il n’est pas noté de questions particulières relatives à l’organisation du travail ou aux techniques de production.

Le procès- verbal du CSE du 18 décembre 2019 fait état d’une démutualisation [9] [10], celui du 28 avril 2020, de la mise en place d’une équipe de nuit pour ranger les chambres saturées, garantir la fluidité dans la circulation, réduire le taux de rupture (avec moins d’accidents de travail à la clé).

La circonstance que l’employeur procède régulièrement au changement des roues pour lesquels les justificatifs d’achat sont produits ne fait que traduire la nécessité et la réalité de travaux de maintenance lorsque les chariots reviennent de chez les clients, lorsqu’ils sont triés. Les allégations du salarié qui soutient qu’il travaillait dans des conditions dégradées, avec du matériel vétuste, sur un sol recouvert de givre ne permettent pas de caractériser avec certitude les circonstances précises de l’accident telles qu’il les décrit le jour de l’accident.

Compte tenu de ces éléments, le tribunal en déduit que la preuve d’une défaillance du roll à l’origine de l’accident n’est pas établie.

Aucune faute inexcusable de l’employeur n’est caractérisée à l’origine de cet accident.

En conséquence, le tribunal déboute M. [R] de ses demandes.
Sur les autres demandes

M. [R] qui succombe est tenu aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

– Déboute M. [R] de ses demandes ;

– Condamne M. [R] aux dépens.

Le Greffier La Présidente

 


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