L’Essentiel : En novembre 2020, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] ont mandaté la SCP [7] pour la succession de leur mère, [E] [K]. En juin 2021, un récapitulatif des honoraires de 46 000 euros HT a été envoyé, mais Madame [U] [S] a contesté ce montant. En février 2023, les héritières ont assigné la SCP [8] pour engager sa responsabilité civile. Le tribunal a constaté l’absence de convention d’honoraires écrite et a condamné la SCP à verser 5 000 euros à chacune des demanderesses pour préjudice moral, tout en déboutant leur demande de dommages et intérêts pour préjudice matériel.
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Contexte de l’affaireAu mois de novembre 2020, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] ont mandaté la SCP [7] pour gérer la succession de leur mère, [E] [K], décédée le [Date décès 3] 2020. Communication des honorairesLe 22 juin 2021, Maître [Y] [R], notaire de la SCP [7], a envoyé un récapitulatif des missions et des honoraires de 46 000 euros HT à Madame [U] [S] et Madame [O] [S]. Le 1er juillet 2021, Madame [U] [S] a refusé de signer un accord d’honoraires qu’elle jugeait arbitraire et a contesté le montant demandé. Réactions des partiesLe 28 juillet 2021, Maître [Y] [R] a fourni un fichier Excel détaillant les missions effectuées. En mai 2022, la chambre des notaires de Paris a informé que Maître [8] devait obtenir l’accord des héritières avant de débiter 55 200 euros du compte successoral. Demandes de réintégrationLe 1er juillet 2022, le conseil de Madame [U] [S] a demandé à Maître [8] de clarifier sa position et a menacé de saisir le juge de la taxe. En janvier 2023, un avis de mise en demeure a été envoyé pour exiger la réintégration de la somme de 55 200 euros et d’autres montants. Procédure judiciaireLe 20 février 2023, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] ont assigné la SCP [8] devant le tribunal judiciaire de Paris pour engager sa responsabilité civile professionnelle. L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2023. Prétentions des demanderessesDans leurs conclusions du 29 juillet 2023, les demanderesses ont demandé la condamnation de la SCP [8] à verser 179 787,88 euros pour préjudice matériel, ainsi que 5 000 euros chacune pour préjudice moral, avec intérêts légaux à partir du 2 janvier 2023. Arguments de la SCP [8]La SCP [8] a contesté les demandes des héritières, arguant qu’elle n’avait pas manqué à ses obligations et que les honoraires étaient justifiés par les diligences effectuées. Elle a également demandé à être déchargée de toutes les demandes pécuniaires. Motivations du tribunalLe tribunal a constaté que la SCP [8] n’avait pas établi de convention d’honoraires écrite, ce qui constitue une faute. Il a également retenu que la somme de 55 200 euros avait été prélevée sans autorisation, entraînant une responsabilité de la SCP. Décision finaleLe tribunal a condamné la SCP [8] à verser 5 000 euros à chacune des demanderesses pour préjudice moral, tout en déboutant les demanderesses de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice matériel. La SCP a également été condamnée aux dépens et à payer 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les obligations du notaire en matière de convention d’honoraires ?Le notaire est tenu de respecter certaines obligations en matière de convention d’honoraires, notamment en vertu de l’article L.444-1 du Code de commerce. Cet article stipule que : « Le notaire doit conclure avec son client une convention d’honoraires précisant, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. » Dans le cas présent, il est établi que l’étude notariale n’a pas conclu de convention d’honoraires écrite avec Mesdames [U] [S] et [O] [S]. Cela constitue une violation de l’obligation légale, car les héritières n’ont pas été informées des coûts associés aux prestations fournies. L’absence de cette convention a conduit à des contestations sur le montant des honoraires, ce qui a été reconnu comme une faute par le tribunal. Comment la responsabilité civile du notaire est-elle engagée ?La responsabilité civile du notaire peut être engagée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, qui dispose que : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Pour engager la responsabilité du notaire, il faut prouver trois éléments : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Dans cette affaire, le tribunal a constaté plusieurs fautes de la part de l’étude notariale, notamment le prélèvement de sommes sans autorisation et l’absence d’information sur les coûts des prestations. Ces fautes ont causé un préjudice moral aux héritières, qui ont dû faire face à des complications dans le règlement de la succession. Quelles sont les conséquences du prélèvement de sommes sans autorisation ?Le prélèvement de sommes sur le compte successoral sans l’accord des héritiers constitue une faute grave de la part du notaire. En effet, le tribunal a souligné que : « Le 31 mai 2021, Maître [8] a procédé au débit de la somme de 55 200 euros du compte successoral sans l’accord de Mesdames [S] et sans que la juridiction compétente n’ait statué sur le montant de ses honoraires. » Cette action a été jugée fautive, car elle a été effectuée sans autorisation préalable, ce qui a conduit à une demande de réintégration de cette somme. Le tribunal a donc retenu ce grief et a condamné le notaire à réparer le préjudice moral causé par cette faute. Quelles sont les implications de la TVA indûment perçue par le notaire ?La question de la TVA est également cruciale dans cette affaire. Selon les règles fiscales, la TVA ne doit être perçue que si les prestations sont assujetties. Le tribunal a constaté que : « L’étude notariale a perçu la somme de 37 059,02 euros au titre de la TVA alors qu’elle ne conteste pas que les prestations qu’elle a fournies à Mesdames [S] n’y étaient pas assujetties. » Cela constitue une faute, car le notaire avait l’obligation de s’assurer que la TVA était correctement appliquée. En conséquence, le tribunal a retenu ce grief et a reconnu que la perception de cette TVA était indue, ce qui a contribué à la décision de condamner le notaire à indemniser les héritières pour le préjudice moral subi. Comment le tribunal a-t-il évalué le préjudice moral des héritières ?Le tribunal a pris en compte le contexte particulier des héritières, qui résidaient à l’étranger et ont dû faire face à des complications dues à la pandémie. Il a reconnu que : « Les fautes commises par l’étude notariale ont causé à Mesdames [S] un préjudice moral d’autant plus qu’en raison de leur résidence à l’étranger et du contexte sanitaire, les démarches à effectuer en France en vue du règlement de la succession de leur mère étaient rendues plus difficiles. » Ainsi, le tribunal a décidé de condamner la Scp [8] à verser 5 000 euros à chacune des héritières en réparation de leur préjudice moral. Cette décision souligne l’importance de la prise en compte des circonstances personnelles des clients dans l’évaluation du préjudice. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
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1/1/2 resp profess du drt
N° RG 23/04780 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZCPA
N° MINUTE :
Assignation du :
20 Février 2023
JUGEMENT
rendu le 22 Janvier 2025
DEMANDERESSES
Madame [U] [S]
[Adresse 2]
[Localité 1] (ETATS UNIS)
Madame [O] [S]
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 6] DR (BRÉSIL)
Représentées par Me Philippe SARDA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0702
DÉFENDERESSE
S.C.P. [7]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Thomas RONZEAU, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0499
Décision du 22 Janvier 2025
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 23/04780 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZCPA
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,
Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,
assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier
DEBATS
A l’audience du 18 décembre 2024, tenue en audience publique, devant Madame Cécile VITON et Monsieur Benoit CHAMOUARD, magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Madame Cécile VITON a fait un rapport de l’affaire.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
Au mois de novembre 2020, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] ont chargé la Scp [7] des opérations de règlement de la succession de leur mère, [E] [K], décédée le [Date décès 3] 2020.
Par courriel du 22 juin 2021, Maître [Y] [R], notaire associée au sein de la Scp [7], a adressé à Madame [U] [S] et Madame [O] [S] le récapitulatif des missions complémentaires à la simple rédaction de la déclaration de succession de leur mère et justifiant l’honoraire de 46 000 euros HT.
Par courriel du 1er juillet 2021, Madame [U] [S] a informé Maître [Y] [R] de son refus de signer a posteriori un accord d’honoraires qu’elle considérait comme arbitraire, a contesté le montant des honoraires sollicités par l’étude notariale et a demandé le reversement des honoraires perçus dans le relevé du compte de la succession.
Par courriel du 28 juillet 2021, Maître [Y] [R] a adressé à Madame [U] [S] et Madame [O] [S] un fichier excel contenant la liste des missions et prestations complémentaires.
Par lettre du 12 mai 2022, la chambre des notaires de Paris a informé Madame [U] [S] qu’il appartenait à Maître [8], notaire associé au sein de la Scp [7], d’obtenir, avant de procéder le 31 mai 2021 au débit de la somme de 55 200 euros du compte successoral, son accord et qu’à défaut et dans la mesure où il n’appartenait pas à la chambre d’apprécier la justification des 55 200 euros, Maître [8] avait été invité à procéder à la réintégration de cette somme et, à défaut de pouvoir trouver un accord, à saisir le juge de la taxe.
