RAPPEL DES FAITSM. [M] [R] a été licencié pour faute grave par la SAS Interlink Environnement, mais a contesté la légitimité de ce licenciement, entraînant une procédure devant le conseil de prud’hommes. PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIESM. [R] a saisi le conseil de prud’hommes, qui a requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à verser diverses indemnités. RÈGLE DE DROIT APPLICABLELe licenciement d’un salarié doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, conformément à l’article L.1232-1 du Code du travail. La faute grave, qui justifie un licenciement immédiat, doit être prouvée par l’employeur, selon l’article L.1234-1 du même code. En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’article L.1235-3 du Code du travail prévoit que le juge peut ordonner la réintégration du salarié ou, si cette dernière est refusée, accorder une indemnité dont le montant est déterminé en fonction de l’ancienneté du salarié, variant entre trois et trois mois et demi de salaire. OBLIGATION DE VISITE MÉDICALEL’employeur a l’obligation d’organiser une visite médicale d’embauche, comme stipulé par l’article R.4624-10 du Code du travail. Toutefois, pour obtenir des dommages-intérêts pour non-respect de cette obligation, le salarié doit prouver l’existence d’un préjudice, conformément à l’article 1240 du Code civil. OBLIGATION DE SÉCURITÉL’employeur est tenu de garantir la sécurité et la santé de ses salariés, selon l’article L.4121-1 du Code du travail. En cas de manquement à cette obligation, le salarié peut demander des dommages-intérêts, mais doit prouver que le manquement a causé un préjudice. PRIME DE NON-ACCIDENTLa prime de non-accident est conditionnée par l’absence d’accidents imputables au salarié, comme précisé dans le contrat de travail. L’article 3 du contrat stipule que cette prime peut être supprimée en cas d’accident causé par la faute du salarié, mais l’employeur doit prouver cette faute pour justifier la suppression de la prime. DEMANDE RECONVENTIONNELLELa demande reconventionnelle de l’employeur pour heures non travaillées doit être fondée sur des preuves tangibles, conformément à l’article 1353 du Code civil, qui impose à celui qui réclame une obligation de prouver les faits qui lui sont favorables. DOCUMENTS DE FIN DE CONTRATL’employeur est tenu de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte, conformément à l’article R.1234-9 du Code du travail, dans un délai raisonnable après la rupture du contrat de travail. |
L’Essentiel : M. [M] [R] a été licencié pour faute grave par la SAS Interlink Environnement, mais a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes. Ce dernier a requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à verser diverses indemnités. L’employeur a l’obligation d’organiser une visite médicale d’embauche et de garantir la sécurité de ses salariés, sous peine de dommages-intérêts en cas de manquement.
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Résumé de l’affaire : Un salarié, engagé par la SAS Interlink Environnement en tant que chauffeur poids lourds, a été licencié pour faute grave en janvier 2020 après un entretien préalable. Contestant ce licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes, qui a requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à verser diverses indemnités, y compris pour non-respect de l’obligation de visite médicale d’embauche et d’autres manquements.
L’employeur a interjeté appel, soutenant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et a formulé des demandes reconventionnelles pour des salaires indûment perçus par le salarié. En parallèle, la société a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire. Le salarié a ensuite assigné le liquidateur et le mandataire judiciaire pour obtenir le paiement des sommes dues. Dans ses conclusions, le salarié a demandé la confirmation du jugement initial, tout en réclamant des indemnités supplémentaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des rappels de primes. Le tribunal a examiné les arguments des deux parties, notamment sur la légitimité des accusations de faute grave et les obligations de l’employeur en matière de sécurité et de santé au travail. Le tribunal a finalement infirmé certaines décisions du conseil de prud’hommes, notamment concernant les dommages-intérêts pour non-respect de la visite médicale, tout en confirmant d’autres indemnités. Il a ordonné à l’employeur, représenté par le liquidateur, de remettre au salarié les documents de fin de contrat dans un délai imparti. Les dépens ont été mis à la charge de la SAS Interlink Environnement, et la cour a débouté l’employeur de sa demande reconventionnelle. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique du licenciement pour faute grave ?Le licenciement pour faute grave repose sur l’article L.1234-1 du Code du travail, qui stipule que le licenciement d’un salarié doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La faute grave est définie comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail, rendant impossible son maintien dans l’entreprise même pendant la durée du préavis. En l’espèce, l’employeur doit prouver la faute grave. La lettre de licenciement doit circonscrire les limites du litige, et le juge peut requalifier la gravité de la faute en fonction des éléments présentés. Quel est l’impact de l’absence de visite médicale d’embauche sur le licenciement ?L’article R.4624-10 du Code du travail impose à l’employeur d’organiser une visite médicale d’embauche. Toutefois, la jurisprudence indique que l’absence de cette visite ne constitue pas en soi un préjudice pour le salarié, à moins qu’il ne puisse prouver un dommage direct résultant de cette omission. Dans cette affaire, le salarié n’a pas justifié d’un préjudice lié à l’absence de visite médicale, ce qui a conduit à son déboutement de la demande de dommages-intérêts à ce titre. Quel est le régime des heures de repos hebdomadaire et de l’obligation de sécurité ?L’article L.3121-16 du Code du travail stipule que tout salarié a droit à un repos hebdomadaire. De plus, l’article L.4121-1 impose à l’employeur de garantir la sécurité et la santé de ses salariés. Dans cette affaire, le salarié a soutenu ne pas avoir bénéficié de ses heures de repos hebdomadaires. Cependant, les preuves fournies, notamment les disques chronotachygraphes, n’ont pas permis d’établir un manquement de l’employeur à cette obligation. Quel est le cadre juridique de la prime de non-accident ?L’article 3 du contrat de travail stipule que la prime de non-accident est de 200 euros et peut être supprimée en cas d’accident ou de non-respect des consignes d’entretien du véhicule. L’employeur doit prouver que l’accident est survenu par la faute du salarié. Dans cette affaire, les documents fournis par l’employeur n’ont pas établi que l’accident était imputable au salarié, ce qui a conduit à la reconnaissance de la créance du salarié au titre de la prime de non-accident. Quel est le principe de l’obligation de loyauté dans le contrat de travail ?L’article L.1222-1 du Code du travail impose une obligation de loyauté au salarié envers son employeur. Cette obligation inclut le respect de la réputation de l’entreprise et l’interdiction de tenir des propos diffamatoires. Dans cette affaire, l’employeur n’a pas produit de preuve suffisante pour établir que le salarié avait tenu des propos diffamatoires, ce qui a conduit à son déboutement de la demande de dommages-intérêts. Quel est le régime des dépens en cas de liquidation judiciaire ?L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge d’accorder une indemnité à la partie qui a gagné le procès pour couvrir ses frais irrépétibles. En cas de liquidation judiciaire, les dépens sont inscrits au passif de la liquidation. Dans cette affaire, la cour a confirmé que les dépens seraient à la charge de la société en liquidation, sans nouvelle condamnation au titre de l’article 700 en cause d’appel. |
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 01 AVRIL 2025
(n° 2025/ , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/08713 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEQ6E
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Septembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’EVRY – RG n°
APPELANTE
S.A.S.U. INTERLINK ENVIRONNEMENT
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représentée par Me Noureddine NAANAI, avocat au barreau de SENLIS, toque : 160
INTIME
Monsieur [M] [R]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Laurent SERVILLAT, avocat au barreau D’ESSONNE
PARTIES INTERVENTANTES:
M. [E] [V], ès qualités de liquidateur de S.A.S.U. INTERLINK ENVIRONNEMENT
[Adresse 1]
[Localité 8]
Non représenté
SELARL MJC2A, prise en la personne de M. [U] [O], ès qualités de mandataire judiciaire de la S.A.S.U. INTERLINK ENVIRONNEMENT
[Adresse 7]
[Localité 8]
Non représentée
AGS CGEA IDF EST
[Adresse 2]
[Localité 10]
Non représentée
Association AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 3]
[Localité 10]
Représentée par Me Hélène NEGRO-DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0197
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Décembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, présidente
Madame Isabelle LECOQ-CARON, présidente
Madame Catherine VALANTIN, conseillère
Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE
ARRET :
– rendu par défaut
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Monsieur Jadot TAMBUE, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [M] [R], né en 1982, a été engagé par la SAS Interlink Environnement, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 mai 2017 en qualité de chauffeur poids lourds, coefficient 138M, niveau 6, échelon 2.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
Par lettre datée du 23 décembre 2019, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 2 janvier 2020.
Par courrier du 9 janvier 2020, M. [R] s’est vu notifier par la société Interlink Environnement son licenciement pour faute grave.
A la date du licenciement, M. [R] avait une ancienneté de deux ans et la société Interlink Environnement occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de visite médicale d’embauche, pour non-respect de son obligation de respect du repos hebdomadaire et non-respect de son obligation de sécurité, ainsi qu’un rappel de prime de non-accident, M. [R] a saisi le 10 mars 2020 le conseil de prud’hommes d’Evry-Courcouronnes qui, par jugement du 21 septembre 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
– requalifie le licenciement pour faute grave de M. [R] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamne la SAS Interlink Environnement, en la personne de son représentant légal, à payer à M. [R] les sommes suivantes :
– 4 740 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 474 euros au titre des congés payés afférents,
– 1 659 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 570 euros au titre du rappel de prime de non-accident,
avec intérêts sur ces sommes au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 24 mars 2020,
– 7.110 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 370 euros au titre des dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de visite médicale d’embauche,
– 1.500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
avec intérêts sur ces sommes au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,
– ordonne la remise d’un bulletin de paie récapitulatif et des documents de fin de contrat conformes à la présente décision sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard et par document dans la limite de 30 jours à compter du 15ème jour suivant la notification du présent jugement,
– dit que le conseil se réserve la liquidation de l’astreinte prononcée,
– déboute M. [R] du surplus de ses demandes,
– dit qu’une copie du présent jugement sera transmise à pôle emploi,
– met les entiers dépens à la charge de la partie défenderesse.
Par déclaration du 13 octobre 2021, la société Interlink Environnement a interjeté appel de cette décision, notifiée le 1er octobre 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 janvier 2022 la société Interlink Environnement demande à la cour de:
– infirmer la décision du conseil de prud’hommes d’Evry en date du 21 septembre 2021,
statuant à nouveau,
– constater que le licenciement de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes,
à titre reconventionnel,
– Condamner M. [R] à verser à la société Interlink Environnement la somme de 5 957,81 euros pour salaire indûment percu pour l’année 2018,
– Condamner M. [R] à verser à la société Interlink Environnement la somme de 5 539,08 euros pour salaire indûment percu pour l’année 2019 ;
– Condamner M. [R] à verser à la société Interlink Environnement la somme de 20 000 euros à tire de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de loyauté,
– condamner M. [R] à verser à la société Interlink Environnement la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [R] aux entiers dépens.
Par jugement du 9 décembre 2022, le tribunal de commerce d’Evry-Courcouronnes a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire de la société Interlink Environnement, converti en liquidation judiciaire le 11 janvier 2023.
Le 3 mars 2023, M. [R] a assigné en intervention forcée l’AGS qui a constitué avocat mais n’a pas conclu.
Le 16 mars 2023, M. [R] a assigné en intervention forcée M. [T] [V], ès qualités de liquidateur de la société Interlink Environnement à domicile ainsi que la SELARL Mjc2a, prise en la personne de M. [U] [O], ès qualités de mandataire judiciaire de la société Interlink Environnement. Ils n’ont pas constitué avocat.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er mars 2023 M. [R] demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu le 21 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes d’Evry Courcouronnes en ce qu’il a :
– requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamné de la SAS Interlink Environnement, prise en la personne de son représentant légal, au paiement des sommes suivantes :
– 4 740 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 474 euros au titre des congés payés afférents,
– 1 659 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 2 370 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de visite médicale d’embauche,
– 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS Interlink Environnement, prise en la personne de son représentant légal, à remettre au salarié les bulletins de paie rectifiés ainsi que des documents de fin de contrat conformes sous astreintes de 50,00 euros par jour et par document de retard à compter du prononcer de la décision à intervenir,
– débouté la SAS Interlink Environnement, prise en la personne de son représentant légal, de l’ensemble de ses demandes,
– dit et juger que les sommes porteront intérêt aux d’intérêt légal,
– mis les dépens à la charge de la SAS Interlink Environnement,
– infirmer le jugement sur le surplus,
statuant à nouveau :
– condamner la SAS Interlink Environnement, prise en la personne de son représentant légal, au paiement des sommes suivantes :
– 23 700 euros (10 mois de salaire) à titre de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1.544,53 à titre de rappel de la prime de non-accident, outre 136,04 euros au titre des congés payés afférents,
– 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de respect du repos hebdomadaire,
– 3.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– aux entiers dépens,
– dire que l’ensemble des sommes mises à la charge de la SAS Interlink Environnement porteront intérêt à taux légal à compter du 21 septembre 2021.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 novembre 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience du 13 décembre 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la visite médicale d’embauche
Il n’est pas discuté que l’employeur n’a pas organisé de visite médicale d’embauche. Pour autant, le salarié ne justifie pas d’un préjudice. Par infirmation de la décision critiquée, la cour le déboute de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur les heures de repos hebdomadaire et l’obligation de sécurité
Pour infirmation de la décision entreprise, M. [R] soutient qu’il n’a pas bénéficié des heures de repos hebdomadaires légales et qu’il avait informé son employeur à plusieurs reprises de l’état déplorable de son camion.
La société Interlink Environnement conteste les griefs invoqués par le salarié.
La cour constate que les disques chronotachygraphes et les relevés d’heures tels que produits par le salarié ne permettent pas de retenir qu’il n’a pas bénéficié des heures de repos hebdomadaires telles que prévues par la convention collective.
En outre, comme l’ont relevé les premiers juges, les photos du camion, prises à une date indéterminée, ne permettent pas de caractériser un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, ni que le droit de retrait que le salarié dit avoir exercé était justifié.
C’est donc à juste titre que M. [R] a été débouté de sa demande de dommages-intérêts. La décision sera confirmée de ce chef.
Sur la prime de non accident
L’article 3 du contrat de travail de M. [R] prévoit une prime de 200 euros qui sera supprimée en cas d’accident ou d’incident survenu sur le véhicule par la faute du salarié ou en cas de non respect des consignes quant à son entretien.
La société réplique que le salarié a eu deux accidents les 2 mars 2018 et 5 décembre 2019 et que le véhicule du salarié n’était pas entretenu ; qu’en outre, il n’a pas touché la prime à compter du moment où il était absent.
En l’espèce, l’employeur produit l’avertissement du 13 mars 2018 notifié au salarié ‘suite à l’accident survenu le 2 mars 2018″ ainsi qu’un document intitulé ‘Triplicata d’accident du 5 décembre 2019″. La cour constate que ces documents n’établissent pas que l’accident est survenu ‘par la faute du salarié’, ni que le véhicule n’était pas entretenu conformément aux consignes et au regard des fournitures censées être mises à la disposition du salarié.
En conséquence et au vu des bulletins de salaire et du tableau produit par le salarié, la cour, par infirmation de la décision entreprise, fixe la créance de M. [R] au passif de la liquidation de la société à la somme de 1 544,53 euros au titre de la prime dite de ‘non-accident’.
Sur la demande reconventionnelle de la société au titre des heures non travaillées
La société soutient que le nombre d’heures travaillées par le salarié est inférieur au nombre d’heures rémunérées en application du ‘lissage’ et qu’il est donc débiteur à son égard.
Le salarié réplique qu’aucun lissage n’était prévu et qu’en tout état de cause, il appartenait à la société ne lui fournir des tâches à exécuter.
En l’espèce, le contrat de travail prévoyait un horaire mensuel de 151,67 heures de travail. Il appartenait à l’employeur de fournir à son salarié du travail à hauteur de nombre d’heures travaillées prévues par le contrat de travail sans qu’il puisse lui opposer qu’il a travaillé moins de 151,67 heures, ce que au demeurant que l’employeur ne démontre pas.
Il convient donc de débouter la société Interlink Environnement de sa demande reconventionnelle.
Sur le licenciement
Pour infirmation de la décision entreprise, la société Interlink Environnement soutient en substance que la faute grave imputable à M. [R] est établie ; que le salarié a refusé d’exécuter la modification de ses plans de transport imposée par le prestataire LIDL malgré les rappels à l’ordre et les avertissements.
M. [R] réplique qu’il n’a reçu aucune consigne qu’il aurait refusée d’exécuter.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Il est constant que le juge a le pouvoir de requalifier la gravité de la faute reprochée au salarié en restituant aux faits leur exacte qualification juridique conformément à l’article’12 du code de procédure civile ; qu’en conséquence, si le juge ne peut ajouter d’autres faits à ceux invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement, lorsque celui-ci intervient pour motif disciplinaire, il doit rechercher si ces faits, à défaut de caractériser une faute grave, comme le prétend l’employeur, ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, la lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige est ainsi rédigée :
‘ Suite à l’entretien en date du 2 janvier 2020, nous sommes amenés à vous licencier pour faute grave pour les motifs suivants : dans le cadre de l’évolution de notre activité avec le client LIDL, les prestations que vous effectuez sur les tournées LIDL ont changé et vous avez refusé d’effectuer ces nouvelles prestations.’.
A l’appui de l’existence de la faute grave dont la charge de la preuve incombe à l’employeur, la société Interlink Environnement produit deux attestations : une selon laquelle M. [R] n’a pas voulu faire de changement d’horaire car il effectuait trop d’heure et n’a pas voulu accepter le nouveau plan de transport communiqué et la seconde selon laquelle ‘M. [R] refusait catégoriquement de faire deux tours le vendredi et ne voulait faire que les départs d'[Localité 12] malgré des demandes de tous en plus sur les sites Lidl de [Localité 13] et de [Localité 11]. A plusieurs reprises, suite à des migraines, il ne venait pas travailler le soir, il fallait trouver des conducteurs de dernières minutes pour rattraper sa tournée’. Comme le souligne le salarié, les faits invoqués dans cette seconde attestation ne sont pas visés par la lettre de licenciement.
Quant à la première attestation, elle n’établit nullement que le salarié a refusé le nouveau plan de transport ni même qu’un tel plan a été soumis au salarié. Peu important que M. [R] n’ait pas demandé d’explication à la suite de la notification de son licenciement ni adressé un courrier de contestation à son employeur.
Dès lors c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la faute grave n’était pas établie, que le licenciement de M. [R] était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il convient de confirmer les indemnités de rupture allouées par le conseil de prud’hommes, sauf à les fixer au passif de la liquidation de la société Interlink Environnement.
En application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2008-217 du 29 mars 2018, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant, eu égard à son ancienneté, est compris entre 3 mois et 3,5 mois de salaire.
Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à au salarié, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, c’est à juste titre que les premiers juges ont alloué au salarié la somme de 7 110 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf à fixer cette somme au passif de la liquidation de la société.
Sur les documents de fin de contrat
M. [T] [V], ès qualités de liquidateur de la société Interlink Environnement devra remettre à M. [R] un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi, un bulletin de salaire récapitulatif et un solde de tout compte conformes à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de sa signification sans qu’il y ait lieu à astreinte.
Sur la demande reconventionnelle de la société au titre de l’obligation de loyauté
Au visa de l’article L. 1222-1 du code du travail, la société sollicite la condamnation de M. [R] à des dommages-intérêts au motif qu’il a adopté un comportement portant atteinte à l’honneur et à la considération de la société et a tenu des propos diffamatoires par mail du 17 novembre 2020 adressé à un de ses clients.
M. [R] conteste les faits.
La cour constate que l’employeur ne produit pas l’email litigieux qui au demeurant n’est pas visé par le bordereau de communication de pièces. Le salarié indique que l’email litigieux adressé le 17 novembre 2020 est ainsi rédigé : ‘Je pourrai également vous faire part de certaines choses que vous risquerai de ne pas apprécier de la part de votre prestataire INTERLINK pendant la période où j’ai travaillé. Je vous fournirai ma pièce d’identité avec une attestation sur l’honneur le cas échéant’.
La cour constate que cet email, tel que le salarié admet l’avoir rédigé, ne peut être considéré comme portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la société, ni comme contenant des propos diffamatoires.
En conséquence, la cour déboute la société de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur les frais irrépétibles
Les dépens seront inscrits au passif de la liquidation de la société Interlink Environnement. La condamnation prononcée par les premiers juges au titre de en application de l’article 700 du code de procédure civile sera confirmée sauf à fixer la somme au passif de la liquidation de la société. Il n’y a pas lieu de prononcer une nouvelle condamnation à ce titre en cause d’appel.
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement en ce qu’il a alloué la somme de 2 370 euros de dommages-intérêts pour non respect de l’obligation de visite médicale d’embauche et la somme de 570 euros au titre de la prime de non accident ;
CONFIRME le jugement pour le surplus sauf à fixer les créances de M. [M] [R] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Interlink Environnement ainsi qu’il suit :
– 4 740 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 474 euros au titre des congés payés afférents,
– 1 659 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 7.110 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau sur le chef de jugement infirmé et y ajoutant ;
FIXE la créance de M.[M] [R] au passif de la liquidation de la SAS Interlink Environnement à la somme de 1 544,53 euros au titre de la prime dite de ‘non-accident’;
RAPPELLE que le jugement d’ouverture de la procédure emporte arrêt du cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations ;
DÉBOUTE M. [M] [R] de sa demande de dommages-intérêts au titre de l’absence de visite médicale d’embauche ;
DEBOUTE la SAS Interlink Environnement de sa demande reconventionnelle ;
ORDONNE à M. [T] [V], ès qualités de liquidateur de la SAS Interlink Environnement de remettre à M. [M] [R] un certificat de travail, une attestation France Travail, un bulletin de salaire récapitulatif et un solde de tout compte conformes à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de sa signification sans qu’il y ait lieu à astreinte ;
FIXE les dépens au passif de la SAS Interlink Environnement ;
DIT n’y avoir lieu à indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
DIT le présent arrêt opposable à l’AGS, dont la garantie sera due dans les limites légales et réglementaires en l’absence de fonds disponibles et en application des articles L.3253-8, L.3253-17, L.3253-20 et D.3253-5 du code du travail.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
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