Rupture brutale des relations commercialesL’article L. 442-6 I du code de commerce stipule que la responsabilité d’un producteur, commerçant ou industriel est engagée lorsqu’il rompt brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation et respectant la durée minimale de préavis déterminée par les usages du commerce ou des accords interprofessionnels. Cette disposition vise à protéger les partenaires commerciaux contre des ruptures inattendues qui pourraient causer un préjudice significatif, en imposant une obligation de préavis. La rupture est considérée comme brutale lorsqu’elle ne respecte pas ces exigences, ce qui entraîne une obligation de réparation du préjudice causé. Conditions de la rupturePour qu’une rupture soit considérée comme non brutale, il est nécessaire qu’elle soit précédée d’un préavis écrit, précisant la date de cessation des relations commerciales. En l’absence d’un tel préavis, la rupture est qualifiée de brutale, engageant ainsi la responsabilité de l’auteur de la rupture. Dans le cas présent, la société [T] n’a pas fourni de préavis écrit à la société Chrono sport international, ce qui constitue une violation des obligations prévues par l’article L. 442-6 I du code de commerce. Évaluation du préjudiceL’évaluation du préjudice doit se faire à la date de la rupture, en tenant compte des circonstances entourant la cessation des relations commerciales. Le tribunal a retenu que la société Chrono sport international, dont l’activité était entièrement dédiée à la distribution des produits de la société [T], a été privée de toute possibilité de réorienter son activité en raison de la rupture brutale. Le préjudice a été calculé sur la base de la marge commerciale réalisée pendant les trois dernières années d’activité, ce qui est conforme aux pratiques judiciaires en matière d’évaluation des dommages-intérêts pour rupture de relations commerciales. Obligations de loyauté et de bonne foiLes parties à une relation commerciale sont tenues de respecter une obligation de loyauté et de bonne foi dans l’exécution de leurs engagements. L’article 1104 du code civil impose que les contrats soient exécutés de bonne foi, ce qui inclut le respect des obligations contractuelles et la loyauté dans les relations d’affaires. Dans cette affaire, la société [T] a tenté de prouver que la société Chrono sport international avait manqué à cette obligation, mais le tribunal a conclu que les éléments présentés ne démontraient pas un manquement suffisant pour justifier la rupture sans préavis. Compensation des créancesL’article 1347 du code civil prévoit que la compensation des créances s’opère à due concurrence, entraînant l’extinction simultanée des obligations réciproques. Dans le cadre de la liquidation judiciaire, les créanciers peuvent recouvrer leurs droits de poursuite dans les conditions de droit commun, même si leur créance n’a pas été admise dans la répartition. Ainsi, la société [T] a le droit d’agir contre la société liquidée, représentée par son liquidateur amiable, pour le paiement de ses créances, sous réserve des règles de compensation applicables. |
L’Essentiel : L’article L. 442-6 I du code de commerce engage la responsabilité d’un producteur ou commerçant en cas de rupture brutale d’une relation commerciale sans préavis écrit. Cette rupture est considérée comme brutale si elle ne respecte pas les exigences de préavis, entraînant une obligation de réparation du préjudice. La société [T] n’ayant pas fourni de préavis écrit à Chrono sport international, cela constitue une violation des obligations légales, entraînant une évaluation du préjudice basé sur la marge commerciale des trois dernières années.
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Résumé de l’affaire : Un inventeur a développé un système de chronométrage automatique et a fondé une société pour la fabrication d’instruments de mesure en 1996. En 2002, une autre société a été créée pour l’achat et la revente de chronomètres électroniques, avec un gérant qui a établi une relation commerciale exclusive avec la première société pour la distribution de ses produits dans plusieurs pays. Cependant, en mars 2017, l’inventeur a décidé de mettre fin à cette collaboration, entraînant des conséquences financières pour la société de distribution.
