Responsabilité de l’avocat et preuve du mandat dans le cadre d’une représentation en justice

·

·

Responsabilité de l’avocat et preuve du mandat dans le cadre d’une représentation en justice

L’Essentiel : Lors de l’audience du 18 décembre 2024, les magistrats ont examiné la contestation de M. [T] contre son ancien avocat, Me [F]. M. [T] réclamait des indemnités pour perte de chance suite à son licenciement, arguant d’un mandat non respecté. Cependant, le tribunal a souligné l’absence de preuve de ce mandat. En conséquence, M. [T] a été débouté de ses demandes et condamné à verser 3.000 euros à Me [F] pour ses frais. La décision a été mise en délibéré, avec une exécution provisoire ordonnée, marquant ainsi la fin d’un litige complexe.

DÉBATS

A l’audience du 18 décembre 2024, tenue en audience publique, les magistrats rapporteurs, Madame Cécile VITON et Monsieur Benoit CHAMOUARD, ont entendu les conseils des parties. Madame Valérie MESSAS a présenté un rapport sur l’affaire.

JUGEMENT

M. [W] [T] a été salarié de la société [6] du 29 mai 1972 au 31 mai 2014. La société a fermé son site d'[Localité 5] nord fin 2013, entraînant le licenciement pour motif économique de M. [T] par courrier recommandé du 3 février 2014. Plusieurs salariés, dont M. [T], ont confié la défense de leurs intérêts à Me [L] [F] pour contester la légalité de leur licenciement. En mars 2014, M. [T] a envoyé un chèque de 360 euros à Me [F], qui a été encaissé.

CONTESTATION DE M. [T]

Constatant qu’il n’était pas inclus dans la liste des demandeurs d’un jugement du 16 mai 2019, M. [T] a demandé des explications à Me [F] et a sollicité une déclaration de sinistre. Le 15 mars 2023, il a assigné Me [F] en responsabilité. M. [T] réclame 15.323,46 euros pour perte de chance, ainsi que 3.000 euros au titre des frais de justice.

RÉPONSE DE Me [F]

Me [F] a demandé le déboutement de M. [T] et a réclamé 3.000 euros pour ses frais. Il a soutenu que le mandat d’avocat n’était pas prouvé et que le préjudice allégué était hypothétique. Il a également souligné l’absence de preuve d’un échange formel entre lui et M. [T].

EXAMEN DE L’AFFAIRE

L’affaire a été examinée à l’audience publique du 18 décembre 2024 et mise en délibéré pour le 22 janvier 2025. Le tribunal a rappelé que la responsabilité de l’avocat peut être engagée en cas de faute dans l’exécution du mandat. M. [T] devait prouver l’existence d’un mandat, ce qu’il n’a pas réussi à faire.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Le tribunal a constaté que M. [T] n’avait pas fourni de preuve suffisante pour établir l’existence d’un mandat. Par conséquent, il a été débouté de toutes ses demandes. M. [T] a été condamné aux dépens et à verser 3.000 euros à Me [F] pour ses frais. L’exécution provisoire du jugement a été ordonnée.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’avocat en cas de manquement à son mandat ?

L’avocat engage sa responsabilité civile à l’égard de son client sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil, qui stipule que :

« Le débiteur est tenu de réparer le préjudice causé par son inexécution, sauf s’il prouve que celle-ci est due à une cause étrangère qui ne peut lui être imputée. »

En application des articles 411 et suivants du Code de procédure civile, l’avocat a l’obligation d’exécuter le mandat de représentation en justice qui lui est confié. Cela inclut non seulement l’accomplissement des actes de la procédure, mais également l’obligation d’assistance, qui implique un pouvoir et un devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense.

Dans le cas présent, M. [T] soutient que Me [F] a commis un manquement en n’assurant pas sa représentation en justice. Cependant, il incombe à M. [T] de prouver l’existence d’un mandat, ce qui n’a pas été fait.

En effet, l’article 1985 du Code civil précise que :

« Le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement, mais la preuve testimoniale n’en est reçue que conformément au titre « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général ». »

Ainsi, la preuve du mandat doit répondre aux exigences des articles 1353 et suivants du Code civil, qui établissent que :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit prouver les faits qui lui donnent droit à cette exécution. »

Dans cette affaire, M. [T] n’a pas fourni de preuve suffisante pour établir l’existence d’un mandat, ce qui conduit à la conclusion que Me [F] ne peut être tenu responsable.

Quelles sont les conséquences de l’absence de preuve du mandat ?

L’absence de preuve du mandat a des conséquences directes sur la recevabilité de la demande de M. [T]. En effet, comme le stipule l’article 1353 du Code civil :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit prouver les faits qui lui donnent droit à cette exécution. »

Dans le cas présent, M. [T] n’a pas été en mesure de fournir des éléments probants, tels qu’une convention d’honoraires ou des échanges écrits avec Me [F], qui auraient pu établir l’existence d’un mandat de représentation.

De plus, il est noté que le chèque de 360 euros a été envoyé sans courrier d’accompagnement et qu’aucun contact n’a eu lieu entre M. [T] et Me [F] pour discuter de la représentation en justice. Cela renforce l’idée que le mandat n’a pas été établi.

En conséquence, le tribunal a débouté M. [T] de toutes ses demandes, car il n’a pas réussi à prouver qu’il avait confié un mandat à Me [F]. Cela illustre l’importance de la preuve dans les relations contractuelles, notamment dans le cadre d’un mandat d’avocat.

Quelles sont les implications des articles 700 et 696 du Code de procédure civile dans ce jugement ?

Les articles 700 et 696 du Code de procédure civile ont des implications significatives dans le jugement rendu. L’article 700 dispose que :

« La partie qui succombe est condamnée aux dépens et peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Dans cette affaire, M. [T], en tant que partie perdante, a été condamné à payer à Me [F] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700, ce qui reflète la reconnaissance des frais engagés par l’avocat dans le cadre de la défense de ses intérêts.

Par ailleurs, l’article 696 précise que :

« Les dépens comprennent les frais de justice, les frais d’expertise, les frais de déplacement et les autres frais exposés par les parties. »

Ainsi, M. [T] est également condamné aux dépens, ce qui signifie qu’il devra couvrir les frais de la procédure, renforçant l’idée que la responsabilité des frais de justice incombe à la partie qui perd le litige.

En résumé, les articles 700 et 696 du Code de procédure civile soulignent les conséquences financières pour M. [T] en raison de son échec à prouver l’existence d’un mandat, entraînant des condamnations aux dépens et à des frais supplémentaires.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 23/03905 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZKQC

N° MINUTE :

Assignation du :
15 Mars 2023

JUGEMENT
rendu le 22 Janvier 2025
DEMANDEUR

Monsieur [W] [T]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Représenté par Me Olivia AMBAULT-SCHLEICHER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0222

DÉFENDEUR

Maître [L] [F]
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représenté par Me Marianne LAGRUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0565

Décision du 22 Janvier 2025
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 23/03905 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZKQC

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 18 décembre 2024, tenue en audience publique, devant Madame Cécile VITON et Monsieur Benoit CHAMOUARD, magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Madame Valérie MESSAS a fait un rapport de l’affaire.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

M. [W] [T] a été salarié de la société [6] du 29 mai 1972 au 31 mai 2014 sur le site d'[Localité 5].

La société a procédé à la fermeture de son site d'[Localité 5] nord fin 2013 et au licenciement pour motif économique des employés qui y étaient rattachés, dont M. [T] par courrier recommandé du 3 février 2014.

De nombreux salariés ont alors confié la défense de leurs intérêts à Me [L] [F], avocat au barreau de Paris, pour contester la légalité de leur licenciement.

M. [T] a adressé, courant mars 2014, à Me [F] un chèque de 360 euros, encaissé par ce dernier.

Constatant que son nom n’apparaissait pas dans la liste des plus de 700 demandeurs du jugement en départage du 16 mai 2019 rendu par le conseil de prud’hommes d’Amiens dans ce litige, M. [T] a, par l’intermédiaire de son conseil, sollicité des explications auprès de Me [F] et l’a invité à procéder à une déclaration de sinistre par courriers des 3 janvier et 5 juillet 2022.

***

C’est dans ce contexte que, par acte du 15 mars 2023, M. [T] a assigné Me [F] devant ce tribunal en responsabilité.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2023.

***

Par conclusions notifiées le 28 septembre 2023, M. [T] demande au tribunal de condamner Me [F] à lui payer la somme de 15.323,46 euros à titre d’indemnisation de son préjudice de perte de chance, majorée des intérêts au taux légal à compter de la présente assignation, outre 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Il expose, qu’en reconnaissant avoir encaissé son chèque de 360 euros, Me [F] a accepté de facto le mandat qu’il voulait lui confier, que l’erreur d’imputation dans la comptabilité de l’avocat est sans incidence sur la responsabilité de ce dernier à son égard et, qu’en n’assurant pas sa représentation en justice, il a commis un manquement.
Il soutient que son préjudice résulte de la perte de chance d’obtenir une indemnisation au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse et que, pour le prouver, il verse aux débats deux décisions du conseil de prud’hommes d’Amiens du 28 mai 2020 aux termes desquels la société [6] a été condamnée à verser à deux de ses anciens collègues, défendus par Me [F], une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Par conclusions notifiées le 19 juillet 2023, Me [F] demande au tribunal de débouter M. [T] de toutes ses demandes et de le condamner à la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Il expose que le mandat de l’avocat obéit aux règles de droit commun qui exige la rencontre d’une offre et d’une acceptation, que la copie du chèque encaissé par le service de la comptabilité au dossier de M. [B] [T], salarié licencié du même groupe, ne suffit pas à démontrer l’existence du contrat, que le demandeur ne rapporte la preuve d’aucun échange au cours de la procédure, qu’ainsi, le mandat de l’avocat n’est pas établi et qu’aucun manquement ne saurait lui être reproché.
Il soutient, par ailleurs, que le préjudice évoqué est purement hypothétique et que le résultat n’a d’ailleurs pas été le même pour tous les salariés défendus.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions dans les conditions de l’article 455 du code de procédure civile.

***

L’affaire a été examinée à l’audience publique collégiale du 18 décembre 2024 et mise en délibéré au 22 janvier 2025.

SUR CE,

Sur la responsabilité de l’avocat

Engage sa responsabilité civile à l’égard de son client sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, l’avocat qui commet une faute dans l’exécution du mandat de représentation en justice qui lui est confié en application des articles 411 et suivants du code de procédure civile, tant à raison de l’accomplissement des actes de la procédure, qu’au titre de l’obligation d’assistance, qui emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense.

Aux termes de l’article 1985 du code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement, mais la preuve testimoniale n’en est reçue que conformément au titre  » Des contrats ou des obligations conventionnelles en général « . L’acceptation du mandat peut n’être que tacite et résulter de l’exécution qui lui a été donnée par le mandataire.

La preuve du mandat est soumise aux règles générales de la preuve et des conventions et doit répondre aux exigences des articles 1353 et suivants du code civil.

En l’espèce, il incombe ainsi à M. [T] de rapporter la preuve du mandat qu’il prétend avoir confié à Me [F].

Force est de constater qu’il ne verse aux débats ni convention d’honoraire le liant au défendeur ni aucun écrit qui émane de celui-ci qui pourrait rendre vraisemblable le fait allégué.

Il n’est pas contesté, en outre, que le chèque de 360 euros a été envoyé sans courrier d’accompagnement, que son envoi n’a été précédé ou suivi d’aucun contact téléphonique, prise de rendez-vous ou échange quelconque entre Me [F] et M. [T] et que ce dernier n’a jamais pris la moindre attache avec le cabinet de l’avocat censé le représenter en justice.

Le défendeur verse, quant à lui, aux débats, les éléments sollicités à chacun de ses clients dans le cadre du litige à l’encontre de la société [6], à savoir une fiche de renseignements personnels à retourner complétée, les pièces afférentes au dossier, soit le contrat de travail, les fiches de paie et la lettre de licenciement ainsi que le retour de la convention d’honoraires signée. Ces éléments ne sont pas contestés par M. [T] et force est de constater, à nouveau, que celui-ci ne fait état d’aucun échange de ce type.

Partant, si Me [F] a encaissé à tort ce chèque au crédit d’un autre client porteur du même patronyme, cette erreur ne saurait établir, à elle-seule et au regard des éléments d’espèce, l’existence d’un mandat de représentation en justice au profit du demandeur.

En conséquence, M. [T], qui échoue à rapporter la preuve du mandat confié à Me [F], sera débouté de son action en responsabilité et de toutes ses demandes indemnitaires subséquentes.

Sur les mesures de fin de jugement

M. [T], partie perdante, est condamné aux dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

En équité, il convient de le condamner également à payer à Me [F] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire de ce jugement est de droit en application de l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

DÉBOUTE M. [W] [T] de toutes ses demandes ;

CONDAMNE M. [W] [T] à payer à Me [L] [F] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de l’entier jugement est de droit.

Fait et jugé à Paris le 22 Janvier 2025

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Cécile VITON


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon