Responsabilité professionnelle et conséquences d’une négligence dans la gestion d’un dossier immobilier

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Responsabilité professionnelle et conséquences d’une négligence dans la gestion d’un dossier immobilier

Règle de droit applicable

L’article L. 145-17 du Code de commerce régit les conditions dans lesquelles un bailleur peut refuser le renouvellement d’un bail commercial sans être tenu au paiement d’une indemnité d’éviction. Selon le I-2° de cet article, le bailleur peut refuser le renouvellement si l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli en raison de son état d’insalubrité reconnu par l’autorité administrative ou s’il est établi que l’immeuble ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.

Cette disposition impose au bailleur de justifier d’un motif grave et légitime pour refuser le renouvellement, et en cas d’insalubrité, il doit prouver que l’immeuble ne peut plus être occupé sans danger. En l’espèce, le tribunal a constaté que l’état de l’immeuble était tel qu’il ne pouvait plus être occupé sans danger, ce qui a permis aux bailleurs de refuser le renouvellement du bail sans indemnité.

Responsabilité de l’avocat

L’article 411 du Code de procédure civile stipule que le mandat de représentation en justice confère à l’avocat le pouvoir et le devoir d’accomplir, au nom de son client, les actes de la procédure. L’article 412 précise que l’avocat a également l’obligation de conseiller son client et de présenter sa défense avec diligence. En cas de manquement à ces obligations, l’avocat peut être tenu pour responsable des préjudices causés à son client, notamment en raison d’une perte de chance d’obtenir une décision plus favorable.

Dans le cas présent, les appelants ont allégué que leur avocat avait commis plusieurs fautes, notamment l’absence de mise en cause des vendeurs dans la procédure d’indemnité d’éviction, ce qui aurait pu leur permettre d’être garantis des condamnations prononcées à leur encontre. La jurisprudence reconnaît que l’absence de mise en cause d’un tiers peut constituer une faute professionnelle si cela prive le client d’une chance d’obtenir une décision favorable.

Perte de chance

La perte de chance est un concept juridique qui permet d’indemniser un préjudice résultant de la privation d’une opportunité d’obtenir un avantage. Pour qu’une perte de chance soit indemnisable, il faut établir un lien de causalité entre la faute de l’avocat et la perte de chance subie par le client. En l’espèce, les appelants soutiennent que les fautes de leur avocat ont entraîné une perte de chance d’obtenir une décision favorable dans le cadre de la procédure d’indemnité d’éviction.

La jurisprudence exige que la perte de chance soit évaluée à l’aune de la probabilité de succès de l’action qui a été compromise par la faute. Les appelants ont estimé à 99 % leur perte de chance d’obtenir gain de cause, ce qui doit être examiné à la lumière des éléments de preuve et des circonstances de l’affaire.

Indemnisation des préjudices

L’article 1231-1 du Code civil prévoit que le débiteur est condamné au paiement de dommages et intérêts en raison de l’inexécution de son obligation, sauf s’il prouve que l’exécution a été empêchée par un cas de force majeure. Dans le cadre de la responsabilité de l’avocat, les préjudices peuvent être de nature financière, matériel ou moral. Les appelants ont demandé des dommages et intérêts pour le préjudice financier lié à l’indemnité d’éviction, ainsi que pour le préjudice moral résultant des fautes de leur avocat.

La réparation d’une perte de chance doit être mesurée en fonction de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. Les appelants doivent donc prouver l’existence d’un préjudice actuel et certain, ainsi que le lien de causalité entre les fautes de l’avocat et les dommages subis.

L’Essentiel : L’article L. 145-17 du Code de commerce permet au bailleur de refuser le renouvellement d’un bail commercial sans indemnité d’éviction si l’immeuble est insalubre ou dangereux. Le bailleur doit justifier d’un motif grave et légitime. En l’espèce, le tribunal a constaté que l’immeuble ne pouvait plus être occupé sans danger, permettant ainsi le refus de renouvellement. Par ailleurs, l’article 411 du Code de procédure civile impose à l’avocat de représenter et conseiller son client avec diligence, sous peine de responsabilité.
Résumé de l’affaire : Le 16 février 2016, un vendeur et sa conjointe ont cédé un immeuble à un acheteur et sa conjointe, comprenant une boutique et un appartement. Le 21 avril 2016, la société locataire a demandé le renouvellement de son bail commercial, que les acheteurs ont refusé le 24 mai 2016, invoquant un état dangereux des locaux. En conséquence, la société a assigné les acheteurs pour obtenir une indemnité d’éviction, et le tribunal de grande instance a condamné ces derniers à verser 185 904 euros à la société.

Par la suite, les acheteurs ont assigné leur avocat, estimant avoir subi un préjudice en raison de fautes professionnelles, notamment l’absence de mise en cause des vendeurs dans la procédure initiale. Le 10 décembre 2020, le juge a renvoyé l’affaire devant le tribunal judiciaire de Rouen. Le 16 octobre 2023, ce tribunal a révoqué une ordonnance de clôture, condamnant l’avocat à verser 8 000 euros pour préjudice moral et 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tout en rejetant d’autres demandes.

Les acheteurs ont interjeté appel le 14 novembre 2023, demandant l’infirmation du jugement et des dommages-intérêts plus élevés. Ils reprochent à leur avocat de ne pas avoir mis en cause les vendeurs, ce qui aurait pu leur permettre d’être garantis contre l’indemnité d’éviction. Ils soulignent également le défaut de production de rapports d’expertise et d’un constat d’huissier, qui auraient pu prouver l’antériorité des désordres affectant l’immeuble.

L’avocat mis en cause a contesté les allégations, arguant que l’absence de mise en cause des vendeurs n’aurait pas changé l’issue du litige, et que les preuves produites étaient suffisantes pour établir la responsabilité des acheteurs. Le tribunal a finalement confirmé le jugement initial, déboutant les parties de leurs demandes d’indemnisation.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique du refus de renouvellement du bail commercial ?

Le refus de renouvellement du bail commercial est fondé sur les dispositions de l’article L. 145-17 du code de commerce. Cet article stipule que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant.

Il est précisé que si l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli en raison de son état d’insalubrité reconnu par l’autorité administrative, le bailleur peut également refuser le renouvellement.

Ainsi, dans le cas présent, les bailleurs ont signifié leur refus en raison de l’état de l’immeuble, affirmant qu’il ne pouvait plus être occupé sans danger, conformément aux dispositions de l’article L. 145-17, I-2°.

Quel est l’impact de l’absence de mise en cause des vendeurs sur la responsabilité des bailleurs ?

L’absence de mise en cause des vendeurs, M. et Mme [E], dans la procédure relative à l’indemnité d’éviction a été soulevée comme un point de contestation. Selon la jurisprudence, l’indemnité d’éviction est une dette personnelle à la charge du bailleur.

Ainsi, même si les vendeurs avaient été appelés à la cause, cela n’aurait pas changé la responsabilité des bailleurs, car ils sont tenus de répondre de leur propre refus de renouvellement.

L’article L. 145-15 du code de commerce précise que le bailleur qui a lui-même refusé le renouvellement ne peut se prévaloir de la responsabilité du précédent propriétaire pour se décharger de l’indemnité d’éviction.

Par conséquent, l’absence de mise en cause des vendeurs n’a pas d’incidence sur la responsabilité des bailleurs.

Quel est le rôle de l’avocat dans la gestion de la procédure et quelles fautes lui sont reprochées ?

L’article 411 du code de procédure civile stipule que le mandat de représentation en justice confère à l’avocat le pouvoir et le devoir d’accomplir les actes de la procédure au nom de son client.

Les fautes reprochées à l’avocat incluent l’absence de mise en cause judiciaire des vendeurs, l’absence de production de rapports d’expertise, et l’absence de demande de sursis à statuer.

Ces manquements sont considérés comme des fautes professionnelles ayant causé un préjudice aux clients, notamment en leur faisant perdre la chance d’obtenir des décisions plus favorables.

Il est également souligné que l’avocat doit assurer l’efficacité de ses actes et respecter les délais de procédure, comme le stipule l’article 412 du code de procédure civile.

Quel est le lien entre les fautes de l’avocat et le préjudice subi par les bailleurs ?

Le lien entre les fautes de l’avocat et le préjudice subi par les bailleurs doit être établi par la démonstration d’une perte de chance.

La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à l’aune de la chance perdue, et non à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Dans ce cas, les bailleurs soutiennent que les fautes de leur avocat ont conduit à une perte de chance d’obtenir une décision favorable, notamment en ce qui concerne le refus de renouvellement du bail commercial.

Cependant, le tribunal a constaté que les bailleurs n’ont pas prouvé l’existence d’un préjudice actuel et certain, ce qui a conduit à la confirmation du jugement initial.

Quel est le fondement des demandes d’indemnisation des bailleurs et comment sont-elles justifiées ?

Les bailleurs demandent une indemnisation sur la base des préjudices financiers et moraux subis en raison des fautes de leur avocat.

Ils invoquent des sommes versées au titre de l’indemnité d’éviction, ainsi que des frais engagés dans le cadre de la procédure.

Cependant, le tribunal a relevé que les bailleurs n’ont pas apporté de preuves suffisantes pour justifier l’existence d’un préjudice financier actuel et certain.

De plus, le tribunal a noté que la procédure de résolution de la vente est en cours, laissant ouverte la possibilité d’une indemnisation future en cas de succès dans cette action.

Ainsi, les demandes d’indemnisation ont été rejetées en raison de l’absence de preuves tangibles des préjudices allégués.

Quel est le régime des dépens et des frais irrépétibles dans cette affaire ?

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge.

Dans cette affaire, les bailleurs ont été condamnés aux dépens, et le tribunal a également décidé de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur des appelants pour leurs frais irrépétibles.

Cela signifie que les bailleurs ne pourront pas récupérer les frais engagés pour leur défense, ce qui est conforme à la décision du tribunal de confirmer le jugement initial.

Ainsi, les frais de procédure et les dépens ont été confirmés, et les appelants ont été déboutés de leur demande d’indemnisation pour frais irrépétibles.

N° RG 23/03759 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JQDF

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 26 MARS 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

21/00590

Tribunal judiciaire de Rouen du 16 octobre 2023

APPELANTS :

Monsieur [R] [H]

né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 6]

chez M. et Mme [V]

[Adresse 4]

[Localité 6]

représenté par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Freddy BRILLON, avocat au barreau de Paris plaidant par Me OUADI

Madame [I] [V] épouse [H]

née le [Date naissance 2] 1988 à [Localité 6]

chez M. et Mme [V]

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Freddy BRILLON, avocat au barreau de Paris plaidant par Me OUADI

INTIMEE :

SCP [M] ET [K]-[M]

RCS d'[Localité 9] [N° SIREN/SIRET 5]

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Guillaume REGNAULT, avocat au barreau de Paris plaidant par Me LOURABI

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 22 janvier 2025 sans opposition des avocats devant Mme WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l’audience publique du 22 janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 février 2025, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 26 mars 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 mars 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte authentique du 16 février 2016, M. [Y] [E] et Mme [C] [P], son épouse, ont vendu à M. [R] [H] et Mme [I] [V], son épouse, un immeuble situé [Adresse 7] à [Localité 6], contenant une boutique au rez-de-chaussée et un appartement à l’étage.

Par acte d’huissier de justice du 21 avril 2016, la Sarl [12] a sollicité le renouvellement du bail commercial auprès de M. et Mme [H], lesquels ont signifié leur refus de renouvellement par acte d’huissier du 24 mai 2016 au motif que les locaux loués ne pouvaient plus être occupés sans danger en raison de leur état.

Le 9 novembre 2016, la Sarl [12] a assigné M. et Mme [H] en vue du versement d’une indemnité d’éviction et par jugement du 6 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Compiègne a condamné solidairement M. et Mme [H] à payer à la Sarl [12] la somme de 185’904 euros au titre de cette indemnité.

Dans le cadre de cette instance, M. et Mme [Z] ont été représentés par un avocat auquel a succédé la Scp [G] [M] & [W] [K]-[M].

Estimant avoir subi un préjudice du fait de fautes commises par cette dernière, M. et Mme [Z] l’ont assignée devant le tribunal judiciaire d’Amiens par acte du 8 juin 2020.

Par ordonnance du 10 décembre 2020, le juge de la mise en état a renvoyé l’affaire devant le tribunal judiciaire de Rouen en application de l’article 47 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 16 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Rouen a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire’:

– révoqué l’ordonnance de clôture du 21 mars 2023,

– fixé la clôture au 18 septembre 2023,

– condamné la Scp [M] & [K]-[M] à payer à M. et Mme [H] la somme de 8’000 euros au titre du préjudice moral,

– condamné la Scp [M] & [K]-[M] aux dépens,

– condamné la Scp [M] & [K]-[M] à payer à M. et Mme [H] la somme de 3’500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté les autres demandes, plus amples et contraires.

Par déclaration reçue au greffe le 14 novembre 2023, M. et Mme [Z] ont formé appel du jugement.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 17 décembre 2024, M. [R] [H] et Mme [I] [V], son épouse, demandent à la cour, au visa des articles 411 et suivants, 555 et suivants 700 et suivants du code de procédure civile, et 1147 et suivants du code civil, de’:’

– les recevoir en toutes leurs demandes,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a’:

. condamné la Scp [M] & [K]-[M] à leur payer la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral,

. condamné la Scp [M] & [K]-[M] aux dépens,

. condamné la Scp [M] & [K]-[M] à leur payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

– condamner la Scp [M] & [K]-[M] à leur payer’:

. la somme de 228 921,46 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi avec intérêt au taux légal à compter du 8 juin 2020 (date de l’assignation introductive d’instance),

. la somme de 17 020,50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel subi avec intérêt au taux légal à compter du 8 juin 2020 (date de l’assignation introductive d’instance),

. la somme de 25 698,60 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi avec intérêt au taux légal à compter du 8 juin 2020 (date de l’assignation introductive d’instance),

. la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

. la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

y ajoutant :

– rappeler le caractère exécutoire de la décision à intervenir,

– condamner la Scp [M] & [K]-[M] à leur verser la somme de

10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance d’appel.

Ils reprochent au cabinet d’avocats de ne pas avoir mis en cause dans la procédure les vendeurs, M. et Mme [E] en première instance, rappelant que la Scp [M] & [M]-[K] avait demandé, aux termes de ses dernières écritures produites devant le tribunal de grande instance de Compiègne, de «’subsidiairement dire et juger que M. et Mme [E] devront garantir M. et Mme [H] des condamnations qui seront prononcées à leur encontre’»’: ils soutiennent que le défaut de mise en cause des vendeurs constitue une faute professionnelle qui leur aurait fait perdre la chance de pouvoir être garanti et relevé de la condamnation judiciaire prononcée contre eux au profit de la Sarl [12].

Au visa de l’article 555 du code de procédure civile, qui dispose que la mise en cause d’un tiers devant la cour d’appel n’est caractérisée que par la révélation d’une circonstance de fait ou de droit née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige, M. et Mme [H] précisent que l’assignation en intervention forcée de M. et Mme [E] aurait été d’autant plus impossible que cette action aurait été fondée sur des circonstances qu’ils connaissaient, de même que leur conseil lors de l’instance devant le tribunal de grande instance de Compiègne.

Ils reprochent encore à leur conseil le défaut de production des rapports des experts judiciaires, M. [B], du 4 avril 2014, et Mme [L], du 30 octobre 2017, précisant que ces pièces étaient de nature à étayer et consolider le bien-fondé juridique du commandement par huissier de justice du 24 mai 2016 portant refus de renouvellement de bail commercial par le bailleur’: ils permettaient de vérifier que l’origine des désordres était incontestablement antérieure à leur acquisition. Ils considèrent que le défaut de production de ces pièces par leur avocat est fautif.

Ils visent encore au titre des fautes commises, l’absence de production du procès-verbal de constat de Me [U], huissier de justice, précisant que l’huissier mandaté a notamment retenu qu’il existait de nombreux désordres graves affectant le bien immobilier litigieux, et que «’les plus expresses réserves sont à formuler sur cette partie du mur qui est en cours d’effondrement’». Ils font valoir que ce constat caractérisait également l’antériorité des désordres et l’absence d’imputabilité aux nouveaux bailleurs.

Ils soulèvent également comme fait constitutif de faute, l’absence de demande de sursis à statuer et la perte de chance de voir le tribunal de Compiègne écarter leur responsabilité.

Ils ajoutent que la négligence de la Scp [M] & [K]-[M] qui n’a pas fait signifier la déclaration d’appel dans le strict respect du délai légal imparti à peine de caducité, constitue une faute professionnelle qui, au regard de la sanction prononcée, leur a fait perdre définitivement la chance d’obtenir devant la cour d’appel d’Amiens l’infirmation du jugement critiqué et donc une issue plus favorable.

Estimant qu’ils auraient pu obtenir gain de cause tant devant le tribunal de grande instance de Compiègne que devant la cour d’appel d’Amiens, M. et Mme [H] expliquent que le préjudice qu’ils ont subi du fait des manquements de leur conseil et le lien de causalité entre les fautes et les dommages est caractérisé.

Au visa des dispositions du I. 2° de l’article L. 145-17 du code de commerce, M. et Mme [H] indiquent que si la cour d’appel d’Amiens avait pu statuer, elle n’aurait pas manqué de tirer toutes les conséquences de son constat en validant le refus légitime de renouvellement du bail commercial opposé à la Sarl [12], en retenant que les appelants n’auraient été tenus au paiement d’aucune indemnité d’éviction.

Évaluant à 99 % la perte de leur chance d’obtenir gain de cause, M. et Mme [H] sollicitent les sommes de 228’921,46 euros au titre de leur perte de chance de ne pas être condamnés à payer à la Sarl [12] une indemnité d’éviction, 17’020,50 euros au titre des frais et honoraires de procédure engagés en pure perte, 25’698,60 euros au titre des sommes saisies sur leur compte bancaire, et 120’000 euros au titre de leur préjudice moral lié à la dégradation de leur état de santé.’

Par dernières conclusions notifiées le 13 janvier 2025, la Scp [G] [M] et [W] [K]-[M] demande à la cour de’:

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a’:

. condamnée à payer à M. et Mme [H] la somme de 8’000 euros au titre du préjudice moral,

. condamnée à payer à M. et Mme [H] la somme de 3’500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. condamnée aux dépens,’

– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les autres demandes de M. et Mme [H],

statuant à nouveau,’

à titre principal,’

– juger que M. et Mmes [H] ne justifient d’aucune perte de chance en lien de causalité avec les fautes alléguées,

par conséquent,’

– débouter M. et Mme [H] de l’ensemble de leurs demandes,

à titre subsidiaire,’

– juger que M. et Mme [H] ne justifient aucun préjudice actuel et certain,

par conséquent,’

– débouter M. et Mme [H] de l’ensemble de leurs demandes,

en toute hypothèse,’

– débouter M. et Mme [H] de l’ensemble de leurs demandes à son encontre,

– condamner M. et Mme [H] à leur payer la somme de 5’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

A titre principal, sur l’absence de mise en cause de M. et Mme [E] dans le cadre de la procédure relative à l’indemnité d’éviction, la Scp [M] & [K]-[M] estime que même si M. et Mme [E] avaient été attraits à la procédure, M. et Mme [H] seraient restés débiteurs de l’indemnité d’éviction dès lors qu’en application de l’article L. 145-15 du code de commerce le bailleur qui a lui-même refusé le renouvellement du bail ne peut se prévaloir de la responsabilité du précédent propriétaire dans la dégradation de l’immeuble pour mettre à sa charge le paiement de l’indemnité d’éviction.

Sur l’absence de production des rapports d’expertise judiciaire, elle soutient que le tribunal s’est fondé sur l’ensemble des rapports d’expertise judiciaire pour juger que les bailleurs ne pouvaient pas s’exonérer du règlement de l’indemnité d’éviction.’

Concernant le procès-verbal de constat du 12 mai 2016, qui selon les appelants aurait permis d’établir que l’origine des désordres était incontestablement antérieure à l’acquisition de l’immeuble, elle explique qu’aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors que l’ensemble des pièces produites par les parties démontraient déjà que les désordres étaient antérieurs à la vente du bien. Elle précise que l’ensemble des pièces soumises au tribunal de grande instance de Compiègne prouvaient de façon claire que l’état de délabrement de l’immeuble était lié aux négligences de son propriétaire depuis de nombreuses années’; que le procès-verbal de constat de 2016 n’aurait rien démontré de plus.

Sur la caducité de l’appel, pour soutenir que M. et Mme [H] n’ont perdu aucune chance en appel de ne pas être condamnés au paiement d’une indemnité d’éviction, elle allègue que si l’article L. 145-17, II° du code de commerce exonère le bailleur du paiement d’une indemnité d’éviction, le comportement fautif de ce dernier le prive du droit de refuser le renouvellement du bail sans payer d’indemnité d’éviction, tout en précisant que la qualité de propriétaires de M. et Mme [H] lors de la délivrance du congé leur imposait de supporter la charge de l’ indemnité d’éviction.

S’agissant du sursis à statuer, pour affirmer que l’absence de sursis à statuer dans le cadre de la procédure sur l’indemnité d’éviction n’a pas privé M. et Mme [H] de la possibilité de solliciter la résolution de la vente sur le fondement des vices cachés, elle rappelle que l’indemnité d’éviction est une dette personnelle du propriétaire qui a refusé le renouvellement du bail, dont il n’était pas déchargé par la vente de l’immeuble ni par l’annulation de la vente. Dans le cadre de l’action en résolution de la vente, M. et Mme [H] pouvaient parfaitement solliciter l’indemnisation de leur préjudice tenant à la nécessité de régler à la Sarl [12] une indemnité d’éviction, ce qu’ils ont d’ailleurs décidé de faire.’

Subsidiairement, alors que les appelants soutiennent qu’ils ont perdu une chance de ne pas être déclarés débiteurs de la somme de 231’233,80 euros au titre de l’indemnité d’éviction, la Scp [M] & [K]-[M] expose qu’ils ne justifient d’aucun préjudice actuel et certain’; que dans le cadre de la procédure pendante à l’encontre de M. et Mme [E], ils peuvent obtenir la condamnation des vendeurs à les indemniser du montant de l’indemnité d’éviction, à la seule condition qu’ils obtiennent l’annulation de la vente litigieuse sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Plus subsidiairement, sur le quantum du préjudice, elle sollicite le rejet de l’ensemble des demandes indemnitaires de M. et Mme [H] en invoquant l’absence de justification par ces derniers d’un préjudice réel, certain et en lien de causalité avec une faute imputable à son égard.

Pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux écritures susvisées.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 22 janvier 2025.

MOTIFS

Sur les procédures consécutives à l’acquisition de l’immeuble par les appelants

Les pièces versées aux débats par les appelants confirment les différents éléments procéduraux utiles suivants.

– Le non-renouvellement du bail commercial

. le 16 février 2016, M. et Mme [E] ont vendu à M. et Mme [H] l’immeuble situé à [Localité 6] à usage mixte, de commerce au rez-de-chaussée et d’habitation à l’étage.

. le 21 avril 2016, la Sarl [12] a notifié aux bailleurs une demande de renouvellement du bail commercial, celui-ci devant expiré le 14 octobre 2016.

. le 24 mai 2016, les bailleurs ont signifié leur refus en raison de l’état de l’immeuble’:’«’les demandeurs n’entendent pas vous accorder le renouvellement du bail commercial au motif que les locaux loués ne peuvent plus être occupés sans danger en raison de leur état et ce, sans être tenu au paiement d’aucune indemnité conformément aux dispositions du I-2° de l’article L.145-17 du code de commerce.’»

Par ordonnance du 7 septembre 2016, sur saisine de la Sarl [12], le président du tribunal judiciaire de Compiègne a ordonné une expertise ayant pour objet l’évaluation de l’indemnité d’éviction au contradictoire tant des vendeurs de l’immeuble, M. et Mme [E], que des bailleurs actuels, M. et Mme [H], représentés par Me [A].

Par jugement du 6 novembre 2018, signifié le 6 décembre 2018 aux défendeurs, M. et Mme [H] étant alors représentés par la Scp [M] et [K]-[M], le tribunal de grande instance de Compiègne a essentiellement constaté que M. et Mme [E] n’avaient pas été appelés à la cause et condamné M. et Mme [H] à payer à la Sarl [12] une indemnité d’éviction de 185 904 euros avec intérêts à compter de l’assignation du 9 novembre 2016, une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Par ordonnance du 18 avril 2019, le conseiller de la mise en état de la chambre compétente de la cour d’appel d’Amiens a déclaré caduque la déclaration d’appel du 30 novembre 2018 pour défaut de signification de la déclaration d’appel à l’intimée dans les délais prévus par le code de procédure civile.

– L’action en résolution de la vente immobilière

Par acte de vente du 16 février 2016, M. et Mme [E] ont cédé la propriété de l’immeuble au prix de 201 000 euros moyennant un prêt d’un montant de

163 116 euros. En page 25, il est précisé que l’immeuble est loué selon un bail de

9 ans signé le 25 juillet 1997 à la Sarl [10] [X] moyennant paiement d’un loyer actuel de 809,52 euros.

Par acte extrajudiciaire du 1er septembre 2016, M. et Mme [H], représentés par Me [A], ont fait assigner M. et Mme [E] en référé expertise. La mesure a été ordonnée par décision du président compétent le 26 octobre 2016. Sur assignation du 5 décembre 2016, par ordonnance du 8 février 2017, la mesure a été étendue à la Sarl [12].

Dès un pré-rapport du 20 mars 2017, l’expert judiciaire a confirmé l’urgence de neutraliser l’immeuble et de surveiller les fissures, de fermer le restaurant et de fermer les accès.

L’expert judiciaire a déposé son rapport le 30 octobre 2017′: il conclut à l’hypothèse la plus probable d’un affouillement des fondations de l’immeuble causé par les crues successives de l’Oise et dès lors à un affaissement de l’immeuble. Il rappelle exactement. avoir demandé dès son pré-rapport la fermeture du restaurant et un accès limité à l’immeuble uniquement pour l’entreprise chargée de surveiller les jauges posées. Les appelants étaient encore représentés par Me [A] à la lecture du rapport.

Par acte du 15 novembre 2017, M. et Mme [H], représentés par la Scp [M] et [M]-[K], ont fait assigner M. et Mme [E] en résolution de la vente immobilière.

Aucune pièce récente ne permet de vérifier l’état de la procédure.

– La procédure administrative

Par ordonnance du 18 juillet 2017, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a ordonné une expertise sur saisine du président de l’agglomération de la Région de [Localité 6] et de la Basse Autonome (ARC) et au contradictoire de M. et Mme [H]. L’expert a déposé son rapport le 28 août 2017.

Un arrêté du 9 septembre 2017 a prononcé la mise en sécurité de l’immeuble de M. et Mme [H] au [Adresse 7] à [Localité 6] au regard du péril imminent.

Par arrêté du 31 janvier 2024, le président de l’agglomération de la Région de [Localité 6] et de la Basse Autonome décide d’une mise en demeure d’avoir à effectuer différents travaux en l’article 1 et maintient essentiellement en l’article 2, l’interdiction d’accès et d’occupation de l’immeuble dans les formes et conditions initiales en rappelant les sanctions pénales encourues.

Cette décision révèle que des travaux de confortement ont été réalisés en 2019 mais demeurent insuffisants.

Sur la responsabilité du cabinet d’avocats

L’article 411 du code de procédure civile dispose que le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure.

L’article 412 suivant précise que la mission d’assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger.

En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Il revient aux appelants de démontrer l’existence de fautes imputables à l’avocat ayant causé des préjudices qui dans le cas de la responsabilité de ce professionnel s’analysent en une perte de chance d’obtenir des décisions plus favorables.

A titre liminaire, il convient de préciser que la Scp [M] et [K]-[M] ne verse aux débats aucune pièce sur le mandat exercé, tant sa durée que ses conditions.

– Les fautes alléguées

M. et Mme [H] se fondent sur l’obligation de conseil de l’avocat, son obligation d’assurer l’efficacité de ses actes et son devoir de loyauté, de prudence et de diligence et invoquent les fautes suivantes’:

– l’absence de mise en cause judiciaire de M. et Mme [E],

– l’absence de production des rapports d’expertises judiciaires des 4 avril 2014 et

30 octobre 2017,

– l’absence de production du procès-verbal de constat de Me [U] du 16 mai 2016,

– l’absence de demande de sursis à statuer,

– la caducité de la déclaration d’appel,

– l’impossibilité d’être relevés et garantis de toute condamnation par les vendeurs.

En réalité, les manquements invoqués contre l’avocat des appelants portent sur trois points’:

– la perte de chance de bénéficier de la garantie des vendeurs,

– la perte de chance liée à une insuffisance des preuves produites pour établir l’état de l’immeuble,

– la perte de chance en raison d’une gestion négligée de la procédure.

Il convient de les examiner à la lecture de l’article L 145-17 du code de commerce auquel se réfèrent les appelants et qui dispose que’:

I.-Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité : 1° S’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant. Toutefois, s’il s’agit soit de l’inexécution d’une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l’article L. 145-8, l’infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s’est poursuivie ou renouvelée plus d’un mois après mise en demeure du bailleur d’avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa ;

2° S’il est établi que l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d’insalubrité reconnue par l’autorité administrative ou s’il est établi qu’il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.

II.-En cas de reconstruction par le propriétaire ou son ayant droit d’un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux, le locataire a droit de priorité pour louer dans l’immeuble reconstruit, sous les conditions prévues par les’articles L. 145-19’et’L. 145-20.

1- La garantie des vendeurs’: l’absence de mise en cause judiciaire de M. et Mme [E] et l’impossibilité d’être relevés et garantis de toute condamnation par les vendeurs

Par jugement du 6 novembre 2018, le tribunal statuant sur l’indemnité d’éviction a, concernant les vendeurs de l’immeuble uniquement constaté qu’ils n’ont pas été appelés à la cause.

Pour contester l’existence même d’une faute, la Scp [M] et [K]-[M], soulignant à juste titre que la jurisprudence est constante sur ce point, rappelle que l’indemnité d’éviction est une dette personnelle à la charge du bailleur et qu’ainsi, M. et Mme [H] n’auraient jamais pu être garantis des condamnations prononcées à ce titre’: l’absence de mise en cause est dès lors sans incidence. En outre, la procédure de résolution de la vente est en cours.

Effectivement, l’indemnité d’éviction est à la charge des bailleurs.

Il n’en reste pas moins que dans ses dernières conclusions du 12 avril 2018 devant le tribunal de grande instance de Compiègne, le conseil des bailleurs a écrit textuellement le contraire de ce qu’il soutient’: «’subsidiairement, dire et juger que les époux [E] devront garantir les époux [H] des condamnations qui seront prononcées à leur encontre.’» Le cabinet d’avocat mis en cause ne verse aucune correspondance officielle quant aux explications données à ses clients sur ce point. En toute discordance avec ses écritures, il n’a pas mis en cause les vendeurs.

En outre, rien ne s’opposait à l’ouverture d’un débat entre vendeurs et acquéreurs sur la responsabilité de M. et Mme [E] au titre des causes du refus de renouvellement du bail. Le jugement précise de surcroît que «’Les époux [H] qui ne critiquent pas le détail des sommes demandées seront par conséquent condamnés à verser à la SARL [12] une indemnité d’éviction de 185.904 euros avec intérêts de droit à compter de l’assignation du 9 novembre 2016.’». L’absence de garantie possible comme décrite par l’intimé, si elle avait été parfaitement exposée aux bailleurs, aurait justifié également la tentative d’obtenir une réduction de ce montant.

Il convient de rappeler les termes de la correspondance que la Scp d’avocats a adressée à M. et Mme [H] le 10 novembre 2017 en ces termes’:’«’Votre locataire a engagé une procédure’ tendant à obtenir une indemnité d’éviction ‘ Je me suis opposé à cette demande en faisant valoir que l’immeuble était frappé d’un arrêté de péril, ce qui excluait toute possibilité d’exploitation. En pareille circonstance, la jurisprudence est claire, il ne peut y avoir d’indemnité d’éviction’».

La Scp [M] et [K]-[M] a bien commis une faute dans l’administration de la procédure et l’image qu’elle en a donnée à ses clients.

Enfin, l’absence de mise en cause des vendeurs en première instance aurait fait débat sur la recevabilité d’une intervention provoquée en cause d’appel en l’absence d’éléments nouveaux postérieurs au jugement. Les manquements commis étaient susceptibles dès lors de présenter un caractère irrévocable.

2 – La preuve des faits’: l’absence de production des rapports d’expertises judiciaires des 4 avril 2014 et 30 octobre 2017 et du procès-verbal de constat de Me [U] du 16 mai 2016

Contrairement à ce qu’indiquent M. et Mme [H], le tribunal de grande instance a statué en ayant connaissance des pièces utiles sur l’état de l’immeuble pour apprécier «’s’il est établi qu’il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.’», condition posée par l’article L 145-17 du code de commerce.

En effet, la juridiction vise expressément dans les motifs de la décision’:

– le rapport d’expertise de M. [B] du 4 avril 2014, rapport alors établi dans la relation entre les bailleurs, M. et Mme [E] et la Sarl [11] alors preneuse des locaux, portant sur des dégâts des eaux importants ayant pour origine des défauts d’étanchéité du bâtiment, préconisant l’exécution de travaux à hauteur de

20 294,45 euros.

– le rapport d’expertise judiciaire de Mme [T] du 30 octobre 2017.

La juridiction a examiné, en outre, l’arrêté de péril imminent du président de l’agglomération de la région de [Localité 6] du 9 septembre 2017.

Le tribunal a estimé que’« Les travaux préconisés par plusieurs rapports d’expertises judiciaires intervenus successivement dont les propriétaires avaient la charge, n’apparaissent pas avoir été réalisés à ce jour. Par ailleurs, s’il est établi que l’immeuble ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état tant que les travaux préconisés n’ont pas été mis en ‘uvre, l’état de l’immeuble est la conséquence de la carence des propriétaires successifs.’».’A la lecture des pièces, la juridiction a ainsi identifié à la fois l’antériorité des désordres et leur ampleur, constitutive d’un danger.

S’il ne résulte pas de cette décision que le procès-verbal dressé par Me [U], huissier de justice, du 12 mai 2016 ait été produit, cette communication n’aurait pas modifié l’appréciation de la juridiction ayant estimé que la preuve du délabrement de l’immeuble était acquise mais écartant ce moyen en retenant la responsabilité des différents propriétaires dans la réalisation d’un tel dommage au bâti.

La faute alléguée à l’encontre de la Scp [M] et [K]-[M] n’est pas démontrée.

3 – La gestion des procédures’: l’absence de demande de sursis à statuer et la caducité de la déclaration d’appel

M. et Mme [H] reprochent à leur avocat de ne pas avoir sollicité devant le tribunal de grande instance de Compiègne un sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure engagée par ailleurs afin de voir prononcer la résolution judiciaire de la vente immobilière.

Toutefois, compte tenu de l’obligation personnelle faite aux bailleurs, auteurs du refus de renouvellement du bail, d’en répondre à l’égard du preneur, et dès lors de l’indépendance des litiges entre ceux-ci d’une part, et entre vendeurs et acquéreurs d’autre part, aucun élément permet d’affirmer que cette demande de sursis à statuer aurait été pertinente et qui plus est, aurait été acceptée.

Aucune faute de l’avocat n’est caractérisée à ce titre.

En revanche, le défaut de respect des articles 902 et suivants du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d’appel est une faute certaine de la part du professionnel mis en cause.

Il résulte en effet de l’ordonnance du conseiller de la mise en état de la cour d’appel d’Amiens du 18 avril 2019 qu’après avoir formé appel par déclaration au greffe, la Scp [M] et [K]-[M] a omis de signifier dans les délais requis cette déclaration d’appel à l’intimée’: «’Les appelants justifient qu’ils ont signifié leur déclaration d’appel par huissier le 4 février 2019, soit au-delà du délai d’un mois prévu par le texte précité, l’intimée n’ayant constitué avocat que le 12 février 2019.’»

Dès lors, la caducité de la déclaration d’appel a été prononcée. La sanction a pour origine un manque de diligence de l’avocat, qui ce faisant a privé ses clients d’un nouveau débat devant la cour d’appel.

– Les préjudices causés

La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à l’aune de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

1- Le préjudice financier

Pour établir le préjudice subi, M. et Mme [H] ne justifient que du paiement de la somme de 25 958,21 euros versée au titre de l’indemnité d’éviction en raison de la mise en ‘uvre de voies d’exécution forcée par la Sarl [12]. Ils communiquent également les pièces relatives à la procédure de surendettement en cours faisant obstacle à tout paiement, notamment en raison du rapport entre leurs ressources et leur endettement. Le montant de l’obligation discutée est moindre au regard des condamnations prononcées.

Lors du refus de renouvellement du bail commercial, ils ne rapportent pas la preuve du péril imminent constitué puisque celui-ci ne sera constaté par l’autorité administrative que le 9 septembre 2017′: comme l’a souligné le tribunal de grande instance de Compiègne, des travaux avaient été préconisés antérieurement.

En outre, le tribunal de grande instance est saisi d’une procédure en résolution de la vente et laisse une perspective à M. et Mme [H] de bénéficier d’une prise en compte des conséquences de l’anéantissement de la vente s’il était prononcé. Le débat portera sur le caractère visible ou non de l’état de l’immeuble et la mauvaise foi des vendeurs.

Dans le présent dossier, M. et Mme [H] ne rapportent pas la preuve d’un préjudice actuel et certain.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les prétentions des appelants.

2- Le préjudice moral

C’est à juste titre que la juridiction de première instance a retenu l’existence d’un lien entre les fautes susvisées et le préjudice moral invoqué par M. et Mme [H].

En effet, M. et Mme [H] ont souscrit en 2016 un emprunt de 163 116 euros pour acquérir l’immeuble litigieux. La lecture de l’acte met en évidence des désordres révélés par les diagnostics obligatoires sans toutefois que les vendeurs aient fait état de procédures antérieures, au point que le bail de référence dans l’acte authentique était encore l’acte consenti en 1997 alors que ceux-ci avaient dû faire face, des années plus tard au contentieux provoqué par la Sarl [11].

S’ils se sont abstenus de solliciter un conseil pour le renouvellement de bail, ils ont dû en changer puisqu’après avoir consulté Me [A], ils ont investi leur confiance en Me [M] dans le cadre du litige les opposant à la Sarl [12].

Dans ce contexte, la correspondance de leur conseil dans les termes ci-dessus rappelés se présentait comme une garantie absolue d’être exonérés de toute obligation’: assignés le 19 mai 2016, soit trois mois après leur acquisition, ils seront condamnés le 6 novembre 2018 à payer la somme de 185 904 euros, ce en totale contradiction avec les affirmations.

Il convient d’ajouter que la même correspondance du 10 novembre 2017 portait l’annonce de l’initiative prise par l’avocat de saisir le tribunal compétent d’une action en résolution de la vente et donc de la restitution du prix’: «’Cette procédure devrait prendre un délai de l’ordre de six mois’». Elle n’est pas achevée à ce jour.

La correspondance de l’avocat a fait naître, à la fois par des affirmations infondées et des manquements procéduraux privant du droit d’appel M. et Mme [H], des espoirs injustifiés d’un traitement à la fois serein et constructif des litiges. L’intimée s’abstient d’ailleurs de produire toute correspondance officielle sur les conditions d’exécution de son mandat.

Les appelants versent aux débats des pièces médicales ou para-médicales attestant de l’état dépressif de M. [H] et de son lien avec les différentes procédures. Si le cabinet d’avocats ne peut être tenu des conséquences d’une acquisition malheureuse d’un immeuble en mauvais état et de l’obligation pour les acquéreurs de faire face à tant de procédure, il n’a pas accompagné ses clients avec diligence et efficacité, leur causant un dommage moral.

Le premier juge a fait une appréciation juste du préjudice moral subi par M. et Mme [H] de sorte que la décision sera confirmée.

3- Les frais de procédure

M. et Mme [H] ne justifient pas de frais engagés inutilement ou inadaptés au soutien de leurs prétentions. La seule procédure ayant échoué par la faute de la Scp [M] et [K]-[M] est celle de l’appel sanctionné par une caducité de la déclaration’: aucune pièce relative de façon claire au coût de la procédure n’est communiquée.

En conséquence, la demande ne peut prospérer.

Sur les frais de procédure

Les dispositions du jugement au titre des dépens et des frais irrépétibles seront confirmées.

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En cause d’appel, M. et Mme [H] obtiennent la confirmation du jugement. Il paraît au regard des fautes professionnelles commises par l’intimée et de l’indemnisation octroyée de la condamner aux dépens d’appel.

En revanche, l’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure au profit des appelants pour leur frais irrépétibles. Ils seront déboutés de leur prétention.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leur demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Scp [M] et [K]-[M] aux dépens.

Le greffier, La présidente de chambre,


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