Responsabilité décennale et contestations sur la réception tacite des travaux

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Responsabilité décennale et contestations sur la réception tacite des travaux

Responsabilité décennale et réception des travaux

La responsabilité décennale des constructeurs est régie par les articles 1792 et suivants du Code civil, qui stipulent que tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître de l’ouvrage des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, et ce, pendant une durée de dix ans à compter de la réception des travaux.

L’article 1792-6 précise que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserves. Cette réception peut être explicite ou tacite, la prise de possession et le paiement des travaux pouvant constituer des indices de cette réception tacite.

Conditions de mise en jeu de la garantie décennale

Pour que la garantie décennale soit applicable, il est nécessaire que les désordres constatés portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à son usage. L’article 1792-2 du Code civil précise que les désordres doivent être de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.

La jurisprudence a établi que l’absence de procès-verbal de réception peut poser des difficultés quant à la mise en jeu de cette garantie, car la réception est un acte juridique essentiel qui marque le début du délai de garantie.

Contestations sérieuses et provision en référé

L’article 835 du Code de procédure civile permet au juge des référés de prescrire des mesures conservatoires ou de remise en état, même en présence d’une contestation sérieuse. Toutefois, pour accorder une provision, il doit être établi que l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

Dans le cas présent, les contestations soulevées par l’assureur et le constructeur concernant la date de réception tacite et le caractère décennal des désordres ont été jugées sérieuses, empêchant ainsi l’octroi d’une provision au GAEC des Trois Trèfles.

Frais et dépens

Les dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile prévoient que le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles. Cependant, dans le cas présent, la cour a décidé de ne pas faire application de cet article, considérant que l’équité ne justifiait pas une telle condamnation.

Les dépens, quant à eux, sont à la charge de la partie qui succombe, conformément aux dispositions générales du Code de procédure civile.

L’Essentiel : La responsabilité décennale des constructeurs est régie par les articles 1792 et suivants du Code civil, stipulant que tout constructeur est responsable des dommages compromettant la solidité de l’ouvrage pendant dix ans à compter de la réception des travaux. La réception, acte par lequel le maître de l’ouvrage accepte l’ouvrage, peut être explicite ou tacite. Pour que la garantie décennale soit applicable, les désordres doivent affecter la solidité de l’ouvrage ou le rendre impropre à son usage.
Résumé de l’affaire : En 2012 et 2013, un groupement agricole a fait construire deux bâtiments avicoles par une entreprise de bâtiment, avec un contrat de charpente, couverture, isolation, bardage et menuiserie. Aucun procès-verbal de réception n’a été établi. En 2016, des fissures sont apparues sur les murs des bâtiments, incitant le groupement à solliciter une expertise. Un expert a recommandé le remplacement des façades, et une autre expertise a confirmé la nécessité de remplacer les panneaux en fibro-ciment par des panneaux modernes, chiffrant les travaux à plus de 62 000 euros.

L’assureur de l’entreprise de bâtiment a accepté de couvrir les réparations des façades sud, mais a contesté la responsabilité pour les autres façades, ce que le groupement a contesté. Les travaux réalisés en mai 2021 ont été jugés insuffisants par le groupement, qui a alors assigné l’entreprise de bâtiment et l’assureur en justice pour obtenir une expertise judiciaire sur l’origine et l’importance des désordres.

En parallèle, l’assureur a assigné d’autres sociétés en référé. Le juge des référés a ordonné une expertise et a condamné in solidum l’entreprise de bâtiment et l’assureur à verser une provision au groupement, ainsi qu’à payer des frais de justice. L’assureur a fait appel, arguant que l’action du groupement était forclose en raison de l’absence de réception des travaux et que les désordres ne relevaient pas de la garantie décennale.

L’entreprise de bâtiment a également formé un appel incident, soutenant des contestations similaires. Le groupement a demandé la confirmation de l’ordonnance initiale. La cour a finalement infirmé l’ordonnance du juge des référés, considérant que les contestations sur l’existence de l’obligation indemnitaire étaient sérieuses, et a rejeté la demande de provision du groupement, le condamnant aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la responsabilité décennale invoquée par le GAEC des Trois Trèfles ?

La responsabilité décennale est régie par les articles 1792 et suivants du Code civil. L’article 1792 stipule que « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître de l’ouvrage des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ».

Pour que cette responsabilité soit engagée, il est nécessaire que les désordres constatés portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à son usage.

En l’espèce, le GAEC des Trois Trèfles soutient que les fissurations observées sur les bâtiments compromettent leur solidité et leur usage pour l’élevage avicole.

Il est également essentiel de noter que, selon l’article 1792-6, la réception de l’ouvrage, qu’elle soit expresse ou tacite, doit être établie pour engager la responsabilité décennale.

Quel est l’impact de l’absence de procès-verbal de réception sur la demande du GAEC des Trois Trèfles ?

L’absence de procès-verbal de réception est un élément crucial dans l’appréciation de la recevabilité de l’action du GAEC des Trois Trèfles. Selon l’article 1792-6 du Code civil, « la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves ».

Sans réception formelle, la question de la réception tacite se pose. La jurisprudence admet qu’une réception tacite peut être reconnue si la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux manifestent une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage.

Dans ce cas, le GAEC des Trois Trèfles a pris possession des bâtiments et a réglé les factures, ce qui pourrait être interprété comme une réception tacite. Cependant, la date de cette réception tacite est contestée, ce qui pourrait avoir des implications sur la forclusion de l’action en responsabilité.

Quel est le rôle des expertises dans l’appréciation des désordres et de leur caractère décennal ?

Les expertises jouent un rôle fondamental dans l’évaluation des désordres et leur qualification. Les articles 1792 et 1792-6 du Code civil stipulent que pour engager la responsabilité décennale, il faut que les désordres portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à son usage.

Les rapports d’expertise réalisés entre 2018 et 2023 ont mis en évidence des fissurations, mais n’ont pas tous conclu à leur caractère décennal. Le dernier rapport, établi par le Cabinet Habex, souligne l’atteinte à la solidité du bâtiment, mais cela ne suffit pas à établir de manière définitive le caractère décennal des désordres.

Il est donc nécessaire d’examiner l’ensemble des expertises pour déterminer si les désordres constatés sont de nature à engager la responsabilité de la société Coquelin et la garantie de Groupama.

Quel est l’effet de la contestation sur la demande de provision formulée par le GAEC des Trois Trèfles ?

La contestation soulevée par Groupama et la société Coquelin a un impact direct sur la demande de provision. Selon l’article 835 du Code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision si l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

Dans ce cas, les contestations relatives à la réception tacite et au caractère décennal des désordres sont jugées sérieuses par la Cour. Cela empêche l’octroi d’une provision, car il existe des doutes quant à la responsabilité de la société Coquelin et à la mise en jeu de la garantie de Groupama.

Ainsi, la Cour a infirmé l’ordonnance du juge des référés qui avait accordé une provision au GAEC des Trois Trèfles, considérant que les contestations soulevées par les défendeurs étaient suffisamment sérieuses pour justifier cette décision.

Quel est le fondement des frais et dépens dans cette affaire ?

Les frais et dépens sont régis par les dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, qui prévoit que « le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles ».

Dans cette affaire, la Cour a décidé de ne pas faire application de l’article 700 en faveur de l’une ou l’autre des parties, considérant que l’équité ne justifiait pas une telle décision.

Le GAEC des Trois Trèfles, ayant succombé dans son action, est condamné aux dépens de la procédure d’appel, ce qui signifie qu’il devra supporter les frais engagés par les autres parties dans le cadre de cette procédure.

AFFAIRE : N° RG 24/00940 – N° Portalis DBVC-V-B7I-HM2C

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : Décision du Président du TJ d’ALENCON du 23 Novembre 2023

RG n° 23/00049

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 11 MARS 2025

APPELANTE :

CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES BRETAGNE-PAYS DE LA LOIRE ayant pour nom commercial GROUPAMA LOIRE BRETAGNE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 383 844 693

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me David ALEXANDRE, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Alain DUPUY, avocat au barreau du MANS,

INTIMÉES :

G.A.E.C. DES TROIS TREFLES

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 342 677 358

[Adresse 6]

[Localité 4]

représentée par Me Didier LEFEVRE, avocat au barreau D’ALENCON,

assisté de Me GABRIELIAN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

S.A.S. COQUELIN METAL ET BATIMENT Inscrite au RCS de Rennes, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

N° SIRET : 323 704 890

[Adresse 8]

[Localité 3]

représentée par Me Pascale GRAMMAGNAC-YGOUF, avocat au barreau de CAEN, assistée de Me PatricE HUGEL, avocat au barreau d’ANGERS.

