Rupture contractuelle et responsabilité : enjeux de la résiliation unilatérale et de la non-sollicitation.

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Rupture contractuelle et responsabilité : enjeux de la résiliation unilatérale et de la non-sollicitation.

L’Essentiel : Le 22 janvier 2018, un vendeur a conclu un contrat de prestation de services avec un prestataire de sécurité pour assurer la sécurité de ses biens. Le 4 avril 2019, le vendeur a mis fin à la mission du prestataire. En mars 2021, le vendeur a déposé une plainte contre le prestataire pour enregistrement illégal de clients, classée sans suite en février 2023. Parallèlement, le prestataire a engagé une enquête civile, affirmant une violation de clause de non-sollicitation. Le 22 juillet 2021, le prestataire a assigné le vendeur, qui a été condamné à verser des indemnités pour résiliation fautive et violation de contrat.

Contexte de l’Affaire

Le 22 janvier 2018, une société spécialisée dans la vente de produits de joaillerie, désignée comme le vendeur, a conclu un contrat de prestation de services avec une société de sécurité, désignée comme le prestataire. Ce contrat, effectif à partir du 24 janvier 2018, avait pour but d’assurer la sécurité des biens et des personnes dans la boutique du vendeur.

Résiliation du Contrat

Le 4 avril 2019, le vendeur a mis fin immédiatement à la mission du prestataire. En mars 2021, le vendeur a déposé une plainte, alléguant que certains employés du prestataire avaient enregistré des clients de manière illégale. Cependant, cette plainte a été classée sans suite en février 2023.

Demande d’Indemnisation

En parallèle, le prestataire a engagé une enquête civile contre le vendeur, affirmant que ce dernier avait violé une clause de non-sollicitation des employés. Le 1er juillet 2020, le prestataire a envoyé une mise en demeure au vendeur pour obtenir une indemnisation de 193.647,52 euros, mais le vendeur a refusé toute compensation.

Procédure Judiciaire

Le 22 juillet 2021, le prestataire a assigné le vendeur devant le tribunal de commerce de Paris, demandant réparation pour la résiliation fautive du contrat. Le tribunal a rendu un jugement le 16 mai 2022, condamnant le vendeur à verser 172.787,13 euros au prestataire pour la résiliation fautive, ainsi qu’une somme de 5.000 euros au titre des frais de justice.

Appel du Vendeur

Le vendeur a interjeté appel de ce jugement le 23 mai 2022, demandant la confirmation de certaines décisions et la révision d’autres. Il a contesté la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris et a demandé une réduction de l’indemnisation.

Arguments du Prestataire

Le prestataire a, de son côté, demandé à la Cour d’infirmer le jugement en ce qui concerne le rejet de ses demandes de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-sollicitation et pour préjudice moral. Il a également demandé la confirmation de la compétence du tribunal de commerce de Paris.

Décisions de la Cour

La Cour a confirmé la compétence du tribunal de commerce de Paris et a jugé que la résiliation du contrat par le vendeur était fautive. Elle a également reconnu que le vendeur avait violé la clause de non-sollicitation en débauchant des employés du prestataire, entraînant un préjudice commercial et moral pour ce dernier. En conséquence, la Cour a condamné le vendeur à indemniser le prestataire à hauteur de 20.000 euros pour le trouble commercial et 10.000 euros pour le préjudice moral, en plus des frais de justice.

Conclusion

La Cour a ainsi confirmé le jugement initial tout en ajoutant des condamnations supplémentaires à l’encontre du vendeur, soulignant la gravité des manquements contractuels et la nécessité d’indemniser le prestataire pour les préjudices subis.

Q/R juridiques soulevées :

Sur l’exception d’incompétence

La société Arije soutient que la clause de compétence territoriale stipulée à l’article 7 du contrat renvoie au tribunal de commerce de Melun, ce qui devrait justifier son renvoi. Cependant, la société Royal Corps fait valoir que cette clause a été insérée dans son intérêt exclusif, lui permettant de renoncer à cette clause.

