Règle de droit applicableL’article L.133-19 IV du Code monétaire et financier stipule que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L.133-17. Ces articles imposent au titulaire d’un compte bancaire de prendre des mesures raisonnables pour préserver la sécurité de ses données confidentielles. Négligence graveLa notion de négligence grave, au sens de l’article L.133-19 IV, implique que le titulaire du compte a manqué à ses obligations de vigilance et de prudence. En l’espèce, il a été établi que Mme [T] n’a pas vérifié l’authenticité du courrier électronique reçu, qui présentait des anomalies évidentes, telles qu’une adresse d’expéditeur non conforme et l’absence de logo de la Caisse. Cette négligence dans la vérification des informations reçues a permis au fraudeur d’accéder à ses données confidentielles. Obligations de signalementL’article L.133-17 impose au titulaire d’un compte de signaler sans délai à sa banque toute opération non autorisée. Dans le cas présent, Mme [T] a été informée de l’ajout d’un nouveau bénéficiaire sur son compte, mais n’a pas agi rapidement pour signaler la fraude, ce qui constitue une violation de cette obligation. Cette inaction a contribué à la réalisation des pertes subies. Conséquences juridiquesEn raison de la négligence grave de Mme [T] et de son manquement à ses obligations de signalement, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Ouest a pu justifier le refus de remboursement des sommes débitées frauduleusement. Ainsi, la Cour d’appel a confirmé que Mme [T] ne pouvait prétendre à une indemnisation pour les paiements non autorisés, conformément aux dispositions du Code monétaire et financier. |
L’Essentiel : L’article L.133-19 IV du Code monétaire et financier stipule que le payeur supporte les pertes d’opérations de paiement non autorisées en cas d’agissement frauduleux ou de négligence grave. La négligence grave implique un manquement aux obligations de vigilance. Mme [T] n’a pas vérifié l’authenticité d’un courrier électronique suspect, permettant au fraudeur d’accéder à ses données. De plus, elle n’a pas signalé rapidement une opération non autorisée, ce qui a contribué à ses pertes.
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Résumé de l’affaire : Une titulaire de compte a déposé une plainte le 15 juin 2021 après avoir été victime de deux virements frauduleux, d’un montant de 3 000 euros et 1 900 euros, prélevés sur son compte à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Ouest. Face au refus de la Caisse de rembourser ces sommes, la titulaire a assigné l’établissement bancaire devant le tribunal judiciaire de Limoges le 18 janvier 2023, demandant le remboursement total des montants débités ainsi que des dommages-intérêts. Le tribunal a rendu un jugement le 25 janvier 2024, accueillant en partie les demandes de la titulaire, mais réduisant le montant des dommages-intérêts.
La Caisse a interjeté appel de cette décision, arguant que la titulaire avait fait preuve d’une imprudence grave en validant le système « securipass » à la demande du fraudeur et en tardant à signaler la fraude. De son côté, la titulaire a demandé la confirmation du jugement initial, tout en sollicitant une augmentation des dommages-intérêts pour préjudice moral. Les faits ont révélé que le 10 juin 2021, la titulaire avait reçu un courriel frauduleux se faisant passer pour son conseiller à la Caisse, lui demandant d’activer le service « securipass ». Ce courriel présentait des anomalies évidentes, notamment une adresse d’expéditeur douteuse et l’absence de logo de la Caisse. Malgré ces indices, la titulaire a suivi les instructions du courriel, permettant au fraudeur d’accéder à ses données confidentielles et d’effectuer les virements. La Caisse a soutenu que la négligence de la titulaire, qui n’a pas vérifié l’authenticité du courriel ni signalé rapidement la fraude, constituait une imprudence grave. En conséquence, la Cour d’appel a infirmé le jugement du tribunal de première instance, déboutant la titulaire de son action contre la Caisse et la condamnant aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le cadre juridique des opérations de paiement non autorisées selon le code monétaire et financier ?Le cadre juridique des opérations de paiement non autorisées est principalement régi par les articles L.133-16, L.133-17 et L.133-19 du code monétaire et financier. L’article L.133-19 IV précise que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L.133-17. Ces articles imposent au payeur l’obligation de préserver la sécurité des données confidentielles qui lui ont été remises par sa banque pour sécuriser le fonctionnement de son compte. Ainsi, la responsabilité du payeur peut être engagée en cas de négligence grave dans la protection de ses informations bancaires. Quel est le rôle de la négligence grave dans l’appréciation des demandes de remboursement ?La négligence grave joue un rôle crucial dans l’appréciation des demandes de remboursement en matière de paiements non autorisés. Selon l’article L.133-19 IV, le payeur ne peut pas prétendre à un remboursement si les pertes résultent d’une négligence grave de sa part. Dans le cas présent, la Caisse a soutenu que la fraude a été rendue possible par la négligence grave de la cliente, ce qui a conduit à examiner le déroulement factuel de la fraude. Il a été établi que la cliente a reçu un courriel frauduleux et qu’elle n’a pas vérifié l’authenticité de ce message, ce qui constitue une négligence manifeste. Cette négligence a permis au fraudeur d’accéder aux données confidentielles de la cliente, entraînant ainsi les virements litigieux. Quel est l’impact de l’absence de signalement immédiat de la fraude par la cliente ?L’absence de signalement immédiat de la fraude par la cliente a un impact significatif sur sa demande de remboursement. L’article L.133-17 du code monétaire et financier impose au payeur de signaler sans délai toute opération non autorisée à sa banque. Dans cette affaire, la cliente a été informée de l’ajout d’un nouveau bénéficiaire et n’a pas immédiatement contacté la Caisse pour signaler la fraude. Cette inaction constitue une violation des obligations légales qui lui incombent, renforçant ainsi la position de la Caisse dans le litige. En conséquence, la négligence dans le signalement de la fraude a contribué à priver la cliente de toute indemnisation pour les paiements non autorisés. Quel est le résultat de l’appréciation des preuves dans cette affaire ?L’appréciation des preuves dans cette affaire a conduit à un jugement défavorable pour la cliente. Le tribunal a constaté que la Caisse ne pouvait pas être tenue responsable des pertes subies par la cliente, car celle-ci n’a pas démontré qu’elle avait respecté ses obligations de sécurité. La Caisse a justifié que la cliente avait été mise en garde contre les fraudes, et que la vérification de l’authenticité du courriel était essentielle. Le jugement a donc retenu que la cliente avait commis une négligence grave, ce qui a conduit à l’infirmation du jugement de première instance et au déboutement de la cliente de son action indemnitaire. Ainsi, l’appréciation des preuves a été déterminante pour établir la responsabilité de la cliente dans la survenance de la fraude. |
N° RG 24/00134 – N° Portalis DBV6-V-B7I-BIRIQ
AFFAIRE :
Caisse CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU CENT RE OUEST Prise en la personne de son représentant légal domicilié en
cette qualité audit siège.
C/
Mme [D] [T]
Autres actions en responsabilité exercées contre un établissement de crédit
GS/IM
Grosse délivrée aux avocats
COUR D’APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU 19 MARS 2025
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Le DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT CINQ la Chambre civile de la cour d’appel de LIMOGES a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Caisse CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU CENT RE OUEST Prise en la personne de son représentant légal domicilié en
cette qualité audit siège.
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL LX LIMOGES, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d’une décision rendue le 25 JANVIER 2024 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES
ET :
Madame [D] [T]
née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 4],
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES substitué par Me Carole GUILLOUT, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMÉE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 05 Février 2025. L’ordonnance de clôture a été rendue le 08 janvier 2025.
Conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, magistrat rapporteur, assistée de Madame Emel HASSAN, Greffier, a tenu seul l’audience au cours de laquelle il a été entendu en son rapport. Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Après quoi, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 19 Mars 2025 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a rendu compte à la Cour, composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre,de Monsieur Gérard SOURY, Conseiller et de Madame Stéphanie GASNIER, Conseiller. A l’issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l’arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
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FAITS et PROCÉDURE
Mme [D] [T] est titulaire d’un compte ouvert dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Ouest (la Caisse).
Le 15 juin 2021, Mme [T] a déposé plainte à la suite de deux virements de 3 000 euros et 1 900 euros frauduleusement opérés au débit de son compte.
La Caisse ayant refusé de lui rembourser les sommes débitées, Mme [T] l’a assignée, le 18 janvier 2023, devant le tribunal judiciaire de Limoges en paiement de la somme de 4 900 euros, outre 1 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par jugement du 25 janvier 2024, le tribunal judiciaire a accueilli les demandes de Mme [T], sauf à réduire le montant des dommages-intérêts réclamés, après avoir retenu que la Caisse ne rapportait pas la preuve d’une faute commise par sa cliente.
La Caisse a relevé appel de ce jugement.
MOYENS et PRÉTENTIONS
La Caisse conclut au rejet des demandes de Mme [T] en soutenant que cette dernière a commis une imprudence grave en validant le système « securipass » à la demande du fraudeur et en tardant à signaler la fraude.
Mme [T] conclut à la confirmation du jugement, sauf à porter au montant de 1 000 euros les dommages-intérêts qui lui ont été alloués par le premier juge en réparation de son préjudice moral. Elle fait valoir qu’elle n’a pas autorisé l’ajout du bénéficiaire des deux virements
Il est constant que, le 10 juin 2021, Mme [T] a été victime d’une fraude communément appelée « hameçonnage » ou « phishing » consistant en des manoeuvres via Internet destinées, au moyen d’une usurpation d’identité, à obtenir des renseignements confidentiels et permettre des virements depuis son compte bancaire au profit de celui d’un fraudeur.
Le jugement déféré fait un exact rappel des dispositions législatives issues du code monétaire et financier qui régissent les opérations de paiement non autorisées.
En particulier, l’article L.133-19 IV dispose que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L.133-17 du code monétaire et financier, notamment celle de préserver la sécurité des données confidentielles qui lui ont été remises par sa banque pour sécuriser le fonctionnement de son compte.
En l’espèce, aucun agissement frauduleux n’est reproché à Mme [T]. La Caisse soutient, en revanche, que la fraude a été rendue possible par la négligence grave de celle-ci, ce qui suppose d’examiner le déroulement factuel de cette fraude.
Le jeudi 10 juin 2021, à 10h59, Mme [T] a reçu un courrier électronique d’une personne se faisant passer pour son conseiller de la Caisse, avec pour adresse « expéditeur » clairement affichée: »Relation clientèle » » lui demandant d’activer le service « securipass » de la Caisse.
La simple lecture de cette adresse révèle qu’elle ne correspond en aucune façon à celle de la Caisse de crédit agricole du Centre Ouest telle qu’elle apparaît sur les courriers électroniques adressés par cet établissement à sa cliente. Au surplus, le message apparaît d’autant plus douteux que le logo graphique de la Caisse n’y figure pas.
Il appartenait à Mme [T] de vérifier le courrier électronique reçu dont le simple examen visuel -ou la simple comparaison avec des courriers de la Caisse- révélait des anomalies apparentes accréditant son origine douteuse.
Manifestement, Mme [T] a négligé cette vérification essentielle qui s’imposait d’autant plus à elle, que la Caisse justifie avoir adressé à ses clients des courriers pour les mettre en garde contre les fraudes consécutives à l’usurpation de son identité.
C’est ainsi que, suivant les instructions du courrier électronique frauduleux, Mme [T], croyant activer le service « securipass », a cliqué sur un lien qui a permis au fraudeur d’obtenir les données confidentielles permettant l’accès à son compte pour y effectuer les deux virements litigieux.
Informée par la Caisse le jour même à 12h36 de l’ajout d’un nouveau bénéficiaire au titre de ces virements, Mme [T] n’a pas immédiatement informé la Caisse de la fraude au moyen du numéro d’urgence mis à sa disposition, afin de faire bloquer l’opération en cours, en méconnaissance des exigences de l’article L.133-17 du code monétaire et financier.
Il résulte de ce qui précède que la Caisse justifie de négligences graves au sens de l’article L.133-19 IV du code monétaire et financier imputables à sa cliente qui prive celle-ci de toute indemnisation au titre des deux paiements non autorisés.
Mme [T] sera donc déboutée de son action indemnitaire dirigée contre la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Ouest .
La Cour d’appel statuant publiquement, par décision Contradictoire rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement rendu le 25 janvier 2024 par le tribunal judiciaire de Limoges ;
Statuant à nouveau,
DÉBOUTE Mme [D] [T] de son action dirigée contre la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Ouest ;
Vu l’équité, DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [D] [T] aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Isabelle MOREAU. Corinne BALIAN.
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