Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Créteil
Thématique : Responsabilité bancaire et vigilance face aux opérations atypiques
→ RésuméLe 29 septembre 2021, un client de la SOCIETE GENERALE a effectué un virement de 1 935 euros vers une banque en France, suivi d’un second virement de 11 970 euros vers une banque en Espagne le 25 octobre 2021. Le 4 novembre 2021, ce client a déposé une plainte pour escroquerie. En mai 2022, il a demandé à la SOCIETE GENERALE le remboursement de 19 500 euros, demande qui a été refusée par la banque en juillet 2022. En janvier 2023, le client a assigné la SOCIETE GENERALE en justice pour obtenir le remboursement des sommes débitées.
Dans ses conclusions, le client a soutenu que la SOCIETE GENERALE n’avait pas respecté son obligation de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il a affirmé que la banque aurait dû vérifier l’identité des bénéficiaires des fonds et l’informer des risques associés aux virements, notamment en raison des alertes émises par les autorités financières. Il a demandé le remboursement de son investissement, ainsi que des dommages pour préjudice moral. De son côté, la SOCIETE GENERALE a contesté les allégations du client, arguant qu’il n’avait pas prouvé l’existence d’une escroquerie et que les virements avaient été effectués conformément aux ordres donnés. La banque a affirmé qu’elle avait respecté ses obligations et que le caractère inhabituel des virements ne constituait pas une anomalie nécessitant une intervention de sa part. Le tribunal a finalement rejeté les demandes du client, considérant que la SOCIETE GENERALE n’avait pas manqué à ses obligations de vigilance et d’information. Le tribunal a condamné le client aux dépens et à verser une somme à la banque au titre des frais de justice. |
MINUTE N° :
JUGEMENT DU : 04 Avril 2025
DOSSIER N° : N° RG 23/00222 – N° Portalis DB3T-W-B7H-T4LG
AFFAIRE : [W] [E] [T] [D] CS.A. SOCIETE GENERALE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRETEIL
3ème Chambre CIVILE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
PRESIDENT : Madame LAMBERT, Vice-Présidente
ASSESSEURS : M. LUCCHINI, Juge
Mme POURON, Juge
Débats tenus à l’audience publique du 27 janvier 2025 devant Madame LAMBERT RAPPORTEUR qui en a fait rapport et en a rendu compte au Tribunal en cours de délibéré, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Avec la collaboration de Mme CHATER, Attachée de justice
GREFFIER :
lors des débats : Madame MATHIEU
lors du prononcé : Mme REA
PARTIES :
DEMANDEUR
M. [W] [E] [T] [D]
né le 08 juin 1970 à [Localité 5], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Julie CERMAN, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, avocat postulant, vestiaire : PC 421, Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DEFENDERESSE
S.A. SOCIETE GENERALE, dont le siège social est sis [Adresse 2] FRANCE
représentée par Me Etienne GASTEBLED, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0077
Clôture prononcée le : 12 septembre 2024
Débats tenus à l’audience du : 27 janvier 2025
Date de délibéré indiquée par le Président : 04 avril 2025
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe du 04 avril 2025.
EXPOSE DU LITIGE
Le 29 septembre 2021, M. [W] [E] [T] [D] a procédé à un virement à partir de son compte ouvert dans les livres de la SOCIETE GENERALE pour un montant de 1935 euros vers une banque établie en France. Le 25 octobre 2021, il a réalisé un second virement d’un montant de 11 970 euros vers une banque établie en Espagne.
Le 4 novembre 2021, M. [W] [E] [T] [D] a déposé une plainte auprès du commissariat de [Localité 6] pour escroquerie.
Par courrier du 20 mai 2022, M. [W] [E] [T] [D] a adressé un courrier à la SOCIETE GENERALE demandant la restitution de la somme de 19 500 euros. La SOCIETE GENERALE a refusé de faire droit à la réclamation de son client par un courrier du 12 juillet 2022.
