Type de juridiction : Tribunal de commerce
Juridiction : Tribunal de commerce de Paris
Thématique : Amazon : amende record de 400 millions d’euros
→ RésuméAmazon a été condamné à une amende record de 400 millions d’euros pour déséquilibre significatif au détriment de ses revendeurs. Cette décision fait suite à une enquête de la DGCCRF, qui a révélé des pratiques abusives au sein des contrats imposés aux vendeurs tiers. Les clauses contestées incluent des modifications unilatérales des contrats, des suspensions arbitraires, et des critères de performance flous, plaçant les revendeurs dans une position de dépendance. Le ministre des Finances a agi pour protéger l’ordre public économique, soulignant l’importance d’un marché équitable pour tous les acteurs de la vente en ligne.
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Sanction record contre Amazon au titre du déséquilibre significatif créé au détriment de ses revendeurs. Suite à une enquête de la DGCCRF, le Ministre des finances a poursuivi et obtenu la condamnation in solidum des trois sociétés du Groupe Amazon en responsabilité quasi-délictuelle pour des pratiques constatées.
Notion de déséquilibre significatif
L’article L.442-6 1 2° du code de commerce prévoit que
« engage la responsabilité de son auteur, et l’oblige à réparer le préjudice
causé, le fait, par tout commerçant : 2° de soumettre ou tenter de soumettre un
partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif
dans les droits et obligations des parties. ».
Clause de compétence territoriale non opposable au Ministre
Les contrats conclus avec Amazon stipulent bien une clause
attributive de compétence au Luxembourg où elle est domiciliée (application de
l’article 4.1 du Règlement européen dit Rome Il du 11 juillet 2007). Toutefois,
le Ministre a agi sur le fondement de la
responsabilité délictuelle et d’autre part que, en tant que garant de l’ordre
public économique sur le territoire national, l’article L.442-6 étant une loi
de police, il bénéficie pour se faire d’une action autonome de protection du
fonctionnement du marché national et de la concurrence, action qui n’est pas
soumise au consentement des cocontractants et notamment du fournisseur de la
prestation de services.
Conditions du déséquilibre significatif
La soumission est révélée notamment par l’existence d’un
rapport de force économiquement déséquilibré entre les parties ; la
jurisprudence se fonde pour l’établir sur un faisceau d’indices : rôle
incontournable de l’une des deux parties, puissance de négociation de la
société qui occupe une position de leader sur le secteur économique concerné
par sa taille et sa notoriété, intermédiaire incontournable sur le marché
pertinent, absence de marge réelle de négociation des cocontractants, clause
dénoncée se retrouvant dans tous les contrats, clause générale et imprécise
dans tous les contrats …
L’absence de négociation
Les contrats en cause ne sont pas négociables par les
revendeurs ; il ne peut en être autrement pour une place de marché en raison de
sa nécessaire automatisation, de la nécessité d’offrir aux consommateurs des
modalités, conditions et prestations identiques pour tous les produits,
présentés sur un même écran, quel que soit le vendeur tiers. Le principe de la
libre négociabilité n’est pas sans limite et que particulièrement dans un
contrat d’adhésion, dans lequel le cocontractant n’a aucune possibilité de
négocier les clauses du contrat, il revient au tribunal d’apprécier si
certaines d’entre elles ne se traduisent pas par un déséquilibre des droits et
obligations des deux parties.
Marché pertinent
Le marché pertinent, pour apprécier la puissance relative
des partenaires et concurrents est celui de la vente en ligne. Or, Amazon est
le plus grand vendeur en ligne B to C de produits marchands finis et dispose de
la plus grande place de marché à tout point de vue ; son chiffre d’affaire
mondial est de 250 milliards$ en 2018 et en France de 5 milliards € soit 3 fois
plus élevé que celui de son concurrent le plus important (C. Discount}; Amazon
surtout dispose de la plus grande notoriété au niveau mondial et de la
meilleure image auprès des consommateurs.
Une place de marché incontournable pour les petits vendeurs tiers
Le recours pour un vendeur tiers à la création de son propre
site de vente en ligne, ou l’utilisation de celui dont il disposerait déjà, n’a
pas été jugé comme une alternative sauf pour les plus gros
fournisseurs/distributeurs ; ’en effet, outre qu’il est couteux et complexe de
disposer d’une plateforme de vente en ligne très performante et pas à la portée
des entreprises de taille moyenne d’offrir la même ergonomie, les mêmes
fonctionnalités et le même niveau de qualité et de services qu’Amazon.