DÉBATS : A l’audience publique du 19 décembre 2024, sans opposition du ou des avocats, Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme COLLET

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 11 Mars 2025 et signé par Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère, pour le président empêché et par Mme COLLET, greffier

FAITS ET PROCEDURE

Courant 2012 et 2013, le GAEC des Trois Trèfles a fait construire deux bâtiments à ossature métallique de type poulailler sur son terrain situé à [Localité 5] (Orne) [Adresse 7].

Le lot charpente, couverture, isolation, bardage, menuiserie a été confié, suivant devis du 7 novembre 2011, à la SAS Coquelin Bâtiment assurée auprès de la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles Bretagne (Groupama Loire Bretagne).

Il n’y a pas eu de procès-verbal de réception.

Courant 2016, le GAEC des Trois Trèfles a constaté l’apparition de fissurations le long des murs des deux bâtiments et plus précisément sur les panneaux sandwich en fibro-ciment formant les façades desdits bâtiments.

Sans réponse de la société Coquelin Bâtiment et de Groupama Loire Bretagne, le GAEC des Trois Trèfles a missionné M. [S] [E] qui a conclu le 31 janvier 2018 à la nécessité de remplacer les longpans façades Nord et Sud des deux bâtiments par du bardage double peau comme sur les pignons.

Le Cabinet Saretec mandaté par Groupama Loire Bretagne a organisé le 8 juin 2018 une expertise amiable contradictoire sans que les parties ne parviennent à un accord, puis le 28 octobre 2019, une seconde expertise amiable a eu lieu aux termes de laquelle Saretec a préconisé le remplacement complet des panneaux sandwich des deux poulaillers par des panneaux nouvelle génération constitués de parement métalliques en remplacement des parements fibro-ciment, chiffrant ces travaux à la somme de 31 058,33 euros HT par bâtiment (soit la somme totale de 62 116,66 euros).

Groupama Loire Bretagne a consenti à la prise en charge des désordres affectant les deux façades Sud de ces deux poulaillers considérant que les panneaux des autres façades ne présentaient pas de détérioration de nature à engager la responsabilité décennale de la société Coquelin Bâtiment.

Le GAEC des Trois Trèfles a accepté cette proposition financière le 3 mars 2021, tout en contestant la non-garantie des autres façades.

Les travaux ont été réalisés par la société Coquelin Bâtiment en mai 2021 mais le GAEC des Trois Trèfles soutient qu’ils se sont révélés insuffisants, voire inefficaces, ne permettant pas d’assurer l’isolation thermique et un chauffage suffisant desdits bâtiments, conditions indispensables pour l’élevage avicole.

Par actes en date du 23 mai 2023, le GAEC des Trois Trèfles a fait assigner la société Coquelin Bâtiment et Groupama Loire Bretagne aux fins d’obtenir une expertise judiciaire pour déterminer l’origine et l’importance des désordres.

Par actes en date du 19 septembre 2023, la société Groupama Loire Bretagne a fait assigner en référé mise en cause les sociétés HDI Global, AIG Europe et la SASU Etex France Extériors (anciennement Eternit).

Par ordonnance du 23 novembre 2023 à laquelle il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le juge des référés du tribunal d’Alençon a :

prononcé la jonction des deux instances enregistrées au greffe sous les numéros RG 23/00049 et RG 23/00070 sous le numéro RG 23/00049,

condamné in solidum la société Coquelin Bâtiment et Groupama Loire Bretagne à régler au GAEC des Trois Trèfles la somme de 46 292,62 euros TTC à titre d’indemnité provisionnelle,

dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes d’appel en garantie formées par Groupama Loire Bretagne à l’encontre de la société Etex France Extérior et de AIG Europe et de HDI Global SE,

ordonné une expertise,

désigné pour y procéder M. [L] [J], sa mission étant détaillée par l’ordonnance à laquelle il est renvoyé,

condamné in solidum la société Coquelin Bâtiment et Groupama Loire Bretagne à régler au GAEC des Trois Trèfles la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné in solidum la société Coquelin Bâtiment et Groupama Loire Bretagne aux entiers dépens.

