Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse
Thématique : Clause de prêt en devises : enjeux d’information et de transparence.
→ RésuméLa société Caisse d’épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes a accordé un prêt immobilier à un emprunteur et à son épouse, d’un montant de 445 831 CHF, remboursable sur 25 ans. Ce prêt était garanti par une hypothèque et une caution. En juin 2021, les emprunteurs et la caution ont mis en demeure la banque, lui reprochant un manquement à son obligation d’information, notamment concernant le risque de change. Ils ont ensuite assigné la banque en justice, demandant la nullité du contrat de prêt et des dommages-intérêts.
Le bien financé a été vendu et le prêt remboursé par anticipation en avril 2022. En février 2023, le juge a déclaré irrecevables certaines demandes de nullité, tout en laissant ouverte l’action en responsabilité contre la banque. En avril 2024, le tribunal a ordonné aux parties de mettre leurs conclusions en conformité et a débouté les demandeurs de leur demande d’indemnité. Les demandeurs ont soutenu que la clause sur le risque de change était abusive, arguant qu’elle n’était pas claire et déséquilibrait le contrat. Ils ont également affirmé que la banque avait manqué à son devoir d’information et de conseil, ce qui avait entraîné un préjudice financier. La banque, de son côté, a contesté ces allégations, affirmant avoir fourni des informations suffisantes et que le prêt était adapté à la situation des emprunteurs. Le tribunal a finalement débouté les emprunteurs et la caution de toutes leurs demandes, considérant que la banque avait respecté ses obligations d’information et de conseil. Les demandeurs ont été condamnés à payer des frais à la banque, et le jugement a été déclaré exécutoire à titre provisoire. |
JUGEMENT DU : 4 avril 2025
MINUTE N° : 25
DOSSIER N° : N° RG 21/03443 – N° Portalis DBWH-W-B7F-F3SC
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOURG-EN-BRESSE
CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 4 avril 2025
Dans l’affaire entre :
DEMANDEURS
Monsieur [R] [W] [T]
né le [Date naissance 5] 1987 à [Localité 11]
demeurant [Adresse 2]
Madame [P] [G] [B]
née le [Date naissance 3] 1992 à [Localité 7] (COLOMBIE)
demeurant [Adresse 6]
Madame [N] [Z] [D]
née le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 11]
demeurant [Adresse 2]
représentés par Me Marie-Anne BARRE, avocat au barreau de l’Ain (T. 90), avocat postulant, ayant Me Anne-Sophie RAMOND, avocat au barreau de Paris (T. E0391), pour avocat plaidant
DÉFENDERESSE
CAISSE D’EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DE RHÔNE-ALPES
Société anonyme à directoire et conseil d’orientation et de surveillance, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lyon sous le numéro 384 006 029, représentée par le président de son directoire domicilié en cette qualité au siège social, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Frédéric ALLÉAUME, avocat au barreau de Lyon (T 786)
COMPOSITION DU TRIBUNAL
PRESIDENT : Monsieur THEVENARD, vice-président,
ASSESSEURS : Madame POMATHIOS, vice-présidente, chargée du rapport,
Madame JOUHET, juge,
GREFFIER : Madame BOIVIN,
DÉBATS : tenus à l’audience publique du 28 novembre 2024
JUGEMENT : rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, en premier ressort et contradictoire
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant offre de prêt du 2 août 2013, acceptée le 14 août 2013, la société Caisse d’épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes (la Caisse d’épargne) a consenti à Monsieur [R] [T] et à Madame [P] [G] [B], son épouse, un prêt immobilier “CHF PH TF PRIVILEGE ECH CSTE” numéro 9266370 d’un montant de 445 831 francs suisses, au taux d’intérêt fixe de 2,65 %, remboursable sur 300 mois par échéances trimestrielles, aux fins de financer l’acquisition en l’état futur d’achèvement d’un logement neuf à [Localité 9] (Ain).
Le remboursement du prêt a été garanti par une hypothèque conventionnelle et l’engagement de caution solidaire souscrit par Madame [Y] [L] [Z] [D].
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 14 juin 2021, le conseil de Monsieur et Madame [T] et de Madame [Z] [D] a mis en demeure la Caisse d’épargne d’indemniser Monsieur et Madame [T] d’un montant de 143 341,48 euros, reprochant à la banque d’avoir manqué à son obligation d’information et de conseil à l’égard de ses clients, notamment s’agissant du risque de change.
Par acte d’huissier de justice du 22 décembre 2021, Monsieur et Madame [T] et Madame [Z] [D] ont fait assigner la Caisse d’épargne devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse principalement aux fins de voir déclarer nul le contrat de prêt, ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et condamner la banque à payer à Monsieur et Madame [T] la somme de 143 341,48 euros à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le bien immobilier financé par le prêt litigieux a été vendu et le prêt intégralement remboursé par anticipation le 20 avril 2022 pour un montant total de 328 342,66 CHF.
Par ordonnance du 2 février 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a :
– déclaré prescrite et irrecevable la demande de nullité du contrat de prêt immobilier “CHF PH TF PRIVILEGE ECH CSTE” numéro 9266370 conclu le 14 août 2013 entre la Caisse d’épargne et Monsieur et Madame [T], en ce qu’elle est fondée sur l’obligation de rembourser le prêt dans une monnaie étrangère,
– déclaré prescrite et irrecevable la demande de nullité de la stipulation d’intérêts du contrat de prêt immobilier “CHF PH TF PRIVILEGE ECH CSTE” numéro 9266370 conclu le 14 août 2013 entre la Caisse d’épargne et Monsieur et Madame [T], en ce qu’elle est fondée sur le calcul des intérêts conventionnels sur une année de 360 jours,
– déclaré recevable l’action en responsabilité intentée par Monsieur et Madame [T] à l’encontre de la Caisse d’épargne,
– débouté les parties de leur demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé à chaque partie la charge des dépens exposés à l’occasion de l’incident,
– renvoyé l’affaire à la mise en état électronique du 16 mars 2023,
– invité Maître Alléaume, conseil de la défenderesse, à conclure au fond au plus tard le 13 mars 2023,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par ordonnance du 4 avril 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a :
– ordonné à Monsieur [R] [T], Madame [P] [G] [B] et Madame [Y] [L] [Z] [D] de mettre leurs conclusions au fond en conformité avec les articles 765 et 766 du code de procédure civile, en particulier en actualisant le domicile du demandeur, à peine de radiation de l’affaire du rôle,
– débouté Monsieur [R] [W] [T], Madame [P] [G] [B] et Madame [Y] [L] [Z] [D] de leur demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé à chaque partie la charge des dépens exposés à l’occasion de l’incident,
– renvoyé l’affaire à la mise en état électronique du 16 mai 2024,
– invité Maître Marie-Anne Barre, conseil des demandeurs, à conclure au fond au plus tard le 13 mai 2024.
Dans leurs dernières conclusions (conclusions récapitulatives n° 2), notifiées par voie électronique le 1er mai 2024, Monsieur [R] [T], Madame [P] [G] [B] et Madame [Y] [L] [Z] [D] demandent au tribunal de :
“Vu les motifs exposés, les jurisprudences et les pièces versées aux débats,
(…)
RECEVOIR Monsieur et Madame [T] et Madame [Z] [D] en sa qualité de caution en leurs demandes et les dire bien fondées ;
DEBOUTER la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
SUR LA CLAUSE ABUSIVE
– Vu l’article L212-1 du Code de la consommation
JUGER abusive la clause faisant peser sur l’emprunteur le risque de change du contrat de prêt conclu avec la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES ;
EN CONSEQUENCE
DECLARER ladite clause nulle et non écrite ;
S’agissant d’une clause essentielle du contrat de prêt litigieux,
PRONONCER la nullité du contrat de prêt litigieux,
CONSTATER que les parties doivent être remises en la même situation que si l’opération litigieuse n’avait jamais existé,
ORDONNER la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,
CONSTATER leur compensation à due concurrence ;
SUR L’ACTION EN RESPONSABILITE
– Vu l’article 1382 du Code civil (nouvel article 1240 du Code civil)
A l’égard des emprunteurs :
JUGER que la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES a manqué à son obligation d’information et de conseil à l’égard de Monsieur et Madame [T] ;
CONDAMNER la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES à payer à Monsieur et Madame [T] la somme de 143.341,48 € à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
A l’égard de la caution :
JUGER que la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES a manqué à son obligation de mise en garde et d’information à l’égard de Madame [A] ;
En conséquence,
CONDAMNER la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES à payer à Madame [A] la somme de 14.907,37 € au titre de dommages et intérêts en raison du manquement à son devoir de mise en garde.
PRONONCER la déchéance des intérêts pour les années 2017 à 2020 en raison du manquement à l’obligation d’information annuelle.
En conséquence,
CONDAMNER la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES à restituer le montant des intérêts réglés par Madame [A] en sa qualité de caution, sur la période 2019 à 2020.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
CONDAMNER la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE ALPES payer à Monsieur et Madame [T] et à Madame [A] la somme de 6.000,00 € par application des dispositions de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens ;
PRONONCER l’exécution provisoire du jugement à intervenir.”
Au soutien de leurs prétentions, les demandeurs font valoir notamment que :
– la clause de l’offre de crédit intitulée « DISPOSITIONS PROPRES AUX PRETS EN DEVISES », en ses paragraphes 8.1, 8.2 et 8.3, est abusive en ce qu’elle est ni claire, ni intelligible pour le consommateur ; que la description technique d’un mécanisme complexe, à l’aide d’informations éclatées dans le contrat, sans que les risques ne fassent l’objet d’un avertissement ni même qu’ils soient directement évoqués, ne satisfait pas à l’exigence de transparence ; que la défenderesse n’a, en aucun cas, fourni à Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B] des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives potentiellement significatives d’une telle clause sur leurs obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’Etat où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger ; que tous les risques de change liés à l’augmentation du capital restant dû pèsent contractuellement sur les emprunteurs et que la variation du taux de change a ainsi entraîné une hausse du capital restant dû de 143 341,48 euros ; que la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif entre les parties et ne satisfait pas aux exigences édictées par la CJUE ; qu’elle doit donc être considérée comme abusive et partant réputée non écrite ; qu’au regard de l’arrêt du 30 mars 2022 de la cour d’appel de [Localité 10], et de l’arrêt de la CJUE du 21 septembre 2023, le prêt litigieux doit être déclaré nul du fait de sa clause abusive ; que les parties doivent être remises en la même situation que si l’opération litigieuse n’avait jamais existé et que la Caisse d’épargne est tenue de restituer l’intégralité des sommes par elle perçues dans le cadre du remboursement des échéances par Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B] et à tout autre titre dans le cadre de cet emprunt litigieux,
– s’agissant de la responsabilité de la défenderesse à l’égard de Monsieur [R] [T] et de Madame [P] [G] [B] :
* en 2012, l’Autorité de contrôle prudentiel a émis une recommandation portant sur les informations à communiquer aux potentiels emprunteurs, afin que cette information soit loyale ; que la directive européenne du 4 février 2014, dont l’ordonnance du 25 mars 2016 portant sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation est la transposition en droit français, vise à voir attirer l’attention des emprunteurs sur les évolutions des montants dus de manière concrète par des illustrations chiffrées aussi bien au stade de la conclusion du contrat qu’au stade de son exécution ; qu’en l’espèce, la Caisse d’épargne a manqué à son devoir d’information car elle n’a pas correctement informé Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B] sur les caractéristiques de l’emprunt en francs suisses et notamment sur le risque de voir augmenter de manière considérable la valeur en euros du capital à rembourser, et ce alors qu’ils sont des profanes en la matière,
* la défenderesse a manqué à son devoir de conseil en ne proposant pas à Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B] le crédit le plus adapté à leur situation, le prêt litigieux étant destiné à financer la construction et l’acquisition d’une résidence située en [8] et leurs revenus et leur patrimoine s’évaluant en euros,
* la Caisse d’épargne a manqué à son devoir de mise en garde en n’évaluant pas correctement la situation financière de Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B] et en leur faisant courir un risque d’endettement excessif en les incitant à contracter une opération périlleuse sans attirer leur attention sur les risques et conséquences de celle-ci,
* si Monsieur [R] [T] percevait, au moment de la souscription de l’emprunt, des revenus en francs suisses, celui-ci vivait en France et l’organisme bancaire aurait dû conseiller aux emprunteurs la souscription d’une assurance spéciale contre le risque de perte d’emploi, ainsi que s’assurer que leur refus de souscrire une telle assurance était parfaitement éclairé et ne résultait pas d’un éventuel manque d’information,
* le préjudice résultant d’un défaut d’information et de conseil est la perte de chance de ne pas avoir contracté ou de l’avoir fait à d’autres conditions ; que la variation du taux de change a ainsi entraîné une augmentation du montant du capital restant à rembourser de 143 341,48 euros au titre du contrat de prêt, somme constitutive du préjudice subi par les emprunteurs,
– s’agissant de la responsabilité de la défenderesse à l’égard de Madame [Y] [L] [Z] [D] :
* cette dernière n’a pas été informée, de même que Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B], de l’impact concret de la variation du taux de change euros/francs suisses sur le cours de l’emprunt, notamment sur le risque d’une augmentation du capital à rembourser et partant sur celui d’un surendettement ou a minima d’un allongement de la durée du crédit ; que le cautionnement s’est avéré disproportionné au regard des facultés financières de Madame [Y] [L] [Z] [D] ; qu’en outre, cette dernière n’a pas été mise en garde de l’inadaptation d’un tel prêt toxique aux capacités financières de Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B] ; que Madame [Y] [L] [Z] [D] a dû supporter les mensualités du prêt à compter du premier incident de paiement en mai 2019 jusqu’au rachat du prêt ; que si elle avait été mise en garde du risque d’endettement né de l’octroi du prêt et résultant de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières des emprunteurs, elle ne se serait pas portée caution et n’aurait pas eu à rembourser un prêt qui ne l’intéressait pas personnellement ; que la défenderesse engage donc à ce titre sa responsabilité et est redevable, à l’égard de Madame [Y] [L] [Z] [D], d’une indemnité équivalente aux sommes qu’elle a versées, à savoir 14 907,37 euros,
* en application de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier, Madame [Y] [L] [Z] [D] a reçu des courriers de la Caisse d’épargne contenant l’information annuelle pour les années 2014, 2015, 2016 et 2021, mais non pour les années 2017 à 2020 ; qu’il appartiendra à la défenderesse de justifier qu’elle a satisfait à son obligation, faute de quoi la déchéance du droit aux intérêts devra être prononcée de 2017 à 2020.
Dans ses dernières conclusions (conclusions au fond n° 3), notifiées par voie électronique le 30 mai 2024, la Caisse d’épargne demande au tribunal de :
“Vu les articles 1304, 1907 al 2 et 2224 et suivants du Code Civil,
Vu les articles L 312-8, L 313-1, R 313-1 et suivants du Code de la Consommation,
Vu les article 122 et 789 6° du Code de Procédure Civile,
Vu les pièces énumérées selon bordereau récapitulatif annexé aux présentes,
DEBOUTER Monsieur [R] [T] et Madame [P] [I] [B] ainsi que Madame [N] [Z] [D] de l’ensemble de leurs prétentions,
CONDAMNER solidairement Monsieur [R] [T] et son épouse Madame [P] [I] [B] ainsi que Madame [N] [Z] [D] à payer à la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE ALPES une somme de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi que les entiers dépens.”
Au soutien de ses prétentions, la défenderesse fait valoir notamment que :
– s’agissant de sa prétendue responsabilité envers les emprunteurs :
* l’assurance perte emploi assurance ne fait pas partie des garanties dont la souscription est rendue obligatoire pour obtenir le déblocage des fonds ; qu’elle a en outre remis le 4 juillet 2013 à Monsieur [R] [T] un document intitulé “fiche standardisée d’information valant avis de conseil relatif à un produit d’assurance” détaillant l’éventail des assurances pouvant être souscrites, ainsi que le risque auquel chacune d’entre elles était destinée à faire face selon qu’il s’agissait du décès, de la perte totale et irréversible d’autonomie, de l’incapacité totale de travail mais encore de la perte d’emploi, et qu’à l’issue de l’entretien, ce dernier a exprimé le souhait de ne pas être couvert pour le risque perte d’emploi,
* l’article 8.3 des conditions spécifiques des prêts en devises annexées à l’offre précise ce qu’il en est du risque du change ; que l’octroi d’un prêt dans une devise, remboursable et amortissable dans cette même devise, laquelle correspond à celle dans laquelle les emprunteurs perçoivent leur rémunération, est le choix le plus judicieux ; que, si à la date de souscription du prêt litigieux, les dispositions de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ou de la directive n° 2014/17/UE du 4 février 2014 n’étaient pas applicables, celles-ci n’ont pas prohibé de manière absolue l’octroi d’un prêt en devise, notamment lorsque l’emprunteur perçoit ses revenus dans la devise concernée, ce qui correspond exactement au litige ; qu’au demeurant, elle a remis aux emprunteurs le 1er août 2013 un “tableau de simulation sur le risque de change de crédit en CHF” lequel envisageait l’impact d’une évolution de la parité entre l’euro et le franc suisse entre la signature du prêt et la mise à disposition des fonds, dans l’éventualité où l’emprunteur viendrait à ne plus percevoir de revenus en francs suisses et serait contraint de convertir ses revenus en euros dans ladite devise pour poursuivre le remboursement de son prêt, ainsi que dans l’hypothèse d’un remboursement anticipé total ou partiel en euros et notamment à l’occasion de la vente du bien immobilier pour un montant en euros ne couvrant pas le montant du capital restant dû en francs suisses ; que les demandeurs ne peuvent donc lui reprocher un quelconque manquement à une obligation d’information alors même que celle-ci n’était ni obligatoire à l’époque des faits et qu’elle a même été réalisée,
* l’obligation de mise en garde n’est due, au profit de l’emprunteur non averti, que s’il apparaît que le crédit consenti a été excessif faisant ainsi courir un risque à l’emprunteur, et que la démonstration du caractère excessif de l’emprunt repose sur ce dernier et s’apprécie au jour de l’octroi du financement ; que Monsieur [R] [T] et Madame [P] [G] [B] sont totalement défaillants dans cette démonstration, les difficultés rencontrées se situant à compter du 31 juillet 2018, date à laquelle Monsieur a perdu son emploi en Suisse,
* le raisonnement entrepris pour parvenir à la somme réclamée de 143 341,48 euros n’est pas compréhensible, ni les taux retenus pour assurer toute éventuelle opération de conversion entre le franc suisse et l’euro ; que les emprunteurs entendent en réalité lui faire supporter les conséquences de leur séparation et de la revente de leur bien pour un prix à peine supérieur au prix d’acquisition en 2013,
– s’agissant de la prétendue clause abusive :
* les demandeurs sont défaillants à rapporter la preuve du caractère abusif de la clause litigieuse, se contentant de procéder par voie d’affirmation ; que s’agissant de la clause 8.1 (réglementation des changes) et 8.2 (risque de change), il ne peut pas être soutenu qu’elles ne se rapportaient pas à l’objet principal du contrat et qu’elles n’étaient pas libellées en des termes parfaitement clairs et compréhensibles ; que le risque de change dans les trois hypothèses rappelées précédemment ont fait l’objet d’un exemple chiffré ; qu’au demeurant, cette clause ne vient pas nécessairement “au détriment du consommateur” puisque ce dernier peut profiter du risque de change et que ledit risque de change n’a pas vocation à être retenu en l’espèce dans la mesure où le prêt est amortissable et remboursable dans la même devise et où les époux [T] percevaient l’ensemble de leurs revenus en francs suisses ; que s’agissant de la clause 8.3 (possibilité d’obtenir sans frais un prêt en euros destiné à permettre le remboursement du capital restant dû en francs suisse puis de poursuivre l’amortissement de ce nouveau prêt en euros), la clause, qui n’est qu’une simple faculté pour l’emprunteur, est particulièrement claire et compréhensible et ne saurait entraîner de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,
* à titre subsidiaire, à supposer l’une ou l’autre de ces clauses déclarée abusive, la seule conséquence juridique serait qu’elle soit déclarée non écrite, en application de l’article L. 241-1 du code de la consommation ; que le prêt étant octroyé, amortissable et remboursable en francs suisses, celui-ci peut parfaitement subsister en faisant abstraction de la clause relative à un risque de change inexistant ou en supprimant une faculté d’obtenir sans frais un prêt en euros pour rembourser par anticipation ce prêt en francs suisses,
* à titre très subsidiaire, les demandes financières des emprunteurs sont erronées ; qu’il n’y a pas de raison pour qu’une somme prêtée en francs suisses donne lieu à une restitution dans une devise différente (l’euro), ni pour qu’elle soit privée de son droit à rémunération en devant restituer les intérêts perçus depuis 2013 alors même que le préjudice invoqué est le fruit du choix des demandeurs d’avoir procédé, avant le terme de leur prêt, à la revente de leur bien immobilier,
– concernant la caution :
* Madame [Y] [L] [Z] [D] ne rapporte nullement la preuve de la disproportion alléguée lors de son engagement alors que la charge de la preuve lui incombe, et ce d’autant qu’elle percevait des revenus mensuels de près de 10 000 francs suisses et qu’elle a pu faire face à son obligation en se substituant au débiteur principal depuis le mois de mai 2019 ; que concernant les capacités financières du débiteur, la caution s’est engagée pour un montant et une durée expressément limitée de telle sorte que les prétendues incidences de la variation du taux de change sont sans aucune incidence en ce qui la concerne ; que la défaillance du débiteur principal est liée non pas aux caractéristiques du prêt, les échéances de remboursement étant parfaitement compatibles avec les revenus de l’emprunteur, mais à la seule perte de son emploi par Monsieur [R] [T] en 2018,
* elle a bien adressé les courriers d’information annuelle à Madame [Y] [L] [Z] [D] ; qu’elle n’a eu connaissance de l’adresse de cette dernière à [Localité 9] qu’en mai 2019, laquelle a été prise en compte à compter de l’information de 2020 ; qu’elle n’est en revanche pas responsable du fait que la caution a déménagé sans l’en avoir informée ou n’a pas assuré la réexpédition de son courrier.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, le tribunal entend se référer à leurs conclusions sus-visées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2024.
A l’audience du 28 novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 20 février 2025, prorogé au 4 avril 2025.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déboute Monsieur [R] [T], Madame [P] [G] [B] et Madame [Y] [L] [Z] [D] de l’intégralité de leurs demandes,
Condamne in solidum Monsieur [R] [T], Madame [P] [G] [B] et Madame [Y] [L] [Z] [D] à payer à la société Caisse d’épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute Monsieur [R] [T], Madame [P] [G] [B] et Madame [Y] [L] [Z] [D] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Monsieur [R] [T], Madame [P] [G] [B] et Madame [Y] [L] [Z] [D] aux dépens de l’instance,
Rappelle que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Prononcé le quatre avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition du jugement au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
Signé par Stéphane Thévenard, vice-président, et par Camille Boivin, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président
copie exécutoire + ccc le :
à
Me Marie-Anne BARRE
Me Frédéric ALLÉAUME
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