Rupture de contrat : évaluation des griefs et requalification des effets.

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Rupture de contrat : évaluation des griefs et requalification des effets.

L’Essentiel : La société Ingeniance, spécialisée dans les services informatiques pour le secteur bancaire, a engagé M. [P] en tant qu’ingénieur consultant en 2016. En janvier 2019, après un entretien préalable, M. [P] a notifié la rupture de son contrat, invoquant des griefs de harcèlement moral et de pression pour démissionner. En 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes pour requalifier cette rupture en licenciement. Cependant, le jugement de 2022 a constaté l’absence de manquement grave de l’employeur, requalifiant la rupture en démission. M. [P] a interjeté appel, mais la cour a confirmé la décision initiale.

Présentation de la société Ingeniance

La société Ingeniance est une SAS immatriculée au RCS de Nanterre, spécialisée dans la conception, le développement, la maintenance et la distribution de services informatiques pour le secteur bancaire et les marchés financiers. Elle emploie plus de 11 salariés.

Engagement de M. [P]

M. [W] [P] a été engagé par Ingeniance en tant qu’ingénieur consultant par un contrat à durée indéterminée, à compter du 3 octobre 2016. Il était soumis à une convention de forfait annuel de 218 jours, avec une rémunération brute mensuelle de 5 833,33 euros.

Contexte de la rupture du contrat

Le 30 janvier 2019, Ingeniance a convoqué M. [P] à un entretien préalable à une éventuelle sanction. Le lendemain, M. [P] a notifié la prise d’acte de la rupture de son contrat, invoquant des griefs liés à des pratiques de harcèlement moral, à une absence de missions et à des pressions pour démissionner.

Demande de requalification de la rupture

M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles le 29 janvier 2020, demandant que la prise d’acte soit jugée comme un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse. Le jugement du 13 avril 2022 a déclaré l’action recevable, mais a constaté l’absence de manquement grave de l’employeur, requalifiant la rupture en démission.

Appel de M. [P]

M. [P] a interjeté appel le 23 mai 2022, demandant la requalification de la prise d’acte en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des indemnités pour licenciement. Il a également contesté les condamnations à son encontre.

Arguments de l’employeur

Ingeniance a demandé la confirmation du jugement de première instance, arguant qu’il n’y avait pas de manquement grave justifiant la prise d’acte de M. [P]. L’employeur a également formulé une demande reconventionnelle au titre des frais de justice.

Analyse des griefs de M. [P]

La cour a examiné les griefs de M. [P], notamment la situation d’inter-contrat, la stratégie de l’employeur pour le pousser à la démission, et le syndrome de bore out. Elle a conclu que les éléments présentés ne constituaient pas un harcèlement moral et que la prise d’acte devait être requalifiée en démission.

Décision de la cour

La cour a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, déboutant M. [P] de ses demandes et le condamnant à verser des dommages et intérêts à Ingeniance pour préavis non effectué. Les parties ont été condamnées à supporter leurs propres dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail ?

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail est un mode de rupture par lequel le salarié met fin à son contrat en invoquant des griefs à l’encontre de son employeur.

Selon l’article L. 1231-1 du Code du travail, la rupture du contrat de travail peut être à l’initiative de l’employeur ou du salarié.

Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement, il est nécessaire que les griefs invoqués soient établis et qu’ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail.

Dans le cas contraire, la prise d’acte sera requalifiée en démission.

Il est également important de noter que, selon l’article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral, qui peuvent dégrader ses conditions de travail et porter atteinte à sa dignité.

Ainsi, si le salarié prouve qu’il a subi un harcèlement moral, cela peut justifier la prise d’acte comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Quels sont les effets d’une prise d’acte de rupture considérée comme une démission ?

Lorsque la prise d’acte de rupture est requalifiée en démission, cela signifie que le salarié ne peut pas prétendre aux indemnités de licenciement.

L’article L. 1232-1 du Code du travail stipule que le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

En cas de démission, le salarié ne bénéficie pas des protections liées à un licenciement, notamment en ce qui concerne l’indemnité de préavis.

Dans le cas présent, le conseil de prud’hommes a jugé que la prise d’acte de M. [P] produisait les effets d’une démission, ce qui a conduit à le débouter de ses demandes d’indemnités.

Il est donc crucial pour un salarié de bien établir les griefs à l’encontre de son employeur pour éviter que sa prise d’acte ne soit requalifiée en démission.

Comment prouver le harcèlement moral dans le cadre d’une prise d’acte ?

Pour prouver le harcèlement moral, le salarié doit établir des faits qui permettent de présumer son existence.

L’article L. 1154-1 du Code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l’application des dispositions sur le harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que les agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement.

Le salarié doit donc fournir des éléments concrets, tels que des témoignages, des courriels ou des documents, qui démontrent la dégradation de ses conditions de travail.

Dans le cas de M. [P], la cour a constaté qu’il n’avait pas produit de preuves suffisantes pour établir le harcèlement moral, ce qui a conduit à la requalification de sa prise d’acte en démission.

Il est donc essentiel pour un salarié de documenter soigneusement les faits allégués pour soutenir sa demande.

Quelles sont les conséquences financières d’une prise d’acte requalifiée en démission ?

Lorsqu’une prise d’acte est requalifiée en démission, le salarié perd le droit à certaines indemnités, notamment l’indemnité de licenciement et l’indemnité de préavis.

L’article L. 1234-1 du Code du travail stipule que l’indemnité de licenciement est due en cas de licenciement, mais pas en cas de démission.

Dans le cas de M. [P], le conseil de prud’hommes a condamné ce dernier à verser à la société Ingeniance une somme de 17 500 euros au titre du préavis non effectué, car sa prise d’acte avait été requalifiée en démission.

Cela souligne l’importance pour un salarié de bien comprendre les implications financières de sa décision de mettre fin à son contrat de travail.

En résumé, une prise d’acte requalifiée en démission entraîne des conséquences financières significatives pour le salarié.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-3

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 13 JANVIER 2025

N° RG 22/01674 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VG2W

AFFAIRE :

[W] [P]

C/

S.A.S. INGENIANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Avril 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES

N° Section : E

N° RG : 20/00100

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Carole LE MARIGNIER

Me Christophe PACHALIS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [W] [P]

né le 13 janvier 1973 à [Localité 4] (CAMEROUN)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Carole LE MARIGNIER de la SELEURL CLM AVOCAT, avocat au barreau du VAL D’OISE, vestiaire : 110

APPELANT

****************

La S.A.S. INGENIANCE

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 483 726 139

prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentant : Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0148

Plaidant : Me Hervé CASSEL de la SELAFA CABINET CASSEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0049

Substitué à l’audience par Me Hélène LEVEQUE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 décembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Présidente,

Mme Florence SCHARRE, Conseillère,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

Adjoint administratif faisant fonction de greffier lors du prononcé : Madame Patricia GERARD

FAITS ET PROCÉDURE

La société Ingeniance est une société par actions simplifiée (SAS) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Nanterre sous le n° 483 726 139.

La société Ingeniance a pour activité l’exécution de prestations de conception, de développement, de maintenance et de distribution d’outils, de produits et services informatiques destinés au secteur bancaire et aux marchés financiers. Elle emploie plus de 11 salariés.

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 11 juillet 2016, M. [W] [P] a été engagé par la société Ingeniance en qualité d’ingénieur consultant, statut cadre, position 3.1., coefficient 170, à compter du 3 octobre 2016.

Au dernier état de la relation de travail, M. [P] exerçait ses fonctions dans le cadre d’une convention de forfait annuel de 218 jours et percevait une rémunération moyenne brute de

5 833,33 euros par mois.

Les relations contractuelles étaient régies par les dispositions de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils et sociétés de conseils.

Par lettre remise en main propre contre décharge en date du 30 janvier 2019, la société Ingeniance a convoqué M. [P] à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.

Par lettre remise en main propre contre décharge en date du 31 janvier 2019, M. [P] a notifié à la société Ingeniance la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, en ces termes :

« [‘] Suite à notre entretien du 15 janvier courant qui s’est tenu sur mon initiative, je vous adressais un mail le lendemain, afin de vous faire part de mes griefs à l’encontre des nouvelles pratiques sociales et commerciales de la Société.

Comme je l’ai souligné, le départ de l’ancienne équipe commerciale expérimentée a participé à réduire fortement les opportunités de missions et à accroître le nombre de consultants en inter-contrat.

J’ai alors pu constater et dénoncer, les licenciements abusifs et pressions à la démission exercées sur les consultants que vous n’arrivez pas à placer.

