Tribunal judiciaire de Créteil, 4 avril 2025, RG n° 19/00031
Tribunal judiciaire de Créteil, 4 avril 2025, RG n° 19/00031

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Créteil

Thématique : Fixation du loyer commercial : enjeux de déplafonnement et modifications contractuelles.

Résumé

Par acte du 9 septembre 2010, une bailleur a consenti à la SAS MONOPRIX EXPLOITATION un contrat de bail pour des locaux commerciaux, incluant une boutique, un sous-sol et un appartement, pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2008, avec un loyer annuel de 70 000 €. En janvier 2017, la SAS a demandé le renouvellement du bail, et en juin 2019, le bailleur a notifié une demande de fixation du loyer pour le bail renouvelé. En décembre 2019, le bailleur a assigné la SAS devant le tribunal judiciaire de Créteil.

Le tribunal a ordonné une expertise, dont le rapport a été déposé en mars 2024. En décembre 2023, le bailleur a vendu les locaux à la société FONCIERE DU CHATEAU, qui a participé à la procédure. En juillet 2024, le bailleur et la société FONCIERE DU CHATEAU ont demandé au tribunal de fixer le loyer à 109 000 € HT/HC/an, en soutenant que des travaux avaient été réalisés, rendant les locaux indissociables d’autres espaces, et que des modifications légales avaient affecté les obligations des parties.

De son côté, la SAS MONOPRIX EXPLOITATION a demandé que le loyer soit fixé à 76 622 € HT/HC/an, arguant que le plafonnement du loyer était applicable et que les travaux réalisés par le preneur ne justifiaient pas un déplafonnement. Le tribunal a examiné les arguments des deux parties, notamment la question de la monovalence des locaux et des modifications des caractéristiques des lieux.

Finalement, le tribunal a décidé de fixer le loyer du bail renouvelé à 76 622 € HT/HC/an, en considérant que les conditions de déplafonnement n’étaient pas réunies et a partagé les dépens entre les parties.

MINUTE N° :
DOSSIER N° : N° RG 19/00031 – N° Portalis DB3T-W-B7D-RTS4
JUGEMENT DU : 04 Avril 2025
AFFAIRE : [I] [V] épouse [J] CS.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRÉTEIL

TROISIEME CHAMBRE CIVILE – BAUX COMMERCIAUX

JUGEMENT DU 04 AVRIL 2025

M. LUCCHINI, Juge, statuant par délégation du Président du Tribunal et dans les conditions prévues aux articles R 145-23 et suivants du Code de Commerce, assisté de Mme REA, Greffier

PARTIES

DEMANDERESSE

Mme [I] [V] épouse [J], demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Sébastien REGNAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire : K0055

DEFENDERESSE

S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Simon ESTIVAL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire : 1701

L’affaire a été débattue à l’audience du 10 décembre 2024.

Les parties ont été avisées que le délibéré serait prononcé le 21 mars 2025 et prorogé au 04 avril 2025 .

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 9 septembre 2010, Madame [I] [J] née [V] a consenti à la SAS MONOPRIX EXPLOITATION, en renouvellement de deux précédents baux du 15 septembre 1991, puis du 3 décembre 2001, un contrat de bail portant sur les locaux sis [Adresse 6] ([Adresse 8]) comprenant :
– une grande boutique d’une surface d’environ 180 m² au rez-de-chaussée ;
– un grand sous-sol d’une surface d’environ 165 m² ;
– un appartement au premier étage d’une surface d’environ 58 m².

Le contrat de bail a été conclu pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2008 moyennant un loyer annuel 70 000 € en principal.

Par acte extra-judiciaire du 20 janvier 2017, la SAS MONOPRIX EXPLOITATION a demandé à Madame [I] [J] née [V] un renouvellement du bail au 1er juillet 2017.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juin 2019, Madame [I] [J] née [V] a notifié à la SAS MONOPRIX EXPLOITATION un mémoire en fixation du loyer du bail renouvelé.