L’article 48 du code de procédure civile précise que « les tribunaux sont compétents pour connaître des litiges qui leur sont soumis par la loi ou par convention des parties ». En l’espèce, la clause de compétence a été stipulée dans l’intérêt de la société Royal Corps, ce qui lui permet de saisir le tribunal de commerce de Paris.

Ainsi, la Cour confirme la compétence du tribunal de commerce de Paris, rejetant l’exception d’incompétence soulevée par la société Arije.

Sur la résiliation du contrat

La société Arije a mis fin au contrat sans notification écrite préalable, arguant que la société Royal Corps avait pris acte de cette résiliation. Selon l’article 1212 du code civil, chaque partie doit exécuter le contrat jusqu’à son terme. La résiliation unilatérale sans motif grave constitue une faute.

L’article 1231-1 du code civil stipule que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation ». En l’espèce, la société Arije ne prouve pas la violation des obligations contractuelles par la société Royal Corps, rendant la résiliation fautive.

La Cour confirme que la société Arije doit indemniser la société Royal Corps pour le préjudice subi, évalué à 172.787,13 euros, correspondant à la perte de marge brute jusqu’à la date d’échéance du contrat.

Sur la clause de non-sollicitation et les actes de concurrence déloyale

La société Royal Corps allègue que la société Arije a violé la clause de non-sollicitation et a commis des actes de concurrence déloyale en débauchant ses salariés. Cependant, la société Arije conteste l’opposabilité de cette clause, n’ayant pas eu connaissance des conditions générales de vente.

L’article 1103 du code civil précise que « les contrats doivent être exécutés de bonne foi ». La société Royal Corps ne prouve pas l’existence d’une clause de non-sollicitation opposable à la société Arije, ni des manœuvres déloyales dans le recrutement des salariés.

La Cour confirme le jugement qui a rejeté les demandes de la société Royal Corps au titre de la violation de la clause de non-sollicitation et des actes de concurrence déloyale.

Sur le préjudice moral

La société Royal Corps demande une indemnisation pour préjudice moral, mais ne justifie pas de l’existence d’un tel préjudice. L’article 1240 du code civil stipule que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La Cour constate que la société Royal Corps n’établit pas l’existence d’un préjudice moral distinct de celui déjà réparé par les sommes allouées pour la rupture fautive du contrat. Par conséquent, la demande d’indemnisation pour préjudice moral est rejetée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le tribunal a condamné la société Arije aux dépens et au paiement de frais irrépétibles. L’article 700 du code de procédure civile prévoit que « la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles ».

La Cour confirme la condamnation de la société Arije à payer à la société Royal Corps la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700, ainsi que les dépens d’appel, en raison de sa défaite dans l’instance.

RÉPUBLIQUE FRAN’AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRÊT DU 12 MARS 2025

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/10252 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF4ML

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2022 – Tribunal de Commerce de Paris, 13ème chambre – RG n° 2021036488

APPELANTE

S.A.S. ARIJE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au R.C.S de Paris sous le numéro 572 199 768

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jeanne Baechlin de la SCP Jeanne Baechlin, avocat au barreau de Paris, toque : L0034

Assistée de Me Richard Valeanu, avocat au barreau de Paris, toque : D516

INTIMÉE

S.A.R.L. ROYAL CORPS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

immatriculée au R.C.S de Melun sous le numéro 819 155 359

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Assistée par Me Jonathan Djenaoussine de Friedland AARPI, avocat au barreau de Paris, toque : G0745, substitué à l’audience par Me Baptiste Khounchef, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 Janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie Depelley, conseillère faisant fonction de présidente

M. Julien Richaud, conseiller

Mme Marie-Laure Dallery, magistrate à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Marie-Laure Dallery dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Valérie Jully

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Sophie Depelley, conseillère faisant fonction de présidente et par M. Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 22 janvier 2018, la société Arije, qui a pour activité la vente de produits de joaillerie et de haute horlogerie et la société Royal Corps, qui a pour activité la protection des biens et des personnes, ont conclu un contrat de prestation de services ayant pour objet la sécurité des biens et des personnes rattachées à ces biens, de la boutique Arije située [Adresse 2].

Ce contrat a pris effet le 24 janvier 2018 pour une durée éventuellement renouvelable de trois ans.

Le 4 avril 2019, la société Arije a mis fin à effet immédiat à la mission confiée à la société Royal Corps.

Le 11 mars 2021, elle a également déposé plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris au motif que certains salariés de la société Royal Corps auraient enregistré et capté avec leur smartphone des clients ou personnalités de la boutique.

Cette procédure a fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu en date du 9 février 2023.

En parallèle, la société Royal Corps a fait procéder à une enquête civile au sein de la société mère Arije International en alléguant des violations d’une obligation de non-sollicitation de salariés.

Par courrier recommandé du 1er juillet 2020, le conseil de la société Royal Corps a mis en demeure la société Arije de procéder à l’indemnisation des préjudices subis par sa cliente pour un montant total de 193.647,52 euros.

La société Arije, par l’intermédiaire de son conseil, a refusé toute indemnisation.

C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier du 22 juillet 2021, la société Royal Corps a assigné la société Arije devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de la résiliation fautive du contrat ainsi que des dommages et intérêts résultants de la violation de la clause de non-sollicitation du personnel.

Par jugement du 16 mai 2022, le tribunal de commerce de Paris :

S’est déclaré compétent pour statuer sur le présent litige,

A rejeté la demande de sursis à statuer en l’attente de l’issue de l’instruction pénale,

Condamné la SAS Arije à payer à la SARL à associé unique Royal Corps la somme de 172.787,13 euros au titre de la résiliation fautive du contrat par la SAS Arije,

Condamné la SAS Arije à payer à la SARL à associé unique Royal Corps la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du CPC, déboutant la SARL à associé unique Royal Corps du surplus de sa demande à ce titre,

Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions, plus amples ou contraires au présent jugement et en a débouté respectivement les parties,

Condamné la SAS Arije aux dépens.

La société Arije a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 23 mai 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 23 juin 2023, la société Arije demande à la Cour de :

Recevoir Arije en son appel.

Confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté la société Royal Corps de sa demande de condamnation de la société Arije au titre d’une prétendue violation d’une clause de non sollicitation, au titre de l’existence d’un préjudice moral, et au titre de faits et actes de parasitisme.

L’infirmer ou le réformer en ce que

– le tribunal de commerce de Paris s’est déclaré territorialement compétent pour statuer sur le litige,

– a rejeté la demande de sursis à statuer en l’attente de l’issue de l’ instruction pénale en cours,

– et a condamné Arije à payer à Royal Corps la somme de 172 787,13 euros au titre de la résiliation fautive du contrat, celle de 5000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– et aux dépens

Statuant à nouveau et vus notamment les articles 48 et 378 et suivants du code de procédure civile, 1226, 1231-1 à 1231-4 du code civil

Vu la clause attributive de compétence territoriale figurant au contrat des parties, dire et juger que cette clause justifiait le renvoi au tribunal de commerce de Melun, mais évoquer l’affaire au fond.

Subsidiairement, constater que Royal Corps a pris acte de la rupture dès le 4 avril 2019 et dire et juger cette rupture fondée sur des faits d’une gravité suffisante pour l’avoir justifiée et pour avoir légitimé son immédiateté.

Débouter Royal Corps de toutes ses demandes.

Très subsidiairement, alors que Royal Corps ne rapporte pas la preuve de l’ampleur temporelle de son préjudice, du revenu que le contrat lui aurait garanti, et de son taux de marge brute, réformer le jugement attaqué sur le montant de son indemnisation et la réduire à de bien plus justes proportions dans la limite haute de 33.567 euros.

Débouter Royal Corps de son appel incident, l’y disant et jugeant non fondée.

Condamner Royal Corps à payer à Arije une indemnité de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La condamner également aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 3 janvier 2025, la société Royal Corps demande à la Cour de :

Vu les articles 1103, 1212, 1217, 1226, 1231-1, 1231-2, 1231-3, 1153, 1154, 1231-1, 1231-2 et 1240 du Code civil,

Vu les articles L.442-1 et suivants du Code de commerce,

Vu les présentes écritures et les pièces communiquées à leur soutien,

Vu la jurisprudence citée,

Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 16 mai 2022, en ce qu’il :

– Déboute la société Royal Corps de sa demande de condamnation de la société Arije à lui verser des dommages et intérêts au titre de la violation de la clause de non-sollicitation ;

– Déboute la société Royal Corps de sa demande de condamnation de la société Arije à lui verser des dommages et intérêts au titre de son préjudice moral ;

– Déboute la société Royal Corps de sa demande de condamnation de la société Arije à lui verser des dommages et intérêts au titre des actes de parasitisme ;

Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 16 mai 2022, en ce qu’il :

– Déclare compétent pour statuer sur le litige ;

– JUGE que la résiliation unilatérale du contrat de prestation de services avant son terme par la société Arije était fautive ;

– Condamne la société Arije à payer à la société Royal Corps la somme de 172.787,13 euros au titre de la résiliation fautive du contrat ;

– Condamne Arije à payer à Royal Corps la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamne Arije aux dépens ;

Et, statuant à nouveau :

Déclarer la société Royal Corps recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;

Débouter la société Arije de l’ensemble de ses demandes ;

Juger que la société Arije a violé la clause de non-sollicitation du personnel stipulée au sein des conditions générales de vente du contrat de prestation de services conclu avec la société Royal Corps en recrutant Messieurs [A] [O], [J] [P] et [F] [S] ;

Juger que la société Arije a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en débauchant fautivement les salariés de la société Royal Corps et en captant illégalement son savoir faire et en entraînant ainsi une importante désorganisation de cette dernière ;

Condamner, en conséquence, la société Arije à indemniser la société Royal Corps à hauteur de 20.000 euros au titre du trouble commercial résultant de la violation de la clause de non-sollicitation du personnel et des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par elle, outre les intérêts légal à compter de l’assignation et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai de 10 jours francs à dater de la notification de la décision à intervenir par montant dû jusqu’à délivrance de la totalité de la somme due ;

Juger que, compte tenu de l’ensemble des fautes commises par la société Arije, la société Royal Corps a subi un préjudice moral,

Condamner la société Arije à indemniser la société Royal Corps à hauteur de 10.000 euros au titre de son préjudice moral, outre les intérêts au taux légal à compter de l’assignation et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai de 10 jours francs à dater de la notification de la décision à intervenir par montant dû jusqu’à délivrance de la totalité de la somme due ;

Condamner la société Arije à payer à la société Royal Corps la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2025.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l’exception d’incompétence

Exposé des moyens

Selon la société Arije, l’article 7 du contrat des parties renvoie à la compétence du tribunal de commerce de Melun et cette clause était conçue dans l’intérêt commun des deux parties. Elle sollicite toutefois que la Cour évoque l’affaire.

En réplique, la société Royal Corps fait valoir que la clause a été insérée au bénéfice exclusif du « Prestataire », elle-même, et qu’il est admis en jurisprudence que, celui dans l’intérêt duquel la clause a été stipulée, a la faculté d’y renoncer.

Réponse de la Cour

Il résulte du libellé de la clause attributive de compétence au profit des « tribunaux dont dépend le siège social du Prestataire » figurant à l’article 7 du contrat liant les parties, que celle-ci a été stipulée dans l’intérêt du prestataire, la société Royal Corps.

C’est vainement que la société Arije qui n’a aucun lien de rattachement avec le tribunal de commerce de Melun excipe qu’il serait aussi de son intérêt d’être jugé en dehors du périmètre parisien par souci de discrétion, s’agissant d’une affaire mettant en cause la sécurité de ses établissements, alors qu’elle jouit d’une renommée internationale avec des enseignes non seulement à Paris et sur la Côte d’Azur mais aussi à Monaco et à Londres, de sorte qu’elle ne démontre pas en quoi la désignation du tribunal de Melun serait de nature à la protéger.

Dès lors, la société Royal Corps qui avait la faculté de renoncer à cette clause d’élection de for, a pu assigner la société Arije devant le tribunal de commerce de Paris, dans le ressort duquel se trouve son siège social.

Le jugement doit être confirmé en ce que le tribunal s’est déclaré compétent.

Sur la résiliation du contrat

Exposé des moyens

La société Arije admet avoir mis fin au contrat qui la liait à la société Royal Corps sans notification formelle écrite tout en faisant valoir que cette dernière en a pris acte le jour même et qu’elle a cessé de dépêcher ses agents sur site.

Selon elle, la résiliation immédiate sans mise en demeure préalable était justifiée par le comportement gravement fautif de la société Royal Corps dès lors que ses agents ont capté et enregistré au moyen de leurs smartphones des images de personnalités présentes en boutique, en violation des exigences de confidentialité prévues à l’article 4 du contrat de prestation de service et de l’article 9 du code de déontologie des personnes physiques ou morales exerçant des activités privées de sécurité.

Elle conteste l’estimation du préjudice allégué par la société Royal Corps et estime que l’indemnisation doit se limiter à la perte subie qui est égale à la marge brute dont la victime de la résiliation a été privée. Elle ajoute que le contrat ne prévoyait aucune stipulation quant au volume de travail confié à la société Royal Corps.

En réplique, la société Royal Corps expose avoir appris par l’intermédiaire de ses salariés mais sans en être directement et préalablement notifiée, la décision unilatérale de la société Arije de suspendre la mission qui lui avait été confiée, sans jamais obtenir d’explications malgré ses demandes répétées en ce sens.

Elle conteste la réalité des manquements allégués par la société Arije, faisant observer que celle-ci a invoqué pour la première fois ce motif de rupture quand elle a appris qu’une action judiciaire allait être engagée, déposant plainte devant le tribunal judiciaire pour captation d’images confidentielles le 7 octobre 2020, soit un an et demi après la rupture contractuelle.

Selon elle, la résiliation du contrat avant le terme initialement prévu constitue une faute de la part de la société Arije. Elle dit avoir subi un préjudice financier significatif qui correspond à la marge moyenne brute réalisée par la société Royal Corps dans le cadre du contrat avec la société Arije, multipliée par le nombre de mois précédant le terme initialement convenu soit 7.918,75 euros x 21,82 mois = 172.787,13 euros.

Réponse de la Cour

Ainsi que le tribunal l’a justement retenu, le contrat de prestation de services liant les parties, est un contrat à durée déterminée. Conformément à l’article 1212 alinéa 1er du code civil, chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme.

Or, Arije a mis fin unilatéralement au contrat sans notification écrite préalable et le prestataire l’a appris indirectement le 4 avril 2019.

Ainsi que le relève la société intimée, Arije a attendu le 7 octobre 2020 pour déposer plainte auprès de monsieur le procureur de la République de [Localité 3] (Pièce 7 de l’appelante) alors que la rupture est intervenue le 4 avril 2019.

Contrairement à ce qu’elle soutient, Arije ne justifie pas d’un motif grave de résiliation puisqu’en effet, elle ne rapporte pas la preuve de la violation de l’obligation de confidentialité par les salariés de Royal Corps qu’elle allègue.

A cet égard, les attestations produites imprécises (celle de M [F] [S], celle de M [M] [Y]) et dépourvues de la neutralité nécessaire (M [C] [N] est ancien salarié de Royal Corps, comme M [M] [Y], M [D] [K] est lié comme M [F] [S] par un lien de subordination avec la société Arije) sont inopérantes.

Aussi, la rupture anticipée du contrat est fautive et engage la responsabilité contractuelle de la société Arije, conformément aux dispositions de l’article 1231-1 du code civil selon lesquelles : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. ».

L’article 1232-2 du code civil dispose que « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. ».

Ce contrat qui a commencé le 24 janvier 2019 a été ainsi rompu unilatéralement à la date du 4 avril 2019 alors qu’il venait à terme le 24 janvier 2021, soit 21,82 mois avant son expiration.

La rupture anticipée du contrat donne droit à réparation du préjudice résultant de la perte des sommes que la société Royal Corps aurait dû percevoir jusqu’au terme du contrat initialement prévu.

Le préjudice subi consiste en la perte de marge sur coûts variables subie par la victime du fait de l’absence d’exécution du contrat jusqu’à son terme.

Le tribunal a cependant justement effectué son calcul en retenant une marge brute, s’agissant en l’espèce de prestations consistant en un détachement de personnel quasiment sans charges variables.

Il a ainsi retenu une marge brute mensuelle moyenne de 7 918,75 € pour la société Royal Corps et évalué à la somme de 172 787,13 € (7 918,75 € X 21,82 mois) le montant du préjudice subi par cette dernière du fait de la rupture du contrat.

Il sera ajouté que la société Arije qui invoque la crise sanitaire due au Covid 19, ne justifie pas de la réduction des effectifs de sécurité qu’elle allègue, s’agissant d’une boutique de haute joaillerie.

Également, les calculs effectués sont fondés sur les factures réglées par la société Arije et les coûts des salariés y compris les charges patronales (pièces 8 à 12 de l’intimée).

Le jugement est confirmé en ce que le tribunal a condamné la société Arije à payer à la société Royal Corps la somme de 172 787,13 €.

Sur l’appel incident de la société Royal Corps : La clause de non-sollicitation et les actes de concurrence déloyale et parasitaire

Exposé des moyens

Au soutien de son appel incident, la société Royal Corps prétend que la société Arije aurait violé son engagement de non sollicitation et procédé à des actes de concurrence déloyale en débauchant certains de ses salariés. Elle ajoute que la société Arije aurait en outre commis des actes de parasitisme en captant le savoir-faire de la société Royal Corps, notamment par le recrutement de ses anciens salariés.

Elle dit avoir subi un trouble commercial à ce titre évalué à la somme de 20.000 euros ainsi qu’un préjudice moral évalué à 10.000 euros.

En réplique, la société Arije fait valoir que ces salariés ne sont pas les siens mais ceux de la société Hexagone, prestataire externe chargé du service de sécurité et de surveillance.

S’agissant de la clause de non sollicitation invoquée, elle dit ne pas avoir eu connaissance des conditions générales de vente qui contiendraient une telle clause, de sorte que ces stipulations ne lui sont pas opposables.

S’agissant du parasitisme, elle conteste tout détournement de savoir-faire dès lors que les fiches d’orientation établies par la société Royal Corps l’ont été en concertation avec les services internes d’Arije et les responsables de la société Hexagone qui encadraient le plus grand nombre d’agents sur les sites.

Réponse de la Cour

La société Royal Corps invoque la violation de la clause de non-sollicitation figurant à l’article 2 des conditions générales de vente, sans établir l’opposabilité de celle-ci à la société Arije. En effet, elle ne produit pas les conditions générales de vente signées par cette dernière, celles-ci n’étant pas mentionnées ni annexées au contrat.

La société Royal Corps invoque également des actes de concurrence déloyale pour débauchage du personnel sans établir l’existence de manoeuvres déloyales, étant observé que les salariés ont été recrutés par la société Hexagone.

Enfin, elle fait état d’actes de parasitisme qu’elle impute à la société Arije, sans établir la valeur économique du savoir-faire qu’elle allègue.

Le jugement est confirmé en ce que le tribunal a rejeté le préjudice commercial sollicité.

S’agissant de la demande au titre du préjudice moral, la société Royal Corps ne justifie pas du préjudice qu’elle invoque. Elle n’établit pas l’existence d’un préjudice non réparé par les sommes allouées en réparation du la rupture fautive du contrat.

Cette demande a été justement rejetée par le tribunal.

Les demandes au titre des intérêts au taux légal et de l’astreinte journalière au titre du trouble commercial et du préjudice moral sont en conséquence rejetées.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement est confirmé en ce que le tribunal a condamné la société Arije qui succombe, aux dépens et au paiement de frais irrépétibles.

Le sens de l’arrêt commande de condamner celle-ci aux dépens d’appel et à verser la somme supplémentaire de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société Royal Corps, sa demande sur ce dernier fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises ;

Y ajoutant,

Déboute la société Arije de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société Arije aux dépens d’appel et à payer à la société Royal Corps la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA CONSEILLERE FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENTE,


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