Rupture des relations commerciales établiesL’article L. 442-1, II du code de commerce, issu de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, stipule que la rupture brutale d’une relation commerciale établie engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, en l’absence d’un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. La relation commerciale doit présenter un caractère suivi, stable et habituel, permettant à la victime de la rupture d’anticiper une continuité de flux d’affaires. L’absence de contrat écrit n’est pas incompatible avec l’existence d’une relation établie. En l’espèce, la Cour a constaté que les relations entre les parties, bien que présentes, ne remplissaient pas les critères de stabilité et de régularité requis pour être qualifiées de relation commerciale établie au sens de l’article précité. Inexécution des obligations contractuellesL’article L. 442-1, II du code de commerce permet également la résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations. La société [B] [N] a soutenu que la société Arije avait manqué à ses obligations essentielles, notamment en ce qui concerne le paiement des factures. La Cour a retenu que le non-paiement des factures dues par la société Arije justifiait la cessation des relations commerciales sans préavis, confirmant ainsi que la rupture était fondée sur des manquements contractuels. Conditions de reprise des stocksLa société Arije a demandé la reprise de ses stocks avec remboursement sans décote, arguant d’un engagement verbal de la société [B] [N]. Cependant, la Cour a jugé que les conditions essentielles de la relation commerciale étaient discutées chaque année et soumises à des conditions, ce qui ne justifiait pas le droit à la reprise des stocks. Ainsi, la demande de reprise a été rejetée, confirmant que la société Arije ne pouvait pas revendiquer un droit de retour sans une base contractuelle claire. Paiement des factures impayéesL’article 1356 du code de procédure civile stipule qu’un aveu judiciaire fait pleine foi à l’encontre de son auteur. La société Arije a reconnu sa dette envers la société [B] [N] pour un montant de 178 355,44 euros au titre des factures impayées. La Cour a confirmé cette condamnation, soulignant que la reconnaissance de la dette par la société Arije constituait un aveu judiciaire, rendant ainsi la condamnation à paiement légitime et fondée. Indemnité procédurale et dépensL’article 700 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante peut être condamnée à verser une indemnité à l’autre partie pour couvrir les frais de justice. La société Arije, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée aux dépens d’appel et à verser une somme au titre de l’article 700, confirmant ainsi l’application de cette disposition. |
L’Essentiel : L’article L. 442-1, II du code de commerce stipule que la rupture brutale d’une relation commerciale établie engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, en l’absence d’un préavis écrit. La relation commerciale doit être suivie, stable et habituelle. La Cour a constaté que les relations entre les parties ne remplissaient pas les critères requis pour être qualifiées de relation commerciale établie. La société Arije a également reconnu sa dette envers la société [B] [N] pour un montant de 178 355,44 euros.
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Résumé de l’affaire : La société de vente au détail de produits d’horlogerie et de joaillerie de luxe a établi des relations commerciales avec une société italienne spécialisée dans la création et la fabrication d’articles de joaillerie depuis 2018, sans contrat écrit. Les discussions ont porté sur une exclusivité de distribution, une politique de retour des produits et des remises de fin d’année. En 2020, la société italienne a remis en question ces accords en raison de l’absence d’un contrat formel et des retards de paiement de la société de vente.