Suivant assignation délivrée le 30 janvier 2023, M. [W] [E] [T] [D] attrait la SOCIETE GENERALE devant le de [Localité 4] aux fins de la voir condamnée au remboursement des sommes débitées.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 juillet 2024, M. [W] [E] [T] [D] demande à la juridiction, au visa des directives européennes n°91/308/CEE, n°2001/97/CE, n°2005/60/CE, n°2015/849 et n°2018/843 et des articles 1240 et 1241, 1231-1, 1104 et 1112-1 du code civil, de :
« A TITRE PRINCIPAL :
Juger que la Société Générale n’a pas respecté son obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
Juger que la Société Générale est responsable des préjudices subis par Monsieur [T] [D].
A TITRE SUBSIDIAIRE :
Juger que la Société Générale a manqué à son devoir général de vigilance.
Juger que la Société Générale est responsable des préjudices subis par Monsieur [T] [D].
A TITRE PLUS SUBSIDIAIRE :
Juger que la Société Générale n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Monsieur [T] [D].
Juger que la Société Générale est responsable des préjudices subis par Monsieur [T] [D].
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
Condamner la Société Générale à rembourser à Monsieur [T] [D] la somme de 13.905 €, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner la Société Générale à verser à Monsieur [T] [D] la somme de 2.781 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la Société Générale à verser à Monsieur [T] [D] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la même aux entiers dépens. »
M. [W] [E] [T] [D] soutient que :
la SOCIETE GENERALE a manqué à son obligation de vigilance au titre des dispositions sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en n’opérant pas de contrôle regard du placement de nature atypique réalisé par son client alors qu’elle aurait dû vérifier l’identité du bénéficiaire des fonds avant leur transmission et alors que les autorités compétentes ont incité les professionnels du secteur financier à la vigilance ;la SOCIETE GENERALE a manqué à son obligation de vigilance au titre des dispositions sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en n’alertant pas son client des risques associés à l’opération alors que l’Autorité des marchés financiers et la Banque de France avaient inscrit l’URL/Mail « [Courriel 7] » dans la liste noire des sociétés faisant l’objet de mise en garde depuis le mois d’août 2021 de sorte que M. [W] [E] [T] [D] aurait pu éviter de subir tout préjudice financier ;la SOCIETE GENERALE a manqué à son obligation de vigilance au titre des dispositions sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en exécutant le virement d’un montant de 11 970 euros en ne réagissant pas après que M. [W] [E] [T] [D] ait relevé le plafond de virement, alors que cette opération nécessite l’intervention de la banque, après avoir été informée du motif du virement que son client a renseigné de sorte que la SOCIETE GENERALE aurait alerté son client des risques auxquels il s’exposait ;la SOCIETE GENERALE a manqué à son obligation de vigilance au titre des dispositions sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en n’opérant aucun contrôle effectif et circonstancié ou en ne sollicitant aucun renseignement auprès de son client face à l’activité inhabituelle du compte de son client alors que les virements du 25 et 29 octobre 2021 ne constituent pas des opérations courantes pour M. [W] [E] [T] [D]. Ainsi, la SOCIETE GENERALE n’a pas réagi face aux nombreuses anomalies de ces opérations lesquelles excèdent les revenus annuels de son client, ne correspondent pas au fonctionnement normal de son compte bancaire au regard du montant, de la répétition, de la destination des fonds et qui présentent un caractère potentiellement frauduleux ;à titre subsidiaire, la SOCIETE GENERALE a manqué à son devoir général de vigilance en ne réagissant pas face aux anomalies apparentes que présentaient les opérations que la banque aurait dû détecter compte-tenu du caractère atypique du placement, des alertes émises par les autorités compétentes et fonctionnement anormal du compte bancaire de son client ;à titre plus subsidiaire, la SOCIETE GENERALE a manqué à son obligation d’information à l’égard de son client en ce que M. [W] [E] [T] [D] n’a pas reçu les informations sur les risques que comporte le placement qu’il souhaitait réaliser ou l’adéquation de l’opération au regard de sa situation financière ;M. [W] [E] [T] [D] a subi un préjudice matériel à hauteur de 13 905 euros résultant des manquements de la SOCIETE GENERALE, laquelle n’a réalisé aucun contrôle et n’a institué aucune mesure de vigilance avant que les paiements ne soient effectués alors qu’elle était en mesure de refuser d’exécuter l’opération ;M. [W] [E] [T] [D] a subi un préjudice moral et de jouissance à hauteur de 2 781 euros en ce qu’il est victime d’une escroquerie que la banque aurait pu empêcher, qu’elle n’a ni soutenu, ni informé son client et qu’il a perdu la totalité de son investissement ;en réponse aux moyens de la SOCIETE GENERALE, M. [W] [E] [T] [D] conteste avoir commis une faute en remettant les fonds aux auteurs de l’escroquerie alors que la banque était en mesure de l’empêcher compte-tenu des alertes émises par l’Autorité des marchés financiers et la Banque de France dès le mois d’août 2021.