Peu après la rupture, le gérant de la société de distribution a demandé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, qui a été prononcée par le tribunal de commerce. En 2019, le liquidateur de la société de distribution, agissant au nom de celle-ci, a assigné la société de fabrication pour obtenir des dommages-intérêts, arguant d’une rupture brutale des relations commerciales. Le tribunal a reconnu cette rupture et a condamné la société de fabrication à verser une somme significative au liquidateur. La société de fabrication a fait appel de cette décision, contestant la qualification de la rupture comme brutale et soutenant que la société de distribution était responsable de ses propres difficultés financières. Elle a également demandé que le tribunal reconnaisse qu’aucun préjudice n’était dû à la société de distribution. Le liquidateur a, de son côté, demandé une réévaluation des dommages-intérêts, arguant que la somme initialement accordée était insuffisante. La cour a examiné les arguments des deux parties, confirmant la rupture brutale des relations commerciales et le préjudice subi par la société de distribution, tout en ordonnant une compensation des créances entre les deux sociétés. Finalement, la cour a statué en faveur du liquidateur, tout en confirmant certaines décisions du tribunal de première instance. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ?La demande de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies repose sur l’article L. 442-6 I du code de commerce, qui stipule : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. » Dans cette affaire, la Cour a constaté que la rupture des relations commerciales entre la société Chrono sport international et la société [T] a eu lieu sans préavis écrit, ce qui constitue une rupture brutale au sens de cet article. La Cour a également noté que la durée des relations commerciales n’était pas contestée, ce qui renforce la légitimité de la demande de dommages-intérêts. Quel est le rôle du préavis dans la rupture des relations commerciales ?Le préavis joue un rôle crucial dans la rupture des relations commerciales, comme le précise l’article L. 442-6 I du code de commerce. Pour qu’une rupture soit considérée comme non brutale, elle doit être précédée d’un préavis écrit qui respecte la durée minimale déterminée par les usages du commerce. La Cour a souligné que la société [T] n’a pas fourni de préavis écrit, ce qui a conduit à la qualification de la rupture comme brutale. En effet, un préavis doit être formellement notifié et indiquer la date de cessation des relations commerciales. La Cour a également noté que la société Chrono sport international a été informée de la rupture par la société [T] et non l’inverse, ce qui renforce l’argument selon lequel la rupture a été effectuée sans respect des procédures appropriées. Quel est l’impact de la cessation des paiements sur la demande de dommages-intérêts ?La cessation des paiements a un impact significatif sur la demande de dommages-intérêts, notamment en ce qui concerne l’évaluation du préjudice. La Cour a précisé que le préjudice doit être évalué à la date de la rupture, soit le 20 mars 2017, et non en tenant compte des événements survenus ultérieurement. L’article 1347 du code civil stipule que « la compensation s’opère par l’effet de la rencontre des dettes ». Cela signifie que si une partie doit de l’argent à l’autre, et vice versa, ces dettes peuvent être compensées. Dans ce cas, la société Chrono sport international a déclaré une cessation de paiements le 10 avril 2017, ce qui a été pris en compte par la Cour pour évaluer la situation financière de la société au moment de la rupture. Quel est le fondement de la demande de paiement de la somme de 39.470,16 € ?La demande de paiement de la somme de 39.470,16 € repose sur la déclaration de créance faite par la société [T] au liquidateur de la société Chrono sport international. Cette créance correspond à des factures émises entre le 13 janvier 2015 et le 6 février 2017. La société [T] soutient que sa créance a été régulièrement déclarée et que le liquidateur a contesté cette créance de manière illégitime en raison de la rupture brutale des relations commerciales. La Cour a rappelé que le jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour extinction du passif n’a pas autorité de chose jugée quant à l’extinction des créances, permettant ainsi à la société [T] de poursuivre son action contre la société liquidée. Quel est le rôle de l’article 700 du code de procédure civile dans cette affaire ?L’article 700 du code de procédure civile permet à une partie de demander le remboursement de ses frais de justice, y compris les honoraires d’avocat, à l’autre partie. Cet article stipule que « le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés ». Dans cette affaire, la Cour a décidé d’allouer à la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport international, la somme de 5.000 € en application de cet article, en raison de la perte de la société [T] dans ses prétentions. La Cour a également débouté la société [T] de sa demande relative aux frais de médiation, soulignant que ces frais ne sont pas couverts par l’article 700. |
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU12 MARS 2025
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/13798 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGG4A
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mai 2022 – Tribunal de commerce de Rennes – RG n° 2021F00256
APPELANTE
Société [T], SA de droit belge, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1] (BELGIQUE)
Représentée par Me Benjamin Moisan de la SELARL Baechlin Moisan, avocat au barreau de Paris, toque : L34
Assistée de Me Elsa Belicher-Flament de la SELARL Quesnel-Demay-Le Gall Glineau-Ouairy Jallais-Boucher-Beucher Flament, avocat au barreau de Rennes
INTIMES
S.E.L.A.R.L. [P] [H] ‘ MJO, prise en la personne de Maître [P] [H], ès qualités de mandataire liquidateur judiciaire de la société CHRONO SPORT INTERNATIONAL,
immatriculé au RCS de Poitiers sous le numéro 499 270 643
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Aurore Faroigi, avocat au barreau de Paris, toque : B1202
Assistée de Me Marie Dessein de la SELARL OGD & Associés, avocat au barreau de Nantes, substituée à l’audience par Me Aurore Faroigi, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame Sophie Depelley, conseillère, remplaçant Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, empêchée.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre,
Madame Sophie Depelley, conseillère
Monsieur Julien Richaud, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Valérie Jully
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, et par M. Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [T] est l’inventeur d’un système de chronométrage automatique par bandes magnétiques. En 1996, il a créé la société de droit belge [T] ayant pour activité la fabrication d’instruments de mesure, d’essai et de navigation.
