Rupture brutale des relations commerciales : enjeux de préavis et déséquilibre significatif.

·

·

Rupture brutale des relations commerciales : enjeux de préavis et déséquilibre significatif.

Rupture brutale des relations commerciales

L’article L442-6, I 5° du Code de commerce, dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, stipule que la responsabilité d’un producteur, commerçant ou industriel est engagée lorsqu’il rompt brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation et respectant les usages du commerce.

La relation commerciale doit être caractérisée par un caractère suivi, stable et habituel, permettant à la victime de la rupture d’anticiper une continuité des affaires. L’absence de contrat écrit n’exclut pas l’existence d’une relation commerciale établie. La brutalité de la rupture se manifeste par l’absence ou l’insuffisance du préavis écrit, qui doit être suffisant pour permettre à l’entreprise délaissée de se réorganiser.

Déséquilibre significatif dans les droits et obligations

L’article L442-6, I 2° du Code de commerce impose la responsabilité de tout producteur, commerçant ou industriel qui soumet un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. La caractérisation de cette pratique nécessite la démonstration de l’absence de négociation effective des clauses incriminées et l’appréciation globale du déséquilibre au regard de l’économie du contrat.

Le contrôle judiciaire du prix est autorisé lorsque celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et qu’il caractérise un déséquilibre significatif. La jurisprudence a précisé que l’appréciation du déséquilibre doit être concrète et tenir compte de l’ensemble des éléments de la relation commerciale.

Abus de position dominante

L’article L420-2 du Code de commerce prohibe l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante sur le marché. Les abus peuvent inclure des refus de vente, des conditions de vente discriminatoires ou la rupture de relations commerciales établies, lorsque cela est fait au motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Pour établir un abus de position dominante, il est nécessaire de définir le marché pertinent et de démontrer l’exploitation abusive de cette position, ce qui inclut la preuve de conditions de vente discriminatoires et de la rupture de relations commerciales au seul motif d’un refus de conditions injustifiées.

Dépens et frais irrépétibles

L’article 699 du Code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, tandis que l’article 700 du même code permet au juge d’allouer une somme à titre de frais irrépétibles, en tenant compte de la situation des parties et de l’équité. La condamnation aux dépens et l’allocation de frais irrépétibles sont des conséquences de la décision de justice, visant à compenser les frais engagés par la partie qui a dû défendre ses droits en justice.

L’Essentiel : L’article L442-6, I 5° du Code de commerce engage la responsabilité d’un producteur, commerçant ou industriel en cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie sans préavis écrit. La relation doit être suivie, stable et habituelle, permettant à la victime d’anticiper la continuité des affaires. La brutalité se manifeste par l’absence ou l’insuffisance du préavis, qui doit permettre à l’entreprise délaissée de se réorganiser. L’absence de contrat écrit n’exclut pas l’existence de cette relation.
Résumé de l’affaire : La société d’exploitation forestière des Hautes Vosges, dénommée Scierie des trois sapins, est engagée dans l’exploitation et la transformation de bois. En 2014, elle a acquis des actions d’une autre scierie, membre d’un groupement de scieurs, la SAS Fibre Premium. En 2015, les deux entités ont fusionné, mais la Scierie des trois sapins a constaté une chute significative de ses commandes de la part de la SAS Fibre Premium, qui s’est interrompue totalement en 2016. En conséquence, la Scierie des trois sapins a assigné la SAS Fibre Premium devant le tribunal de commerce d’Épinal, réclamant des dommages pour rupture brutale de relations commerciales et abus de position dominante.

Le tribunal d’Épinal s’est déclaré incompétent, renvoyant l’affaire au tribunal de commerce de Nancy. Après une tentative de conciliation infructueuse, le tribunal de Nancy a rendu un jugement en mai 2022, déboutant la Scierie des trois sapins de ses demandes et la condamnant à payer des dépens à la SAS Fibre Premium. La Scierie des trois sapins a interjeté appel, demandant la requalification de la rupture comme brutale et la reconnaissance d’un préjudice.

Dans ses conclusions, la Scierie des trois sapins a soutenu que la SAS Fibre Premium avait rompu la relation commerciale sans préavis, ce qui aurait causé un préjudice significatif. En revanche, la SAS Fibre Premium a contesté cette rupture, arguant que des commandes avaient continué à être passées et que la baisse des commandes était due à des refus de la Scierie des trois sapins et à des problèmes de qualité.

La Cour a confirmé le jugement de première instance, rejetant les demandes de la Scierie des trois sapins tant pour la rupture brutale que pour l’abus de position dominante, soulignant l’absence de preuve d’un déséquilibre significatif ou d’une exploitation abusive de la position dominante par la SAS Fibre Premium. La Scierie des trois sapins a été condamnée aux dépens et à verser des frais supplémentaires à la SAS Fibre Premium.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la rupture brutale des relations commerciales établies ?

La rupture brutale des relations commerciales établies est régie par l’article L442-6 du Code de commerce. Cet article stipule que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour le producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels. »

La relation commerciale doit être caractérisée par un caractère suivi, stable et habituel. La brutalité de la rupture se manifeste par l’absence de préavis écrit ou par l’insuffisance de celui-ci. Le délai de préavis doit être évalué en fonction de la durée de la relation commerciale et des spécificités des produits ou services concernés.

En l’espèce, la société Scierie des trois sapins a soutenu que la société Fibre Premium avait rompu la relation commerciale sans préavis, ce qui pourrait constituer une rupture brutale. Cependant, la Cour a constaté que la relation avait été marquée par des refus de commandes et des problèmes de qualité, ce qui a conduit à la conclusion que la rupture ne pouvait pas être imputée à la société Fibre Premium.

Quel est le critère d’appréciation du déséquilibre significatif dans les relations commerciales ?

L’article L442-6, I 2° du Code de commerce précise que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »

Pour établir un déséquilibre significatif, il est nécessaire de démontrer la soumission à des obligations créant un tel déséquilibre. Cela implique une appréciation globale de l’économie du contrat et des obligations des parties. La Cour a noté que la société Scierie des trois sapins n’avait pas prouvé que les tarifs proposés par la société Fibre Premium étaient en dessous des prix du marché, ce qui aurait pu constituer un déséquilibre.

La Cour a également souligné que la soumission à des obligations doit être démontrée par la prétendue victime, conformément à l’article 9 du Code de procédure civile, qui impose la charge de la preuve. En l’absence de preuve suffisante, la demande de la société Scierie des trois sapins a été rejetée.

Quel est le cadre juridique de l’abus de position dominante ?

L’article L420-2 du Code de commerce stipule que « est prohibée dans les conditions prévues par l’article L 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. »

Pour établir un abus de position dominante, il est nécessaire de démontrer non seulement l’existence d’une position dominante, mais aussi l’exploitation abusive de cette position. La société Scierie des trois sapins n’a pas réussi à prouver que la société Fibre Premium avait imposé des conditions de vente discriminatoires ou qu’elle avait rompu les relations commerciales en raison d’un refus de se soumettre à des conditions injustifiées.

La Cour a noté que la société Scierie des trois sapins n’avait pas défini le marché pertinent ni fourni d’éléments sur la part de marché de la société Fibre Premium. En conséquence, la demande pour abus de position dominante a été rejetée.

Quel est l’impact des frais irrépétibles et des dépens dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que « la cour peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles. » Dans cette affaire, la société Scierie des trois sapins, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée aux dépens d’appel.

La Cour a également condamné la société Scierie des trois sapins à verser une somme supplémentaire à la société Fibre Premium sur le fondement de l’article 700, en raison de la perte de l’affaire. Cela souligne l’importance des frais irrépétibles dans le cadre des litiges commerciaux, où la partie perdante peut être tenue de compenser les frais engagés par la partie gagnante.

En conclusion, la Cour a confirmé le jugement initial, déboutant la société Scierie des trois sapins de ses demandes et lui imposant des frais supplémentaires, ce qui illustre l’application des dispositions légales relatives aux dépens et aux frais irrépétibles dans le cadre des litiges commerciaux.

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 19 MARS 2025

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/14325 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGIEU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2022 – Tribunal de Commerce de Nancy – RG n° 2017 009451

APPELANTE

S.A.R.L. SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION FORESTIÈRE DES HAUTES VOSGES – SCIERIE DES TROIS SAPINS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au R.C.S d’Epinal sous le numéro 418 645 396

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Maître Jeanne Baechlin, de la SCP Jeanne Baechlin, avocat au barreau de Paris, toque : L0034

INTIMEE

S.A.S. FIBRE PREMIUM, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

immatriculée au R.C.S d’Epinal sous le numéro 489 268 433

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Caroline Hatet-Sauval de la SELARL Caroline Hatet Avocat, avocat au barreau de Paris, toque : L0046

Assistée de Me Olivier Cousin de la Synergie Avocats, avocat au barreau d’Epinal

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Laure Dallery, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre

Mme Sophie Depelley, conseillère

Mme Marie-Laure Dallery, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : Mme Valérie Jully

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par M. Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

La société SARL Société d’exploitation forestière des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins (ci-après dénommée « Scierie des trois sapins ») a pour activité l’exploitation forestière par achat de bois sur pied et la transformation de grumes pour l’industrie du bâtiment.

La société SAS Fibre Premium (anciennement dénommée « Fibre Lorraine ») est un groupement de scieurs dont l’objet est de trouver des débouchés à ses associés et de promouvoir l’activité de commissionnaire en gros vis-à-vis de ses actionnaires.

En 2014, la SARL Scierie des trois sapins a acquis les actions de la scierie SAS Villemin, actionnaire de la SAS Fibre Premium depuis 2006. En 2015, par le biais d’une transmission universelle de patrimoine, les deux sociétés ont fusionné et pris la dénomination de Société d’exploitation des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins.

Estimant que le volume des commandes confiées par la SAS Fibre Premium avait chuté à partir de 2015, pour s’interrompre totalement en 2016, la société Scierie des trois sapins, par acte d’huissier du 8 décembre 2016, a assigné la société Fibre Premium devant le tribunal de commerce d’Epinal en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale de leur relation commerciale établie et abus de position dominante.

Par jugement du 12 septembre 2017, le tribunal de commerce d’Epinal s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nancy.

Le 27 septembre 2017, la société Scierie des trois sapins a délivré une nouvelle assignation à la société Fibre Premium devant le tribunal de commerce de Nancy.

Une tentative de conciliation organisée par la juridiction, a échoué le 4 octobre 2019.

Par jugement du 19 mai 2022, le tribunal de commerce de Nancy a :

– Déclaré la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins mal fondée en sa demande de réparation du préjudice pour rupture brutale des relations commerciales,

– L’en a débouté,

– Déclaré la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins mal fondée en sa demande de réparation du préjudice pour abus de position dominante,

– L’en a débouté,

– Condamné la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins aux dépens de l’instance,

– Condamné la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins à payer à la société Fibre Premium la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Scierie des trois sapins a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 27 juillet 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 26 octobre 2022, la société Scierie des trois sapins demande à la Cour de :

Vu les articles L442-6 et L 420.2 du Code de commerce,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats selon bordereau joint,

Déclarer recevables et bien fondées les demandes de la société SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins ;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– Déclaré la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins mal fondée en sa demande de réparation du préjudice pour rupture brutale des relations commerciales, l’en a déboutée.

– Déclaré la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins mal fondée en sa demande de réparation du préjudice pour abus de position dominante, l’en a déboutée.

– L’a condamnée à payer à la société SAS Fibre Premium la somme de 2 000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Et statuant à nouveau :

Juger que la société Fibre Premium a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins ;

Juger que le préavis applicable au regard de la durée de la relation contractuelle aurait dû être de six mois ;

Condamner la société Fibre Premium à payer à la société SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins la somme de 216 225 euros à titre de dommages intérêts pour la perte d’exploitation ;

Juger que la société Fibre Premium a commis un abus de position dominante envers son co contractant la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins ;

Juger que la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins justifie son préjudice sollicité à hauteur de 90 000 euros ;

Condamner la société Fibre Premium à payer à la société SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins la somme de de 90 000 euros à titre de dommages intérêts ;

Condamner la société Fibre Premium au paiement de la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC ;

Condamner la société Fibre Premium aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 23 janvier 2023, la société Fibre Premium demande à la Cour de :

Vu les pièces signifiées en fin des présentes,

A titre principal

Si l’appel est déclaré recevable, le déclarer mal fondé ;

Confirmer intégralement le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Nancy le 19 mai 2022 en ce qu’il a :

– Déclaré la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges – Scierie des trois sapins mal fondée en sa demande de réparation du préjudice pour rupture brutale des relations commerciales,

– L’en a débouté,

– Déclare la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges – Scierie des trois sapins mal fondée en sa demande de réparation du préjudice pour abus de position dominante,

– L’en a débouté,

– Condamné la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges – Scierie des trois sapins aux dépens de l’instance,

– Condamné la SARL société d’exploitation forestière des Hautes Vosges – Scierie des trois sapins à payer à la société SAS FIBRE PREMIUM la somme de 2 000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire

Si une rupture brutale devait être retenue, juger que le préjudice de la Scierie des trois sapins correspond à la marge brute escomptée sur une durée d’un mois montant dont la société Scierie des trois sapins devra justifier par des éléments comptables irréfutables.

Si une faute était retenue au titre du prétendu abus de position dominante, constater que la Scierie des trois sapins ne justifie pas de son préjudice sollicité à hauteur de 90 000 €, et le ramener à une plus juste mesure,

En tout état de cause

Débouter la société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions

Condamner la société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins à 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

Condamner la société d’exploitation forestière des Hautes Vosges Scierie des trois sapins aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Hatet sur le fondement de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 novembre 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l’existence d’une rupture brutale des relations commerciales établies dans le cadre d’un déséquilibre significatif

Exposé des moyens

La société Scierie des trois sapins fait valoir que la société Fibre Premium a passé des commandes en 2015 dont le prix était en dessous de celui du marché, très bas et inférieur aux coûts de production, ce qui l’a conduite à les refuser. Ces agissements répétés seraient constitutifs d’un déséquilibre significatif sur le fondement de l’article L442-6 du code de commerce.

Elle soutient aussi que la société Fibre Premium a brutalement rompu la relation commerciale en réduisant significativement ses commandes en 2015 et en les interrompant en 2016. Elle souligne la rapidité de la baisse des commandes et l’absence de préavis. Elle fixe la date de la rupture au 1er janvier 2016. Selon elle, la relation entre les parties était pérenne et établie depuis 2006, reprenant en compte la relation antérieure entre la société Villemin et la société Fibre Premium, laquelle a maintenu ses commandes après le rachat des actions de la société Villemin par M [C]. Elle conteste tout problème de qualité du bois avec Point P. Elle estime le préavis qui aurait dû lui être accordé pour la rupture brutale des relations commerciales établies, sur le fondement de l’article L 442-6 du code de commerce à six mois et le préjudice subi à la somme de 216.225 euros.

S’agissant du prétendu déséquilibre du fait des tarifs proposés, la société Fibre Premium soutient, d’une part, que la société Scierie des trois sapins est défaillante dans l’administration de la preuve lorsqu’elle invoque des tarifs « d’usage », et d’autre part, que les tarifs refusés par celle-ci ont été acceptés sans difficultés par d’autres scieurs membres du groupement. Elle dénie avoir un quelconque intérêt à favoriser d’autres scieries dès lors que sa commission est la même pour toutes.

Elle conteste toute rupture brutale des relations commerciales établies faisant valoir que des commandes ont continué à être passées régulièrement y compris en 2016 (les 18 février, 4 mars et 14 mars). Elle produit à cet effet l’intégralité des commandes passées à la Scierie des trois sapins sur la période litigieuse de 2015 et début 2016 pour un montant total de 99.579,69 euros (pièces n°4 et n°5 SAS Fibre Premium).

Elle affirme ensuite que la baisse des commandes a été progressive et ne lui est pas imputable, faisant été à cet égard de refus de commande récurrents injustifiés de la prétendue victime et du défaut de livraison de produits de qualité à la société Point P, l’un de ses gros clients.

S’agissant des refus de commandes, elle souligne que ces faits ne sont pas contestés par l’appelante (pièces adverses n° 28 et n°16, pièce n°6 SAS Fibre Premium), ajoutant que la baisse des tarifs alléguée ne lui est pas imputable comme correspondant à la réalité économique du marché en 2015 (pièces 10 et 42). Elle estime que le prix n’est pas en cause car elle a acceptée des commandes au même prix (pièce 9) et ajoute que d’autres membres du groupement ont acceptées des commandes refusées (pèces 7 et 8) Elle fait en outre valoir que ce refus de commandes constituerait un motif de rupture anticipée sur le fondement de l’article 12 du contrat de commission liant les parties.

S’agissant du défaut de qualité, la société Fibre Premium précise que son client principal, la société Point P, n’était pas satisfait de la qualité du bois fourni et ne souhaitait plus être fourni par la Scierie des trois sapins (pièce 11). En outre, elle reproche à cette dernière d’avoir tenté de la contourner en proposant à la société Point P de travailler « en direct » avec elle, en violation du contrat de commission qui impose aux scieurs de respecter l’exclusivité de la société Fibre Premium pour certains clients dont Point P fait partie (sa pièce 2 et pièces adverses 24 et 26). Enfin, elle soutient que le problème de qualité dû au séchage du bois était réel.

Réponse de la Cour

La société appelante impute en premier lieu deux pratiques restrictives de concurrence à son partenaire commercial, la société Fibre Premium, à savoir la rupture brutale des relations commerciales établies orchestrée à son préjudice par cette dernière dans le cadre de sa soumission à une obligation créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Elle sollicite à ce double titre la somme de 216 125 € au titre d’un préjudice d’exploitation.

L’article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour le producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.

La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d’affaires avec son partenaire commercial. L’absence de contrat écrit n’est pas incompatible avec l’existence d’une relation établie.

La brutalité de la rupture résulte de l’absence de préavis écrit ou de l’insuffisance de ce dernier.

Le délai de préavis, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.

Les principaux critères à prendre en compte sont l’ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, les relations d’exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.

Le préavis doit se présenter sous la forme d’une notification écrite.

Aux termes de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d’une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d’autre part l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par la prétendue victime, conformément à l’article 9 du code de procédure civile, de l’absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées.

L’appréciation du déséquilibre significatif, est globale, au regard de l’économie du contrat, et concrète.

L’article L 442-6 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et Cconst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC).

En l’espèce, le caractère établi de la relation commerciale entre les parties n’est pas contesté

Les commandes ont diminué en 2015 avant de cesser après le 14 mars 2016, date de la dernière commande (pièces 4 et 5 de l’intimée) sans préavis écrit.

La société appelante a refusé 5 commandes qui lui étaient passées par la société Fibre Premium au motif d’un prix trop bas, outre 2 autres refus pour un autre motif (pièce 6 de l’intimée) . Or, si elle fait état à cet égard d’une commande n°15007036 du 10/09/2015 de lattes Sapin choix 2 en 4,5 m au prix net proposé de 202,57 €, elle ne justifie pas que le prix d’usage était de 225 € ainsi qu’elle le soutient, étant observé qu’elle a accepté des commandes de la société Fibre Premium au prix contesté (pièce 9 de l’intimée) et que d’autres membres du groupement ont accepté de travailler au prix proposé (pièces 7, 8 et 9 de l’intimée).

Ainsi, elle n’établit pas ainsi qu’elle le soutient, qu’elle aurait été soumise à une tarification trop basse des commandes en 2015 la contraignant à refuser celles-ci sauf à travailler à perte.

En outre des problèmes de qualité de la marchandise fournie ont été signalés par la société Point P ( pièces 12 à 15 ainsi que 25 et 26 de l’intimé notamment) et l’appelante qui se prétend victime, a tenté de nouer une relation directe avec cette dernière en passant outre son commissionnaire (pièce 24 de l’appelante).

Au vu des refus de commandes, des problèmes de qualité et de la tentative de détournement de clientèle, une rupture brutale des relations commerciales établies ne peut être imputée à la société Fibre Premium.

Le jugement qui a débouté la société Scierie des Trois Sapins de sa demande au titre d’un déséquilibre significatif allégué et d’une rupture brutale est confirmé.

Sur l’abus de position dominante

Moyen des parties

Au soutien de son appel, la société Scierie des trois sapins invoque encore un abus de position dominante reprochant à la société Fibre Premium d’avoir rompu brutalement les relations commerciales établies et imposé une tarification hors marché inférieure au coût de production dans le but de favoriser certains actionnaires proches de ses organes de direction, à son détriment. Elle évalue son préjudice à 90.000 euros.

En réplique, la société Fibre Premium estime que la rupture brutale n’est pas constituée et que les tarifs proposés étaient les mêmes pour tous les scieurs, qu’ils n’étaient pas particulièrement bas et correspondaient au prix du marché de 2015. S’agissant de son positionnement, elle reconnait représenter une forte part du marché de vente du bois mais conteste toute situation de monopole. Elle nie toute exploitation abusive de cette position puisqu’il n’y aurait eu ni rupture brutale des relations commerciales ni aucune discrimination tarifaire. Enfin, aucun transfert de commandes envers d’autres scieries n’est démontré.

Réponse de la Cour

La société appelante se prévaut encore d’une pratique anticoncurrentielle qu’elle impute à la société Fibre Premium, en l’occurrence un abus de position dominante.

L’article L 420-2du code de commerce dispose : « Est prohibée dans les conditions prévues par l’article L 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ».

La société Scierie des trois sapins s’abstient de définir le marché pertinent en l’espèce et ne fournit aucun élément notamment sur la part de marché de la société Fibre Premium.

En outre, même à admettre l’existence d’une position dominante de la société intimée dans son activité de commissionnaire sur le marché de la vente de bois, l’appelante n’établit pas l’exploitation abusive de la position dominante. Ainsi, elle ne démontre pas ainsi qu’il a été dit, des conditions de vente discriminatoires et la rupture de relations commerciales établies au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce que le tribunal a rejeté la demande présentée au titre de l’abus de position dominante.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société appelante qui succombe, est condamnée aux dépens d’appel, le jugement étant confirmé en ce que le tribunal a mis à sa charge les dépens de première instance.

Elle est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamnée en cause d’appel à verser la somme supplémentaire de 3 000 € à la société Fibre Premium sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises ;

Y ajoutant,

Déboute la Société d’exploitation forestière des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la Société d’exploitation forestière des Hautes Vosges ‘ Scierie des trois sapins aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.

La condamne à payer à la société Fibre Premium la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon