En vertu des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du Code du travail, la présomption de faute inexcusable de l’employeur est établie pour les salariés intérimaires affectés à des postes à risques, lorsqu’ils n’ont pas bénéficié d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés. Cette présomption peut être renversée par l’employeur, mais il doit prouver qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses employés. En l’espèce, le tribunal a constaté que la société employeur n’avait pas respecté ses obligations de formation et d’information, ce qui a conduit à la reconnaissance de la faute inexcusable. De plus, le jugement du tribunal correctionnel a confirmé que l’employeur avait mis à disposition un équipement non conforme et n’avait pas fourni la formation nécessaire, renforçant ainsi la présomption de faute inexcusable.
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L’Essentiel : La présomption de faute inexcusable de l’employeur est établie pour les salariés intérimaires affectés à des postes à risques, en l’absence de formation renforcée à la sécurité et d’un accueil adapté. Cette présomption peut être renversée par l’employeur, qui doit prouver avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité. Le tribunal a constaté que la société n’avait pas respecté ses obligations de formation et d’information, conduisant à la reconnaissance de la faute inexcusable.
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Résumé de l’affaire :
Résumé des faitsL’accident du travail survenu le 21 mai 2019 a causé une fracture ouverte de l’index gauche à une victime, en raison d’une faute inexcusable de la société utilisatrice, qui a été reconnue par le tribunal judiciaire d’Evreux dans son jugement du 6 août 2021. La caisse primaire d’assurance maladie a versé des indemnités à la victime, qui seront récupérées auprès de la société employeur. La société utilisatrice a fait appel de cette décision. Développements procédurauxL’expert a remis son rapport en novembre 2021, et la cour a ordonné la jonction des procédures et la réouverture des débats pour examiner les incidences d’une décision du tribunal correctionnel. L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises, avec une audience prévue pour janvier 2025. Prétentions des partiesLa société utilisatrice a demandé la confirmation du jugement en ce qui concerne le droit d’agir de la victime, tout en contestant la faute inexcusable. La victime a demandé la confirmation de la reconnaissance de la faute inexcusable et a chiffré ses préjudices. La société de travail temporaire a également contesté la faute inexcusable et a demandé l’infirmation du jugement. Motifs de la décisionLa cour a constaté que la victime n’avait pas reçu la formation adéquate pour son poste à risque, ce qui a conduit à la présomption de faute inexcusable de l’employeur. La cour a également noté que la société utilisatrice n’avait pas respecté ses obligations de formation et d’information. Les demandes de liquidation des préjudices ont été renvoyées devant le tribunal judiciaire d’Evreux. Conséquences financièresLa cour a fixé une provision de 6 000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices de la victime, qui sera avancée par la caisse. La société utilisatrice a été condamnée aux dépens d’appel et à indemniser la victime et la société de travail temporaire pour les frais engagés. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de la faute inexcusable de l’employeur dans le cadre d’un accident du travail ?La faute inexcusable de l’employeur est régie par les articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du Code du travail. Ces articles stipulent que l’existence d’une faute inexcusable est présumée établie pour les salariés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire, lorsqu’ils sont affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, et qu’ils n’ont pas bénéficié d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés. Ainsi, dans le cas présent, il a été établi que la salariée n’a pas reçu la formation adéquate pour l’utilisation de la perceuse à colonne, qui était un poste à risque. Cette présomption de faute inexcusable n’a pas été renversée par l’employeur, ce qui a conduit à la reconnaissance de sa responsabilité dans l’accident survenu. Quel est l’impact de la décision du tribunal correctionnel sur la reconnaissance de la faute inexcusable ?La décision du tribunal correctionnel a un impact significatif sur la reconnaissance de la faute inexcusable. En effet, le jugement du tribunal correctionnel du 25 septembre 2023 a établi que l’employeur avait commis plusieurs infractions, notamment la mise à disposition d’un équipement de travail ne garantissant pas la sécurité de la salariée. Les infractions constatées incluent : – La mise à disposition d’un équipement de travail non conforme aux règles techniques. Ces éléments sont cruciaux car ils renforcent la présomption de faute inexcusable de l’employeur, en démontrant qu’il avait connaissance des risques encourus et n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger la salariée. Quel est le rôle de la formation à la sécurité dans la détermination de la faute inexcusable ?La formation à la sécurité joue un rôle central dans la détermination de la faute inexcusable. Selon l’article L. 4154-2 du Code du travail, l’employeur a l’obligation de fournir une formation renforcée à la sécurité aux salariés affectés à des postes à risque. Dans cette affaire, il a été établi que la salariée n’avait pas reçu la formation nécessaire pour utiliser la perceuse à colonne, ce qui constitue une violation de cette obligation. L’absence de formation adéquate est un facteur déterminant qui contribue à la présomption de faute inexcusable, car elle démontre que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses employés. Quel est le processus de liquidation des préjudices en cas de faute inexcusable ?Le processus de liquidation des préjudices en cas de faute inexcusable est encadré par l’article 568 du Code de procédure civile. Cet article stipule que la cour d’appel ne peut faire usage de son pouvoir d’évocation que si le jugement frappé d’appel a ordonné une mesure d’instruction, et ce, uniquement en cas d’infirmation ou d’annulation de ce jugement. Dans le cas présent, la cour a confirmé la reconnaissance de la faute inexcusable, mais a renvoyé les parties devant le tribunal judiciaire pour la liquidation des préjudices, car elle ne pouvait pas statuer sur cette question en raison de l’absence de décision de consolidation de l’état de santé de la salariée. Ainsi, la liquidation des préjudices sera effectuée par le tribunal judiciaire, qui tiendra compte de la date de consolidation de l’état de santé de la salariée, fixée par le jugement du 7 novembre 2024. Quel est le rôle de la société de travail temporaire dans la responsabilité en cas d’accident du travail ?La société de travail temporaire a un rôle important dans la responsabilité en cas d’accident du travail. Selon l’article L. 412-6 du Code de la sécurité sociale, la société utilisatrice doit garantir la société de travail temporaire de l’ensemble des conséquences financières découlant de l’action en faute inexcusable. Dans cette affaire, la société de travail temporaire a soutenu qu’elle avait respecté ses obligations en matière de formation et de sécurité. Cependant, il a été établi que l’entreprise utilisatrice n’avait pas respecté son obligation de fournir une formation renforcée à la sécurité, ce qui a conduit à la reconnaissance de la faute inexcusable. Ainsi, la société de travail temporaire peut être exonérée de sa responsabilité si elle prouve qu’elle a respecté ses obligations et qu’il n’y a pas eu de faute concomitante de sa part. |
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 28 FEVRIER 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/00603
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D’EVREUX du 06 Août 2021
APPELANTE :
S.A.S. [7]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Pierre-alexandre BRANDEIS, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
Madame [B] [E]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Jean-christophe GARIDOU de la SCP MGH AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de l’EURE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’EURE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUEN
S.A.R.L. [9]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Me Céline VERDIER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Cassandre BROGNIART, avocat au barreau de l’EURE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 07 Janvier 2025 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 07 janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 février 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 28 Février 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par jugement du 6 août 2021, le tribunal judiciaire d’Evreux a :
– dit que l’accident du travail dont Mme [E] avait été victime le 21 mai 2019 (fracture ouverte de l’index gauche après que son gant s’est pris dans le foret d’une perceuse à colonne) trouvait sa cause dans une faute inexcusable de la société [7], substituée dans la direction à la société [9],
– dit que les sommes versées à Mme [E] par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Eure (la caisse) à titre d’indemnisation à la suite de la reconnaissance de cette faute inexcusable seraient récupérées auprès de la société [9],
– dit que la société [7] devrait garantir la société [9] de l’ensemble des conséquences financières découlant de l’action en faute inexcusable,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– réservé la demande d’indemnisation formée par Mme [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens nés depuis le 1er janvier 2019,
– avant dire droit sur la liquidation des préjudices, ordonné une expertise judiciaire confiée au docteur [T].
La société [7] a relevé appel du jugement les 20 et 24 août 2021.
L’expert a envoyé son rapport aux parties le 25 novembre 2021.
Par arrêt du 27 octobre 2023, auquel il convient de se référer pour l’exposé détaillé des faits et de la procédure, la cour a :
– ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 21/03396 et 22/02854, sous le seul numéro 21/03396,
– ordonné la réouverture des débats à l’audience du 17 janvier 2024 afin d’inviter les parties à faire toutes observations qu’elles jugeront utiles sur la décision du tribunal correctionnel d’Evreux du 25 septembre 2023 et ses incidences sur la procédure.
À cette audience, l’affaire a été renvoyée au 29 mai 2024. Par décision du 7 juin 2024, la cour a radié l’affaire qui n’était pas en état d’être jugée. Par courrier du 10 septembre 2024, la société [7] a sollicité la réinscription de l’affaire qui a été évoquée à l’audience du 7 janvier 2025.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 20 décembre 2024, soutenues oralement, la société [7] (la société utilisatrice) demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
dit Mme [E] comme étant dépourvue du droit d’agir à son encontre,
débouté Mme [E] de sa demande de provision,
– infirmer le jugement en ce qu’il :
a dit que l’accident du travail dont Mme [E] a été victime avait trouvé sa cause dans une faute inexcusable de sa part,
a dit que les sommes versées à Mme [E] par la caisse à titre d’indemnisation seraient récupérées auprès de la société [9],
a dit qu’elle devrait garantir la société [9] de l’ensemble des conséquences financières découlant de l’action en faute inexcusable,
l’a déboutée de sa demande formée à titre subsidiaire tendant à ce que soit ordonné un partage de responsabilité entre la société [9] et elle-même,
l’a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires,
– écarter des débats l’ensemble des éléments produits par Mme [E] postérieurement au 6 septembre 2023, non afférents à la décision du tribunal correctionnel d’Évreux du 25 septembre 2023 et ses incidences sur la procédure,
– débouter Mme [E] et la société [9] de l’ensemble de leurs demandes formées à son encontre,
– à titre subsidiaire, si la cour devait constater l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, débouter Mme [E] et la sociéte [9] de l’ensemble de leurs demandes formées à son encontre, et à tout le moins ordonner le partage de responsabilité entre la société [9] et elle-même,
– en tout état de cause, condamner Mme [E], ou toute autre partie succombant, au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 13 décembre 2024, soutenues et modifiées oralement, Mme [E] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que son accident du travail avait trouvé sa cause dans une faute inexcusable de la société [7], substituée dans la direction à la société employeur,
– infirmer le jugement en ce qu’il a considéré qu’elle était guérie,
– dire que son état de santé est consolidé au 31 octobre 2020,
– fixer ses préjudices aux sommes suivantes :
‘ 120 euros au titre des frais divers,
‘ 30 000 euros au titre de l’incidence professionnelle,
‘ 1 775, 50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
6 000 euros au titre des souffrances endurées,
4 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
10 800 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
2 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,
5 000 euros au titre du préjudice d’agrément,
– dire que la caisse fera l’avance de ces sommes,
– à titre subsidiaire, lui allouer une provision pouvant aller jusqu’à 100 % des sommes dont il est demandé la liquidation,
– condamner in solidum les sociétés [7] et [9] aux dépens qui seront recouvrés par Me Garridou conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter ces sociétés de toutes leurs demandes.
Par conclusions remises le 7 janvier 2025, soutenues oralement, la société [9] (la société de travail temporaire) demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il :
a dit que l’accident du travail dont Mme [E] a été victime avait trouvé sa cause dans une faute inexcusable de l’employeur,
a dit que les sommes versées à Mme [E] par la caisse à titre d’indemnisation à la suite de la reconnaissance de cette faute seraient récupérées auprès d’elle,
a, avant dire droit, ordonné une mesure d’expertise,
l’a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires,
– juger qu’aucune faute inexcusable n’est imputable à l’employeur et débouter Mme [E] de toutes ses demandes,
à titre subsidiaire :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
dit que la société [7] devrait la garantir, en application de l’article L. 412-6 du code de la sécurité sociale, de l’ensemble des conséquences financières découlant de l’action en faute inexcusable,
débouté Mme [E] de sa demande de provision,
débouté la société [7] et Mme [E] de leurs demandes plus amples ou contraires,
– débouter Mme [E] de sa demande tendant à ce que la cour d’appel use de sa faculté d’évocation pour ordonner une mesure d’expertise complémentaire et, plus subsidiairement, pour se prononcer sur la liquidation des préjudices,
– renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire pour qu’il soit statué sur les points non jugés,
à titre très subsidiaire :
– débouter Mme [E] de sa demande d’expertise complémentaire et de ses demandes d’indemnisation du préjudice d’agrément, de l’incidence professionnelle et du déficit fonctionnel permanent,
– fixer l’indemnisation aux sommes suivantes :
4 000 euros au titre des souffrances endurées,
500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
750 euros au titre du préjudice esthétique permanent,
1 750,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
en tout état de cause :
– écarter des débats l’ensemble des éléments produits par Mme [E] postérieurement au 6 septembre 2023 non afférent à la décision du tribunal correctionnel d’Évreux du 25 septembre 2023 et ses incidences sur la procédure,
– débouter Mme [E] et la société [7] du surplus de leurs demandes à son encontre,
– condamner Mme [E] ou, subsidiairement, toute partie succombant, aux dépens et à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 3 janvier 2025, soutenues oralement, la caisse demande à la cour de :
– lui donner acte de ce qu’elle s’en remet à justice sur la demande de faute inexcusable,
– en cas de reconnaissance d’une telle faute, condamner l’employeur à lui rembourser toutes les sommes dont elle aura à faire l’avance.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens.
Il convient de constater que Mme [E] ne conteste pas le jugement, qui a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, en ce qu’il a jugé qu’elle était dépourvue de droit à agir contre la société [7] et était dépourvue de qualité à agir pour le compte de la société [9] afin d’exercer un recours en garantie contre la société utilisatrice.
1/ Sur la demande tendant à écarter les nouvelles pièces produites par Mme [E] après la réouverture des débats
La société de travail temporaire fait observer à juste titre que l’arrêt de la cour du 27 octobre 2023 limite clairement la réouverture des débats aux observations concernant la décision du tribunal correctionnel du 25 septembre 2023.
Ainsi, il convient d’écarter les pièces suivantes, communiquées après la réouverture des débats :
– n°18 : jugement du tribunal judiciaire du 13 avril 2023 saisi de la contestation de la fixation d’une date de guérison,
– n°19 : rapport d’expertise du docteur [T] effectué en exécution de ce jugement,
– n°20 : certificat d’aptitude professionnelle de la salariée,
– n°21bis : jugement du tribunal judiciaire d’Évreux du 7 novembre 2024 fixant la date de consolidation de l’état de santé de l’assurée au 31 octobre 2020.
La pièce n°21 n’est en revanche pas écartée puisqu’il s’agit de la décision du tribunal correctionnel du 25 septembre 2023.
En outre, la cour n’a pas à statuer sur les demandes nouvelles formées après la réouverture des débats qui ne permettait aux parties que de formuler leurs observations sur le jugement du tribunal correctionnel d’Evreux du 25 septembre 2023 et ses incidences sur la procédure.
2/ Sur la faute inexcusable
L’entreprise utilisatrice expose que Mme [E] est arrivée en son sein dès le 18 février 2019, a été formée spécifiquement à son poste de travail et a reçu des équipements de protection individuelle ainsi qu’une formation sur les consignes de sécurité, en particulier concernant son poste ; que sa nouvelle mission confiée à compter du 21 mai 2019 était identique à la précédente qui s’est achevée le 3 mai, notamment s’agissant des machines-outils utilisées ; que la nécessité de fermer le carter de protection de la perceuse à colonne était affichée à proximité de la machine ; que la salariée s’est pourtant abstenue de fermer le carter.
Elle en conclut qu’elle avait pris l’ensemble des mesures pour préserver la salariée du danger et conteste les allégations suivant lesquelles un salarié aurait averti la direction, à plusieurs reprises, que le carter de protection ne fonctionnait plus et suivant lesquelles les cadences imposées étaient insoutenables. Elle considère que la salariée a commis une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité, en s’abstenant de fermer le carter, l’exposant sans raison valable à un danger dont elle aurait dû avoir conscience.
Par ailleurs, la société fait valoir qu’elle a été relaxée pour les faits de mise à disposition de travailleur d’équipement de travail sans information ou formation et, partiellement, pour les faits de mise à disposition de travailleur d’équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité en ce qui concerne l’absence d’étau ou dispositif permettant de maintenir efficacement les pièces en cours d’arasage. Elle ajoute avoir été déclarée coupable du surplus des faits reprochés mais estime que la décision correctionnelle n’est pas de nature à démontrer l’existence d’une faute inexcusable de sa part, soutenant que le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne saurait s’appliquer compte tenu de la différence de périmètre entre les infractions reprochées et la faute inexcusable alléguée, mettant en avant qu’elle n’a pas été informée au préalable de l’existence d’un risque spécifique.
Mme [E] soutient qu’elle n’avait jamais été affectée au poste qui lui a été confié le 21 mai 2019 et ne s’était donc jamais servie de la perceuse sur colonne, sur laquelle elle n’a pas été formée à la sécurité ; qu’elle s’est blessée une demi-heure après sa prise de poste ; que le tribunal correctionnel, par jugement définitif, a considéré que la machine n’était plus en état de conformité avec les règles techniques et qu’elle n’avait bénéficié d’aucune formation aux consignes relatives aux risques encourus en matière de santé et de sécurité, notamment l’utilisation en sécurité de cette machine. Elle demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que la faute inexcusable était présumée puisqu’elle était affectée un poste à risques et qu’elle n’a reçu ni formation renforcée à la sécurité ni l’accueil et l’information adaptés visés à l’article L. 4154-2 du code du travail de la part de l’entreprise temporaire comme de l’entreprise utilisatrice. Elle ajoute que la condamnation au pénal de l’employeur suffit à caractériser l’existence d’une faute inexcusable.
S’agissant de la preuve d’une faute inexcusable, en l’absence de présomption, elle indique contester avoir refusé de recevoir une formation concernant la machine litigieuse ainsi que l’existence d’une fiche sécurité affichée à proximité de la machine. Elle précise par ailleurs que le carter de protection était posé à même le sol, ce que savait la société puisqu’un accident similaire s’était produit à peine trois semaines auparavant ; qu’il n’existait pas de dispositif de fixation permettant d’éviter que la main de l’opérateur ne soit happée ; qu’elle a respecté la consigne de porter des gants de protection alors que la fiche sécurité de la machine préconisait de ne pas en porter. Elle considère que l’employeur avait connaissance du risque encouru et n’a pas pris les mesures pour l’en préserver, en ajoutant le fait que la société de travail temporaire a assuré une réunion d’information et de formation à la sécurité le 6 juin 2019 alors qu’elle aurait dû l’assurer avant son affectation au sein de l’entreprise utilisatrice.
La société [9] reconnaît que le poste confié à la salariée figurait sur une liste de postes à risques mais s’oppose à l’application de la présomption de faute inexcusable au motif que Mme [E] a reçu de sa part, dès le 18 février 2019, le module accueil sécurité ainsi qu’une sensibilisation à la sécurité, puis au sein de la société utilisatrice une formation. Elle soutient que c’est à la date du premier contrat de mission qu’il faut se placer pour apprécier le respect de l’obligation de formation renforcée puisque la salariée a été affectée au même poste et dans les mêmes conditions en mai 2019.
S’agissant de la preuve d’une faute inexcusable, elle soutient qu’il n’est pas démontré que l’entreprise utilisatrice avait ou devait avoir conscience du danger, ni qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires, faisant observer qu’au début de la procédure, la salariée n’a pas fait mention d’un dysfonctionnement du carter de sécurité. Elle fait remarquer que le courrier de l’inspecteur du travail communiqué par la salariée repose sur des constats effectués deux ans après l’accident et estime que le jugement du tribunal correctionnel ne permet pas de retenir une faute inexcusable.
Sur ce :
En application des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail, l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur est présumée établie pour les salariés mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire victime d’un accident du travail, alors qu’affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n’ont pas bénéficié d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés dans l’entreprise dans laquelle ils sont employés.
Ainsi que l’a justement relevé le tribunal judiciaire, le contrat de travail de mise à disposition du 21 au 24 mai 2019 concerne un poste de travail figurant sur la liste des postes à risques.
Il ressort du jugement du tribunal correctionnel du 25 septembre 2023, qui est définitif, que la société [7] était prévenue d’avoir commis les infractions suivantes :
– mise à disposition de travailleur d’équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité. En l’espèce, la perceuse à colonne n’était plus en état de conformité avec les règles techniques qui lui étaient applicables lors de sa mise en service et n’était munie d’aucun étau ou dispositif permettant de maintenir efficacement les pièces en cours d’arasage,
– mise à disposition de travailleur d’équipement de travail sans information ou formation. En l’espèce, Mme [E] n’a disposé d’aucune formation à la sécurité et consigne de sécurité à l’utilisation de la perceuse à colonne,
– emploi de travailleur intérimaire sans organisation et dispense d’une information et formation pratique et appropriée en matière de santé et sécurité. En l’espèce, Mme [E] était intérimaire et n’a bénéficié d’aucune formation ou consigne relative aux risques encourus en matière de santé et de sécurité, notamment à l’utilisation en sécurité de la machine.
La société a été relaxée pour les faits de mise à disposition de travailleur d’équipement de travail sans information ou formation ainsi que mise à disposition de travailleur d’équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité, en ce qui concerne l’absence d’étau ou dispositif permettant de maintenir efficacement les pièces en cours d’arasage. Elle a été déclarée coupable pour le surplus des faits reprochés, à savoir pour mise à disposition d’une perceuse à colonne qui n’était plus en état de conformité avec les règles techniques applicables lors de sa mise en service et pour n’avoir pas fait bénéficier à une salariée intérimaire une formation ou consigne relative aux risques encourus en matière de santé et de sécurité, notamment l’utilisation de la machine, la prévention visant notamment les articles L. 4142-2 et L. 4154-2 relatifs à la formation renforcée à la sécurité des salariés intérimaires.
Il ressort de ces éléments que Mme [E] n’a pas bénéficié de la formation renforcée à la sécurité et que c’est à juste titre que le tribunal a retenu que la présomption de faute inexcusable n’était pas renversée par l’employeur.
3/ Sur les conséquences de la faute inexcusable
Mme [E] fait valoir que la cour ne peut faire sienne la motivation du jugement qui a considéré que son état de santé avait été déclaré guéri et qu’il en résultait une absence d’incapacité permanente, alors que la caisse ne lui avait pas notifié de décision de consolidation ou de guérison. Elle fait observer qu’après contestation de la décision qui lui a été finalement notifiée, le tribunal judiciaire a fait droit à sa demande de fixation de la consolidation de son état de santé à la date du 31 octobre 2020, par décision du 7 novembre 2024.
La société employeur s’oppose à une liquidation des préjudices par la cour, en se référant à l’article 568 du code de procédure civile.
La société utilisatrice fait valoir que le tribunal judiciaire d’Évreux est toujours saisi des demandes de liquidation des préjudices et que l’affaire a été retirée du rôle.
Les sociétés s’opposent toutes deux à une évocation par la cour, refusant de renoncer au bénéfice du double degré de juridiction.
Sur ce :
L’article 568 du code de procédure civile limite la faculté d’évocation, lorsque le jugement frappé d’appel a ordonné une mesure d’instruction, à la seule hypothèse de l’infirmation ou annulation de ce jugement.
Il en résulte que la cour qui confirme le jugement reconnaissant la faute inexcusable de l’employeur ne peut, s’agissant de la liquidation des préjudices, faire usage de son pouvoir d’évocation.
En conséquence, les parties seront renvoyées devant les premiers juges qui restent saisis des demandes d’indemnisation des préjudices et qui tiendront compte, le cas échéant, de la fixation de la date de consolidation de l’état de santé de la salariée par le jugement du 7 novembre 2024.
Il convient de relever que Mme [E] a demandé à la cour, dans ses conclusions soutenues avant la réouverture des débats (remises le 12 avril 2023), de confier au docteur [T] une mission complémentaire d’expertise portant sur le déficit fonctionnel. Dès lors, il convient de statuer sur cette demande.
L’état de santé de l’assurée ayant été considéré comme consolidé et non guéri, par décision définitive du tribunal judiciaire, il y a lieu de confier au docteur [T] la mission de déterminer s’il existe un déficit fonctionnel permanent.
La cour est en mesure, au regard notamment de l’expertise du docteur [T], de novembre 2021, de fixer la provision revenant à Mme [E] et qui sera avancée par la caisse à la somme de 6 000 euros.
4/ Sur la garantie de la société de travail temporaire par la société utilisatrice
La société [9] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné la société [7] à la garantir de l’ensemble des conséquences financières découlant de l’action en faute inexcusable, dès lors qu’elle a satisfait à toutes ses obligations, notamment en identifiant les caractéristiques du poste, les risques professionnels, le poste comme étant à risques, les équipements de protection et en communiquant à la salariée les consignes particulières liées au poste.
La société utilisatrice fait valoir que la société de travail temporaire n’a pas émis d’objection s’agissant des fonctions qui ont été confiées à la salariée, ni aucune réserve quant au processus de formation qu’elle a mis en place ; qu’en tout état de cause, elle a pris l’ensemble des mesures nécessaires pour préserver Mme [E] du danger, de sorte que la société [9] ne peut dégager sa responsabilité et solliciter sa garantie.
Sur ce :
L’obligation de délivrer une formation renforcée à la sécurité, un accueil et une formation adaptée incombe à l’entreprise utilisatrice.
Ainsi qu’il a été jugé précédemment, l’entreprise utilisatrice n’a pas respecté son obligation et en l’absence de faute concomitante de la société de travail temporaire, il convient de confirmer le jugement.
5/ Sur les frais du procès
La société [7], substituée dans la direction à la société employeur, qui a commis une faute inexcusable est condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il est équitable qu’elle indemnise Mme [E] et la société [9] de tout ou partie des frais exposés et non compris dans les dépens, en payant à la première une somme de 2 500 euros et à la seconde une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande formée au titre de l’article 699 du code de procédure civile, qui n’avait pas été présentée dans les conclusions de Mme [E] avant la réouverture des débats.
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort :
Écarte des débats les pièces numéro 18, 19, 20 et 21 bis ;
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d’Évreux du 6 août 2021 sauf en ce qu’il a débouté Mme [B] [E] de sa demande de provision ;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant :
Fixe la provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices de Mme [E] à la somme de 6 000 euros ;
Dit que cette somme sera avancée par la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Eure qui pourra en demander remboursement à la société [9] ;
Désigne le docteur [P] [T] en qualité d’expert avec mission complémentaire, après avoir convoqué préalablement les parties et leurs conseils, de prendre connaissance de tous documents utiles, et d’évaluer le préjudice allégué par Mme [E] au titre du déficit fonctionnel permanent dans ses dimensions de souffrances physiques et psychologiques, d’atteinte aux fonctions physiologiques de la victime et de troubles dans les conditions d’existence, en chiffrant, par référence au « Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun » le taux éventuel du déficit imputable à l’accident du travail ;
Enjoint à Mme [E] de faire parvenir à l’expert ci-avant désigné, au moins 15 jours avant la date fixée pour les opérations d’expertise, toutes les pièces médicales utiles concernant ce poste de préjudice, faute de quoi le rapport ne sera établi par l’expert que sur les seuls éléments dont il disposera ;
Dit que l’expert adressera aux parties un pré-rapport complémentaire ;
Dit que l’expert devra adresser son rapport complémentaire au tribunal judiciaire d’Evreux, pôle social, trois mois après avoir reçu l’avis du versement de la consignation ;
Fixe à 600 euros la provision à valoir sur ses honoraires qui devra être versée par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Eure à la régie d’avances et de recettes du tribunal judiciaire d’Evreux dans le mois de la notification du présent arrêt ;
Rappelle que l’instance devant le tribunal judiciaire d’Evreux, qui a ordonné une expertise aux fins de liquidation des préjudices, se poursuivra devant celui-ci ;
Condamne la société [7] aux dépens d’appel ;
Condamne la société [7] à payer à Mme [E] la somme de 2 500 euros et à la société [9] celle de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
La déboute de sa propre demande au titre des mêmes dispositions.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
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