Dans ses dernières écritures signifiées par RPVA le 2 mai 2024, la SOCIETE GENERALE demande à la juridiction, au visa de l’article 1240 du code civil et des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, de :
« JUGER que Monsieur [T] [D] ne démontre pas le contexte frauduleux sur lequel il fonde ses prétentions
JUGER que les dispositions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prévues par les articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier sont inapplicables dans le cadre de l’action initiée par Monsieur [T] [D] à l’encontre de SOCIETE GENERALE
JUGER que SOCIETE GENERALE a respecté son obligation d’exécuter les ordres de virement transmis par Monsieur [T] [D]
JUGER que SOCIETE GENERALE n’a, en la circonstance, commis aucune faute susceptible d’avoir engagé sa responsabilité
JUGER que Monsieur [T] [D] ne démontre aucun préjudice indemnisable et, qu’en toute hypothèse, les graves manquements qu’il a commis sont de nature à exonérer totalement SOCIETE GENERALE de toute responsabilité dans les pertes qu’il aurait à déplorer
En conséquence,
DEBOUTER purement et simplement Monsieur [T] [D] de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions
CONDAMNER Monsieur [T] [D] à verser à SOCIETE GENERALE une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Le CONDAMNER aux entiers dépens.
En tout état de cause,
ECARTER l’exécution provisoire de droit, celle-ci n’étant pas compatible avec la nature de l’affaire »
La SOCIETE GENERALE soutient que :
M. [W] [E] [T] [D] n’apporte pas la preuve de l’escroquerie dont il affirme avoir été victime en ce que le seul dépôt de plainte auprès du commissariat de [Localité 6] daté du 4 novembre 2021 ne suffit pas à démontrer qu’il a été victime d’une fraude alors qu’il s’agit d’une condition de l’action en responsabilité engagée contre la banque ;M. [W] [E] [T] [D] n’est pas fondé à invoquer les communications des autorités compétentes pour alléguer un manquement de la banque dès lors qu’il était en possession des informations qui auraient permis à la banque d’établir un lien avec la fraude aux faux placements. De plus, il appartient aux épargnants de faire preuve de vigilance face aux risques de fraudes puisqu’ils disposent des informations leur permettant d’éviter les tentatives de fraudes alors que les établissements bancaires sont tenus à un devoir de non-immixtion ;M. [W] [E] [T] [D] ne peut pas se prévaloir des dispositions sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme pour réclamer des dommages et intérêts en ce qu’ils sont pas applicables aux victimes de fraude ;aucun manquement aux dispositions sur la lutte contre le blanchiment de capitaux n’est imputable à la SOCIETE GENERALE dès lors que l’origine des fonds appartenant à M. [W] [E] [T] [D] est licite de sorte que les opérations en cause ne peuvent pas être qualifiées de blanchiment de capitaux issus de la commission d’une infraction ;la SOCIETE GENERALE s’est conformée à ses obligations en sa qualité de mandataire étant donné qu’elle a exécuté les virements ordonnés par M. [W] [E] [T] [D] par l’intermédiaire de la plateforme en ligne LOGITELNET de sorte qu’il ne peut plus contester ces opérations, devenues irrévocables ;la SOCIETE GENERALE n’a pas commis de manquement à son devoir de vigilance dès lors que les virements ordonnés par M. [W] [E] [T] [D] étaient authentiques, ils ne présentaient donc aucune anomalie obligeant la banque à réagir. Ainsi, le fait que les comptes des bénéficiaires des virements soient domiciliés au sein d’une banque espagnole n’est pas une anomalie en soi. De plus, le montant des virements ne constitue pas une anomalie dès lors que le compte émetteur était suffisamment approvisionné pour effectuer ces opérations. En outre, la banque n’avait pas été informée que les virements ordonnés par M. [W] [E] [T] [D] étaient liés à la société CAPITAL BANK de sorte qu’il ne peut pas reprocher à la SOCIETE GENERALE de ne pas l’avoir alerté sur les risques de ce type de placements. Par ailleurs, M. [W] [E] [T] [D] ne saurait reprocher à la SOCIETE GENERALE de ne pas l’avoir averti des risques encourus au regard du placement alors qu’il n’avait communiqué à sa banque aucune information sur le fait qu’il était en contact avec la plateforme CAPITAL BANK. En outre, dès lors que le plafond de virement est relevé à l’initiative de M. [W] [E] [T] [D], la SOCIETE GENERALE n’avait pas de raison d’intervenir en vertu de son devoir de non-immixtion. Enfin, compte-tenu de l’absence de toute anomalie apparente lors des opérations de virement, la SOCIETE GENERALE n’était pas tenu d’intervenir ;la SOCIETE GENERALE n’était pas tenue à un devoir d’information et de conseil à l’égard de M. [W] [E] [T] [D] en raison de sa qualité de banque teneur de compte. D’abord, la SOCIETE GENERALE n’a pas recommandé le placement à M. [W] [E] [T] [D], lequel a décidé de réaliser ces investissements. Ensuite, M. [W] [E] [T] [D] n’a pas informé la SOCIETE GENERALE de la nature des placements et a fait preuve de négligence en choisissant de placer ces fonds sans avoir rencontré ses interlocuteurs. Enfin, M. [W] [E] [T] [D] n’apporte pas la preuve des anomalies allégués dès lors qu’il n’a pas démontré l’existence de l’escroquerie, il est à l’origine des virements, a approvisionné son compte pour assurer l’exécution des virements, n’a pas informé la SOCIETE GENERALE de la nature des placements réalisés en dehors de la banque ;M. [W] [E] [T] [D] ne justifie d’aucun préjudice indemnisable en ce qu’il n’apporte pas la preuve qu’un avertissement de la SOCIETE GENERALE sur les risques liés à ce type de placements l’aurait dissuadé de demander l’exécution des virements. De plus, il n’apporte pas la preuve du préjudice moral qu’il dit avoir subi et le montant présenté pour évaluer le dommage est déterminé sans en apporter la preuve ;M. [W] [E] [T] [D] a commis des fautes excluant la responsabilité de la SOCIETE GENERALE en ce qu’il a remis les fonds volontairement à des interlocuteurs qu’il n’avait pas rencontrés en personne et aurait dû être alerté par le fait que les virements devaient être effectués vers des comptes domiciliés en Espagne alors que l’objet du placement consistait à acquérir des actions de la FRANÇAISE DES JEUX ; comte-tenu de la situation financière de M. [W] [E] [T] [D], il existe un risque de non-restitution des sommes payées par la SOCIETE GENERALE en cas d’infirmation d’un jugement favorable au demandeur en appel de sorte qu’il convient d’écarter l’exécution provisoire.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures déposées, en application de l’article 455 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2024, l’affaire a été fixée à l’audience du 27 janvier 2025 et mise en délibéré au 4 avril 2025.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par décision mise à disposition des parties par le greffe et en ressort,
DEBOUTE M. [W] [E] [T] [D] de l’ensemble de ses demandes ;
CONDAMNE M. [W] [E] [T] [D] aux entiers dépens ;
CONDAMNE M. [W] [E] [T] [D] à payer à la SOCIETE GENERALE la somme de 1 000,00 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Fait à [Localité 4], l’an DEUX MIL VINGT CINQ ET LE QUATRE AVRIL
Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier présents lors du prononcé.
Le GREFFIER Le PRÉSIDENT
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