En octobre 2020, la société de vente a assigné la société italienne devant le tribunal de commerce de Paris, réclamant des dommages pour rupture brutale des relations commerciales et le remboursement de produits. Le tribunal a jugé que la société de vente n’avait pas prouvé l’existence d’une relation commerciale établie, a débouté ses demandes et a condamné cette dernière à payer des factures impayées à la société italienne. La société de vente a interjeté appel, soutenant qu’une relation contractuelle existait, avec des droits d’exclusivité et de retour sans décote. Elle a également affirmé que la société italienne avait rompu le contrat sans préavis et avait tenté de débaucher une de ses employées. En réponse, la société italienne a contesté l’existence d’une relation commerciale stable et a justifié la rupture par des manquements de la société de vente. La Cour a confirmé le jugement initial, considérant que la relation commerciale n’était pas suffisamment stable pour être qualifiée d’établie. Elle a également noté que le non-paiement des factures justifiait la cessation des relations commerciales. Les demandes de la société de vente concernant le retour des stocks et les dommages-intérêts ont été rejetées, et celle-ci a été condamnée aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de la rupture des relations commerciales établies ?La rupture des relations commerciales établies est régie par l’article L. 442-1, II du code de commerce, qui stipule : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. » Cet article précise que la rupture doit respecter un préavis écrit, sauf en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. La Cour a constaté que la relation entre les parties, bien que présente, ne répondait pas aux critères de stabilité et de régularité requis pour être qualifiée de relation commerciale établie. Ainsi, la société Arije ne peut se prévaloir d’une rupture brutale, car les conditions essentielles de leur relation étaient contestées et non formalisées par un contrat écrit. Quel est le droit au préavis en cas de rupture de relations commerciales ?L’article L. 442-1, II du code de commerce précise que : « En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. » La société Arije a demandé un préavis de 18 mois, arguant que la société [B] [N] n’avait pas respecté ce délai. Cependant, la Cour a jugé que la relation commerciale n’était pas suffisamment établie pour justifier un tel préavis, et que la société [B] [N] pouvait rompre la relation sans préavis en raison des manquements de la société Arije. Quel est le statut des factures impayées dans ce litige ?L’article 1356 du code de procédure civile stipule que : « Celui qui allègue un fait doit le prouver. » Dans ce cas, la société Arije a reconnu sa dette envers la société [B] [N] pour un montant de 178 355,44 euros, ce qui constitue un aveu judiciaire. La Cour a confirmé que la société Arije ne contestait pas cette somme et a donc maintenu la condamnation au paiement des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2020. Quel est le droit au remboursement des stocks invendus ?La société Arije a demandé le remboursement de ses stocks invendus, en se basant sur des discussions antérieures. Cependant, la Cour a constaté que les conditions essentielles de la relation commerciale, y compris les modalités de retour des invendus, étaient contestées et non formalisées. Ainsi, la société Arije n’a pas pu justifier son droit à la reprise des stocks, et la demande a été rejetée. La Cour a confirmé le jugement en ce sens, soulignant que les discussions n’avaient pas abouti à un accord clair et contraignant sur ce point. Quel est l’impact de l’article 700 du code de procédure civile sur les frais de justice ?L’article 700 du code de procédure civile prévoit que : « Le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » Dans ce litige, la société Arije, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée à verser une somme de 4 000 euros à la société [B] [N] au titre de l’article 700. La Cour a également décidé que les dépens d’appel seraient à la charge de la société Arije, confirmant ainsi la décision du tribunal de première instance. |
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 09 AVRIL 2025
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/17807 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGR2F
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Octobre 2022 – Tribunal de commerce de Paris, 3ème chambre – RG n° 2020048675
APPELANTE
S.A.S. ARIJE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 5] sous le numéro 572 199 768
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée et assistée de Me Richard Valeanu, avocat au barreau de Paris, toque : D0516
INTIMÉE
S.P.A. [B] [N], société de droit étranger, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Immatriculée à la chambre du commerce, de l’industrie, de l’artisanat et de l’agriculture de [Localité 9] sous le numéro 02193150246
[Adresse 8]
[Localité 1] / ITALIE
Représentée et assistée de Me Tamara Bootherstone de la SELARL Bootherstone, avocat au barreau de Paris, toque : D2085
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mars 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Laure Dallery, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre
Mme Sophie Depelley, conseillère
Mme Marie-Laure Dallery, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : M. Maxime Martinez, en présence de Mme Elisabeth Verbeke, greffière en formation
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par Mme Elisabeth Verbeke, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrate signataire, présent lors de la mise à disposition.
La société Arije, qui a pour activité la vente au détail de produits d’horlogerie et de joaillerie de luxe en magasin spécialisé, et la société [B] [N], société de droit italien qui a pour activité la création et la fabrication d’articles de joaillerie, ont commencé des relations commerciales en 2018 sur la base de passation de commandes, sans établir de contrat écrit.
Elles ont entamé des discussions relativement à une exclusivité de distribution des produits fournis par la société [B] [N] sur [Localité 5], à une politique de retour des produits et à des remises de fin d’année.
En 2020, la société [B] [N] est revenue sur ces éléments de la relation commerciale, compte tenu de l’absence d’accord formel liant les parties, sur le règlement des dernières factures, et sur l’engagement de la société Arije à un volume d’achat pour 2020, outre le contexte d’instabilité économique résultant de l’épidémie de la Covid-19.
Par acte du 16 octobre 2020, la société Arije a assigné la société [B] [N] devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies courant juin 2020 et du non-respect de l’exclusivité, outre le retour et remboursement sans décote des pièces [B] [N] détenues par elle,
Par jugement du 13 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
-S’est dit compétent pour statuer sur le présent litige,
-Dit la loi française applicable,
-Débouté la société Arije de l’ensemble de ses demandes,
– Condamné la société Arije à payer à la société de droit italien [B] [N] la somme de 178 355,44 euros au titre de factures impayées outre intérêts au taux légal à compter du 31 aout 2020,
-Condamné la société Arije à payer à la société de droit italien [B] [N] la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-Condamné la société Arije aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA,
-Débouté la société de droit italien [B] [N] de ses demandes autres, plus amples ou contraires,
-Rappelé que l’exécution provisoire est de droit.
La société Arije a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 14 octobre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 23 novembre 2022 la société Arije demande à la Cour de :
Recevoir Arije en son appel et l’y dire et juger bien fondée,
Constater la reconnaissance par [B] [N] qu’elle et Arije étaient liées depuis août 2018 dans une relation contractuelle de producteur et distributeur comportant notamment les droits suivants :
-Exclusivité de la distribution par Arije sur [Localité 5],
-Retour par Arije sans décote dans une proportion d’un produit pour un,
-Remises par [B] [N] de fin d’année de 4 pour cents (en fait 4,17 pourcents pour un rapport de coefficient de 2,4 à 2,5 du HT ou du TTC.),
Constater que [B] [N] déclare et reconnaît avoir rompu ce contrat sans rapporter la preuve d’une dénonciation écrite du contrat et de la notification d’un préavis ni d’un motif légitime pour avoir mis fin à ce contrat a fortiori sans préavis.
Dire et juger qu’Arije rapporte la preuve qu’elle n’a pu bénéficier d’un préavis et que [B] [N] a établi pendant le temps de ce qu’il aurait pu ou dû être une concurrence en désignant pour nouveaux distributeurs sur [Localité 5] les entreprises Heurgon et Barrier et Fils.
Dire et juger qu’Arije rapporte la preuve que pendant cette période, [B] [N] a occulté de son site internet désignant les points de distribution de ses produits à [Localité 5] l’établissement principal d’Arije [Adresse 2],
Dire et juger qu’Arije rapporte la preuve d’une tentative de débauchage par [B] [N] d’une de ses principales vendeuses,
Constater qu’Arije n’a pas refusé de régler le montant des dernières factures de [B] [N], dont elle a consigné le montant sur un compte dédié près la banque Al Khaliji, mais qu’elle a demandé que le règlement s’accompagne de la reconnaissance et du respect par [B] [N] des droits qui avaient déterminé les commandes les causant,
Dire et juger qu’eu égard à la nature et la durée du contrat des parties, au contexte exceptionnel du temps de sa rupture par [B] [N], soit en pleine crise sanitaire de la Covid 19, et à l’importance de son stock, Arije avait droit à un préavis que le tribunal fixera à 18 mois,
Dire et juger que [B] [N] a commis une faute en dénonçant brutalement la relation commerciale établi entre elle et Arije sans préavis raisonnable ni respect de l’exclusivité qu’elle lui reconnaissait et la condamner à ce titre à payer à cette dernière la somme de 582.054 (cinq cent quatre-vingt-deux mille et cinquante-quatre) euros en guise de dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial consécutif,
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Condamner [B] [N] à accepter le retour sans décote par Arije des pièces suivantes et à en lui en rembourser le prix selon le tableau joint,
Condamner la société [B] [N] S.P.A dès le prononcé du jugement à payer à ARIJE pour prix de ce stock la somme de 381 622 euros HT, cette somme correspondant à celles payées à ce jour par ARIJE pour la constitution de ce stock, outre intérêts légaux à dater de son assignation devant le tribunal de commerce de Paris, annuellement capitalisables par anatocisme,
Donner acte à Arije de ce qu’elle s’engage à restituer ces pièces à la société [B] [N] dans le délai de quinze jours suivant le règlement que celle-ci lui aura fait de la somme de 381 622 euros HT ci-dessus, outre le cas échéant les intérêts légaux y attachés,
Infirmer le jugement en ce qu’il a condamné Arije à payer à [B] [N] la somme de 178 355,44 euros outre les intérêts depuis le 31 août 2020, une indemnité de 4 000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,
Débouter [B] [N] de ces demandes,
Condamner la société [B] [N] S.P.A à payer à Arije une indemnité de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Dire que les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de l’intimée et l’y condamner.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 22 février 2023, la société [B] [N] demande à la Cour de :
Vu les articles 1103, 1104, 1113, 1195, 1219 et suivants et 1356 du code civil,
Vu l’article L 442-1 I et II du code de commerce,
Vu les pièces produites aux débats,
A titre principal,
Confirmer intégralement le jugement du 13 octobre 2022,
Débouter la société Arije de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire, sur les demandes du chef de rupture d’une relation commerciale établie,
Si par extraordinaire, la Cour devait considérer qu’il existait entre les parties une relation commerciale établie entre les parties :
Juger que la société [B] [N] était en droit d’y mettre fin en application de l’article L442 1 II dernier alinéa en raison de l’inexécution fautive du contrat par la société Arije et en conséquence,
A défaut, juger que la société Arije a disposé d’un préavis suffisant pour écouler ses stocks et trouver des solutions alternatives à la fin des relations commerciales eu égard aux circonstances de l’espèce,
Juger que la société Arije ne démontre pas avoir subi un préjudice, et en conséquence :
Débouter le société Arije de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions indemnitaires fondées sur ce chef,
En tout état de cause,
Condamner la société Arije à payer à la société [B] [N] la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
La condamner aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
I- Sur la rupture des relations commercialesétablies
Exposé des moyens
La société Arije affirme avoir entretenu des relations commerciales établies avec la société italienne non formalisées par écrit. Elle fait grief à cette dernière de n’avoir respecté aucun délai de préavis alors que le projet de contrat qui lui aurait été transmis en 2019 par la société [B] [N], mentionne un préavis de six mois et que le contrat verbal liant les parties n’a jamais formellement été dénoncé. Elle ajoute que la rupture du contrat ne peut résulter de son comportement, dans la mesure où elle a procédé à d’importants achats annuels, n’a pas refusé de régler les dernières factures mais a demandé la reconnaissance formelle des droits qui avaient déterminé ses commandes et a consigné le montant dû sur un compte bancaire dédié. Elle fait observer que la société [B] [N] a parallèlement et discrètement mis en place un nouveau réseau concurrent de distributeurs. Elle en déduit que la société italienne n’a respecté aucun préavis de rupture alors qu’elle n’a pas maintenu la relation commerciale aux conditions antérieures.
A cet égard, elle expose que la société [B] [N] aurait agi de sorte à favoriser des distributeurs concurrents en cessant de mentionner sur son site web son point de vente principal situé au [Adresse 2], pour ne citer que celui de la [Adresse 6], pourtant fermé pour cause de non-renouvellement du bail, et celui de la rive gauche qui vient d’ouvrir. Elle indique que cet acte traduit une intention manifeste de lui nuire. En outre, elle explique que les sociétés concurrentes favorisées par la société [B] [N] pratiquaient des prix en deçà des siens et adoptaient une politique commerciale plus agressive, l’exposant ainsi à une concurrence déloyale. Elle ajoute que la société [B] [N] a tenté de débaucher son employée, Mme [C] [I], cadre référente des achats ventes joaillerie forte d’un important carnet d’adresse clientèle, par sollicitation du 23 novembre 2020.
Au regard de ces éléments, du contexte lié à l’épidémie de Covid-19, à cause duquel elle faisait état, en 2020, d’un important stock de marchandises, et du préavis contractuel de 6 mois, elle sollicite l’application d’un délai de préavis de 18 mois et l’allocation d’une somme de 582 054′ à titre de dommages-intérêts pour avoir méconnu depuis juin 2020 son droit à préavis et à exclusivité durant cette période.
La société [B] [N] rétorque que la relation commerciale entretenue avec la société Arije n’est pas établie en ce qu’elle ne présente ni caractère régulier, ni caractère stable, ni caractère significatif. A cet égard, elle fait état de commandes passées au fil de l’eau, sans engagements précis sur un volume de chiffre d’affaires, pendant seulement deux ans et demi, de l’absence d’accord clair et non équivoque sur les conditions essentielles du faible montant des commandes passées par la société Arije représentant 2,5% chiffre d’affaires de son établissement situé [Adresse 7].
Elle ajoute à titre subsidiaire, qu’elle pouvait rompre la relation commerciale sans préavis compte tenu des manquements graves de la société Arije à ses obligations essentielles, en application du dernier alinéa de l’article L442-1 II du code de commerce : manquement à son obligation de règlement des factures et à son obligation de loyauté pour s’être prévalue de sa position de distributeur exclusif sans prendre aucun engagement en contrepartie.
Subsidiairement sur le préavis, elle soutient que la rupture des relations commerciales est le résultat de deux mois de négociations et de tentatives infructueuses constatées par écrit (pièce n°17 de l’intimée) et que ce délai est suffisant. Elle ajoute que, compte tenu de l’ancienneté de la relation établie à deux ans, de la faible proportion du chiffre d’affaires que représente la vente de ses produits dans son chiffre d’affaires global, c’est-à-dire 2,5 pourcents du chiffre d’affaires global pour la boutique [Adresse 7], et de l’absence d’investissements particuliers financés par la société Arije, le préavis de rupture ne saurait être établi à 18 mois.
Elle souligne que la tentative de débauchage alléguée de l’employée n’est ni démontrée ni fautive dès lors que les sociétés en présence ne sont pas directement concurrentes et que n’est pas rapportée la preuve d’une volonté démontrée et documentée de désorganiser le service, en établissant notamment l’existence d’une clause de non-concurrence et sa connaissance d’une telle clause.
Réponse de la Cour
L’article L. 442-1, II du code de commerce issu de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d’affaires avec son partenaire commercial. L’absence de contrat écrit n’est pas incompatible avec l’existence d’une relation établie.
En l’espèce, si les parties ont entretenu des relations commerciales entre 2018 et 2020, les conditions essentielles gouvernant ces relations sont contestées et aucune contrat écrit n’a été signé.
Ainsi, l’appelante invoque l’exclusivité qui lui aurait été accordée sur [Localité 5] par la société italienne, de même que le retour des produits invendus à cette dernière sans décote et des remises de fin d’année (RFA).
Le courriel du 2 août 2018 de la société [B] [N] (Pièce 6 de l’appelante) mentionne son accord sur l’exclusivité, le retour des invendus et les RFA, à la condition d’obtenir le soir même la validation des commandes spéciales et une réponse le lendemain à son mail du 27 juillet 2018 relativement aux intentions de paiement.
Le 3 août suivant, [S] fait part de son intention de confirmer les commandes spéciales sous réserve en particulier de la reprise sans décote de tous les produits commandés et livrés.
[B] [N] répond le même jour en précisant s’agissant de la reprise sans décote » en compensation d’une autre commande au moins équivalente, et dans une proportion raisonnable vs un chiffre d’affaires global » (pièce 8 de l’intimée).
Le courriel de la société italienne du 2 mai 2019 ayant pour objet » Arije commandes et accords 2019 » (pièce 7 de l’appelante) admet une exclusivité à [Localité 5], un retour sans décote en contrepartie d’une autre commande d’un montant au moins équivalent, soit 1 pour 1.
Le courriel de [B] [N] du 1er juillet 2019 (pièce 13 de l’intimée) dit compter sur Arije pour confirmer les virements.
Le courriel de la société italienne du 7 juillet 2020 (pièce 12 de l’appelante) fait état d’une inquiétude concernant l’importance du stock de la société Arije et indique ne pas pouvoir effectuer une remise habituelle de 4% sur tous les achats effectués en 2020, demandant de discuter notamment du montant de factures impayées.
Le courriel en réponse du 6 août 2020 de la société Arije (pièce 17 de la société appelante) demande, avant d’effectuer le paiement de 283K’, de pouvoir s’assurer de la signature d’un contrat pour 3 ans avec exclusivité à [Localité 5] et à [Localité 4], remise de 4% sauf pour l’année 2020, et retour de marchandises sans décote seulement si les deux parties sont d’accord sur les montants à retourner.
Au vu de ces éléments, le tribunal a justement retenu l’existence d’une relation commerciale « au fil de l’eau » avec des négociations reprises chaque année sur les points essentiels de la relation, incompatible avec le critère de stabilité qui commande l’existence d’une relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-1, II précité.
A cet égard, les points d’accord étaient le plus souvent subordonnés à des commandes et/ou à des paiements par Arije et le point relatif à l’exclusivité fait partie d’un tout. Il sera observé sur ce point qu’en 2020, Arije sollicite l’exclusivité non seulement sur [Localité 5] mais aussi sur [Localité 4]. Par conséquent, Arije ne peut se prévaloir de la violation de son droit à l’exclusivité sur cette période.
Ainsi, le jugement qui a débouté la société Arije de sa demande d’indemnisation au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie est confirmé.
Au surplus, il sera ajouté que le non-paiement des factures dues par la société Arije à la société italienne suffit à justifier la cessation des relations commerciales entre les parties sans préavis. A cet égard, la société Arije fait vainement valoir que les sommes dues et non contestées étaient placées sur un compte bancaire dédié, alors qu’elle tentait d’en user pour obtenir reconnaissance de ses exigences.
II- Sur la demande au cas présent de reprise des stocks
Exposé des moyens
La société Arije soutient que la société [B] [N] s’est engagée à lui reprendre ses stocks avec un remboursement sans décote, au cours des discussions tenues durant l’été 2020, à défaut de lui reconnaitre ses droits et de s’y conformer. Aussi, elle sollicite le retour des pièces qu’elle détient en stock et leur remboursement sans décote, pour un montant évalué à la somme de 381 622 euros (pièce 40 de l’appelante).
En réplique, la société [B] [N] soutient qu’elle n’a jamais accepté la reprise de l’intégralité des stocks, sans qu’aucune contrepartie ne lui allouée.
Réponse de la Cour
Ainsi qu’il a été dit, les conditions essentielles de la relation étant discutées chaque année et soumises à des conditions, notamment s’agissant des modalités de retour des invendus, la société Arije ne justifie pas de son droit à la reprise des stocks qu’elle sollicite.
Le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
III- Sur le paiement des factures
Exposé des moyens
La société Arije affirme avoir réglé à ce jour, le montant correspondant aux factures impayées pour lesquelles elle a été condamnée en première instance au paiement, par application de l’exécution provisoire du jugement dont appel.
La société [B] [N] indique que la société Arije a, en première instance, reconnu qu’il n’y avait pas de débat sur les factures en souffrance, et n’a pas contesté lui devoir la somme de 178 355,44 euros au titre des factures non réglées. Elle précise que cette déclaration constitue, au sens de l’article 1356 du code de procédure civile, un aveu judiciaire qui fait pleine foi à l’encontre de son auteur.
Réponse de la Cour
La société Arije ne contestait pas être redevable de la somme de 178 355,44′ à l’égard de la société italienne, somme dont elle s’est acquittée depuis le jugement la condamnant à paiement.
Le jugement ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a prononcé cette condamnation avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2020.
IV-Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société appelante qui succombe en ses demandes, est condamnée aux dépens d’appel. Elle est également déboutée de sa demande de condamnation de la société intimée à lui verser une indemnité procédurale et est condamnée à verser une somme supplémentaire en cause d’appel de 4 000′ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour,
Statuant dans les limites de l’appel,
Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises,
Y ajoutant
Condamne la société Arije aux dépens d’appel et à payer à la société [B] [N] la somme de 4 000 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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