Responsabilité professionnelle et perte de chance dans le cadre d’un prêt cautionné

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Responsabilité professionnelle et perte de chance dans le cadre d’un prêt cautionné

L’Essentiel : Le litige découle d’un prêt de 2 500 000 francs accordé à M. [E] en 1999, avec un taux d’intérêt de 4,40% et un remboursement sur 15 ans. Suite à la défaillance de M. [E], le GFA DE [7] a été assigné en justice. En 2018, le juge a annulé le cautionnement et le commandement de payer. La [4] a interjeté appel, mais celui-ci a été déclaré caduc en raison d’une faute de son avocat. En 2024, la [4] réclame 317 000 euros pour perte de chance, tandis que la SCP [B] [S] conteste toute responsabilité. Le tribunal reconnaît la faute de l’avocat et évalue la perte de chance à 253 824,89 euros.

Contexte du litige

Le litige trouve son origine dans un prêt de 2 500 000 francs consenti par la [5] à M. [G] [E] le 9 juillet 1999, destiné à financer l’acquisition de parts sociales du GFA DE [7]. Ce prêt était assorti d’un taux d’intérêt de 4,40% et devait être remboursé sur 15 ans, avec un différé d’amortissement de 3 ans. Le GFA DE [7] s’est porté caution solidaire et hypothécaire pour ce prêt.

Défaillance et procédures judiciaires

Suite à la défaillance de M. [E], un commandement de payer a été signifié au GFA DE [7] le 25 février 2013, suivi d’une assignation devant le juge de l’exécution en juillet 2013. Un jugement de sursis à statuer a été rendu en février 2015, et la demande de reprise des poursuites a été formulée en mars 2016. En avril 2018, le juge a prononcé la nullité du cautionnement hypothécaire et du commandement de payer.

Appel et caducité de la déclaration

La [4] a interjeté appel de la décision en mars 2019, mais une ordonnance de caducité a été rendue en mai 2019 en raison de l’absence de signification de la déclaration d’appel à l’intimé. La [4] a alors assigné son avocat pour obtenir réparation de son préjudice, considérant que la faute de ce dernier avait conduit à la caducité de l’appel.

Demandes de la [4]

Dans ses conclusions de 2024, la [4] demande au tribunal de reconnaître la responsabilité de la SCP [B] [S] – [8] pour avoir failli dans la procédure d’appel, entraînant une perte de chance évaluée à 317 000 euros. Elle sollicite également des intérêts et des frais au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Réponse de la SCP [B] [S] – [8]

La SCP [B] [S] – [8] conteste la responsabilité et demande le déboutement de la [4], arguant qu’aucun préjudice n’est prouvé. Elle demande également une réduction de la somme sollicitée pour perte de chance, en invoquant l’aléa judiciaire et des questions sur la capacité financière du GFA.

Analyse des responsabilités

Le tribunal rappelle que l’avocat est responsable des fautes commises dans l’exercice de ses fonctions. Il est établi que l’avocat n’a pas respecté le délai de signification de la déclaration d’appel, ce qui constitue une faute. La perte de chance de la [4] de voir le jugement réformé est reconnue comme un préjudice réparable.

Évaluation de la perte de chance

Le tribunal évalue la perte de chance à 80% de la somme de 317 280,89 euros, soit 253 824,89 euros, en tenant compte de l’aléa judiciaire. La demande de réduction de la créance de la [4] est également examinée, mais le tribunal conclut que la nullité des intérêts conventionnels ne pouvait être prononcée.

Décision du tribunal

Le tribunal condamne la SCP [B] [S] – [8] à verser à la [4] la somme de 253 824,89 euros, assortie d’intérêts, et à payer 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. La SCP est également condamnée aux dépens de l’instance. La décision est déclarée exécutoire à titre provisoire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’avocat en cas de faute dans l’exercice de ses fonctions ?

L’article 131 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, abrogé au 3 juillet 2023, stipule que « l’avocat est civilement responsable des actes professionnels accomplis pour son compte par son ou ses collaborateurs ».