Caractère significativement déséquilibré de plusieurs clauses
Le déséquilibre significatif peut résulter de l’absence de
réciprocité, de la disproportion entre les obligations des parties, du
caractère potestatif d’une clause, c’est-à dire que son critère de
déclenchement dépend de la seule volonté de l’autre cocontractant et donc du
fait qu’il a la maitrise de l’exécution du contrat et de la discussion a
posteriori de son application, de l’absence d’intérêt de la clause pour le
vendeur tiers et d’obligations injustifiées à la charge de ces derniers. Il importe
peu que telle ou telle clause litigieuse ait été mise en oeuvre puisque la loi
vise non seulement la soumission mais la tentative de soumission.
Ont été sanctionnées, les clauses suivantes:
1° La clause relative aux modifications contractuelles : cette
clause permet à Amazon, dispensée de toute négociation, de faire entrer en
vigueur immédiatement et sans aucun préavis une modification du contrat, sans
même avoir l’obligation contractuelle d’en aviser personnellement et directement
par mail ses cocontractant, censés regarder tous les jours l’outil Seller
Central pour rechercher si par hasard une clause ou Politique a été modifiée ;
il en résulte qu’un cocontratant peut se retrouver ainsi sans le savoir, s’il
ne l’a pas fait, devoir subir de nouvelles conditions pour la vente de ses
produits ou être en infraction avec une nouvelle disposition du contrat avec
les sanctions qu’Amazon peut alors prendre (suspension ou fermeture de l’accès
au site, de son compte, résiliation du contrat, dégradation de ses indicateurs
de performance, remboursement de produits déjà vendus à ses clients); qu’en
outre cette clause est unilatérale au seul bénéfice d’Amazon et confère à cette
dernière la possibilité de modifier à tout instant des clauses essentielles
pour le vendeur tiers, relative à l’équilibre de ses droits et obligations; il
n’a alors plus d’autre possibilité que de résilier le contrat mais ce alors
sans avoir eu le temps de trouver une solution de substitution et surtout de la
mettre en œuvre ;en effet, changer de place de marché, en dehors même du temps
pour se faire agréer par une nouvelle place, nécessite de revoir complétement
son organisation, sa politique commerciale et de rédiger de nouvelles fiches
produits pour les mettre en ligne sur le site de son nouveau partenaire ; cette
situation conduit le vendeur tiers soit à se résigner à accepter les nouvelles
conditions d’Amazon pénalisantes soit à perdre un important chiffre d’affaires
pendant plusieurs mois ; qu’il est rappelé que 25% des vendeurs tiers, selon
cette dernière, ne sont référencés par aucune des autres places de marché
concurrente ;
2° La clause relative à la suspension ou à la résiliation du
contrat: du fait de l’ambiguïté de sa rédaction et de l’absence de toute
référence à une cause pouvant motiver cet arrêt ou suspension est constitutive
d’un déséquilibre significatif au détriment du vendeur tiers ;
3° Les clauses relatives aux indices de performances :
lesdits indicateurs sont au nombre de 3: taux de commandes défectueuses, taux
d’annulation de commandes avant traitement et taux d’expéditions en retard ; le
principe de la mesure de la performance du vendeur tiers dans la satisfaction
du client est parfaitement légitime et usuel dans toute la distribution, quelle
qu’en soit la forme et les modalités (mise à disposition d’une marque,
franchise, concession….) et répond à la nécessité de protéger le consommateur
et l’image du site et de la marque Amazon.
A été sanctionné non pas le principe de la clause mais l’imprécision
du périmètre des critères pris en compte, sur les conséquences de leur non
respect, sur le fait qu’ils ne dépendent pas uniquement du comportement du
vendeur et enfin de ce que l’évolution de ces critères est discrétionnaire.
4° Les clauses relatives à la maîtrise du compte vendeur : Amazon
a le droit à son entière discrétion d’interdire ou restreindre l’accès à tout
site Amazon et de retarder ou suspendre une mise en vente ou de refuser de
mettre en vente, l’un ou l’autre des produits du vendeur à sa seule discrétion :
cette clause est manifestement déséquilibrée en mettant l’activité du vendeur
complétement sous la dépendance d’Amazon de manière discrétionnaire.
5° La clause de retour produit: la garantie A à Z du
contrat Amazon, telle qu’elle est rédigée et mise en oeuvre concrètement, est
manifestement déséquilibrée au détriment des vendeurs tiers en ce qu’elle
autorise cette dernière à rembourser le client même en cas de non-retour du
produit, même si après enquête la réclamation est considérée comme injustifiée
et en ce qu’elle autorise l’affichage des dites réclamations avec celle
justifiées.
6° La clause de parité des canaux de vente : la clause prévoyant que « vous devez conserver une parité entre les produits que vous proposez par tous vos canaux de vente (autres que dans vos magasins physiques) a) … même niveau de support que vos services clientèles les plus avantageux, même qualité de l’information pour tous les contenus » a également été sanctionnée en ce qu’elle porte atteinte à la liberté, pour le vendeur de fixer son prix d’achat et ses tarifs d’expédition. Télécharger la décision
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