Par déclaration du 15 avril 2024, la Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire a formé appel de cette ordonnance, la critiquant en ce qu’elle a prononcé sa condamnation à payer au GAEC des Trois Trèfles la somme de 46 292,62 euros TTC à titre de provision, outre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 18 juillet 2024, la Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire (ci-après dénommée Groupama) demande à la Cour de :

déclarer son appel recevable et bien fondé,

infirmer l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire d’Alençon le 23 novembre 2023 en ce qu’elle :

l’a condamnée in solidum avec la société Coquelin Bâtiment à régler au GAEC des Trois Trèfles la somme de 46 292,62 euros TTC à titre d’indemnité provisionnelle,

l’a condamnée in solidum avec la société Coquelin Bâtiment à régler au GAEC des Trois Trèfles la somme 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

l’a condamnée in solidum avec la société Coquelin Bâtiment aux entiers dépens,

débouter le GAEC des Trois Trèfles de l’ensemble de ses demandes,

En conséquence, statuant à nouveau :

A titre principal,

constater l’existence de contestations sérieuses quant à l’existence de l’obligation invoquée par le GAEC des Trois Trèfles,

dire en conséquence n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision,

débouter le GAEC des Trois Trèfles de l’ensemble de ses demandes de condamnation à son encontre,

A titre subsidiaire, si sa garantie était retenue,

fixer hors TVA le montant alloué au GAEC des Trois Trèfles,

limiter en conséquence le montant de l’indemnité provisionnelle à la somme de 38 577,18 euros H.T,

débouter pour le surplus le GAEC des Trois Trèfles de l’ensemble de ses demandes de condamnation à son encontre,

En tout cas,

condamner le GAEC des Trois Trèfles à lui verser une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner le GAEC des Trois Trèfles aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 20 juin 2024, la SAS Coquelin Métal et Bâtiment forme appel incident et demande à la Cour de :

la voir déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,

voir infirmer l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire d’Alençon le 23 novembre 2023 en ce qu’elle :

l’a condamnée in solidum avec la société Groupama Loire Bretagne à régler au GAEC des Trois Trèfles la somme de 46 292,62 euros TTC à titre d’indemnité provisionnelle,

l’a condamnée in solidum avec la société Groupama Loire Bretagne à régler au GAEC des Trois Trèfles la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

l’a condamnée in solidum avec la société Groupama Loire Bretagne aux entiers dépens,

En conséquence, statuant à nouveau :

voir constater l’existence de contestations sérieuses quant à l’existence de l’obligation invoquée par le GAEC des Trois Trèfles,

voir dire en conséquence n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision,

voir débouter le GAEC des Trois Trèfles de l’ensemble de ses demandes de condamnation à son encontre,

A titre subsidiaire :

voir fixer hors TVA le montant alloué au GAEC des Trois Trèfles,

voir limiter en conséquence le montant de l’indemnité provisionnelle à la somme de 38 577,18 euros H.T,

voir débouter pour le surplus le GAEC des Trois Trèfles de l’ensemble de ses demandes de condamnation à son encontre,

En tout état de cause :

voir condamner le GAEC des Trois Trèfles à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

voir condamner le GAEC des Trois Trèfles aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 15 octobre 2024, le GAEC des Trois Trèfles demande à la cour de :

confirmer l’ordonnance rendue le 23 novembre 2023 par la juridiction des référés du tribunal judiciaire d’Alençon en ce qu’elle a :

condamné in solidum la société Coquelin Bâtiment et Groupama Loire Bretagne à lui régler la somme de 46 292,62 euros TTC à titre d’indemnité provisionnelle,

condamné in solidum la société Coquelin Bâtiment et Groupama Loire Bretagne à lui régler la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné les mêmes aux entiers dépens,

En conséquence,

débouter la société Coquelin Métal et Bâtiment et la compagnie Groupama Loire Bretagne de l’intégralité de leurs demandes (principales comme subsidiaires), fins et conclusions,

condamner in solidum la société Coquelin Métal et Bâtiment et la compagnie Groupama Loire Bretagne au paiement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner in solidum la société Coquelin Métal et Bâtiment et la compagnie Groupama Loire Bretagne aux entiers dépens d’appel.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 30 octobre 2024.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de règlement d’une provision :

Groupama Loire Bretagne forme appel des dispositions de l’ordonnance déférée qui ont prononcé sa condamnation au paiement d’une provision au profit du GAEC des Trois Trèfles.

Elle rappelle qu’elle est l’assureur de responsabilité décennale de la SAS Coquelin Métal et Bâtiment, entreprise spécialisée dans la fabrication de bâtiments avicoles, agricoles et industriels, qui assure dans ce cadre la conception des bâtiments et la fabrication des panneaux isolés qu’elle pose.

Groupama fait valoir qu’à la suite des réclamations émises en novembre 2017 par le GAEC des Trois Trèfles portant sur les deux bâtiments avicoles édifiés par la SAS Coquelin, plusieurs expertises amiables se sont tenues entre janvier 2018 et octobre 2019.

Groupama relève que lors des premières expertises seules des fissurations de faibles importances avaient été relevées sur les panneaux constituant les deux bâtiments, mais que lors de la dernière expertise l’aggravation des phénomènes de fissuration a été constatée.

Selon Groupama, ces expertises ne permettaient cependant pas de retenir que l’ensemble des désordres constatés pouvaient porter atteinte à la solidité du bâtiment ou le rendre impropre à son usage.

Groupama affirme qu’il existe des contestations sérieuses relatives à l’action en responsabilité engagée par le GAEC des Trois Trèfles à l’encontre de la SAS Coquelin et à la mise en jeu de la garantie de son assureur de responsabilité décennale.

Elle fait valoir tout d’abord que, alors que le GAEC des Trois Trèfles fonde son action sur les dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil, il doit être constaté qu’aucun procès-verbal de réception des travaux n’a été régularisé.

Par ailleurs, elle expose que, dans l’hypothèse où une réception tacite devrait être admise, elle ne pourrait qu’être datée au 22 mai 2013, date d’émission de la facture de la SAS Coquelin. Or, Groupama relève que l’assignation délivrée par le GAEC des Trois Trèfles a été remise le 23 mai 2023, soit le lendemain de l’expiration du délai de garantie décennale, de sorte que son action serait forclose.

Groupama fait grief au premier juge d’avoir écarté sa contestation relative à la recevabilité de l’action du GAEC des Trois Trèfles en considérant que l’existence d’une réception tacite n’était pas contestable sans pour autant fixer la date de réception, ce qui empêche d’apprécier la recevabilité de l’action du GAEC.

Groupama affirme qu’il ne peut lui être opposé d’avoir mentionné dans ses courriers une réception au 25 mai 2023, alors que cette mention résultait d’informations erronées communiquées quant à la date d’émission de la facture de la SAS Coquelin.

En outre, Groupama élève une contestation portant sur la possibilité de mobiliser sa garantie décennale, alors même que la réalité d’une réception tacite n’est pas démontrée par le GAEC des Trois Trèfles.

Elle souligne que l’appréciation de l’existence d’une réception tacite et la fixation de sa date excède les pouvoirs du juge des référés et relève du juge du fond.

Par ailleurs, Groupama conteste le caractère décennal des désordres invoqués par le GAEC des Trois Trèfles, dont elle estime qu’ils ne portent pas atteinte à la solidité de l’ouvrage ni ne le rendent impropre à sa destination.

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la condamnation au paiement d’une provision serait maintenue, GROUPAMA sollicite la réduction de son montant à une somme hors taxe.

Elle relève que le GAEC des Trois Trèfles avait initialement présenté une demande d’indemnité provisionnelle hors taxe, avant de modifier ses demandes et de solliciter le paiement d’une somme TTC.

Groupama affirme que le GAEC des Trois Trèfles serait assujetti à la TVA et serait donc susceptible de récupérer cette taxe, de sorte que les provisions qui lui seront allouées doivent être fixées hors taxe.

Enfin, Groupama s’oppose à l’irrecevabilité de cette demande soulevée par le GAEC des Trois Trèfles au prétexte de son caractère nouveau. Elle fait valoir que cette demande ne vise qu’à faire écarter les prétentions adverses et ne peut donc être qualifiée de nouvelle.

La SAS Coquelin Métal et Bâtiment sollicite l’infirmation de l’ordonnance déférée, invoquant l’existence de contestations sérieuses opposables à la demande de provision présentée par le GAEC des Trois Trèfles.