Je confirme que vous m’avez laissé durant « presque » 4 mois sans mission, ni opportunité de mission. En effet, lors de votre réponse du 17 janvier, vous avez juste oublié, que vous avez enjoint au client de me conserver pendant le préavis contractuel d’un mois alors que ma mission était d’ores et déjà terminée.

Aucun suivi de projet n’est réalisé chez le client, aucune proposition n’est adressée au client afin de gérer un changement ou un transfert de mission vers d’autres services. Cela est très dommage, car j’avais des pistes de changement chez mon dernier client, la Société SOCIETE GENERALE.

Au-delà d’être livrés à nous même, vous nous forcez à venir au bureau, alors qu’en ce qui me concerne, vous n’aviez aucun travail réel à me confier.

Par ailleurs et la plupart du temps, lorsque j’arrivais au bureau, aucun poste de travail n’était disponible et je suis très souvent resté sans ordinateur et dés’uvré.

Cette situation est d’autant plus intolérable, qu’aucun commercial ne s’adresse à nous et qu’aucun projet interne ou aucune formation n’est proposé.

Je vous soulignais également que vous assigniez à votre guise et de façon unilatérale des absences injustifiées hors de tous process ou contrôle RH.

Ces agissements s’analysent comme du harcèlement moral, afin d’obtenir une démission ou nous pousser à l’abandon de poste, pour ne pas avoir à nous payer l’indemnité de rupture et le préavis auxquels nous pouvons prétendre.

Suite à mon mail, loin de constater une amélioration des recherches de postes et solutions à mettre en ‘uvre afin de permettre une meilleure coordination avec l’équipe commerciale, vous avez au contraire persisté dans vos agissements, qui se sont d’ailleurs accentués, puisque dès le 18 janvier je recevais un mail du Service RH avec un « petit rappel sur la période d’inter-contrat », alors que mon contrat de travail stipule que dans le cadre d’une convention de forfait de 218 jours, que je réalise mes missions en autonomie complète.

J’ai par ailleurs contesté le 22 janvier les 2 jours d’absences injustifiées des 09 et 18 janvier, puisque j’étais bien présent auxdites dates.

Je n’ai reçu aucune réponse du service RH, si ce n’est que je constate à ce jour sur la feuille de temps, que vous m’imputer sur le mois de janvier 2019, 5,5 jours d’absences injustifiées, également contestées.

Et ce, très certainement pour tenter de justifier la convocation à l’entretien préalable à une sanction disciplinaire que vous m’avez remis en main propre hier.

Les faits de harcèlement moral dont je suis l’objet et dont la responsabilité incombe entièrement à INGENIANCE me contraignent à vous notifier la présente prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail.

Cette rupture est entièrement imputable à INGENIANCE puisque les faits précités constituent un grave manquement aux obligations contractuelles et portent atteinte à mon évolution professionnelle et à mon état psychologique.

Cette rupture prend effet immédiatement et sera suivi d’une convocation de la Société devant le Conseil de Prud’hommes afin d’obtenir le respect de mes droits et la réparation financière du préjudice subi.

Dès lors, je vous demande de bien vouloir me transmettre dans les prochains jours, mes reçu pour solde de tout compte, certificat de travail ainsi qu’une attestation Pôle Emploi. [‘] »

Par requête introductive reçue au greffe le 29 janvier 2020, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles d’une demande tendant à ce que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail soit jugé comme étant intervenue aux torts de l’employeur et produisant les effets d’un licenciement nul, ou à défaut, sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement rendu le 13 avril 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Versailles a :

– dit que l’action de M. [W] [P] est recevable ;

– constaté l’absence de manquement grave de la Société Ingeniance rendant impossible la poursuite du contrat de travail de Monsieur [W] [P] ;

– dit et jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Monsieur [W] [P] à son initiative produit les effets d’une démission ;

En conséquence,

– débouté Monsieur [W] [P] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamné Monsieur [W] [P] à verser à la Société Ingeniance la somme de 17 500 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préavis non effectué ;

– débouté la Société Ingeniance de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– laissé les dépens éventuels à la charge des parties.

