Responsabilité et prescription : enjeux d’une succession contestée

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Responsabilité et prescription : enjeux d’une succession contestée

Prescription des actions personnelles

L’article 2224 du Code civil stipule que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. En l’espèce, le point de départ du délai de prescription a été fixé au 28 février 2013, date à laquelle Mme [T]-[V] avait connaissance des agissements de M. [R] [W], lui permettant d’agir en justice.

Répétition de l’indu

Selon l’article 1302 du Code civil, celui qui a reçu sciemment ce qui ne lui était pas dû est tenu de le restituer. La demande de Mme [T]-[V] au titre de la répétition de l’indu a été jugée recevable, mais sur le fond, la cour a constaté qu’il n’y avait pas eu de paiement indu, car le transfert de fonds résultait de l’application d’un contrat d’assurance-vie avec une clause bénéficiaire.

Enrichissement sans cause

Les articles 1303 à 1303-4 du Code civil régissent l’enrichissement sans cause, qui suppose un appauvrissement et un enrichissement corrélatif, ainsi que l’absence de justification de l’enrichissement. En l’espèce, la cour a noté que les versements effectués par [K] [W] à Mme [T]-[V] étaient justifiés par une intention libérale, excluant ainsi la qualification d’enrichissement sans cause.

Responsabilité délictuelle

L’article 1240 du Code civil, anciennement article 1382, impose à quiconque cause un dommage à autrui par sa faute de le réparer. Dans le cadre de la responsabilité délictuelle, la cour a confirmé que Mme [T]-[V] avait commis une faute en conservant des biens appartenant à M. [R] [W], causant ainsi un préjudice moral, ce qui a conduit à l’allocation d’une indemnité.

Frais de procédure

L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge d’allouer une somme à titre de frais irrépétibles. Dans cette affaire, les demandes fondées sur cet article ont été rejetées, et Mme [T]-[V] a été condamnée aux dépens d’appel, conformément aux dispositions légales en vigueur.

L’Essentiel : L’article 2224 du Code civil stipule que les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de l’exercer. Le point de départ du délai de prescription a été fixé au 28 février 2013, date à laquelle Mme [T]-[V] avait connaissance des agissements de M. [R] [W]. La demande de Mme [T]-[V] au titre de la répétition de l’indu a été jugée recevable, mais la cour a constaté qu’il n’y avait pas eu de paiement indu.
Résumé de l’affaire : Le 14 décembre 2012, un homme est décédé après avoir été placé en maison de retraite en avril de la même année. Suite à son décès, un juge des tutelles a confié la tutelle à son fils. En 2008, le défunt avait souscrit un contrat d’assurance-vie auprès d’une banque, désignant sa compagne comme bénéficiaire. Cependant, en décembre 2012, le fils a été autorisé à racheter les capitaux de ce contrat pour en souscrire un nouveau, dont les bénéficiaires étaient les héritiers.

Le 16 décembre 2019, la compagne a assigné le fils en justice, demandant la transmission du contrat d’assurance souscrit auprès d’une autre société et le paiement d’une somme en raison de la perte de son statut de bénéficiaire. Le tribunal a rendu un jugement en avril 2022, déclarant irrecevables plusieurs demandes de la compagne, notamment celles relatives à la responsabilité délictuelle et à la restitution de la somme initialement investie dans le contrat d’assurance-vie. En revanche, le tribunal a ordonné à la compagne de restituer certains objets mobiliers au fils.

La compagne a interjeté appel, contestant le jugement et demandant des dommages-intérêts pour la somme initiale de l’assurance-vie ainsi qu’un préjudice moral. Le fils a également formulé des demandes reconventionnelles, notamment pour des sommes qu’il prétendait avoir été indûment perçues par la compagne.

La cour a examiné la recevabilité des demandes, notamment en matière de prescription. Elle a conclu que les demandes de la compagne étaient prescrites, car elle avait eu connaissance des faits lui permettant d’agir dès 2013. En revanche, la demande de répétition de l’indu a été déclarée recevable, mais rejetée sur le fond, car il n’y avait pas eu de paiement indu. Le jugement a été partiellement infirmé, mais la cour a confirmé la plupart des décisions initiales, y compris les condamnations aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la prescription des actions en responsabilité délictuelle et en gestion d’affaires ?