Elle invoque en premier lieu la forclusion de l’action en responsabilité intentée par le GAEC à son encontre, considérant que la réception tacite dont se prévaut le GAEC ne pourrait être datée qu’au 22 mai 2013 au plus tard, de sorte que son action introduite le 23 mai 2023 serait forclose.

Par ailleurs, la SAS Coquelin conteste le caractère décennal des désordres invoqués par le GAEC des Trois Trèfles.

Enfin, la SAS Coquelin s’associe à la contestation élevée par Groupama s’agissant du montant de la provision sollicitée par le GAEC des Trois Trèfles, soutenant que cette provision ne peut accordée que hors taxe, compte tenu de la sujétion du GAEC à la TVA.

En réplique, le GAEC des Trois Trèfles sollicite la confirmation de l’ordonnance de référé.

Le GAEC soutient que la réalité de la réception tacite et sa date ne sont susceptibles d’aucune discussion alors même que Groupama a expressément admis dans des courriers adressés au GAEC en février 2020, mais aussi en accordant sa garantie pour la reprise des désordres affectant les façades sud des bâtiments, que la réception tacite de l’ouvrage était intervenue le 25 mai 2013.

Au surplus, le GAEC des Trois Trèfles affirme que la date de la réception tacite ne saurait être fixée à la date d’émission de la facture de la SAS Coquelin, alors même que la réception implique que soit constatée la volonté du maître d’ouvrage de prendre possession de l’ouvrage.

Selon le GAEC cette prise de possession est nécessairement postérieure à l’émission de la facture, laquelle au surplus n’a été réglée que le 24 mai 2013.

Ainsi, le GAEC des Trois Trèfles affirme que son action a été engagée dans le délai décennal.

Le GAEC soutient que la réception tacite de l’ouvrage est caractérisée par sa volonté non équivoque de réceptionner les bâtiments, manifestée par le règlement de la facture émise, l’absence d’émission de réserves et la prise de possession des lieux.

Il estime donc qu’il n’existe aucune contestation possible de ce chef.

De même, le GAEC des Trois Trèfles affirme que le dernier rapport d’expertise qu’il communique, établi par le cabinet Habex en juillet 2023 fait la preuve du caractère décennal des désordres qu’il allègue, lequel ressortait déjà selon lui du rapport du cabinet Saretec d’octobre 2019.

Le GAEC considère donc les protestations de Groupama et de la SAS Coquelin injustifiées, alors même que toutes les expertises les plus récentes constatent le caractère généralisé des désordres, qui induit leur nature décennale du fait de l’atteinte portée à la structure des bâtiments.

C’est pourquoi il estime que les contestations élevées par Groupama et la SAS Coquelin ne sont pas de nature à remettre en cause l’évidence de l’obligation indemnitaire à laquelle elles seront tenues.

Enfin, le GAEC des Trois Trèfles soulève le caractère nouveau en appel de la demande de Groupama et de la SAS Coquelin visant à limiter l’indemnité provisionnelle à une somme hors taxe.

Aux termes de l’article 835 du Code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Il est constant que l’action engagée par le GAEC des Trois Trèfles vise à voir consacrer la responsabilité décennale de la SAS Coquelin Métal et Bâtiment applicable aux travaux d’édification de deux bâtiments avicoles achevés en 2013.

Sur le fondement de l’article 1792 du Code civil, le GAEC sollicite que lui soit octroyée une indemnité provisionnelle portant sur l’indemnisation des travaux de reprise des désordres qu’il dénonce.

Pour admettre le principe du versement de cette indemnité provisionnelle dans le cadre de l’instance en référé, il est donc nécessaire qu’il soit établi que les conditions d’application de la garantie décennale sont réunies.

Or, la mise en jeu de la garantie décennale implique notamment que les ouvrages aient été réceptionnés, et que les désordres portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à l’usage auquel il était destiné.

L’article 1792-6 dispose que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

Pour autant, l’article 1792-6 n’exclut pas la possibilité d’une réception tacite.

Pour caractériser une réception tacite, les juges doivent alors rechercher si la prise de possession manifeste une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage.

A ce titre, la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserve, et valent donc présomption de réception tacite.

Les juges qui retiennent une réception tacite doivent en préciser la date.

Le premier juge a considéré que la contestation émise par Groupama quant à l’existence d’une réception tacite n’était pas sérieuse alors même que l’assureur l’avait nécessairement admise en accordant sa garantie décennale pour la reprise des deux façades sud des bâtiments.

L’ensemble des pièces produites par les parties permet de se convaincre qu’à défaut d’une réception régularisée par écrit, une réception tacite des deux bâtiments est intervenue, dès lors que le GAEC des Trois Trèfles a pris possession des lieux qu’il a mis en exploitation, a réglé l’intégralité des factures émises, et n’a émis aucune réserve jusqu’à la réclamation portée en 2016.

En revanche, il existe une discussion quant à la fixation de la date de cette réception tacite, analyse qui ne ressort pas de la compétence du juge des référés mais appartient au juge du fond.

Il ne peut être considéré, comme l’a fait le juge des référés en première instance, que la date de la réception tacite à retenir serait nécessairement celle du 25 mai 2013 au motif que cette date a été mentionnée à plusieurs reprises par Groupama dans le traitement de ce sinistre.

En effet, la réception est un acte juridique qui intervient entre le maître de l’ouvrage et le constructeur, et la réception tacite ne peut se déduire que de l’appréciation du comportement de chacun de ces intervenants à l’achèvement des travaux.

Il est donc nécessaire de s’intéresser aux actes positifs de manifestation de volonté tant de la SAS Coquelin que du GAEC des Trois Trèfles pour déterminer en l’espèce la date à laquelle les parties ont entendu admettre une réception tacite de l’ouvrage.

L’assureur de responsabilité décennale est étranger à cette relation et par conséquent, les positions qu’il peut adopter quant à la détermination d’une date de réception sont sans incidence sur la question.

La date de la réception tacite ne peut donc être déduite des déclarations de Groupama dans le cas d’espèce.

Or, la fixation de la date de la réception est de nature à influer sur la recevabilité de l’action du GAEC des Trois Trèfles, potentiellement introduite au-delà du délai de forclusion décennale dont le point de départ est la réception.

Par ailleurs, il importe de caractériser le caractère décennal des désordres pour admettre la mise en jeu de la garantie de Groupama, et donc sa condamnation au paiement d’une indemnité provisionnelle.

Les rapports d’expertise amiable établis, le 31 janvier 2018 par M. [E], et le 31 octobre 2019 par le Cabinet Saretec, ne se sont pas prononcés sur l’éventuel caractère décennal des désordres touchant les bâtiments, quand bien même le Cabinet Saretec a pu relever la généralisation du phénomène de fissuration.

Le dernier rapport établi par le Cabinet Habex le 1er juillet 2023, non contradictoire, est le seul à se prononcer clairement sur ce point en soulignant l’atteinte à la solidité du bâtiment.

Pour autant, ce seul document et le caractère généralisé des fissurations ne peuvent permettre de considérer comme acquis le caractère décennal des désordres, susceptible d’engager de plein droit la responsabilité de la SAS Coquelin et la garantie de Groupama, et ce d’autant que ces derniers font état d’une potentielle cause exonératoire du fait d’un défaut de fabrication des matériaux.

En conséquence, il convient de considérer que les contestations élevées par Groupama et la SAS Coquelin quant à l’existence de leur obligation indemnitaire présentent un caractère sérieux, qui fait obstacle à ce qu’une condamnation à paiement d’une provision soit prononcée.

Dès lors, l’ordonnance rendue le 23 novembre 2023 par le juge des référés du Tribunal Judiciaire d’Alençon sera infirmée.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions de l’ordonnance déférée relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ne seront pas révisées.

L’équité ne justifie pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de l’une ou de l’autre des parties.

Le GAEC des Trois Trèfles, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Infirme l’ordonnance rendue le 23 novembre 2023 par le juge des référés du tribunal de judiciaire d’Alençon en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,

Rejette la demande formée par le GAEC des Trois Trèfles tendant à la condamnation in solidum de la SAS Coquelin Bâtiment et Groupama Loire Bretagne à lui régler la somme de 46 292,62 euros TTC à titre d’indemnité provisionnelle,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne le GAEC des Trois Trèfles aux entiers dépens de la procédure d’appel.

LE GREFFIER p/LE PRÉSIDENT EMPECHE

M. COLLET A. GAUCI SCOTTE


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