Par déclaration d’appel reçue au greffe le 23 mai 2022, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 6 novembre 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 23 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [W] [P], appelant et intimé à titre incident, demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles en date du 13 avril 2022, en ce qu’il a débouté la société Ingeniance de sa demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et dit l’action de M. [W] [P] recevable ;

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles en date du 13 avril 2022 en ce qu’il a :

* constaté l’absence de manquement grave de la société Ingeniance rendant impossible la poursuite du contrat de travail de M. [W] [P] ;

* dit et jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [W] [P] à son initiative produit les effets d’une démission ;

* débouté M. [W] [P] de l’ensemble de ses demandes, à savoir :

A titre principal :

o requalifier la prise d’acte de M. [W] [P] en licenciement nul et en conséquence ;

o condamner la société Ingeniance à verser à M. [W] [P] la somme de

35 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire :

o requalifier la prise d’acte de M. [W] [P] en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence ;

o condamner la société Ingeniance à verser à M. [W] [P] la somme de

17 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause :

o condamner la société Ingeniance à verser à M. [W] [P] :

‘ A titre d’indemnité conventionnelle de licenciement : 4 537,02 euros ;

‘ A titre d’indemnité de préavis : 17 500,00 euros ;

‘ A titre de congé payés sur préavis : 1 750,00 euros ;

‘ A titre d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile :

3 000,00 euros ;

Et ce, avec intérêt aux taux légal à compte de la saisine du conseil de prud’hommes et capitalisation des intérêts ;

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

– condamner la société Ingeniance aux entiers dépens ;

– condamné M. [W] [P] à verser à la société Ingeniance la somme de 17 500 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préavis non effectué.

Statuant à nouveau :

– fixer la moyenne des 12 derniers mois de salaires à 5 833,33 euros bruts ;

A titre principal :

– requalifier la prise d’acte de M. [W] [P] en licenciement nul et en conséquence ;

– condamner la société Ingeniance à verser à M. [W] [P] la somme de 35 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire :

– requalifier la prise d’acte de M. [W] [P] en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence ;

– condamner la société Ingeniance à verser à M. [W] [P] la somme de 17 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause :

– condamner la société Ingeniance à verser à M. [W] [P] :

* A titre d’indemnité conventionnelle de licenciement : 4 537,02 euros

* A titre d’indemnité de préavis : 17 500,00 euros

* A titre de congé payés sur préavis : 1 750,00 euros

* A titre d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance : 3 000,00 euros

* A titre d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel :

3 000,00 euros

Et ce, avec intérêt aux taux légal à compte de la saisine du conseil de prud’hommes et capitalisation des intérêts ;

– condamner la société Ingeniance aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 15 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Ingeniance, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 13 avril 2022 en ce qu’il a constaté l’absence de manquement grave de la société Ingeniance rendant impossible la poursuite du contrat de travail de M. [W] [P] ;

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 13 avril 2022 en ce qu’il a dit et jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [W] [P] à son initiative produit les effets d’une démission ;

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 13 avril 2022 en ce qu’il a débouté M. [W] [P] de l’ensemble de ses demandes ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [W] [P] à verser à la société Ingeniance la somme de 17 500 euros à titre de dommages et intérêt au titre du préavis non effectué ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Ingeniance de sa demande reconventionnelle formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2 000 euros au titre de la première instance ;

Statuant à nouveau,

– condamner M. [W] [P] à verser à la société Ingeniance la somme de 2 000,00 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;

En tout état de cause,

– condamner M. [W] [P] à verser à la société Ingeniance la somme de 3 000,00 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

– condamner M. [W] [P] aux entiers dépens dont distraction dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la prise d’acte

M. [P] soutient que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail doit être prononcée aux torts de l’employeur en raison du harcèlement moral dont il a fait l’objet et, produire, à titre principal, les effets d’un licenciement nul et, à titre subsidiaire, ceux d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L’employeur demande que la prise d’acte produise les effets d’une démission.

La prise d’acte de la rupture se définit comme un mode de rupture du contrat de travail par le biais duquel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu’il impute à son employeur.

Si les griefs invoqués par le salarié sont établis et empêchent la poursuite du contrat de travail, alors la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la prise d’acte doit être requalifiée en démission.

La prise d’acte peut produire les effets d’un licenciement nul si les manquements reprochés à l’employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement.