La société Chrono sport international, dont le gérant était M. [R], a été créée en 2002 pour exercer l’activité d’achat/revente de chronomètres électroniques, l’installation de pistes et autres activités en découlant.
A compter de 1997, les parties ont entretenu des relations commerciales, M. [R], puis la société Chrono sport international assurant en exclusivité l’importation et la distribution des produits [T] pour la France, le Royaume Uni, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande et l’Afrique du Sud.
Par lettre du 20 mars 2017, M. [T] a annoncé à M. [R] sa décision de mettre un terme à la collaboration existante avec la société Chrono sport international. Il y précisait’: ‘Nous prenons donc, dès aujourd’hui, la décision de ne plus confier à Chonosport la représentation et l’importation de la marque [T] dans le réseau de revendeurs.’
Le 10 avril 2017, M. [R] a déposé une demande d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire de la société Chrono sport international. Le tribunal de commerce de Nantes, par jugements successifs a, le 12 avril 2017, prononcé la liquidation judiciaire de cette société, et le 9 décembre 2021, prononcé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif.
Entretemps, après une médiation restée infructueuse, une procédure engagée devant le tribunal de commerce de Nantes, opposant M. [R] à M. [T], laquelle a donné lieu à un jugement du 23 mai 2019 d’incompétence, les parties étant renvoyées à mieux se pourvoir.
Le 2 décembre 2019, la SELARL [P] [H]-MJO, prise en la personne de Me [P] [H], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Chrono sport international et M. [R] ont fait assigner la société [T] devant le tribunal de commerce de Rennes afin d’obtenir la somme de 657.762,92 €, à titre de dommages-intérêts, pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Le 9 décembre 2021, la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de Chrono sport international a été prononcée pour extinction du passif. Par décision de l’assemblée générale extraordinaire de cette société du 22 novembre 2021, la SELARL [P] [H] MJO en a été nommé liquidateur amiable.
Par jugement du 31 mai 2022, le tribunal de commerce de Rennes a :
– dit qu’il y avait eu rupture brutale des relations commerciales établies entre Chrono sport international et [T], aux torts de [T],
– condamné [T] à verser à la SEARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de Chrono sport international, la somme de 216.194,94 € au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, le déboutant du surplus de sa demande,
– débouté M. [R] de sa demande d’indemnité au titre d’un préjudice moral,
– condamné [T] à verser à la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport international la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais de médiation, la déboutant du surplus de sa demande,
– condamné [T] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration au greffe de la Cour du 19 juillet 2022, la société [T] a relevé appel du jugement à l’encontre de la SELARL [P] [H]-MJO, représentée par Me [P] [H], pris en sa qualité de liquidateur de la société Chrono sport international.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 février 2023, la société [T] demande à la Cour, au visa de l’article L. 442-6 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, des articles 1103, 1104, 1217 et 1347 du code civil ainsi que de l’article 700 du code de procédure civile :
1) d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit qu’il y a rupture brutale des relations commerciales établies entre Chrono sport international et [T], aux torts de [T],
– condamné [T] à verser à la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de Chrono sport international, la somme de 216.194,94 € au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,
– condamné la société [T] à verser à la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport international, la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais de médiation,
– condamné [T] aux dépens,
2) statuant à nouveau, de :
– à titre principal, juger qu’il n’y a aucune rupture brutale des relations commerciales établies entre les sociétés [T] et Chrono sport international,
– à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à considérer qu’il y a eu brutalité dans la rupture des relations commerciales, juger que Chrono sport international est seule responsable de la rupture brutale des relations commerciales établies et en conséquence, juger que l’inexécution par Chrono sport international de ses obligations contractuelles légitimait l’absence de préavis,
3) en tout état de cause, de :
– juger que Chono sport international n’a subi aucun préjudice indemnisable,
– condamner la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de liquidateur amiable de Chrono sport international, au paiement de la somme en principal de 39.470,16 €, outre intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2017,
– ordonner la compensation de toutes sommes qui pourraient être dues de part et d’autre entre les parties,
– condamner la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de liquidateur amiable de Chrono sport international au paiement, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de la somme de 5.000 € pour la première instance et de 5.000 € à hauteur de cour,
– débouter la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de liquidateur amiable de Chrono sport international de toutes prétentions, demandes, fins et conclusions.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 29 octobre 2024, la SELARL [P] [H]-MJO, prise en la personne de Me [P] [H], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport international, demande à la Cour, au visa de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019- 359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du code de commerce et L. 442-1 dans sa version postérieure, de :
1) déclarer recevable et fondé son appel incident,
2) à titre principal :
– réformer la décision entreprise en ce qu’elle a limité l’indemnisation de la société Chrono sport international à la somme de 216.194,94 € au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
– statuant à nouveau, condamner la société [T] à régler à la société Chrono sport international la somme de 657.762,92 € en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies,
3) à titre subsidiaire :
– débouter la société [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société [T] à verser la somme de 216.194,94 € au titre de la rupture des relations commerciales,
4) en tout état de cause :
– condamner la société [T] à payer à la société Chrono sport international la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais de médiation de 1.206 €,
– la condamner aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Me Aurore Faroigi.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 17 décembre 2024.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
* *
MOTIVATION
1) Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture des relations commerciales établies
Moyens et prétentions des parties :
La société [T] soutient, en premier lieu, qu’un préavis à durée indéterminée a été accordé à la société Chrono post international et que c’est cette dernière qui a décidé seule de ne pas l’effectuer en cessant unilatéralement son activité. Elle en veut pour preuve les éléments suivants :
– en novembre 2014, M. [R] a été victime d’un accident de santé qui lui a laissé de graves séquelles, qu’il n’a pu reprendre une activité normale et pérenne, une pension d’invalidité totale et permanente lui ayant été accordée le 1er août 2016′;
– en 2015, la société [T], souhaitant laisser une chance à son partenaire historique, a consenti à lui laisser l’exclusivité de la distribution de ses produits en France, reprenant celle en Europe pour une durée de six mois en raison de l’impossibilité pour M. [R] de se déplacer seul’;
– M. [R] n’a pu reprendre une activité normale et sa société a accusé de nombreux retards de paiement en dépit des délais accordés’;
– le 27 mars 2017, la société Chrono sport international a écrit à l’ensemble de ses clients qu’elle avait décidé d’arrêter la distribution et la commercialisation des produits [T] en faisant état de leur mauvaise qualité et en précisant qu’à compter de ce jour elle ne serait plus en mesure d’honorer leurs commandes.
La société [T] prétend, en deuxième lieu, que la rupture est imputable à la société Chrono sport international, en développant les arguments suivants :
– par courriel du 6 avril 2017, M. [R] a reproché au dirgeant de la société Marlon Kart d’être à l’origine de ses difficultés financières ainsi que de ses problèmes avec la société [T], le rendant responsable de sa faillite’;
– c’est en raison de ses problèmes de santé que M. [R] n’a pu exécuter ses obligations contractuelles, ce qui a causé préjudice à la société [T] dont le chiffre d’affaires a chuté de près de 37 % sur la période 2014 à 2017′;
– M. [R] a sollicité ‘auprès d’EIKOMS’ des renseignements sur un produit concurrent d’Alafano qu’il envisageait de commercialiser dans sa zone, manquant ainsi à ses obligations de distributeur exclusif’;
– la société Chrono sport international n’a pas satisfait à son obligation de paiement en dépit des délais consentis et de ses engagements de payer’;
– c’est en vain que la société Chrono sport international fait état de la défaillance des produits [T] alors qu’elle a elle-même reconnu leur bonne qualité à plusieurs reprises,
– les difficultés financières de la société Chrono sport international résultent davantage de la gestion de M. [R] qui a procédé à des transferts d’actifs sans contrepartie pour cette société au profit de la sci Chrono sport investissements, ce pourquoi la confusion des patrimoines a été retenue par un jugement du 20 février 2019 qui a étendu la liquidation judiciaire à la SCI.
En troisième lieu, la société [T] fait valoir qu’aucun préjudice n’est caractérisé dans la mesure où indépendamment de la rupture des relations commerciales, la société Chrono sport international se trouvait dans l’impossibilité de présenter un plan de redressement avec apurement du passif et que l’élaboration d’un plan de cession était impossible.
Elle souligne que :
– dans son jugement du 12 avril 2017 prononçant la liquidation judiciaire de la société Chrono sport international, le tribunal de commerce a fixé la date de cessation des paiements au 15 janvier 2017, ce qui faisait obligation à cette société de procéder à la déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours, soit au plus tard fin février 2017,
– de l’aveu même de M. [R] dans son courriel du 6 avril 2017 adressé à Marlon Kart, il a fermé son entreprise définitivement le 10 avril 2017 ‘suite au manque à gagner en chiffre d’affaires’.
Elle ajoute que pour l’évaluation du préjudice, seules les trois dernières années d’activité pourraient être prises en compte.
La SELARL [P] [H]-MJO, prise en la personne de Me [P] [H], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport international répond que :
– la brutalité de la rupture résulte de l’absence de préavis écrit, ce qui ne laisse aucun doute sur son imprévisibilité ;
– la société Chrono sport international s’est retrouvée en état de cessation des paiements dès le 31 mars 2017 et a été contrainte de solliciter l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, laquelle a été étendue à la SCI bailleresse de ses locaux ;
– seul un préavis de 2 ans aurait pu lui permettre de rechercher de nouveaux fournisseurs et de diversifier les produits à distribuer ou encore de permettre la cession de société ;
– dès 2014, M. [T] a commencé à travailler en direct avec les clients de la société Chrono sport international et c’est sans raison valable que la société [T] a rompu brutalement les relations commerciales en 2017 après avoir tenté de capter l’ensemble de la clientèle internationale de la société Chrono sport international ;
– la société [T] ne démontre aucun manquement de la société Chrono sport international à ses obligations contractuelles ;
– malgré ses soucis de santé, M. [R] a toujours continué à travailler et à respecter ses engagements envers la société [T], contrairement à cette dernière ;
– dès 2014, la société Chrono sport international avait fait part à la société [T] des difficultés rencontrées avec les clients qui se plaignaient régulièrement de produits défectueux ainsi que de problèmes d’approvisionnement, mais la société [T] n’a pas réglé les problèmes de sorte que les clients se sont tournés vers la concurrence ;
– depuis le début de la relation commerciale, la société Chrono sport international bénéficiait de délais de paiement pour régler les factures de la société [T], laquelle ne l’a jamais mise en demeure de payer ;
– l’allégation d’une violation de l’obligation de loyauté par la société Chrono sport international n’est pas justifiée.
– compte tenu de l’ancienneté des relations commerciales (20 ans), du degré de dépendance économique, du volume d’affaires réalisé et du temps nécessaire à l’entreprise pour se réorganiser, c’est un préavis de 24 mois qui aurait dû être accordé et le préjudice calculé sur la marge brute d’exploitation et de production de la société Chrono sport international depuis 2004, soit 10 ans avant les premières difficultés ;
– le préjudice s’élève ainsi à la moyenne annuelle des marges globales depuis 2004, soit 328.888,46 € x 2 = 657.762,92 €.
Réponse de la Cour,
L’article L. 442-6 I du code de commerce, applicable en la cause, dispose :
‘Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(‘) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels . (‘) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de de ses obligations ou en cas de force majeure.’
En l’espèce le caractère établi des relations commerciales n’est pas contesté, ni leur durée.
La Cour relève, en premier lieu que c’est en vain que la société [T] soutient que leur rupture ne serait pas brutale et qu’un préavis de durée indéterminée, ou de 2 ans, aurait été dans la réalité accordé à la société Chrono sport international. En effet, un préavis pour être valable doit être écrit et préciser la date de cessation des relations commerciales.
C’est encore en vain que la société [T] prétend que c’est la société Chrono sport international qui a décidé de mettre fin à ses activités, alors qu’il ressort de la chronologie que c’est Alfeano qui lui a notifié la fin de leurs relations par lettre du 20 mars 2017 et que ce n’est que le 27 mars 2017, soit postérieurement, que la société Chrono sport international a averti ses clients de la cessation de son activité de distribution des produits [T].
La Cour retient, en deuxième lieu, s’agissant des fautes reprochées par la société [T] à la société Chrono sport international, que :
– le manquement à l’obligation de loyauté n’est pas démontré : si cette société a pu se renseigner sur d’autres produits que ceux de la société [T], il n’est aucunement démontré qu’elle aurait manqué à son obligation d’exclusivité ;
– la société [T] est mal fondée à reprocher à la société Chrono sport international une mauvaise exécution de ses prestations alors que, le gérant de cette société souffrant de problèmes de santé, la société [T] a elle-même décidé de reprendre en direct la commercialisation de ses produits, ne lui laissant exercer son activité que sur le territoire français’;
– les retards de paiement ont été longtemps tolérés par la société [T] qui n’invoquent en définitive qu’une créance d’un montant de 39.470,16 €. Au regard des circonstances précédant la rupture, ce défaut de paiement ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une résiliation sans préavis.
En conséquence, la société [T] aurait dû notifier un préavis écrit à la société Chrono sport international. Ne l’ayant pas fait, sa responsabilité est engagée.
La Cour rappelle, en troisième lieu, que le préjudice subi par la société Chrono sport international doit être évalué à la date de la rupture, soit le 20 mars 2017, sans prendre en considération les faits survenus postérieurement.
A cette date, la société Chrono sport international n’avait pas encore déposé de déclaration de cessation des paiements. Elle ne l’a fait que le 10 avril 2017, en mentionnant comme date de cessation des paiement le 31 mars 2017, et en expliquant, à la rubrique «’pourquoi le redressement est manifestement impossible’» avoir rencontré différentes difficultés, dont le «’refus de faire évoluer ses produits par le fournisseur’» ainsi que des problèmes de santé, et pour finir’: «’poursuite de l’activité avec une salariée supplémentaire, en essayant de renouer avec les bénéfices, mais le marché était de plus en plus difficile, et le courrier du 20 mars, en mettant fin au contrat sans préavis ni indemnité, met fin à la vie de l’entreprise car les ventes du fournisseur représentent 100 % de nos ventes’» (pièce n°3).
C’est ultérieurement, par jugement du 12 avril 2017 ouvrant sa procédure de liquidation judiciaire que la date de cessation des paiements a été reporté provisoirement au 15 janvier 2017.
Il se déduit de l’ensemble que la rupture brutale des relations commerciales à la date du 20 mars 2017 a privé la société Chrono sport international, dont l’activité était entièrement dédiée à la distribution des produits Alfanol, de toute possibilité de trouver d’autres fournisseurs et de ré-orienter son activité en distribuant d’autres produits.
La Cour retient, en quatrième lieu, qu’au regard de la durée des relations commerciales, soit de 1997 jusqu’au 20 mars 2017, de la spécificité de l’activité de la société Chrono sport international et de l’exclusivité dont elle bénéficiait ainsi que du temps nécessaire pour ré-orienter son activité, c’est un préavis de 18 mois, comme retenu par le tribunal, qui aurait dû être accordé.
Le tribunal a ensuite, dans la décision attaquée, justement calculé le préjudice sur la base de la marge commerciale réalisée pendant les trois dernières années : 2014, 2015 et 2016, soit une moyenne mensuelle de 12.010,83 €. La Cour observe que cette référence n’est pas critiquée dans les écritures de la société [T], seul le nombre des exercices à prendre en compte faisant l’objet d’observations. Elle ne parait pas inadéquate eu égard à la nature de l’activité en cause.
Le jugement est confirmé.
2) Sur la demande de la société [T] en paiement de la somme de 39.470,16 €
Moyens et prétentions des parties :
Au soutien de cette demande la société [T] expose que :
– sa créance correspondant à des factures émises du 13 janvier 2015 au 6 février 2017, a été régulièrement déclarée le 9 juin 2017 entre les mains du liquidateur de la société Chrono sport international,
– de manière illégitime, le liquidateur a contesté la créance du fait de la rupture brutale des relations commerciales,
– le juge commissaire, par ordonnance du 24 mars 2021, ne pouvait légitimement rejeter la créance sur ce motif infondé et aurait dû ordonner le sursis à statuer,
– sa décision de rejet n’a pas autorité de la chose jugée,
– la procédure de liquidation judiciaire de la société Chrono sport international a fait l’objet d’une clôture pour extinction du passif le 9 décembre 2021 et depuis cette date la société est présumée in bonis, les créanciers non désintéressés dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire étant alors autorisés à reprendre leurs poursuites à l’encontre de la débitrice,
– aucune prescription ne peut lui être opposée, sa déclaration de créance du 9 juin 2017 ayant, comme toute demande en justice, interrompu la prescription jusqu’au 24 mars 2021, date de l’ordonnance de rejet.
La SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport international, se borne à opposer que la société [T] ne produit aucune déclaration de créance.
Réponse de la cour,
Le jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour extinction du passif n’a pas autorité de chose jugée quant à l’extinction des créances.
En l’absence de disposition légale contraire, les créanciers recouvrent leur droit de poursuite dans les conditions de droit commun, les décisions prises par le juge-commissaire étant opposables à la seule procédure collective.
En conséquence, la circonstance qu’une créance n’ait pas été admise dans la répartition est sans effet sur le droit à poursuite d’un créancier ayant fait l’objet d’une ordonnance du juge-commissaire qui a rejeté sa créance en raison d’une instance en cours.
Au cas présent, il ressort des pièces versées aux débats par la société [T] que :
– du matériel a été commandé et livré pour un montant de 34’718, 98 euros, et que cette dette est mentionnée dans la déclaration de cessation de paiement (pièce n°13)’;
– la société [T] a déclaré sa créance au passif de la société Chrono sport international le 9 juin 2017 pour un montant de 39.470,16 €’; celle-ci a été contestée en son entier par le liquidateur judiciaire du fait de la rupture brutale des relations commerciales'(pièce n°28)’;
– le greffe du tribunal de commerce de Nantes a précisé le 8 juillet 2022 que le juge commissaire avait rejeté la créance par ordonnance du 24 mars 2021 et qu’il n’avait pas connaissance d’une procédure d’appel (pièce n°29).’
C’est à raison que la société [T] prétend, dans ces circonstances, ne pas avoir été désintéressée en l’espèce et entend agir contre la société liquidée représentée par son liquidateur amiable.
Pour autant, en l’état des pièces fournies, la condamnation de la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport International ne peut porter que sur le paiement de la somme de 34’718, 98 euros.
La compensation des sommes dues s’opérera à due concurrence, entrainant en application de l’article 1347 du code civil l’extinction simultanée des obligations réciproques.
Le jugement est infirmé dans cette limite.
3) Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
La société [T], qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance et d’appel.
Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande relative aux frais de médiation.
Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d’allouer à la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Chrono sport International la somme supplémentaire de 5.000 € et de débouter la société [T] de ce chef de demande.
La Cour,
Infirme le jugement en ce qu’il a omis de condamner la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de liquidateur de la société Chrono sport International au paiement des factures émises du 13 janvier 2015 au 6 février 2017,
Statuant à nouveau :
Condamne la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de liquidateur de la société Chrono sport international à payer la somme de 34 718, 98 euros à la société [T]’;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions soumises à la Cour,
Y ajoutant,
Ordonne la compensation à due concurrence des sommes dues par la société [T] à la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de liquidateur de la société Chrono sport international ;
Condamne la société [T] à la SELARL [P] [H]-MJO, ès qualités de mandataire liquidateur amiable de la société Chrono sport international, la somme de 5 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne la société [T] aux dépens d’appel dont distraction au profit de Me Aurore Faroigi, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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