Cette responsabilité est de nature contractuelle, ce qui signifie que l’avocat doit respecter les obligations découlant de son mandat. En vertu de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Ainsi, l’avocat est personnellement responsable des négligences et fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions envers ses clients. Il doit accomplir toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client, ce qui inclut la signification des actes dans les délais impartis.

Quelles sont les obligations de l’avocat en matière de représentation en justice ?

L’article 411 du code de procédure civile précise que le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure.

L’article 412 indique que la mission d’assistance en justice comporte les pouvoirs et devoirs de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger. L’article 413, quant à lui, dispose que le mandat de représentation comprend la mission d’assistance, sauf disposition ou convention contraire.

L’avocat est soumis à une obligation de moyen et non de résultat, ce qui signifie qu’il doit mettre en œuvre toutes les règles procédurales requises pour la défense des intérêts de son client. Il doit également être diligent et compétent dans la connaissance de la législation, des règles de procédure et de la jurisprudence.

Comment se définit la perte de chance en matière de préjudice ?

La perte de chance est définie comme la disparition de la probabilité d’un événement favorable par l’effet de la faute commise. Selon l’article 1231-2 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, équivalents à la perte qu’il a faite et au gain dont il a été privé.

Le préjudice doit revêtir un caractère direct, actuel et certain. Il est admis que le dommage puisse être caractérisé par la perte de chance, qui présente alors un caractère réparable. La disparition de l’éventualité favorable doit être réelle et sérieuse, ce qui signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que l’événement favorable se réalise.

Dans le cas présent, la perte de chance de la [4] de voir le jugement réformé est fondée sur la faute de l’avocat dans la procédure d’appel.

Quelles sont les conditions de validité d’un cautionnement donné par une société ?

Les articles 1849, 1852 et 1854 du code civil stipulent que le cautionnement donné par une société relativement à un acte qui n’entre pas directement dans son objet et qui ne résulte pas du consentement unanime de ses associés n’est valable que s’il existe une communauté d’intérêts entre la société et la personne cautionnée.

Il est donc exigé que pour être valable, le cautionnement donné par une société doit soit entrer dans son objet social, soit exister une communauté d’intérêts entre la société et la personne cautionnée, ou encore s’il existe le consentement unanime des associés.

Dans le litige, la question de la communauté d’intérêts et du consentement des associés a été soulevée, et la décision du juge de l’exécution a été critiquée pour avoir appliqué des conditions cumulatives au lieu de conditions alternatives.

Comment se prononce le tribunal sur la demande d’indemnisation pour perte de chance ?

Le tribunal a constaté que la perte de chance de la [4] de voir le jugement réformé était réelle et sérieuse, quant à la validité de la caution et de la procédure de saisie immobilière.

Il a évalué cette perte de chance à 80 % de la somme revendiquée par la banque, soit 253 824,89 euros, assortie du taux légal à compter de la délivrance de l’assignation en date du 15 mars 2023.

Cette évaluation tient compte de l’aléa judiciaire, car la perte de chance est celle tenant à la réformation de la décision et non aux chances de recouvrement de la créance.

Le tribunal a également condamné la SCP [B] [S]-[8] à payer à la [4] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tout en rejetant les demandes de la SCP [B] [S]-[8] à ce titre.

Copie ❑ exécutoire
❑ certifiée conforme
délivrée à
Me Muriel BERGER-GOUAZE
Maître Stéphane GOUIN de la SCP LOBIER & ASSOCIES

TRIBUNAL JUDICIAIRE Par mise à disposition au greffe
DE NIMES
Le 20 Janvier 2025
1ère Chambre Civile
————-
N° RG 23/01307 – N° Portalis DBX2-W-B7H-J4YA

JUGEMENT

Le Tribunal judiciaire de NIMES, 1ère Chambre Civile, a, dans l’affaire opposant :

Société [4],
inscrite au RCS de Montpellier sous le n°[N° SIREN/SIRET 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocats au barreau de NIMES, avocats plaidant,

à :

S.C.P. [B] [S] [8],
dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Muriel BERGER-GOUAZE, avocat au barreau de NIMES, avocat postulant et par Maître Thierry BERGER, Avocat au Barreau de MONTPELLIER,avocat plaidant

Rendu publiquement, le jugement contradictoire suivant, statuant en premier ressort après que la cause a été débattue en audience publique le 18 novembre 2024 devant Nina MILESI, Vice-Présidente, Antoine GIUNTINI, Vice-président, et Margaret BOUTHIER-PERRIER, magistrat à titre temporaire, assistés de Aurélie VIALLE, greffière, et qu’il en a été délibéré entre les magistrats.

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte authentique du 9 juillet 1999, la [5] a consenti à M. [G] [E] un prêt de 2 500 000 francs, (388 744,99 euros) avec intérêts de 4,40% remboursable sur 15 ans dont 3 ans avec différé d’amortissement, afin de financer l’acquisition de parts sociales du GFA DE [7], qui s’est porté caution solidaire et hypothécaire.

A la suite de la défaillance de M. [E], caution et emprunteur ont été mis en demeure vainement le 14 octobre 2011 de rembourser les sommes dues sous 8 jours à défaut de voir acquise la déchéance du terme. La [4] venant aux droits de la [5] a fait signifier, un commandement de payer valant saisie immobilière, le 25 février 2013 au GFA DE [7], puis une assignation devant le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Carcassonne le 9 juillet 2013.

En raison d’un jugement de sursis à statuer du 24 février 2015, dans l’attente d’une décision engagée devant le tribunal de grande instance de Montpellier et à la suite de la demande de reprise des poursuites par le [4] par conclusions du 29 mars 2016, c’est par décision du 8 avril 2018 que le juge de l’exécution a :
(…)
Prononcé la nullité du cautionnement hypothécaire accordé par le GFA DE [7] en sureté du prêt consenti par la [4] à Monsieur [G] [E] le 9 juillet 1999,
Prononcé la nullité du commandement de payer aux fins de saisie immobilière délivrée par la [4] à l’encontre du GFA DE [7] en l’absence de titre exécutoire et ordonné la mainlevée du commandement ; (…)

Appel de la décision a été formé par déclaration au greffe de la cour d’appel de Montpellier le 19 mars 2019, par Me [B] [S] de la SCP [S]
-[8], avocat au barreau de CARCASSONE dans les intérêts de la [4]. L’affaire a fait l’objet, en application des articles 905, 905-1 et 905-2 du code de procédure civile, d’une ordonnance de fixation à bref délai et a reçu fixation à l’audience de plaidoirie du 7 novembre 2019 par le président de la 1ère chambre D de la Cour.

Une ordonnance de caducité a été rendue le 16 mai 2019 par le président de chambre, faute de signification par l’appelant de la déclaration d’appel à l’intimé avant le 12 avril 2019.

Considérant que son avocat avait commis une faute, la [4] a fait délivrer le 15 mars 2023 une assignation à comparaître devant le tribunal judiciaire de Nîmes à la SCP [B] [S]-[8] aux fins de voir indemniser ses préjudices.

****

Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 août 2024 la [4] au visa de l’article 1231-1 du code civil demande au tribunal de :

Juger que la Société Civile Professionnelle [B] [S] – [8] a commis une faute source de responsabilité contractuelle pour avoir été défaillante dans le cadre de la procédure d’appel confiée devant la Cour d’Appel de MONTPELLIER à l’encontre d’un jugement du Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de CARCASSONNE du 03 Avril 2018 ayant entraîné la caducité de la déclaration d’appel prononcée par ordonnance du 16 Mai 2019.

Juger que le préjudice en résultant pour la [4] s’élève à une perte de chance pour la somme de 317.000 € avec intérêts au taux légal à compter du 15 Mars 2023 date de la délivrance de l’assignation jusqu’à parfait paiement.
Débouter la Société Civile Professionnelle [B] [S] – [8] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

En conséquence,

Condamner la Société Civile Professionnelle [B] [S] – [8] à porter et payer à la [4] la somme de 317.000 € avec intérêts au taux légal à compter du 15 Mars 2023, date de la délivrance de l’assignation jusqu’à parfait paiement.

Condamner la Société Civile Professionnelle [B] [S] – [8] à porter et payer à la [4] la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

La condamner aux entiers dépens.

Elle fait valoir que l‘avocat qui représente son client dans le cadre d’une procédure, commet une faute en cas d’inexécution de son mandat qui l’oblige à accomplir tous les actes utiles à la conservation et à la préservation des droits de son mandant. Elle estime que tel est le cas en l‘espèce car son conseil n’a pas fait signifier la déclaration d’appel à l’intimé en application des dispositions de l’article 905-1 du code de procédure civile, alors que l‘affaire avait été fixée à bref délai, de sorte que la caducité de l‘appel a été prononcée.

Sur son préjudice elle le qualifie de perte de chance car elle n’a pas eu la possibilité de faire réformer la décision devant la cour d’appel.

Elle estime que le juge de première instance a commis une erreur d’appréciation en prononçant la nullité du cautionnement du GFA, en exigeant, pour valider l’engagement de la caution, trois conditions cumulatives tenant à une communauté d’intérêt entre le GFA et le débiteur principal, la conformité du cautionnement à l’intérêt social du GFA et le consentement unanime des associés. Elle se prévaut de deux arrêts de la Cour de cassation l‘un en date du 8 novembre 2007, le second du 11 janvier 2023, qui rappellent la nécessité de remplir une seule condition, et non le cumul des trois, pour que le cautionnement soit valable dans le cas où il est donné par une personne morale pour le compte d’un tiers. Les conditions sont alternatives et non cumulatives. Elle ajoute que la validité du consentement donné par une société n’est jamais soumise à l‘antériorité du consentement des associés avant l‘acte de cautionnement.

Elle fait valoir, en se référant au PV de l ‘AGO du 9 juillet 1999 que la communauté d’intérêts entre M [E] et le GFA est incontestable, car en devenant associé du GFA il devait effectuer des apports en compte courant, afin de financer, les améliorations culturales et d’important travaux sur les bâtiments. Elle vise également l‘acte authentique du 9 juillet 1999 qui a rappelé le consentement de la collectivité des associés au cautionnement solidaire et hypothécaire, ce qui a été confirmé par le notaire dans un courrier du 5 janvier 2021.

Elle soutient que la décision querellée aurait été infirmée, le commandement de payer valant saisie immobilière n’aurait pas été invalidé et la procédure de saisie immobilière aurait pu se poursuivre.

Sur la perte de chance, elle la fixe à 99%. Elle critique la thèse adverse sur le défaut de communauté d’intérêts, elle estime que l’acte de cautionnement n’est pas de nature à compromettre l‘existence du GFA qui détient un patrimoine bien supérieur.

Elle relève que dans les conclusions prises par la SCP [S] devant le juge de
l‘exécution au soutien de la [4], son argumentation était l’inverse que celle soutenue dans la présente instance, quant à la communauté d’intérêts, et l‘accord des associés au cautionnement hypothécaire et solidaire. Enfin elle fait état d’un courrier de l‘administrateur provisoire du GFA, Maître [V], qui l’informe d’un projet de cessions des actifs immobiliers envisagées pour une somme de 1 .675. 000 euros de sorte que l‘existence du GFA n’était pas menacée par l’engagement de caution, le patrimoine du GFA étant supérieur au montant de l’emprunt cautionné.

*****

Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 août 2024, la SCP [S]-[8] demande au tribunal de :

A TITRE PRINCIPAL
DEBOUTER la [4] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions en ce qu’il n’est nullement rapporté la preuve d’un préjudice en lien de causalité avec la faute alléguée.
CONDAMNER la [4] à payer à la SCP [S] [8] la somme de 3000€ au titre de l’article 700 du CPC outre les dépens.
A TITRE SUBSIDAIRE
REDUIRE considérablement la somme sollicitée au titre de la perte de chance par la [4] qui n’est nullement justifiée et qui doit tenir compte de l’aléa judiciaire.
DEBOUTER la [4] de toutes demandes plus amples et contraires.
ECARTER l’exécution provisoire de droit en ce qu’elle est incompatible avec l’affaire.

Au soutien de ses prétentions elle conteste sa responsabilité professionnelle, car la [4] n’aurait pas obtenu gain de cause en appel, car le juge de l’exécution a parfaitement motivé sa décision. D’une part seuls quatre associés avaient signé le PV de l‘assemblée générale. D’autre part le consentement des associés devait être donné avant la signature de l‘acte de cautionnement, or les parts sociales n’étaient pas encore acquises par M [E] et M [M]. La défenderesse ajoute que si les conditions ne sont pas cumulatives pour juger de la validité du cautionnement par une personne morale, il faut qu’une majorité de ces conditions soient réunies. Or le cautionnement était contraire à l’intérêt du GFA, car ce dernier, en cas de défaillance de l’emprunteur, devait réaliser la totalité de son patrimoine pour honorer ses obligations de caution. Dès lors l’engagement compromettait l‘existence même du FGA. Elle se réfère à différentes décisions de la Cour de cassation en ce sens.

Au titre de la perte de chance, si sa responsabilité était retenue, elle conteste les sommes sollicitées, car la [4] ne rapporte pas la preuve qu’elle aurait pu recouvrer les sommes, car elle ne démontre pas la capacité financière du GFA. Elle donne une interprétation du courrier de l‘administrateur provisoire contraire à celle de la demanderesse, car il met en évidence des problématiques pour la vente des terrains objet de baux ruraux. Elle relève enfin des questionnements sur les privilèges du trésor public. Dès lors le montant des sommes sollicitées doit être réduit. Elle relève également que le GFA sollicitait la nullité de la stipulation des intérêts contractuels faute de mention exacte du taux effectif global.

Elle sollicite de voir écarter l’exécution provisoire car la [4] ne rapporte pas la preuve qu’elle présente des garanties manifestes de solvabilité si elle devait restituer les sommes allouées.

Il convient de se référer aux dernières conclusions signifiées pour un plus ample exposé des moyens des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture a été fixée à la date du 4 novembre 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du 10 juillet 2024 et l’affaire fixée à plaider à l’audience collégiale du 18 novembre 2024.
Les parties ont été informées par le président à l’audience du 18 novembre 2024 que le jugement serait rendu le 20 janvier 2025 par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

MOTIFS
Sur les responsabilités et le droit à indemnisation de la [4]
Aux termes de l’article 131 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, abrogé au 3 juillet 2023, « l’avocat est civilement responsable des actes professionnels accomplis pour son compte par son ou ses collaborateurs ».

➔Sur les manquements de l’avocat

Selon l’article 1231-1 du code civil le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Il est rappelé que l’avocat est personnellement responsable des négligences et fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions envers des clients ou des tiers. À l’égard des clients, l’avocat exerce soit des fonctions de représentation qui prennent la forme d’un mandat, soit des fonctions d’assistance matérialisées par un contrat de prestation de services. Sa responsabilité est de nature contractuelle.

* Sur les obligations de l’avocat
En vertu de l’article 411 du code de procédure civile le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure. L’article 412 précise que la mission d’assistance en justice comporte les pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger. Enfin l’article 413 du même code dispose que le mandat de représentation comprend la mission d’assistance, sauf disposition ou convention contraire.
Il est soumis dans son activité judicaire à une obligation de moyen et non de résultat. Il est tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client et il est investi d’un devoir de compétence, dans la connaissance qu’il doit avoir de la législation, des règles de procédure et de la jurisprudence. Il doit en matière de procédure être diligent et il est tenu de mettre en œuvre toutes les règles procédurales requises pour la défense des intérêts de son client.
*Sur la faute de l’avocat dans sa mission de représentation devant la cour d’appel.

Il ressort des pièces versées aux débats que l‘avocat mis en cause n’a pas procédé à la signification ou la notification (si l’intimé a constitué avocat), de la déclaration d’appel dans le délai imparti par l‘article 905-1 alors en vigueur, de 10 jours soit au plus tard le 12 avril 2019.

Par conséquent la faute de Me [S], dans le cadre de la procédure d’appel litigieuse devant la cour d’appel de Montpellier confiée par la [4], est caractérisée et doit être retenue.

➔Sur le lien causal et le préjudice

Pour prétendre à des dommages-intérêts la victime doit démontrer que la faute contractuelle a entrainé un préjudice. Il résulte de l’article 1231-2 du code civil que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, équivalents à la perte qu’il a faite et au gain dont il a été privé. Le préjudice doit revêtir un caractère direct, actuel et certain.

Il est admis toutefois que le dommage puisse être caractérisé par la perte de chance. Elle présente alors un caractère réparable. Elle se définit comme la disparition, de la probabilité d’un événement favorable par l’effet de la faute commise. L’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet du manquement, de la probabilité d’un événement favorable et ce bien que par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine. La disparition de l’éventualité favorable doit être réelle et sérieuse. Cela signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que l’événement favorable se réalise.

En l’espèce les préjudices invoqués sont fondés sur la perte de chance de réformation du jugement rendu par le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Carcassonne le 3 avril 2018, en lien avec la faute de l‘avocat.

Lorsque le dommage réside dans la perte d’une chance de réussite d’une action en justice, le caractère réel et sérieux de la chance perdue doit s’apprécier au regard de la probabilité de succès de cette action. L’appréciation de la probabilité de réussite de l’action manquée exige du juge qu’il recherche, s’il existait une chance sérieuse de succès de l’action en reconstituant fictivement, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, la discussion qui aurait pu s’instaurer devant le juge en l’occurrence devant la cour d’appel de Montpellier.

Le motif de réformation soutenu par la [4] porte sur la validité du cautionnement et sur la procédure de saisie immobilière subséquente. Il est rappelé qu’en application des articles 1849, 1852 et 1854 du code civil, en l’état du droit positif, le cautionnement donné par une société relativement à un acte qui n’entre pas directement dans son objet et qui ne résulte pas du consentement unanime de ses associés n’est valable que s’il existe une communauté d’intérêts entre la société et la personne cautionnée.

En l’espèce il est soutenu par la SCP [S], que la décision du Juge de l’exécution ne pouvait être réformée car l‘objet social du GFA ne prévoit pas la possibilité de conclure des cautionnements, le cautionnement des associés n’a pas été réuni de manière régulière, enfin il était contraire aux intérêts du GFA et de nature à compromettre son existence. Elle se prévaut de la lettre écrite à son client pour démontrer la connaissance par ce dernier de l’échec encouru pour la réformation de la décision.

Le jugement querellé rendu le 3 avril 2018 a prononcé la nullité du cautionnement litigieux aux motifs que “ Pour être valable le cautionnement donné par la GFA DE [7] à Monsieur [E] doit remplir les conditions cumulatives de l’existence d’une communauté d’intérêts entre la société caution et la personne cautionnée, de conformité à l’intérêt social et le consentement unanimes des associés”.

Cette motivation, au regard des principes énoncés par la Cour de cassation dans différentes décisions est erronée, car il est exigé que pour être valable le cautionnement donné par une société doit soit entrer dans son objet social, ou il doit exister une communauté d’intérêts entre la société et la personne cautionnée ou encore s’il existe le consentement unanime des associés. Dès lors c’est une appréciation alternative des critères qui doit être faite et non cumulative.

Il ressort de la lettre du 13 avril 2018 transmise par la SCP [S] à la [4] (sa cliente) que l‘avocat invoque des conditions cumulatives pour la validité du cautionnement tenant à la communauté d’intérêts, à la conformité à l’intérêt social et au consentement unanime des associés, et ce en contradiction avec le droit positif. Dès lors cette lettre ne peut établir la connaissance par le [6] de l’échec de son appel, comme le soutient son ancien conseil.

Il se déduit de la lettre de l‘administrateur provisoire Me [V] désigné par le tribunal judiciaire de Carcassonne, que le patrimoine foncier du GFA a fait l’objet de promesse de vente, sous différentes conditions au prix de :
– 910 000 euros pour une partie des terres,
– 140 000 euros pour d’autres terres,
– 625 000 euros pour des terres objets d’un bail rural, avec la condition du versement au fermier, d’une indemnité pour la résiliation du bail à hauteur de 85 911,18 euros.
Dès lors l’existence du GFA n’était pas compromise par un engagement de caution pour un prêt d’un montant de 388 744,99 euros.

L’objet du prêt bancaire reçu par Me [H], notaire, le 9 juillet 1999 a été affecté à l’acquisition de parts sociales du GFA par M [E]. Il ressort du PV d’assemblée générale que des apports en comptes courants seront effectués par les associés entrants Messieurs [E] et [M], que ces sommes « serviront en priorité aux améliorations culturales, mais aussi aux importants travaux à effectuer sur les bâtiments, et qui présentent un caractère d’urgence pour le groupement », ces mentions, ne sont pas sérieusement contredites par le GFA dans ses écritures de première instance. La SCP [S], ne justifie pas que les apports en compte courant n’ont pas été réalisés comme elle l‘affirme. Dès lors la communauté d’intérêts est établie entre le GFA et M [E].

En outre et de façon surabondante l‘autorisation spécialement motivée de la délibération de la collectivité des associés réunie le 9 juillet 1999 est mentionnée comme annexée à l’acte notarié et le notaire par courrier du 5 janvier 2021, postérieurement au jugement querellé, a confirmé que « Dans ce dossier, tous les actes ont été signés de même jour, le 9 juillet 1999, concomitamment.
Le procès-verbal du GFA a été certifié conforme par les 4 associés restant, savoir
Monsieur [M]
Monsieur [E]
et M&Mme [I] [X].
Le cautionnement a donc bien été autorisé par les associés à l’unanimité ».
Si des incertitudes persistent sur le nombre d’associés qui ont valablement donné leur consentement, cette condition à elle seule ne peut entrainer la nullité du cautionnement.

Il se déduit de tous ces éléments, que la perte de chance de la [4] de voir le jugement réformé est réelle et sérieuse, quant à la validité de la caution et de la procédure de saisie immobilière.

En conséquence, elle doit être indemnisée.

➔Sur le montant de l’indemnisation

Dans le cas de la perte de chance, l’indemnisation ne peut jamais être égale à l’avantage qui aurait été tiré si l’événement manqué s’était réalisé. En l‘espèce elle doit être fixée compte tenu de l‘aléa judiciaire, étant rappelé que la perte de chance est celle tenant à la réformation de la décision et non aux chances de recouvrement de la créance. De plus la somme à retenir doit tenir compte ou non de la contestation invoquée quant à la validité des intérêts conventionnels.

➔Sur la demande de réduction de la créance de la [4]

La SCP [S] demande la « réduction » de la créance [4], en invoquant dans ses motifs que le GFA avait formé une demande de nullité des intérêts conventionnels avec substitution de l’intérêts légal et ce sans développer aucun moyen de fait et de droit. La [4] est taisante sur ce point dans le cadre de cette instance, sans reprendre les moyens développés devant le juge de l‘exécution.

Cependant le tribunal dans l‘objectif d’analyser la discussion qui aurait dû s’instaurer devant la juridiction d’appel doit se référer aux conclusions de première instance des parties.

Il relève que dans le cadre de ses conclusions le GFA au visa de l ‘article 1907 du code civil et des articles L 313-1 à L313-33 du code de la consommation avait soutenu que le TEG mentionné à l’acte notarié (se référant à la page 3 de l‘acte authentique) avait été calculé au regard :
-des intérêts pour 1 123.216,32 francs
-de l‘assurance principale pour 65 790 francs
De sorte que le coût total retenu du crédit était de 1.189 008,32 francs.
Alors que cet acte de prêt mentionnait à la même page que l’emprunteur avait dû souscrire des parts de la [4].
Or le défaut de prise en considération de cet élément devait entrainer la nullité de la stipulation des intérêts.

En réponse la [4] avait soulevé la prescription de cette demande formulée par conclusions du 5 juillet 2013 et du 10 mai 2016 au visa de l’article L110-4 du code de commerce qui prévoit une prescription quinquennale de l‘action en déchéance du droit des intérêts, soutenant un point de départ à compter de la signature de l‘acte de prêt. Elle avait également soutenu que M. [E] devait être considéré comme un professionnel de sorte que le délai court à compter de la conclusion du contrat.
Sur le fond, la banque avait fait valoir que figuraient dans le paragraphe les caractéristiques particulières du prêt toutes les modalités permettant de déterminer le TEG.

➔Sur la prescription de la demande de déchéance des intérêts conventionnels.

Il est rappelé que, la jurisprudence retient que la prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts engagée, en raison d’une erreur affectant le taux effectif global, par un emprunteur qui contracte un prêt pour les besoins de son activité professionnelle, court à compter du jour du contrat, qui est celui où il a connu ou aurait dû connaître cette erreur. 
En l‘espèce, le crédit a été accordé à un professionnel, cette qualité est difficilement contestable, au regard même des mentions portées sur le PV de l ‘AGO du 9 juillet 1999, qui prévoit des investissements pour travaux sur des bâtiments agricoles et des améliorations culturales. Dès lors la prescription court à compter du jour où le contrat a été conclu en juillet 1999. Par conséquent, toute action en nullité du TEG est prescrite lors de la demande par conclusions le 5 juillet 2013.
De sorte que la nullité des intérêts conventionnels ne pouvait être prononcée lors de l’instance en appel.

Dès lors l‘évaluation de la perte de chance sera fixée à 80 % de 317 280,89 euros, somme revendiquée par la banque comme le restant dû à 100%, soit une somme de 253 824,89 euros, assortie du taux légal à compter de la délivrance de l‘assignation en date du 15 mars 2023.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, il y a lieu de condamner la SCP [B] [S]-[8] aux dépens de l’instance et de la débouter de ses demandes à ce titre.

Sur l’article 700 du code de procédure civile
Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.

En l’espèce il y a lieu de débouter la SCP [B] [S]-[8] de ses demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à verser la somme de 3 000 euros à la [4] de ce chef.
Sur l’exécution provisoire
En vertu de l’article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable au 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit, exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision n’en dispose autrement. En l’espèce il y a lieu de constater l’exécution provisoire de la décision et de rejeter toute demande contraire.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
CONDAMNE la SCP [B] [S]-[8] à payer à la [4] la somme de 253 824,89 euros, assortie du taux légal à compter de la délivrance de l‘assignation en date du 15 mars 2023,
REJETTE le surplus des demandes de la [4],
CONDAMNE la SCP [B] [S]-[8] à payer la somme de 3000 euros à la [4] en application des dispositions de l‘article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la SCP [B] [S]-[8] fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCP [B] [S]-[8] aux entiers dépens de l’instance et la déboute de ses demandes à ce titre,
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire, et rejette toute demande contraire,
Le présent jugement a été signé par Nina MILESI, Vice-Présidente et par Aurélie VIALLE, greffière présente lors de sa mise à disposition.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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