Par lettre en date du 1er juillet 2022, le conseil de Madame [U] [S] a demandé à Maître [8] de lui indiquer, sous huitaine, sa position dans ce dossier et, le cas échéant, s’il serait disposé à discuter d’une proposition amiable et l’a informé, qu’à défaut, Madame [U] [S] allait saisir le juge de la taxe aux fins de réintégration de cette somme au compte successoral.
Par lettre en date du 2 janvier 2023, le conseil de Madame [U] [S] et Madame [O] [S] a mis en demeure Maître [8] de réintégrer la somme de 55 200 euros dans le compte de la succession et de payer le solde de ce compte devant comprendre a minima la somme de 142 728, euros, outre le remboursement de la TVA à hauteur de 37 059,02 euros.
Procédure
Par acte de commissaire de justice du 20 février 2023, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] ont assigné la Scp [8], notaires associés ([7]), devant le tribunal judiciaire de Paris afin de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions du 29 juillet 2023, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] demandent au tribunal de :
– juger recevables et bien fondées leurs demandes ;
– juger que la Scp [8], notaires associés ([7]) a commis des fautes qui engagent sa responsabilité ;
En conséquence,
– condamner la Scp [8], notaires associés ([7]) à leur verser la somme de 179 787,88 euros au titre du préjudice matériel subi par l’imputation de sommes indues sur le compte successoral, décomposées comme suit :
* 62 528,86 euros correspondant au solde créditeur apparaissant sur le relevé en date du 18 juin 2021 ;
* 55 200 euros correspondant aux honoraires prélevés sans autorisation;
* 25 000 euros correspondant à la retenue faite pour le représentant fiscal ;
* 37 059,02 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) indûment perçue ;
– condamner la Scp [8], notaires associés ([7]) à leur verser à chacune la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
– dire que toutes ces sommes produiront intérêt au taux légal à compter du 2 janvier 2023, date de la mise en demeure ;
– débouter la Scp [8], notaires associés ([7]) de toutes ses demandes plus amples ou contraires ;
– condamner la Scp [8], notaires associés ([7]) à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de leurs prétentions, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] font valoir que :
– l’étude notariale a commis des fautes,
* en n’ayant pas fait signer de convention d’honoraires entre les parties et en facturant de manière excessive des diligences peu ou pas utiles ;
* en conservant au coffre-fort des bijoux de famille de la défunte tout en recueillant leur accord a posteriori et en les trompant faute de les avoir informées du montant des honoraires qu’il avait l’intention de facturer ;
* en facturant l’assistance par des experts sans les avertir des coûts correspondants ;
* en facturant des consultations juridiques et fiscales, fictives, inutiles ou grossièrement exagérées sans les avertir des coûts correspondants et obtenir leur accord préalable ;
* en prélevant le 31 mai 2021 la somme de 55 200 euros sur le compte de la succession sans leur accord et en n’ayant pas procédé à la restitution de ladite somme malgré l’invitation de la chambre des notaires ;
* en retenant la somme de 25 000 euros au titre de l’intervention non nécessaire d’un représentant fiscal ;
* en prélevant une somme de 37 059,02 euros au titre de la TVA alors qu’elles n’y sont pas assujetties eu égard à leur résidence hors de l’Union européenne ;
* en refusant de leur communiquer le relevé de compte successoral et en communiquant le 24 avril 2023 un relevé de compte comprenant notamment des écritures provisoires ;
– le juge de la taxation est incompétent pour connaître de la responsabilité d’un notaire ;
– elles n’ont jamais demandé un régime spécial en urgence ;
– l’étude notariale a abusé de leur confiance, a profité de leur éloignement et de leur méconnaissance des démarches à effectuer en France.
Par conclusions du 28 septembre 2023, la Scp [8], notaires associés ([7]), demande au tribunal de :
– déclarer Madame [U] [S] et Madame [O] [S] mal fondées en leurs demandes ;
En conséquence,
– débouter Madame [U] [S] et Madame [O] [S] de l’intégralité de leurs demandes de condamnations pécuniaires formulées à l’encontre de la Scp [7] ;
– condamner solidairement, et à défaut in solidum, Madame [U] [S] et Madame [O] [S] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens lesquels seront recouvrés en application des articles 696 et suivants du » code civil » ;
– lui donner acte de ce qu’elle restituera à Madame [U] [S] et Madame [O] [S] les soldes créditeurs des comptes » vente » et » succession » ouverts en son étude, sur le compte CARPA de leur conseil, après déconsignation auprès de la Caisse des dépôts et consignation.
Au soutien de ses prétentions, la Scp [8], notaires associés ([7]) fait valoir que :
– elle n’a pas manqué à ses obligations professionnelles aux motifs que le champ de la mission a été élargi au fur et à mesure pour répondre aux demandes multiples et urgentes de Mesdames [S] qui, dès leur saisine en novembre 2021, ont été informées des honoraires dus au titre des prestations à réaliser dans le cadre du règlement de la succession même si aucune convention d’honoraires n’a été signée en raison de l’éloignement des héritières et de leur demande de parvenir rapidement au règlement de la succession pour le mois de mars 2021, que ce règlement a nécessité de nombreuses diligences particulières effectuées avec l’accord préalable de Mesdames [S], que seul le juge de la taxe est compétent pour statuer sur les contestations émises et pour taxer définitivement les honoraires dus, que la somme de 55 200 euros a été portée au crédit du compte successoral dans l’attente de l’issue de la procédure de taxation, qu’elle n’a pas influencé les plaignantes au sujet des interlocuteurs à retenir pour la vente de l’hôtel particulier, que la somme de 25 000 euros sera restituée et que les demanderesses n’ont pas sollicité l’exonération de TVA dont elles auraient pu bénéficier et qui a été reversée à l’administration fiscale ;
– la demande de condamnation à hauteur de 62 528,86 euros n’est pas fondée, s’agissant d’un solde créditeur de compte successoral au 18 juin 2021 ;
– la demande de condamnation à hauteur de 55 200 euros n’est pas fondée, ladite somme ayant été créditée sur le compte de la succession et la question relative aux honoraires et à sa taxation relevant de la seule compétence du juge taxateur parallèlement saisi ;
– la demande de condamnation à hauteur de 25 000 euros n’est pas fondée, ladite somme apparaissant comme solde créditeur sur le relevé de compte ;
– la demande de condamnation à hauteur de 37 059,02 euros n’est pas fondée, s’agissant d’une somme perçue par l’administration fiscale au titre de la TVA ;
– le préjudice moral n’est pas établi, les demanderesses ne caractérisant pas le prétendu abus dont elles font état.
1. Sur la demande principale
Engage sa responsabilité civile à l’égard de son client, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, le notaire qui commet un manquement dans l’exercice de la mission qui lui est confiée, tant à raison de son obligation de diligence, qu’au titre de son devoir d’information et de conseil, qui inclut celui d’assurer la validité et l’efficacité des actes reçus, et dont il n’est pas dispensé par les compétences personnelles de son client ou l’intervention d’un autre professionnel et dont la preuve de l’exécution lui incombe.
La responsabilité du notaire nécessite de rapporter la preuve d’une faute, ainsi définie, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ces deux éléments.
1.1. En ce qui concerne les fautes
En premier lieu, il n’est pas contesté que l’étude notariale n’a pas, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article L.444-1 du code de commerce, conclu par écrit avec Mesdames [S] de convention d’honoraires précisant, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. Dès le 30 novembre 2020, c’est-à-dire quelques jours après les premiers échanges entre Mesdames [S] et l’étude notariale, cette dernière leur a adressé le tarif de ses prestations complémentaires intitulé » règlement successoral « . Par courriels des 18 janvier et 17 février 2021, l’étude notariale a adressé à Mesdames [S] une synthèse du suivi hebdomadaire. L’étude notariale leur a adressé, le 22 juin 2021, un récapitulatif de ses missions complémentaires à la rédaction de la déclaration de succession et justifiant, selon l’étude, l’honoraire de 46 000 euros HT puis, le 28 juillet 2021, le détail du coût des missions et prestations complémentaires. Toutefois, il ressort des termes de la lettre de la chambre des notaires de Paris en date du 12 mai 2022 adressée à Madame [U] [S] que Maître [8] leur avait précisé : » la spécificité de la succession, le contexte sanitaire et [leur] résidence à l’étranger l’ont amené à effectuer, au fur et à mesure de l’avancement du règlement successoral, de nombreuses opérations non tarifées dont il ne lui était pas possible de [leur] soumettre par avance une proposition de rémunération. Il s’est agi notamment du déblocage de certains avoirs successoraux, de l’intervention auprès de compagnies d’assurance et de la conservation de bijoux et objets de valeurs jusqu’au partage « . Ainsi, Mesdames [S] ont été informées du tarif général appliqué par l’étude notariale mais n’ont pas reçu de proposition de rémunération avant la réalisation d’opérations non tarifiées et alors qu’aucune convention d’honoraires n’avait été conclue. L’urgence alléguée par l’étude notariale ne saurait justifier cette absence d’information préalable sur le coût de ses prestations. Par suite, il convient de retenir le grief tiré de l’absence de convention d’honoraires entre les parties. En revanche, le grief tiré de la facturation excessive de diligences peu ou pas utiles sera rejeté puisqu’il n’appartient pas à la présente juridiction de statuer sur le caractère excessif des honoraires sollicités et les demanderesses ne précisent pas quelle diligence aurait été inutile pour le règlement de la succession.
En deuxième lieu, l’étude notariale produit aux débats un relevé de dépôt à son étude du 10 mars 2021 portant notamment sur le contenu du coffre ouvert à la [9] et sa valeur. Par courriel du 18 mars 2021, Madame [U] [S] a confirmé à l’étude notariale » la mission de dépôt des bijoux dans votre coffre sous notre responsabilité « . Le 26 mars 2021, elle a adressé à l’étude un document intitulé » autorisation bijoux coffre notaire001.pdf » par lequel Mesdames [S] ont autorisé Maître [8], suite à l’inventaire du 10 mars, à » conserver dans son étude les bijoux et autres de [leur] mère, conformément au reçu émis le 10 mars par le Cabinet de Notaires [8]. « . Ainsi, Mesdames [S] ont donné leur accord à l’étude notariale pour qu’elle conserve dans son coffre-fort des bijoux de la défunte. En revanche, l’étude notariale est restée taisante sur les coûts induits par cette prestation, une telle abstention étant, pour les motifs déjà exposés, fautive. Par suite, il convient de retenir le grief invoqué par les demanderesses et tiré de la conservation au coffre-fort des bijoux de famille de leur mère uniquement en ce qu’elles n’ont pas été informées préalablement des coûts liés par cette prestation.
En troisième lieu, il n’appartient pas à la présente juridiction de statuer sur le bien-fondé de l’honoraire facturé à hauteur de 2 400 euros HT au titre de la réception à l’étude de l’experte en bijoux de la société [10] dont il n’est pas contesté qu’elle avait été mandatée par Mesdames [S] pour prendre contact avec l’étude afin de faire une estimation. Mesdames [S] ne précisent pas quels sont les autres experts qui seraient intervenus sans qu’elles soient averties des coûts correspondants. En revanche, l’étude notariale est restée taisante sur les coûts induits par les diligences qu’elle effectuait lors de l’expertise des bijoux, une telle abstention étant, pour les motifs déjà exposés, fautive. Par suite, il convient de retenir le grief invoqué par les demanderesses et tiré de l’assistance spécifique (réception d’experts…) uniquement en ce qu’elles n’ont pas été informées préalablement des coûts liés par cette prestation.
En quatrième lieu, Mesdames [S] remettent en cause la pertinence et le coût des consultations juridiques et fiscales. Toutefois, outre qu’il n’appartient pas à la présente juridiction de statuer sur le coût de ces consultations, il n’est pas établi que ces consultations sont dénuées de tout fondement et intérêt au regard de l’importance de la succession et de la mission confiée à l’étude notariale de règlement de cette succession. Par suite, il convient de rejeter le grief invoqué par les demanderesses et tiré des consultations juridiques et fiscales effectuées par l’étude notariale.
En cinquième lieu, le 31 mai 2021, Maître [8] a procédé au débit de la somme de 55 200 euros du compte successoral et correspondant au montant des honoraires qu’il avait demandés. Ce débit a été réalisé sans l’accord de Mesdames [S] et sans que la juridiction compétente n’ait statué sur le montant de ses honoraires qui étaient contestés. Dans sa lettre du 12 mai 2022, la chambre des notaires de Paris indiquait avoir invité Maître [8] à procéder à la réintégration de cette somme. Il ressort du relevé du compte étude en date du 24 avril 2023 que ce débit a été annulé le 24 avril 2023. En procédant à un tel débit et en ne l’annulant que deux ans plus tard, l’étude notariale a commis une faute. Par suite, il convient de retenir le grief invoqué par les demanderesses et tiré du prélèvement de cette somme de 55 200 euros sans leur autorisation.
En sixième lieu, lors de la vente du bien immobilier le 18 juin 2021, l’étude notariale a déduit une somme de 25 000 euros pour le motif suivant : » Représentant fiscal à restituer le cas échéant « . Le 23 juillet 2021, Madame [U] [S] interrogeait l’étude notariale sur le bien-fondé de cette déduction. L’étude notariale ne justifie pas avoir répondu sur ce point. Dans ses conclusions, elle indique que l’administration fiscale n’a pas requis la production d’une déclaration d’impôt de plus-values établie par un représentant fiscal accrédité de sorte qu’elle restituera la somme de 25 000 euros » restée sur le compte de l’étude à titre de précaution « . Toutefois, en ne répondant pas à Mesdames [S] sur le bien-fondé de cette déduction tout gardant, encore à ce jour, cette somme sur le compte de l’étude sans l’accord des héritières, l’étude notariale a commis une faute. Par suite, il convient de retenir le grief invoqué par les demanderesses et tiré de la somme retenue au titre de l’intervention non nécessaire d’un représentant fiscal.
En septième lieu, l’étude notariale a perçu la somme de 37 059,02 euros au titre de la TVA alors qu’elle ne conteste pas que les prestations qu’elle a fournies à Mesdames [S] n’y étaient pas assujetties. Si cette TVA a été reversée à l’administration fiscale, il demeure que l’étude notariale était tenue d’une obligation de conseil et devait s’assurer à ce titre du paiement de la TVA. Ainsi, l’étude notariale a commis une faute. Par suite, il convient de retenir le grief invoqué par les demanderesses et tiré de la TVA indûment perçue par l’étude notariale.
En dernier lieu, Mesdames [S] ont reçu la communication du relevé de compte successoral, avant l’introduction de la présente instance puis le 24 avril 2023. Le défaut de réintégration de la somme de 55 200 euros constitue un grief distinct déjà apprécié par la présente juridiction. Par suite, il convient de rejeter le grief invoqué par les demanderesses et tiré du refus de communiquer le relevé de compte successoral.
Il résulte de tout ce qui précède que la Scp [8] a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité civile.
1.2. En ce qui concerne les préjudices et le lien de causalité
En premier lieu, la somme de 62 528,86 euros sollicitée par les demanderesses en réparation de leur préjudice matériel correspond au solde créditeur apparaissant sur le relevé du compte successoral en date du 18 juin 2021 de sorte que cette somme n’est pas imputée de façon indue sur le compte successoral revenant à Mesdames [S] et ne constitue pas un préjudice indemnisable. Il en est de même de la somme de 55 200 euros correspondant aux honoraires contestés de l’étude notariale et dont le débit a été annulé le 24 avril 2023. Mesdames [S] n’établissent pas davantage qu’elles sont privées de la somme de 25 000 euros que l’étude notariale ne conteste pas devoir leur restituer. Enfin, il appartient aux demanderesses de solliciter auprès de l’administration fiscale le remboursement de la TVA qu’elles estiment avoir indûment versée et leur préjudice ne peut égal au montant de la somme versée à ce titre. Par suite, il convient de rejeter leur demande d’indemnité à hauteur de 179 787,88 euros au titre du préjudice matériel.
En second lieu, les fautes commises par l’étude notariale ont causé à Mesdames [S] un préjudice moral d’autant plus qu’en raison de leur résidence à l’étranger et du contexte sanitaire, les démarches à effectuer en France en vue du règlement de la succession de leur mère étaient rendues plus difficiles. Il convient dès lors de condamner la Scp [8] à payer à Mesdames [S] la somme de 5 000 euros à chacune à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement.
2. Sur les autres demandes
Il convient de faire droit à la demande de donner acte de la Scp [8] dans les conditions précisées au dispositif ci-après.
La Scp [8], partie perdante, sera condamnée aux dépens et à payer à Mesdames [S] la somme totale de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE la Scp [8], notaires associés ([7]), à payer à Madame [U] [S] et Madame [O] [S] la somme de 5 000 euros à chacune à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement.
DÉBOUTE Madame [U] [S] et Madame [O] [S] de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel.
DONNE acte à la Scp [8], notaires associés ([7]), de ce qu’elle restituera à Madame [U] [S] et Madame [O] [S] les soldes créditeurs des comptes » vente » et » succession » ouverts en son étude, sur le compte CARPA de leur conseil, après déconsignation auprès de la Caisse des dépôts et consignation.
CONDAMNE la Scp [8], notaires associés ([7]), aux dépens.
CONDAMNE la Scp [8], notaires associés ([7]), à payer à Madame [U] [S] et Madame [O] [S] la somme totale de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
ACCORDE à Maître Thomas Ronzeau de la Scp Interbarreaux Ronzeau & Associés, avocat, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 22 Janvier 2025
Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Cécile VITON
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