Suivant assignation délivrée le 13 décembre 2019, Madame [I] [J] née [V] a attrait la SAS MONOPRIX EXPLOITATION devant le tribunal judiciaire de Créteil en fixation du loyer du bail renouvelé.

Par jugement du 18 mai 2021, le Juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Créteil a ordonné une mesure d’expertise. L’expert a déposé son rapport définitif le 14 mars 2024.

Le 6 décembre 2023, Madame [I] [J] née [V] a procédé à la vente des locaux loués à la société FONCIERE DU CHATEAU, participant à la procédure au titre de l’intervention volontaire.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS

Selon mémoire en ouverture de rapport n° 2 notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er juillet 2024, Madame [I] [J] née [V] et la société FONCIERE DU CHATEAU demandent à la juridiction, au visa des articles L.145-33, L.145-34, R.145-10, R.145-3 et R.145-8 du Code de commerce, de :

« Fixer à la somme de 109.000 €/HT/HC/an en principal le loyer du bail renouvelé au 1er juillet 2017 pour les locaux situés [Adresse 4], pris à bail par la société MONOPRIX EXPLOITATION ;

Juger que les rappels de loyer porteront intérêt au taux légal à compter de la demande de Mme [J] ;

Débouter la société MONOPRIX EXPLOITATION de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la société MONOPRIX EXPLOITATION aux entiers dépens qui comprendront les frais de l’expertise éventuelle ».

Madame [I] [J] née [V] et la société FONCIERE DU CHATEAU soutiennent que :

– les locaux donnés à bail ont fait l’objet de travaux par le Preneur les rendant indissociables des autres locaux dont ils dépendent, de sorte que les locaux ne peuvent être affectés à une autre utilisation sans d’importants travaux ;

– en outre, en raison de l’absence de système de chauffage et de climatisation installés au sein de l’immeuble dans lequel sont situés les locaux, des travaux d’installation d’équipements de chauffage et de climatisation sont à prévoir ;

– le sous-sol étant accessible depuis un escalier dépendant d’un autre immeuble, les locaux sont indissociables des autres locaux, de sorte que cette situation de monovalence intégrée des locaux donnés à bail fait obstacle à l’application de la règle du plafonnement ;

– la SAS MONOPRIX EXPLOITATION a réalisé d’important travaux de réaménagement de l’espace de vente pendant la durée du bail, modifiant les caractéristiques des locaux donnés à bail, en améliorant la commodité d’accès pour le public, de sorte que la modification des caractéristiques des locaux constitue un motif de déplafonnement du loyer ;

– une nouvelle obligation légale génératrice de charges pour le Bailleur s’est imposée depuis la dernière fixation du prix du bail, c’est-à-dire le 9 septembre 2010, en ce que la loi du 18 juin 2014 interdit aux Bailleurs de mettre les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du Code civil à la charge des Preneurs, ce qui justifie le déplafonnement du loyer du bail renouvelé dans la mesure où l’imputation de ces charges au Preneur avait été prise en considération lors de la précédente fixation du prix du bail, cette nouvelle obligation légale, d’ordre publique, constituant ainsi une modification notable des obligations des parties en faisant peser le coût, important, des réparations sur le Bailleur ;

– la modification des facteurs locaux de commercialité, en raison de l’augmentation de la fréquentation de la gare située en face des locaux donnés à bail ainsi que des travaux d’aménagements urbains autour de ces locaux, justifie le déplafonnement du loyer.

Selon mémoire en ouverture de rapport n° 1 notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mai 2024, la SAS MONOPRIX EXPLOITATION demande à la juridiction, au visa des articles L. 145-33, L. 145-34, R. 145-2 et suivants, R. 145-23 et suivants et R. 145-31 du Code de commerce, de :

« A TITRE PRINCIPAL :

– CONSTATER la règle du plafonnement édictée par l’article L.145-34 du Code de commerce
applicable.

– FIXER le loyer du bail renouvelé à compter du 1 er juillet 2017 pour les locaux situés [Adresse 3] à la somme annuelle de 76.622 euros hors taxes et hors charges (loyer plafonné).

– REJETER les autres demandes de MADAME [I] [J], NEE [V], et de la société FONCIERE DU CHATEAU.

A TITRE SUBSIDIAIRE :

– FIXER le loyer du bail renouvelé à compter du 1 er juillet 2017 pour les locaux situés [Adresse 3] à la valeur locative annuelle de 91.599,60 euros hors taxes et hors charges (loyer déplafonné).

– ORDONNER que les compléments d’arriérés de loyers, éventuellement dus, porteront intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2019.

– PARTAGER les dépens.

– REJETER les autres demandes de MADAME [I] [J], NEE [V], et de la société FONCIERE DU CHATEAU. »

La SAS MONOPRIX EXPLOITATION soutient que :

– le Bailleur n’est pas fondé à se prévaloir de la monovalence intégrée des locaux en ce qu’il n’apporte pas la preuve que les critères sont réunis :
– s’agissant du critère matériel, les seuls travaux d’importance entrepris par le Preneur ont consisté à créer une ouverture entre deux surfaces de vente, le bailleur pouvant louer les locaux indépendamment en rebouchant l’ouverture,
– s’agissant du critère économique, ce n’est pas le bailleur qui supportera le coût du rebouchage en ce que le contrat de bail prévoit que le bailleur peut imposer au preneur la remise en état des locaux avant son départ ;

– les travaux réalisés par le Preneur au cours du bail échu ne peuvent pas justifier le déplafonnement du loyer en raison de la clause d’accession stipulée dans le contrat de bail ;

– en outre, les travaux réalisés par la SAS MONOPRIX EXPLOITATION, le désamiantage et le réaménagement de l’espace de vente, sont des travaux d’amélioration, n’ayant pas entraîné de changement dans l’état des locaux ;

– de plus, en vertu du contrat de bail, la charge des travaux et des réparations d’entretien des locaux incombe au Preneur ;

– le Bailleur n’est pas fondé à demander le déplafonnement des loyers en raison du transfert de la charge des travaux relevant de l’article 606 du Code civil en ce qu’il ne justifie pas d’une modification notable des obligations des parties résultant de l’obligation légale prévue par la loi du 18 juin 2014, dans la mesure où aucune grosse réparation d’ampleur avant le terme du bail renouvelé n’est démontrée par le Bailleur ;

– le Bailleur n’est pas fondé à demander le déplafonnement du loyer en ce que le rapport d’expertise montre que l’augmentation de la fréquentation de la gare située en face des locaux n’a pas eu d’incidence sur le chiffre d’affaires du commerce exploité par le Preneur.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures déposées, en application de l’article 455 du Code de procédure civile.

L’affaire, appelée à l’audience du 10 décembre 2024 devant le Juge des loyers commerciaux, et mise en délibéré au 21 mars 2025, prorogé au 4 avril 2025, date du présent jugement.

PAR CES MOTIFS

Le Juge des loyers commerciaux, statuant par décision contradictoire mise à disposition des parties par le greffe et en premier ressort,

FIXE à la somme annuelle de 76 622 € hors taxes et hors charges, et à compter du 1er juillet 2017, le loyer du bail renouvelé entre Madame [I] [J] née [V] et la SAS MONOPRIX EXPLOITATION pour les locaux bail sis à [Adresse 11], toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

FAIT MASSE des dépens et ordonne qu’ils soient partagés par moitié entre les parties, en ce compris les frais d’expertise judiciaire ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Fait à [Localité 9], l’an DEUX MIL VINGT CINQ ET LE QUATRE AVRIL

Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier présents lors du prononcé.

LE GREFFIER LE JUGE DES LOYERS COMMERCIAUX

 


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