En l’espèce, le salarié se prévaut d’un harcèlement moral, qui est contesté par l’employeur.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, le salarié soumet à la cour les faits suivants :

1-La situation d’inter-contrat subie pendant plus de quatre mois avec présence imposée au siège de 9h30 à 18h alors qu’il n’avait pas de mission, ni formation, et sans qu’aucun rendez-vous business managers ne lui soit fixé, sans poste de travail dédié, et ce alors qu’il était soumis au forfait en jours,

2-La stratégie des sociétés des sciences de l’informatique (SSI) appliquée par la société visant à le pousser à la démission ou à la faute

3-La situation de bore out (syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui) dans laquelle il a été placée à compter du 3 décembre 2018.

1-La situation d’inter-contrat subie pendant plus de quatre mois avec présence imposée au siège de 9h30 à 18h alors qu’il n’avait pas de mission, ni formation, et sans qu’aucun rendez-vous business managers ne lui soit fixé, sans poste de travail dédié, et ce alors qu’il était soumis au forfait en jours,

M. [P] démontre qu’à l’issue de sa mission d’ingénieur consultant occupé auprès de la Société Générale depuis janvier 2018, il s’est trouvé en situation d’inter-contrat, en raison de l’arrêt de la mission décidée par ce client.

Néanmoins, il ne démontre pas que cette situation a duré plus de quatre mois et a commencé en septembre 2018 puisque la mission au sein la société Générale a cessé mi-novembre 2018 et qu’il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 31 janvier 2019, tel que l’établissent les pièces versées. La situation d’inter-contrat a donc duré deux mois et demi.

Il ressort des pièces produites aux débats par le salarié que la société Ingéniance a recherché une autre mission correspondant à son profil avant la fin de la mission en adressant des courriels à ses clients les 17 septembre, 31 octobre, 5 et 6 novembre 2018, et que des rencontres avec deux clients ont été organisées le 13 novembre sur des projets de nouvelles missions.

Le salarié n’établit pas qu’il lui a été imposé une présence dans les locaux pendant plus de quatre mois puisque ce n’est qu’à compter du 3 décembre 2018, notifié par courriel du 30 novembre 2018, suite à de nouvelles directives de la direction, qu’il lui a été demandé d’être présent dans les locaux d’Ingéniance du lundi au vendredi de 9h30 à 18h. Même si le salarié était au forfait, il ressort du courriel de rappel sur la période d’inter-contrat du 18 janvier 2019 que l’employeur a adressé à

M. [P] que cette présence était justifiée afin de permettre au salarié de rencontrer les business managers afin de lui proposer des missions ou d’échanger avec lui, qu’il lui a été indiqué que la feuille d’émargement était disponible dans le bureau de l’assistante administrative et devait être remplie à son arrivée et à son départ et, qu’en cas d’absence, il fallait poser un congé même en période d’inter-contrat et tenir informé la société par mail ou téléphone afin qu’elle puisse informer les business managers de son absence. Le salarié produit également le courriel qui lui a été adressé par l’un des associés le 9 janvier 2019 ayant comme objet « absence ce jour » lui indiquant qu’il se trouvait en absence injustifiée et lui demandant de se présenter tous les jours à son poste de travail, en lui rappelant que la période d’inter-contrat n’impliquait aucune dispense d’activité, qu’il était rémunéré et qu’il lui appartenait d’être présent dans les locaux de l’entreprise quand il n’était pas en mission chez un client. L’associé a ajouté que la période d’inter-contrat était mise à profit pour le faire connaître auprès de l’ensemble des business manager afin de trouver au plus vite des missions en adéquation avec son profil et ses compétences, de se former au moyen des outils mis à disposition par la société et de partager ses expériences avec ses collègues en inter-contrat.

Par ailleurs, le salarié ne démontre pas comme il l’affirme qu’il ne disposait pas de poste informatique lors de sa présence au siège, ni ne pas avoir pu suivre de formation puisque le mail précité indique au contraire que le salarié disposait via les outils de la société de la possibilité de se former.

En définitive, le fait allégué par le salarié n’est pas établi.

2-La stratégie des sociétés des sciences de l’informatique (SSI) appliquée par la société visant à le pousser à la démission ou à la faute

Le salarié allègue la stratégie adoptée par la société à l’image de celle des sociétés de l’informatique pour le pousser à la démission ou à la faute, sans toutefois démontrer son allégation. Il ne démontre pas d’une part l’existence d’une telle stratégie appliquée dans les entreprises ayant le même objet que la société Ingeniance.

D’autre part, l’attestation produite aux débats, rédigée par Mme [C], qui énonce des griefs généraux à l’encontre de la société, mais ne formule pas de faits précis concernant M. [P], n’est pas de nature à établir la stratégie de l’employeur visant à pousser M. [P] à la démission ou à le licencier.

Le salarié se prévaut ensuite d’un courriel du 22 janvier 2019 dans lequel il conteste deux absences injustifiées relevées par la société les 9 et 18 janvier 2019, pour lesquelles il ne fournit pas d’élément particulier, et un courrier de convocation à une sanction disciplinaire du 30 janvier 2019 le convoquant à un entretien le 6 février 2019, qui n’a pas produit effet en raison de la prise d’acte remise en mains propres par le salarié à son employeur le lendemain.

Il apparaît à la lecture des pièces versées que suite à la notification de son absence injustifiée par la société le 9 janvier 2019, M. [P] a sollicité un entretien auprès de la direction, qui s’est tenu le 15 janvier, afin de solliciter une rupture conventionnelle de son contrat et que, suite au refus qui lui a été donné par la société, il a envoyé un courriel le 16 janvier 2019 afin de dénoncer l’existence d’une stratégie de l’employeur visant à l’inciter à démissionner ou à lui reprocher des absences injustifiées en dehors de tout process.

Ce courriel du salarié, auquel la société a répondu de manière circonstanciée le 17 janvier 2019, n’est pas de nature à établir à lui seul la preuve de la stratégie adoptée par la société pour le pousser à la démission ou à la faute.

Par ailleurs, les règles de présence imposées par l’employeur durant la période d’inter-contrat ne permettent pas comme le soutient le salarié de démontrer l’existence d’une stratégie particulière et relèvent du pouvoir de direction de l’employeur.

Enfin, les courriels de l’employeur du 9 et 18 janvier 2019 qu’il produit aux débats lui ont rappelé les règles applicables durant la période d’inter-contrat, mais n’établissent pas l’existence de la stratégie énoncée.

La cour retient de l’ensemble de ces éléments que la stratégie de la société alléguée par le salarié n’est pas établie.

La situation de bore out (syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui) dans laquelle il a été placée à compter du 3 décembre 2018

Si M. [P] soutient avoir subi un épuisement professionnel du fait de l’ennui et de l’absence de mission, il ne produit aucune pièce de nature à le démontrer. Sur ce point, la note sur le « bore out » issue du site internet village justice n’est pas de nature à établir qu’il a souffert de ce trouble. Ce fait n’est donc pas établi.

Le salarié ne produit aucune pièce médicale et n’allègue aucun problème de santé particulier à l’appui de sa demande au titre du harcèlement moral.

En synthèse de ce qui précède, la cour constate que même si le salarié s’est trouvé en inter-mission durant deux mois et demi, et s’est vu imposer une présence au siège par l’employeur sur les horaires de bureau à partir du 3 décembre 2018, ces faits, pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer un harcèlement moral.

Le harcèlement moral n’est pas démontré. Or ces seuls faits étaient invoqués par le salarié pour faire produire à sa prise d’acte les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

Il a été précédemment considéré par la cour que le salarié établissait la preuve de la situation d’inter-contrat sur une période de deux mois et demi, de l’obligation imposée par l’employeur à M. [P] à compter du 3 décembre 2018 de se tenir à sa disposition dans les locaux de l’entreprise sur les horaires de bureau durant la période d’inter-contrat, soit pendant un mois et demi, et du contrôle des absences. La cour retient que ces éléments, qui relèvent du pouvoir de direction de l’employeur, ne caractérisent pas un manquement grave justifiant la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

La prise d’acte du 31 janvier 2024 doit donc être requalifiée en démission. Il s’ensuit que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions, et en particulier en ce qu’il a condamné M. [P] à verser à la Société Ingeniance la somme de 17 500 euros au titre du préavis non effectué.

Sur la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile :

Il convient de confirmer le jugement entreprise ayant laissé à chaque partie la charge de ses dépens et débouté la société de sa demande au titre des frais irrépétibles.

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions afférentes à l’article 700 du code de procédure civile de sorte qu’il convient de débouter les parties de ce chef cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:

CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Versailles du 13 avril 2022,

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

DIT que chacune des parties supportera la charge de ses dépens en cause d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Patricia GERARD, Adjoint administratif faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


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