L’article 2224 du code civil stipule que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Dans cette affaire, la victime a intenté une action en responsabilité délictuelle contre un dirigeant d’entreprise, alléguant que ce dernier avait retiré des fonds d’une assurance-vie dont elle était bénéficiaire pour les placer dans une autre assurance-vie, sans son consentement.

Il a été établi que la victime avait eu connaissance des faits générateurs de sa demande dès février 2013, ce qui a déclenché le délai de prescription de cinq ans.

Ainsi, la demande de la victime, introduite en décembre 2019, a été jugée irrecevable en raison de la prescription.

Quel est le cadre juridique de la répétition de l’indu ?

L’article 1302 du code civil précise que toute personne qui a reçu ce qui ne lui était pas dû est tenue de le restituer.

Dans le cas présent, la victime a soutenu que le dirigeant d’entreprise avait indûment conservé une somme de 6 729 euros, qu’elle estimait lui être due.

Cependant, la cour a constaté qu’il n’y avait pas eu de paiement indu, car la somme en question avait été versée conformément à un contrat d’assurance-vie, dont la clause bénéficiaire avait été modifiée par le juge des tutelles.

Ainsi, la demande de répétition de l’indu a été rejetée, car il n’y avait pas de fondement pour établir qu’un paiement indu avait eu lieu.

Quel est le principe de la restitution des objets mobiliers dans le cadre d’une succession ?

L’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240, stipule que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Dans cette affaire, le tribunal a ordonné la restitution de certains objets mobiliers, considérant que la compagne du défunt avait conservé indûment des biens appartenant à la succession.

La cour a confirmé cette décision, soulignant que la compagne avait été informée que ces biens dépendaient de la communauté ayant existé entre les parents du dirigeant d’entreprise, et qu’elle ne pouvait donc pas les conserver.

Quel est le cadre juridique des demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral ?

L’article 1240 du code civil, qui remplace l’ancien article 1382, établit que toute personne responsable d’un dommage doit le réparer, y compris les préjudices moraux.

Dans cette affaire, le dirigeant d’entreprise a demandé des dommages et intérêts pour préjudice moral, arguant qu’il avait été privé de meubles de famille ayant une grande valeur sentimentale.

Le tribunal a reconnu que la compagne avait commis une faute en conservant ces biens, causant ainsi un préjudice moral au dirigeant d’entreprise.

Cependant, le montant alloué pour ce préjudice a été jugé suffisant par la cour, qui a confirmé la décision initiale.

Quel est le principe de l’article 700 du code de procédure civile concernant les frais de justice ?

L’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles.

Dans cette affaire, le dirigeant d’entreprise a demandé le remboursement de ses frais de justice, mais la cour a rejeté cette demande, considérant que les circonstances de l’affaire ne justifiaient pas une telle indemnisation.

Ainsi, la décision initiale a été confirmée, et aucune somme n’a été allouée au titre de l’article 700.

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 18/03/2025

Me ESTELLE GARNIER

la SELARL INTER BARREAUX LAVILLAT-BOURGON

ARRÊT du : 18 MARS 2025

N° : – 25

N° RG 22/01477 – N° Portalis DBVN-V-B7G-GTCU

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MONTARGIS en date du 28 Avril 2022

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: Exonération

Madame [O] [T]-[V]

née le 14 Avril 1948 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Ayant pour avocat postulant Me Estelle GARNIER, avocat au barreau d’ORLEANS

Ayant pour avocat plaidant Me Charles-François DUBOSC de la SCP DUBOSC-SAUTROT, avocat au barreau de MONTARGIS

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/02936 du 24/06/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de ORLEANS)

D’UNE PART

INTIMÉ : – Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265284933011708

Monsieur [R], [K] [W]

né le 18 Septembre 1949 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me Cécile BOURGON de la SELARL INTER BARREAUX LAVILLAT-BOURGON, avocat au barreau de MONTARGIS

Ayant pour avocat plaidant Me Alexandre LAVILLAT, avocat au barreau de PARIS

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL en date du : 16 Juin 2022.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 18 Novembre 2024

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l’audience publique du 28 Janvier 2025 à 14h00, l’affaire a été plaidée devant M. Laurent SOUSA, Conseiller, en l’absence d’opposition des parties ou de leurs représentants.

Lors du délibéré, au cours duquel M. Laurent SOUSA, Conseiller a rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:

Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 18 mars 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

[K] [W] est décédé le 14 décembre 2012. Il avait été placé en maison de retraite en avril 2012 et, par décision du juge des tutelles de Montargis en date du 27 décembre 2012, il a été placé sous tutelle, la mesure étant confiée à son fils, M. [R] [W].

Par contrat du 20 juin 2008, [K] [W] avait souscrit un contrat d’assurance-vie « Yoga » auprès de la Caisse d’épargne avec un versement initial d’un montant de 6 729 euros, dont le bénéficiaire en cas de décès était sa compagne, Mme [T]-[V].

Par décision du juge des tutelles du 3 décembre 2012, M. [R] [W] a été autorisé à procéder au rachat des capitaux placés sur l’assurance-vie Caisse d’épargne pour souscrire un autre contrat d’assurance-vie auprès de la société Aviva, laquelle comportait une clause bénéficiaire standard visant les héritiers de [K] [W].

Par acte d’huissier de justice en date du 16 décembre 2019, Mme [T]-[V] a fait assigner M. [R] [W] devant le tribunal de grande instance de Montargis aux fins de transmission du contrat Aviva souscrit en remplacement du contrat Caisse d’épargne et à défaut de le condamner à lui payer le montant de 10 850 euros.

Par jugement en date du 28 avril 2022, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Montargis a :

– déclaré irrecevable la demande indemnitaire de Mme [O] [T]-[V] à l’encontre de M. [R] [W] au titre de la responsabilité délictuelle ;

– déclaré irrecevable la demande de restitution de la somme de 6 729 euros outre intérêts de Mme [O] [T]-[V] à l’encontre de M. [R] [W] au titre de la gestion d’affaires ;

– déclaré irrecevable la demande de restitution de la somme de 6 729 euros outre intérêts de Mme [O] [T]-[V] à l’encontre de M. [R] [W] au titre de la répétition de l’indu ;

– débouté Mme [O] [T]-[V] de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euros à titre de son préjudice moral ;

– débouté M. [R] [W] de sa demande de restitution des objets suivants : une tondeuse à gazon de marque Wolf, un taille-haie, une perceuse de marque Bosch ;

– ordonné la restitution par Mme [O] [T]-[V] à M. [R] [W] des objets mobiliers suivants : un vase de Gien, trois canards en laiton ; une ménagère en argent Cristo’e ; un service de table en faïence de Gien Coq et Pivoine comprenant 17 assiettes plates, 15 assiettes creuses, 12 assiettes hors d’oeuvre, 12 assiettes à dessert, 1 saucière, 1 saladier, 1 soupière, plats divers et dessous de plats ; 2 lampes de chevet ;

– condamné Mme [O] [T]-[V] à la restitution de ces biens dans le délai d’un mois à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai, pendant une durée de quatre mois ;

– débouté M. [R] [W] de sa demande en paiement de la contre-valeur des biens qui n’auraient pas été restitués ;

– débouté M. [R] [W] de sa demande en paiement de la somme de 4 800 euros à l’encontre de Mme [O] [T]-[V] ;

– condamne Mme [O] [T]-[V] à payer à M. [R] [W] la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral ;

– condamné Mme [O] [T]-[V] à payer à M. [R] [W] la somme de 1 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Mme [O] [T]-[V] aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration en date du 16 juin 2022, Mme [T]-[V] a interjeté appel de tous les chefs du jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [R] [W] de ses demandes.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2022, Mme [T]-[V] demande à la cour de :

– la recevoir en son appel ;

– infirmer la décision rendue en toutes ses dispositions et la recevoir en sa demande ;

Par application de l’article 1240 du code civil,

– condamner M. [R] [W] à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 6 729 € indûment conservée sur le compte de [K] [W] ;

– ordonner que cette somme portera intérêts au taux de 5 % du 3 décembre 2012 à la date du paiement, intérêts du contrat promis et à tout le moins, à 2,5 %, le montant du contrat d’origine, et y condamner M. [R] [W] ;

– condamner M. [R] [W] à lui payer la somme de 5 000 € au titre du préjudice moral ;

Subsidiairement,

Par application de l’article 1301 du code civil,

– condamner M. [R] [W] à lui payer la somme de 6 729 € indûment conservée sur le compte de [K] [W] ;

– ordonner que cette somme portera intérêts au taux de 5 % du 3 décembre 2012 à la date du paiement, et y condamner M. [R] [W] ;

– condamner M. [R] [W] à lui payer la somme de 5 000 € au titre du préjudice moral ;

Plus subsidiairement encore,

Par application de l’article 1302-1 du code civil,

– condamner M. [R] [W] à lui payer la somme de 6 729 € indûment conservée sur le compte de [K] [W] ;

– ordonner que cette somme portera intérêts au taux de 5 % du 3 décembre 2012 à la date du paiement, et y condamner M. [R] [W] ;

– condamner M. [R] [W] à lui payer la somme de 5 000 € au titre du préjudice moral ;

En tout état de cause,

Sur la demande reconventionnelle,

– débouter M. [R] [W] de ses demandes ;

– ordonner qu’il revient à M. [R] [W] de prendre possession des meubles, objet de ses réclamations qui sont à sa disposition ;

Pour le surplus,

– rejeter toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes ;

– condamner M. [R] [W] à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre du présent appel, et des frais irrépétibles de 1re instance et de référé ;

– le condamner en tous les dépens de 1re instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l’aide juridictionnelle.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 21 octobre 2022, M. [R] [W] demande à la cour de :

– confirmer la décision entreprise sauf en ce qu’elle a : débouté M. [W] de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 4 800 € ; limité à la somme de 500 € le montant alloué à M. [W] au titre de son préjudice moral ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

– condamner Mme [O] [V] née [T] à lui payer la somme de 4 800 € au titre des montants indûment perçus ;

– condamner Mme [O] [V] née [T] à lui payer la somme de 3 500 € au titre de son préjudice moral ;

En tout état de cause,

– déclarer Mme [O] [V] née [T] mal fondée en toutes ses demandes, et l’en débouter ;

– condamner Mme [O] [V] née [T] à lui payer la somme de 8 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [O] [V] née [T] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

I- Sur la recevabilité des demandes fondées sur la responsabilité délictuelle et la gestion d’affaires

Moyens des parties

L’appelante soutient que ses demandes ne sont pas prescrites ; que la Caisse d’épargne a confirmé, le 5 décembre 2013, que le contrat d’assurance avait bien été clôturé via un rachat total avant le décès ; que c’est la raison pour laquelle elle a engagé des recherches qui lui ont permis d’avoir la certitude que [K] [W] n’avait jamais exercé son droit de rachat total et que celui-ci résultait de l’action de son fils [R], ainsi qui lui a été rapporté au plus tôt le 27 mai 2019, celui-ci ayant obtenu une ordonnance sur requête permettant seulement que soit substitué au contrat en cause, un contrat permettant un meilleur rapport ; que ce n’est donc qu’à cette date qu’elle a pu connaître les faits lui permettant d’exercer son action, ne résultant pas d’un rachat par le souscripteur, mais d’un détournement de fonds par son fils révélé le 27 mai 2019 ; qu’il est dès lors sollicité de la cour de mettre à néant la décision rendue le 28 avril 2022 déclarant l’action prescrite et de la recevoir en sa demande.

L’intimé réplique que Mme [V] estime qu’il aurait commis une faute l’ayant privée du bénéfice du contrat d’assurance-vie Yoga souscrit en 2008 par [K] [W] ; que s’agissant d’un contrat d’assurance-vie Mme [V] n’ignorait pas que celui-ci devait s’appliquer au décès de [K] [W] survenu le 14 décembre 2012 ; que Mme [V] a été informée très rapidement après le décès que ce compte avait été clôturé à son initiative, ainsi qu’il résulte de son propre courrier à la Caisse d’épargne du 20 novembre 2013 ; que la Caisse d’épargne confirmait d’ailleurs le 5 décembre 2013 que le contrat d’assurance avait bien été clôturé via un rachat total avant le décès ; que Mme [V] savait donc, dès le début de l’année 2013, qu’il avait clôturé le contrat d’assurance-vie litigieux ; qu’en conséquence la demanderesse avait connaissance du fait générateur de responsabilité qu’elle invoque dès février 2013 ; que le délai de prescription étant de 5 ans il lui appartenait d’agir avant le mois de février 2018 alors que l’assignation au fond n’a été délivrée que le 16 décembre 2019 et il n’est justifié d’aucun acte interruptif antérieur ; que cette demande est donc irrecevable comme prescrite.

Réponse de la cour

L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Mme [T]-[V] exerce une action en responsabilité délictuelle à l’encontre de M. [R] [W] au motif qu’il a retiré les fonds d’une assurance-vie dont elle était désignée bénéficiaire, pour les placer dans une autre assurance-vie, dont elle n’était plus désignée en cette qualité. Subsidiairement, elle fonde son action sur la gestion d’affaires au motif que M. [R] [W] aurait détourné le mandat dont il bénéficiait à son profit.

Par courrier du 20 novembre 2013, Mme [T]-[V] a écrit à la Caisse d’épargne, détentrice du contrat d’assurance-vie Yoga de [K] [W], un courrier rédigé en ces termes :

« Le 26 juin 2008, mon conjoint a souscrit un contrat d’assurance vie (dont vous pourrez trouver la copie ci-jointe) en me nommant comme l’unique bénéficiaire en cas de décès.

Malheureusement, il nous a quitté en décembre 2012, mais sa demande n’a pas été honorée comme il l’a souhaité.

En effet, environ 2 mois après son décès, je me suis présenté à la Caisse d’épargne de [Localité 7] où le contrat a été établi, et à ma grande surprise, il m’a été répondu que son ‘ls avait vidé les comptes et bénéficié de cette assurance.

Je me suis rapproché de Maître [M] notaire à [Localité 5] (45) chez qui nous avions fait les démarches de succession qui a donc fait un courrier à l’agence C.E de [Localité 7] ainsi qu’à son ‘ls a’n que le nécessaire soit fait pour me restituer cette somme.

Cette assurance ne rentre pas dans le patrimoine héréditaire et je ne comprends donc pas pourquoi elle lui a été versée.

Nous n’avons eu aucunes réponses à nos courriers et à ce jour, je reste sans aucune explication.

Je m’adresse donc à vous aujourd’hui a’n que cette situation cesse et que le contrat puisse être mis en application ».

Par courrier du 6 décembre 2013, la Caisse d’épargne a répondu à Mme [T]-[V] qu’à son décès, [K] [W] n’était plus en possession du contrat d’assurance-vie Yoga à la suite d’un rachat total.

Ainsi, l’appelante a eu connaissance, en février 2013, du rachat total du contrat d’assurance-vie Yoga dont elle était bénéficiaire par suite d’un acte de M. [R] [W], et du fait qu’aucune somme ne lui avait été versée à ce titre, suite au décès de [K] [W] le 14 décembre 2012.

Le point de départ du délai de prescription doit donc être fixé au 28 février 2013, dès lors que Mme [T]-[V] avait connaissance des agissements de M. [R] [W] à cette date, lui permettant d’agir en justice à son encontre, le recueil des documents officiels établissant le rachat ne permettant pas de différer le point de départ du délai. Elle disposait d’un délai de 5 ans pour agir en responsabilité, ce délai expirant le 28 février 2018. Or, elle n’a agi en justice que par assignation du 16 décembre 2019, et n’allègue ni ne justifie d’une cause d’interruption ou de suspension du délai de prescription.

Les demandes de Mme [T]-[V] fondées sur la responsabilité délictuelle et la gestion d’affaires sont donc prescrites et doivent être déclarées irrecevables, de sorte que la cour ne peut examiner le bien-fondé de celles-ci. Le jugement sera donc confirmé sur ces points.

II- Sur la répétition de l’indu

Moyens des parties

L’appelante indique qu’au regard de l’article 1302 du code civil, M. [R] [W] a reçu sciemment ce qui ne lui était pas dû et en conséquence, il y a lieu de le condamner à lui payer la somme de 6 729 € indûment conservée sur le compte de [K] [W] à l’initiative de [R] [W] et à son profit ; que sa demande n’est pas prescrite.

L’intimé réplique que cette demande était également irrecevable en application de l’article 2224 du code civil et le tribunal l’a justement déclarée prescrite ; que la décision sera encore confirmée sur ce point ; que sur le fond, cette demande sera par ailleurs rejetée, car il n’a en effet jamais rien reçu de Mme [V] et il ne saurait donc être question d’une quelconque restitution qui lui serait due.

Réponse de la cour

En application de l’article 2224 du code civil, le délai de prescription ne court qu’à compter du jour où l’auteur du paiement a connaissance de son caractère indu.

En l’espèce, il n’est argué d’aucun versement de Mme [T]-[V] au profit de M. [R] [W], de sorte qu’il n’est pas établi que la demande aurait été exercée après expiration du délai de prescription. La demande est donc recevable et le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Cependant, sur le fond, la demande en répétition de l’indu suppose un paiement indu. Or, Mme [T]-[V] n’allègue ni ne justifie d’un quelconque paiement fait au profit de M. [R] [W], puisqu’elle se prévaut du fait que celui-ci aurait perçu les fonds d’une assurance-vie souscrite par son père avec une clause bénéficiaire visant les héritiers du souscripteur.

Au demeurant, il convient de constater que le transfert de fonds de l’assureur au profit de M. [R] [W] n’est pas indu puisqu’il résulte de l’application du contrat avec la clause bénéficiaire standard autorisée par le juge des tutelles.

La demande est donc mal-fondée de sorte qu’il convient de la rejeter. La demande en réparation d’un préjudice moral qui suppose une faute de M. [R] [W] sera donc rejetée, dès lors que la demande principale en paiement présentée à son encontre ne peut prospérer, et le jugement sera donc confirmé sur ce point.

III- Sur la restitution des objets

La cour n’est saisie d’aucune prétention ou moyen tendant à l’infirmation du jugement sur ces points, de sorte qu’il sera confirmé sur ce point.

Mme [T]-[V] ayant été condamné à restituer les objets mentionnés par le jugement, sous astreinte, il n’y a pas lieu d’accueillir sa demande tendant à voir dire qu’il revient à M. [R] [W] de prendre possession des meubles, objet de ses réclamations qui sont à sa disposition.

IV- Sur le remboursement de la somme de 4 800 euros

Moyens des parties

M. [R] [W] soutient qu’il n’est pas contesté que Mme [V] a perçu de [K] [W] des sommes importantes entre 2008 et 2012 pour un total de plus de 61 000 € ; qu’en particulier, elle a perçu une somme totale de 4 800 € entre le 1er décembre 2011 et le 31 mars 2012 alors que [K]

[W] a été hospitalisé puis placé en maison de retraite à compter du 1er février 2012 ; que de tels versements ne pouvaient avoir aucune contrepartie et ne pouvaient être consentis valablement compte tenu des facultés très altérées de [K] [W] depuis au moins le mois de décembre 2011 ; que Mme [V] a donc reconnu devant le juge des tutelles, lors d’une audience tenue le 10 juillet 2012 qu’elle devrait restituer ces montants indûment perçus ; que Mme [V] n’a néanmoins jamais restitué cette somme ; que ces versements non causés constituent un enrichissement sans cause dont il est fondé à réclamer le remboursement au titre des articles 1303 à 1303-4 du code civil ; qu’en effet il n’existe aucune contrepartie possible au paiement de ces sommes et les facultés altérées de [K] [W] excluaient toute intention libérale ; que c’est donc à tort que le tribunal a rejeté cette demande ; que la cour condamnera Mme [V] à régler à ce titre la somme de 4 800 €.

Mme [T]-[V] indique qu’elle a bénéficié d’un non-lieu pour les faits d’abus de faiblesse et elle a été relaxée pour les faits de vol et d’abus de l’état d’ignorance ; que M. [R] [W] a été débouté de ses demandes devant la juridiction pénale ; qu’en vertu de la règle « una via electa » et par application de l’article 5 du code de procédure pénale, M. [R] [W] sera déclaré irrecevable en sa demande reconventionnelle ; que sa demande en restitution sera rejetée.

Réponse de la cour

Le dispositif des conclusions récapitulatives de Mme [T]-[V], qui seul saisit la cour en application de l’article 954 du code de procédure civile, ne comporte aucune demande d’irrecevabilité de la demande de remboursement de la somme de 4 800 euros formée par M. [R] [W].

La décision de non-lieu prononcée par le juge d’instruction saisi de faits d’abus de faiblesse susceptibles d’avoir été commis sur [K] [W] par Mme [T]-[V] de 2008 à 2012, n’a pas autorité de chose jugée.

M. [R] [W] qui évoque l’altération des facultés mentales de son père ne sollicite pas l’annulation des donations consenties par celui-ci à Mme [T]-[V], sur le fondement de l’article 414-1 du code civil, mais agit sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

Les dispositions invoquées par l’intimé, à savoir les articles 1303 à 1303-4 du code civil, ne sont pas applicables aux versements allégués entre le 1er décembre 2011 et le 31 mars 2012, puisque leur rédaction est issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

Si la loi applicable aux conditions d’existence de l’enrichissement injustifié est celle du fait juridique qui en est la source, la loi nouvelle s’applique immédiatement à la détermination et au calcul de l’indemnité (1re Civ., 3 mars 2021, pourvoi n° 19-19.000). En conséquence, les articles 1303 à 1303-4 du

code civil dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ne s’appliquent pas aux conditions de l’enrichissement sans cause.

L’enrichissement sans cause suppose un appauvrissement et un enrichissement corrélatif, ainsi que l’absence de justification de l’enrichissement.

En l’espèce, le transfert de fonds, soit 4 800 euros, entre le patrimoine de [K] [W] et celui de Mme [T]-[V] est établi et non contesté, sur la période du 1er décembre 2011 et le 31 mars 2012.

Il résulte des éléments de l’information judiciaire relatés dans l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, et non contredits par d’autres éléments, que Mme [T]-[V] a été la compagne de [K] [W] pendant plus de 20 ans et qu’entre 2008 et 2012, elle a béné’cié de 61 185,91 euros de chèques établis par son compagnon. Elle a indiqué qu’elle recevait environ 1 000 euros par mois de la part de [K] [W] en compensation des taches qu’elle effectuait pour lui (courses, repassage, jardinage, repas), bien qu’elle n’avait jamais demandé d’argent à celui-ci.

Les premiers chèques établis par [K] [W] au profit de sa compagne sont bien antérieurs à la dégradation sérieuse de son état de santé qui ont conduit, en 2012, à son hospitalisation puis à son admission en maison de retraite. Aucun élément ne permet d’établir que [K] [W] n’était plus doué de ses facultés mentales en 2008 lorsqu’il établissait les chèques au profit de Mme [T]-[V].

Il résulte de ces éléments que [K] [W] souhaitait gratifier sa compagne pour les services rendus quotidiennement, alors qu’ils avaient une différence d’âge de 30 ans, et qu’il était moins autonome pour les actes de la vie courante. Les versements effectués à titre habituel par [K] [W] au bénéfice de sa compagne, et non seulement dans les semaines précédant son hospitalisation et son admission en maison de retraite, établissent qu’ils présentaient une cause résidant dans l’intérêt personnel de voir sa compagne perdurer à l’assister et à entretenir leur cadre de vie commun.

Par ailleurs, l’intimé ne justifie pas de son allégation quant à l’engagement qui aurait pris par Mme [T]-[V] de rembourser la somme de 4 800 euros.

La demande formée au titre de l’enrichissement sans cause sera donc rejetée, et le jugement sera confirmé sur ce point.

V- Sur la demande de M. [R] [W] au titre du préjudice moral

Moyens des parties

M. [R] [W] soutient qu’il est privé depuis des années de meubles de famille ayant pour lui une grande valeur sentimentale ; que ces meubles sont injustement retenus par Mme [V] et cette rétention abusive lui cause un préjudice ; que le tribunal a fait droit à cette demande en son principe et la décision sera confirmée sur ce point ; que le quantum de l’indemnisation est insuffisante au regard du préjudice subi ; qu’il lui sera alloué une somme de 3 500 € au titre de son préjudice moral.

Mme [T]-[V] demande de débouter M. [R] [W] de sa demande indemnitaire.

Réponse de la cour

L’article 1382 du code civil devenu l’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

Le tribunal a justement retenu que M. [R] [W] réclame à Mme [T]-[V] la restitution d’éléments mobiliers dépendant de la succession de ses parents depuis 2012, et que celle-ci avait été informée en 2004 par le notaire de [K] [W] que les biens qui lui étaient légués dépendaient de la communauté ayant existé entre les parents de M. [R] [W] et dont [K] [W] ne pouvait disposer librement.

En conservant indûment ces biens, dont le tribunal a ordonné restitution, Mme [T]-[V] a commis une faute causant un préjudice moral à M. [R] [W], que le tribunal a intégralement réparé en lui allouant à ce titre une somme de 500 euros. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

VI- Sur les frais de procédure

Le jugement sera confirmé en ses chefs statuant sur les dépens et les frais irrépétibles.

Mme [T]-[V] sera condamnée aux dépens d’appel. Les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de restitution de la somme de 6 729 euros outre intérêts de Mme [O] [T]-[V] à l’encontre de M. [R] [W] au titre de la répétition de l’indu ;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions critiquées ;

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

DÉCLARE RECEVABLE la demande de Mme [T]-[V] formée sur le fondement de la répétition de l’indu ;

DÉBOUTE Mme [T]-[V] de sa demande au titre de la répétition de l’indu ;

CONDAMNE Mme [T]-[V] aux entiers dépens d’appel ;

REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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