Rupture commerciale : enjeux de préavis et responsabilités contractuelles

·

·

Rupture commerciale : enjeux de préavis et responsabilités contractuelles

Rupture brutale des relations commerciales

L’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce stipule qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Cette disposition vise à sanctionner la brutalité de la rupture, caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis. Le délai de préavis doit être proportionnel au temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, en tenant compte de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie.

Inexécution des obligations contractuelles

Les dispositions précitées ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. La jurisprudence a précisé que la rupture, bien que brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548).

Déséquilibre significatif dans les relations commerciales

L’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Les éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence incluent la soumission ou la tentative de soumission, ainsi que l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif. L’élément de soumission implique la démonstration de l’absence de négociation effective ou l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation.

Obligations de conformité et actions correctives

La société NMA a gravement manqué à ses obligations en ne mettant pas en œuvre des actions correctives pertinentes pour remédier aux non-conformités récurrentes constatées par la société Staubli [Localité 4]. Les exigences de qualité étaient connues et précises, et la société Staubli [Localité 4] a manifesté à plusieurs reprises son insatisfaction devant l’absence de réponse donnée à ses demandes réitérées d’actions correctives.

La société NMA ne fournit aucun élément concret ou explication permettant d’établir qu’elle a pris les dispositions nécessaires pour répondre aux attentes de son donneur d’ordre, ce qui justifie la rupture sans préavis pour les pièces faisant l’objet des rapports de non-conformité.

L’Essentiel : L’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce engage la responsabilité de tout producteur ou commerçant qui rompt brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit. Cette rupture doit respecter un délai proportionnel à la durée de la relation commerciale. En cas d’inexécution des obligations par l’autre partie ou de force majeure, la résiliation sans préavis est possible. De plus, la soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif engage également la responsabilité de l’auteur.
Résumé de l’affaire : La société NMA, spécialisée dans la fabrication de pièces techniques en plastique, a entretenu une relation commerciale avec la société Staubli [Localité 4], fournisseur de solutions mécatroniques, depuis 2000. Cependant, à partir de février 2015, des tensions sont apparues en raison de non-conformités répétées dans les pièces livrées, notamment des bagues anti-extrusion. Malgré plusieurs propositions de modification des conditions commerciales par la société Staubli [Localité 4], la situation s’est détériorée, conduisant à la rupture de la relation commerciale par lettre du 2 mai 2016, avec effet au 15 septembre 2016.

En avril 2021, la société NMA a assigné la société Staubli [Localité 4] devant le tribunal de commerce de Marseille, réclamant des dommages-intérêts pour rupture brutale de leur relation commerciale. Le tribunal a rendu un jugement le 22 novembre 2022, constatant que la rupture était due aux torts exclusifs de la société NMA, déboutant cette dernière de toutes ses demandes et la condamnant à payer des frais à la société Staubli [Localité 4]. La société NMA a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses conclusions, la société NMA a soutenu que la rupture était abusive et a demandé des réparations pour préjudice moral et perte de marge. En revanche, la société Staubli [Localité 4] a justifié la rupture par des manquements graves de la société NMA, notamment l’absence d’actions correctives face aux non-conformités signalées. La Cour a confirmé le jugement de première instance, considérant que la société NMA avait effectivement manqué à ses obligations et que la rupture était justifiée. Elle a également rejeté les demandes de la société NMA concernant la reprise de stock et le déséquilibre significatif dans la relation commerciale. La société NMA a été condamnée aux dépens et à verser des sommes à la société Staubli [Localité 4] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la rupture brutale des relations commerciales établies ?

La rupture brutale des relations commerciales établies est régie par l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Cet article stipule que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. »

Il est important de noter que cette disposition ne fait pas obstacle à la résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Ainsi, la brutalité de la rupture est caractérisée par l’absence de préavis écrit ou par l’insuffisance de celui-ci, ce qui doit permettre à l’entreprise délaissée de se réorganiser en fonction de la durée et des spécificités de la relation commerciale.

Quel est le rôle des non-conformités dans la justification de la rupture ?

Les non-conformités jouent un rôle crucial dans la justification de la rupture des relations commerciales. En effet, la société Staubli [Localité 4] a invoqué des manquements graves aux obligations contractuelles de la société NMA, notamment des défauts de conformité récurrents sur des pièces livrées.

La Cour a constaté que la société NMA n’a pas mis en œuvre d’actions correctives pertinentes malgré les nombreuses alertes de la société Staubli [Localité 4]. Cela est corroboré par l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui permet une rupture sans préavis en cas d’inexécution des obligations contractuelles.

La jurisprudence indique que la rupture, bien que brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave. En l’espèce, la société NMA a gravement manqué à ses obligations, ce qui a permis à la société Staubli [Localité 4] de rompre la relation commerciale sans préavis.

Quel est le préavis requis en cas de rupture des relations commerciales ?

Le préavis requis en cas de rupture des relations commerciales est déterminé par l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui stipule que la durée minimale de préavis doit être respectée en fonction de la durée de la relation commerciale et des usages du commerce.

Dans le cas présent, la société NMA a estimé qu’un préavis de 24 mois était nécessaire en raison de l’ancienneté de la relation commerciale. Cependant, la Cour a jugé que le préavis de 4 mois accordé par la société Staubli [Localité 4] était suffisant, compte tenu des manquements graves de la société NMA.

La Cour a également noté que le délai de préavis doit permettre à l’entreprise délaissée de se réorganiser, ce qui n’a pas été le cas ici, car la société NMA n’a pas démontré qu’elle avait besoin d’un délai plus long pour s’adapter à la rupture.

Quel est le fondement des demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral et perte de marge ?

Les demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral et perte de marge sont fondées sur la responsabilité délictuelle prévue par l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. La société NMA a réclamé des indemnités en raison de la rupture brutale de la relation commerciale, arguant que la société Staubli [Localité 4] n’avait pas justifié la rupture sans préavis.

La Cour a constaté que la société NMA n’avait pas prouvé que les défauts de conformité étaient mineurs et que la rupture était injustifiée. En conséquence, la demande de 141 940 euros pour perte de marge et de 10 000 euros pour préjudice moral a été rejetée.

La jurisprudence souligne que pour obtenir des dommages-intérêts, il est nécessaire de prouver le lien de causalité entre la rupture et le préjudice subi, ce qui n’a pas été établi dans ce cas.

Quel est le cadre juridique de la reprise de stock après rupture des relations commerciales ?

La reprise de stock après rupture des relations commerciales est généralement régie par les termes du contrat entre les parties et les obligations qui en découlent. Dans ce cas, la société NMA a demandé une indemnisation pour l’absence de reprise de stock, affirmant que la société Staubli [Localité 4] avait initialement annoncé qu’elle reprendrait le stock.

Cependant, la société Staubli [Localité 4] a précisé que la reprise était conditionnée à la conformité des pièces avant expédition. La Cour a jugé que les conditions d’une reprise de stock n’étaient pas réunies, car la société NMA n’a pas établi de lien entre la brutalité de la rupture et sa demande de reprise de stock formulée plusieurs années après la rupture.

Ainsi, la demande de reprise de stock a été déboutée, confirmant que la responsabilité de la société Staubli [Localité 4] n’était pas engagée à cet égard.

Quel est le principe du déséquilibre significatif dans les relations commerciales ?

Le principe du déséquilibre significatif dans les relations commerciales est énoncé à l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Cet article stipule qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Pour établir un déséquilibre significatif, il faut démontrer l’absence de négociation effective ou l’usage de menaces visant à forcer l’acceptation. La société NMA a soutenu que la société Staubli [Localité 4] avait tenté de lui imposer des obligations déséquilibrées, mais la Cour a jugé que la société NMA n’avait pas prouvé l’existence d’une telle soumission.

La Cour a également noté que les exigences de la société Staubli [Localité 4] étaient légitimes et en lien avec la qualité des produits, ce qui ne constituait pas un déséquilibre significatif. Par conséquent, la demande de la société NMA a été rejetée.

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 12 MARS 2025

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 23/00653 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CG43D

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2022 – Tribunal de commerce de Marseille – RG n° 2021F00594

APPELANTE

S.A.S. NMA, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au R.C.S. de Tarascon sous le numéro 402 976 138

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Arnaud Guyonnet de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris, toque : L044

Assistée de Me Ludovic Heringuez, avocat au barreau de Marseille

INTIMEE

S.A.S. STAUBLI [Localité 4], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au R.C.S. d’Annecy sous le numéro 325 720 720

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Isabelle Caillaboux de la SELARL Sautelet Caillaboux Fargeon – Lutetia Avocats, avocat au barreau de Paris, toque : C1917

Assistée de Me François Charpin de la SELARL QG Avocats, avocat au barreau de Lyon, toque : 748

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée le 28 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Sophie Depelley, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre

Mme Sophie Depelley, conseillère

M. Julien Richaud, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Valérie Jully

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par M. Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

La société NMA a pour activité la fabrication de pièces techniques à partir de matières plastiques.

La société Staubli [Localité 4] a pour activité la fourniture de solutions mécatroniques portant sur les systèmes de connexion, la robotique et le textile.

La société NMA et la société Staubli [Localité 4] ont entretenu un courant d’affaires depuis l’année 2000. La société NMA a fabriqué pour la société Staubli [Localité 4] diverses références de pièces usinées à base de matières plastiques fluorées à partir de plan industriels et cahier des charges fournis par cette dernière.

A partir de février 2015, la relation commerciale entre les parties s’est dégradée, la société Staubli [Localité 4] se plaignant de non-conformités récurrentes de pièces, principalement des bagues anti-extrusion, et ayant soumis à la société NMA plusieurs propositions de modifications des conditions de la relation commerciale.

Par lettre du 2 mai 2016, la société Staubli [Localité 4] a mis fin à la relation commerciale qu’elle entretenait avec la société NMA en raison de nombreuses non-conformités rencontrées dans les pièces livrées et sans action corrective, avec prise d’effet au 15 septembre 2016.

Par acte du 15 avril 2021, la société NMA a assigné la société Staubli Faverges devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de leur relation commerciale.

Par jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de commerce de Marseille a :

– Constaté la rupture de la relation commerciale en date du 2 mai 2016 aux torts exclusifs de la société NMA,

– Débouté la société NMA de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– Condamné la société NMA à payer à la société Staubli [Localité 4] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure,

– Laissé à la charge de la société NMA les dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu’énoncés par l’article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction seront liquidés à la somme de 70,55 euros

– Dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire,

– Rejeté pour le surplus tout autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

Par déclaration reçue le 21 décembre 2022, la société NMA a interjeté appel du jugement.

Vu les dernières conclusions de la société NMA, déposées et notifiées le 21 mars 2023, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce, applicable au présent cas d’espèce,

Vu les articles 1104, 1211 et 1134 du Code Civil,

Vu l’article L 442-6 I 2° du Code de commerce, applicable au présent cas d’espèce,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces du dossier,

Vu la présente assignation,

Déclarer recevable et fondé l’appel interjeté par la société NMA,

Y faisant droit, infirmer le jugement entrepris par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu’il a :

– Constaté la rupture de la relation commerciale en date du 02 Mai 2016 aux torts exclusifs de la société NMA,

– Débouté la société NMA de toutes ses demandes, fins, et conclusions,

– Condamné la société NMA à payer à la société Staubli [Localité 4] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure,

– Laissé à la charge de la société NMA les dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu’énoncés par l’article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes, et émoluments perçus par le secrétariat greffe seront liquidés à la somme de 70,55 euros,

– Dit que le jugement est exécutoire à titre provisoire.

Infirmer plus généralement, tous chefs de jugement faisant grief à la société NMA.

Statuant à nouveau :

Constater la société NMA bien fondée en son action.

A titre principal :

Constater que la société Staubli [Localité 4] a diminué substantiellement le chiffre d’affaires avec la société NMA à partir du courrier de notification de rupture des relations commerciales établies du 14 Février 2019,

Constater que la société Staubli [Localité 4] a rompu brutalement et abusivement les relations commerciales établies avec la société NMA,

Constater que la société Staubli [Localité 4] a commis une faute,

Constater que la société Staubli [Localité 4] devait respecter un préavis de 24 mois compte tenu des relations commerciales entretenues avec la société NMA depuis l’année 2000.

En conséquence :

Condamner la société Staubli [Localité 4] à verser à la société NMA la somme de cent quarante et un mille neuf cent quarante euros (141 940 euros) en réparation du préjudice subi au titre de la brutalité de la rupture, représentant 24 mois de préavis,

Condamner la société Staubli [Localité 4] à verser à la société NMA la somme de huit mille six cent trente trois euros et soixante treize centimes (8 633,73 euros) au titre du préjudice subi du fait de l’absence de reprise des stocks

Enjoindre la société Staubli [Localité 4] de procéder à la reprise dudit stock sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,

Condamner la société Staubli [Localité 4] à verser à la société NMA la somme de dix mille euros (10 000 euros) à titre de préjudice moral du fait de la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies,

Juger que ces sommes produiront des intérêts au taux légal à compter de la présente assignation.

A titre subsidiaire :

Constater que la société Staubli [Localité 4] a commis un abus dans la relation commerciale en tentant de soumettre la société NMA à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

Condamner la société Staubli [Localité 4] à verser à la société NMA la somme de cent quarante et un mille neuf cent quarante euros (141 940 euros) au titre du préjudice subi du fait de cet abus,

Juger que ces sommes produiront des intérêts au taux légal à compter de la présente assignation.

En tout état de cause :

Condamner la société Staubli [Localité 4] à verser à la société NMA la somme de dix mille euros (10 000 euros) sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamner la société Staubli [Localité 4] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Vu les dernières conclusions de la société Staubli [Localité 4], déposées et notifiées le 14 avril 2023, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Confirmer le jugement en ce qu’il a :

– Rejeté l’ensemble des demandes de la société NMA,

– Condamné la société NMA à payer à la société Staubli [Localité 4] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné la société NMA aux entiers dépens,

Y ajoutant,

Condamner la société NMA à payer à la société Staubli [Localité 4] la somme de 6000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société NMA aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile

MOTIVATION

I- Sur les demandes à titre principal fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Préalablement, la Cour observe qu’à titre principal, la société NMA réclame différentes sommes au titre d’une rupture « brutale et abusive » des relations commerciales établies, et que tout en visant l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, elle cite également les articles 1104 et 1121 du code civil. Toutefois, à la lecture des motifs des dernières conclusions et de la formulation des demandes de dommages-intérêts dans le dispositif, la Cour retient que celles-ci sont en réalité fondées exclusivement sur la responsabilité délictuelle prévue à l’article L.442-6, I, 5° précité.

1- Sur les demandes de dommages-intérêts en réparation d’une perte de marge et d’un préjudice moral

Exposé des moyens,

Au soutien de son appel, la société NMA expose qu’elle a noué avec la société Staubli [Localité 4] des relations commerciales établies depuis 2000 et que cette dernière ne rapporte pas la preuve de manquements suffisamment graves justifiant une rupture sans préavis, étant précisé que les défauts de conformité observés ne représentaient qu’une partie infime du flux d’affaires entretenu par les parties et ne concernaient que des défauts mineurs. Elle fait observer que la société Staubli [Localité 4] a rompu leur relation commerciale par courrier du 2 mai 2016 avec prise d’effet au 15 septembre 2016, soit en appliquant un délai de préavis excluant tout manquement grave. Elle reproche à la société Staubli [Localité 4] de l’avoir sanctionnée, par cette rupture, pour avoir refusé l’application de pénalités forfaitaires d’un montant disproportionné de 250 euros par non-conformité et qu’elle a tenté de lui imposer par des man’uvres déloyales de chantage.

Concernant l’exécution du délai de préavis, la société NMA indique que suite à la réception du courrier de rupture du 2 mai 2016, elle a subi une baisse substantielle de volume de prestations à fournir, laquelle correspond à une rupture brutale partielle des relations commerciales établies dès lors que le délai de préavis doit permettre aux parties de maintenir leur relation commerciale dans les mêmes conditions que celles précédant la lettre de rupture. Elle estime, qu’en considération de l’ancienneté des relations commerciales et du temps nécessaire pour sa réorganisation après la perte d’un client représentant 10 % de son chiffre d’affaires, elle devait bénéficier d’un préavis minimum de 24 mois. Elle évalue son préjudice de perte de marge à la somme de 141 940 euros et son préjudice moral du fait du comportement d’ensemble de la société Staubli [Localité 4] à la somme de 10 000 euros.

En réponse, la société Staubli [Localité 4] rappelle que si les dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce précisent qu’en cas de rupture des relations contractuelles établies, il est nécessaire de prévoir un préavis suffisant, cette obligation ne s’applique pas en cas d’inexécution contractuelle comme en l’espèce, et cite différentes jurisprudences analysant les réticences à se conformer aux procédure de contrôles et les défauts de conformité comme de graves manquements aux obligations contractuelles. Aussi, elle expose avoir rompu la relation commerciale par lettre du 2 mai 2016 avec prise d’effet au 15 septembre 2016 en raison de défauts de non-conformité persistants de 2014 à 2016. Elle explique avoir fait part de ses nouvelles exigences qualité à l’ensemble de ses fournisseurs en 2014, dont la société NMA, et que, dans ce cadre, elle a décelé de nombreux manquements à ses exigences qualités, principalement sur des bagues anti-extrusion. Elle précise que malgré ses nombreuses sollicitations, la société NMA n’a mené aucune action corrective pour remédier aux non-conformités relevées, ou trop tardivement. Elle affirme avoir sollicité des prises de rendez-vous auprès de la société NMA pour remédier à ces manquements mais que celle-ci n’y a pas donné suite.

S’agissant de l’exécution du délai de préavis, la société Staubli [Localité 4] soutient que la lettre de rupture du 2 mai 2016 concerne les références ayant fait l’objet de rapports de non-conformité et que dès lors, elle s’engageait pour le surplus à continuer la relation commerciale jusqu’au 15 septembre 2016, soit en octroyant à la société NMA un délai de préavis de 4 mois.

Réponse de la Cour

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis. Le délai de préavis doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548).

En l’espèce, les parties ne contestent pas avoir entretenu une relation commerciale établie depuis 2000, le flux d’affaires représentant environ 10 % du chiffre d’affaires global de la société NMA.

A compter du 15 septembre 2016, date de prise d’effet du courrier de rupture du 2 mai 2016, plus aucun flux d’affaires ne s’est opéré entre les parties, la société Staubli [Localité 4] opposant à la société NMA des manquements graves à ses obligations liés à des non-conformités récurrentes et auxquelles cette dernière n’a pas apporté d’actions correctives en temps utile.

La Cour observe d’abord que les deux parties versent aux débats les spécifications de la société Staubli [Localité 4] relatives aux exigences qualité, établies le 27 septembre 2012, et aux termes desquelles il est prévu un dispositif de suivi de la qualité pour prévenir toute dérive avec le traitement des anomalies par des demandes d’actions correctives.

Ensuite, il n’est pas sérieusement contesté que la société Staubli [Localité 4] a déploré une recrudescence des non-conformités de la part de la société NMA à partir du début de l’année 2014 et qui ont persisté jusqu’en 2016 (pièce n°22). Ainsi, 21 rapports de non-conformité ont été adressés à la société NMA par la société Staubli [Localité 4] entre le mois d’avril 2014 et le mois de mai 2016 (pièces n°64 à 87 de l’intimée). Il ressort des rapports d’activité (pièces n°26 à 35 de l’intimée), des échanges de courriels entre les parties (pièces intimée n°6 à 10) et des réunions qualité tenues les 12 mai 2014 et 1er octobre 2015 que la société NMA n’a pas répondu aux demandes récurrentes de la société Staubli [Localité 4] de mettre en place des actions correctives pertinentes (pièces intimée n° 3 et 96).

La société NMA ne conteste pas la réalité de ces non-conformités depuis 2014 et les exigences d’actions correctives attendues de la part de la société Staubli [Localité 4], notamment reprises dans un courriel du 12 février 2015 (pièce intimée n°7). Elle ne fournit cependant aucun élément concret ou explication permettant d’établir qu’elle a pris les dispositions nécessaires pour répondre aux attentes précises de son donneur d’ordre ou que celles -ci n’étaient pas réalistes. Elle produit aux débats des fiches de « dysfonctionnement et d’amélioration » (pièces n°16) mais n’en fournit aucune analyse particulière. Elle se borne au contraire à faire valoir que le taux de non-conformité n’était pas important au regard du flux d’affaires entre les parties et que la société Staubli [Localité 4] a tenté de lui imposer des pénalités disproportionnées et sans contrepartie, sans pur autant l’établir.

De l’ensemble, il est démontré que la société NMA a gravement manqué à ses obligations en ne mettant pas en ‘uvre des actions correctives pertinentes pour remédier aux non-conformités récurrentes constatées par la société Staubli [Localité 4] dont les exigences qualités étaient connues et précises et qui a manifesté à plusieurs reprises son insatisfaction devant l’absence de réponse donnée à ses demandes réitérées d’actions correctives.

Dans ces circonstances, la société Staubli [Localité 4] était en droit de rompre la relation commerciale établie sans délai de préavis pour les pièces faisant l’objet des rapports de non-conformité, à savoir les bagues anti-extrusion qui représentaient une part importante du flux d’affaires réalisé entre les parties et justifiant la baisse de commandes à compter du mois de mai 2016. Le délai de préavis de 4 mois octroyé pour les autres pièces était suffisant au regard de l’ancienneté des relations et de la part que représentait le flux d’affaires dans le chiffre d’affaires global de la société NMA, qui au surplus ne donne pas d’information particulière sur le marché en cause et les spécificités éventuelles des produits pouvant constituer des contraintes pour redéployer son activité.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société NMA de sa demande de 141 940 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies et de sa demande de 10 000 euros en réparation du préjudice moral en résultant.

2- Sur la demande relative à la reprise du stock

Exposé des moyens,

La société NMA demande « en marge du manque à gagner » une indemnisation au titre de l’absence de reprise de stock que la société Staubli [Localité 4] avait annoncé dans un premier temps.

Elle affirme qu’il s’agit d’un stock propre à certaines références de pièces commercialisées exclusivement pour le compte de la société Staubli [Localité 4] à hauteur de 8633,73 euros. Elle demande à la Cour de faire injonction de procéder à la reprise dudit stock sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir.

La société Staubli [Localité 4] indique qu’elle s’est engagée, dans sa lettre de rupture du 2 mai 2016, à reprendre le stock de bagues anti-extrusion présent au sein de la société NMA à condition que celle-ci s’assure de la conformité des pièces avant expédition. Elle ajoute que la dernière déclaration de situation du stock concerné lui a été communiquée le 2 février 2016 par la société NMA. La société Staubli [Localité 4] expose par ailleurs que la marchandise doit être inexploitable, compte tenu des défauts de conformité susceptibles de l’affecter et des conditions de stockage depuis plusieurs années.

Réponse de la Cour

Par des motifs pertinents qui ne sont pas utilement contredits par la société NMA à hauteur d’appel et que la Cour adopte, le tribunal a considéré que les conditions d’une reprise de stock n’étaient pas réunies.

Il est ajouté que la société NMA n’établit pas non plus de lien entre la brutalité de la rupture et sa demande au titre d’une reprise de stock formulée plusieurs années après la rupture.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société NMA de sa demande de reprise des stocks à hauteur de 8 633,73 euros et de sa demande tendant à ce qu’il soit enjoint à la société Staubli [Localité 4] de reprendre les stocks sous astreinte.

II- Sur la demande à titre subsidiaire fondée sur un déséquilibre significatif

Exposé des moyens,

Au soutien de son appel, la société NMA expose que la société Staubli [Localité 4] a tenté de la soumettre à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en lui imposant de mettre en place des pénalités forfaitaires de 250 euros par non-conformité relevée et ce quel que soit le montant de la commande, de se déplacer en personne et à ses frais dans les locaux de la société Staubli [Localité 4] suivant l’avis de non-conformité et ce quel que soit le montant de la commande, et enfin de faire primer les conditions générales d’achat sur les conditions générales de vente. Elle insiste sur le fait que c’est son refus de se soumettre à cette pratique restrictive de concurrence qui a déclenché le processus pernicieux de rupture mis en ‘uvre par la société Staubli [Localité 4]. Elle soutient qu’elle était dans l’obligation de se soumettre à cette exigence afin de poursuivre la relation commerciale. Elle réclame la somme de 141 940 euros au titre du préjudice subi du fait de cette situation.

En réponse, la société Staubli [Localité 4] affirme que la société NMA ne démontre pas en quoi ses exigences qualités entraineraient un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations. Elle précise que seule l’incapacité de la société NMA à fournir des pièces conformes et de répondre à ses exigences a motivé la rupture de leur relation commerciale. Elle fait observer que la société NMA s’est focalisée sur un problème de pénalités jamais appliquées, sans répondre à ses demandes légitimes d’action correctives.

Réponse de la Cour,

L’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif.

L’élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l’absence de négociation effective ou l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation impliquant cette absence de négociation effective.

L’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

Par des motifs pertinents qui ne sont pas utilement contredits par la société NMA à hauteur d’appel et que la Cour adopte, le tribunal a retenu que les conditions d’application de l’article précité n’étaient pas réunies.

Il est ajouté que la société NMA ne démontre pas avoir été dans une situation de soumission empêchant toute négociation ni ne caractérise de menace ou le chantage allégué de la part de la société Staubli [Localité 4] qui ne conteste pas avoir envisagé la mise en place de pénalités forfaitaires devant la récurrence des non-conformités. Il ressort du document relatif à la stratégie qualité communiqué par la société Staubli [Localité 4] à ses fournisseurs en 2014 (pièce n°2 de l’intimée) que la modification des conditions de la relation commerciale est envisagée dans le cadre d’un changement stratégique de la société et non imposée par celle-ci à son prestataire en vue de forcer son acceptation en le privant de toute négociation effective. Par ailleurs, la Cour ne relève pas l’existence d’une disproportion importante entre ces propositions de modification de la relation commerciale, parmi lesquelles figure l’application de pénalités forfaitaires de 250 euros par non-conformité relevée, et les obligations du fournisseur de délivrer des produits conformes aux exigences de qualité.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il déboute la société NMA de sa demande à titre subsidiaire de 141 940 euros au titre du préjudice subi du fait d’abus résultant du déséquilibre significatif entre les parties.

III- Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société NMA aux dépens de première instance et à payer à la société Staubli [Localité 4] la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société NMA, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société NMA sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Staubli [Localité 4] la somme de 8 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

Condamne la société NMA aux dépens d’appel,

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société NMA et la condamne à verser à la société Staubli [Localité 4] la somme de 8 000 euros.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon