Requalification de démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse

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Requalification de démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse

La démission d’un salarié est un acte unilatéral par lequel il manifeste de manière claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat de travail. Toutefois, lorsque le salarié conteste la validité de sa démission en raison de manquements de l’employeur, le juge doit examiner si ces manquements sont suffisamment graves pour requalifier la démission en prise d’acte de rupture, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Selon l’article L1232-1 du Code du travail, le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et l’article L1235-3 du même code précise que le salarié peut prétendre à une indemnité comprise entre trois et douze mois de salaire brut en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. En outre, l’article L3253-6 du Code du travail stipule que les créances salariales doivent être inscrites au passif de la liquidation judiciaire, et l’article L622-28 du Code de commerce arrête le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement à la date d’ouverture de la procédure collective.

L’Essentiel : La démission d’un salarié est un acte unilatéral mettant fin à son contrat de travail. Si le salarié conteste sa démission en raison de manquements de l’employeur, le juge doit déterminer si ces manquements justifient une requalification en prise d’acte de rupture. Cela pourrait entraîner des effets similaires à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, donnant droit à une indemnité. Les créances salariales doivent être inscrites au passif de la liquidation judiciaire, et les intérêts sont arrêtés à l’ouverture de la procédure collective.
Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

La société Technica Industries, spécialisée dans la maintenance industrielle et nucléaire, a été dirigée par un dirigeant d’entreprise jusqu’en 2017. Son successeur, un directeur industriel, a été engagé en 2005 et a occupé plusieurs postes avant de démissionner en octobre 2019.

Procédure initiale

Suite à sa démission, le directeur industriel a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon en août 2020, demandant la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le versement de sommes dues. La société a été placée en redressement judiciaire en février 2022, puis en liquidation judiciaire en mai 2022.

Jugement du conseil de prud’hommes

Le 10 janvier 2023, le conseil de prud’hommes a constaté que la société n’avait pas fixé d’objectifs pour le directeur industriel, rendant ainsi sa rémunération variable due pour 2018 et 2019. Cependant, il a jugé que la démission était claire et non équivoque, déboutant le directeur industriel de ses autres demandes.

Appel et caducité

Le directeur industriel a fait appel de ce jugement en janvier 2023. Cependant, une ordonnance de juin 2023 a prononcé la caducité partielle de sa déclaration d’appel concernant certaines parties, le condamnant aux dépens de l’incident.

Arguments des parties

Dans ses conclusions, le directeur industriel a soutenu que sa démission était liée à des manquements de l’employeur concernant le paiement de sa rémunération variable. De son côté, le liquidateur judiciaire a affirmé que la démission était liée à des projets personnels et non à des manquements de l’employeur.

Décision de la cour d’appel

Le 24 octobre 2023, la cour d’appel a déclaré irrecevable l’appel du directeur industriel concernant le jugement déjà contesté. Elle a également confirmé que la démission devait être analysée comme une prise d’acte, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conséquences indemnitaires

La cour a fixé la créance du directeur industriel au passif de la liquidation judiciaire, incluant une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout en précisant que les dépens d’appel seraient considérés comme frais privilégiés de la procédure collective.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la nature de la démission et sa requalification

La démission est un acte unilatéral par lequel un salarié manifeste de manière claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat de travail.

Selon l’article L1231-1 du Code du travail, « le contrat de travail peut être rompu à l’initiative de l’une ou l’autre des parties ».

Lorsque le salarié remet en cause sa démission en raison de manquements de l’employeur, le juge doit examiner si ces manquements sont suffisamment graves pour justifier une requalification de la démission en prise d’acte de rupture.

Il est essentiel d’établir un lien de causalité entre les manquements de l’employeur et la démission. Si le salarié prouve que la rupture est imputable à des manquements de l’employeur, la démission peut être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans cette affaire, le salarié a démissionné en raison de litiges concernant le paiement de sa rémunération variable, ce qui constitue un manquement de l’employeur.

Ainsi, la démission doit être analysée comme une prise d’acte, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences indemnitaires de la requalification

En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité de licenciement.

L’article L1235-3 du Code du travail stipule que « le salarié qui justifie d’une ancienneté de 14 années dans une entreprise peut prétendre à une indemnité comprise entre trois et douze mois de salaire brut ».

Dans cette affaire, le salarié a réclamé une indemnité de licenciement de 52 693 euros, calculée sur la base de son salaire brut mensuel de 8931,14 euros.

La convention collective applicable précise que l’indemnité de licenciement est calculée en fonction de l’ancienneté et des salaires perçus.

Pour un salarié ayant plus de 7 ans d’ancienneté, l’indemnité est calculée comme suit : 1/5 de mois par année d’ancienneté pour les 7 premières années, et 3/5 pour les années suivantes.

Ainsi, le calcul de l’indemnité de licenciement s’élève à 52 693,74 euros, ce qui est conforme aux dispositions légales et conventionnelles.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salarié a également droit à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’article L1235-3 du Code du travail précise que l’indemnité peut varier entre trois et douze mois de salaire brut, en fonction de l’ancienneté et des circonstances de la rupture.

Dans cette affaire, le salarié a demandé 116 104 euros de dommages et intérêts. Cependant, le liquidateur a contesté ce montant, le juge devant évaluer le préjudice en tenant compte de l’ancienneté et des circonstances de la rupture.

La cour a estimé que le préjudice devait être indemnisé par la somme de 44 655,70 euros, sur la base du salaire de référence de 8931,14 euros, ce qui est conforme aux dispositions de l’article L1235-3.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Concernant les dépens, ceux-ci sont considérés comme des frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que « la partie perdante peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles ».

Cependant, dans cette affaire, il a été jugé qu’il n’était pas inéquitable de ne pas faire application de cet article, compte tenu des circonstances de l’affaire.

Ainsi, les dépens d’appel seront déclarés frais privilégiés de la procédure collective, sans application de l’article 700.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/00331 – N° Portalis DBVH-V-B7H-IWHS

LR EB

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON

10 janvier 2023

RG :F 20/00297

[F]

C/

S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT

Grosse délivrée le 04 MARS 2025 à :

– Me

– Me

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 04 MARS 2025

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVIGNON en date du 10 Janvier 2023, N°F 20/00297

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Nathalie ROCCI, Présidente

Mme Leila REMILI, Conseillère

M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l’audience publique du 21 Novembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 11 Février 2025 prorogé à ce jour

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANT :

Monsieur [H] [F]

né le 09 Janvier 1984 à [Localité 6] (84)

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉE :

S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT représentée par Maître [J] [U] es qualité de Liquidateur Judiciaire de la SAS TECHNICA INDUSTRIES

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Denis ALLIAUME, avocat au barreau d’AVIGNON

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 21 Octobre 2024

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 04 mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société Technica Industries exploite une activité de maintenance industrielle et nucléaire. Elle est spécialisée dans la réparation d’équipements électriques. Elle a été créée et dirigée par M. [M] [F], père de M. [H] [F], jusqu’en 2017, date à laquelle il est parti à la retraite.

M. [H] [F] a été engagé par la société Technica Industries à compter du 1er août 2005 et a occupé successivement les postes d’aide mécanicien, d’électromécanicien, de technicien chargé d’affaires, de technico-commercial et en dernier lieu, de directeur industriel, statut cadre (coefficient 135).

Par courrier du 28 octobre 2019, M. [H] [F] a démissionné de ses fonctions.

Formulant divers griefs à l’encontre de l’employeur, M. [H] [F] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon, par requête reçue le 03 août 2020, aux fins de solliciter la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société Technica Industries à lui verser plusieurs sommes à caractère salarial et indemnitaire.

La société Technica Industries, a été placée en redressement judiciaire par jugement du 23 février 2022, avant d’être placée finalement en liquidation judiciaire par jugement du 11 mai 2022, désignant la Selarl Etude Balincourt représentée par Me [J] [U], en qualité de liquidateur judiciaire .

Par jugement réputé contradictoire du 10 janvier 2023, le conseil de prud’hommes d’Avignon a :

– constaté que la Sas Technica Industrie n’a pas fixé d’objectifs à M. [H] [F],

– qu’en conséquence, la rémunération variable de M. [F] est due pour les exercices 2018 et 2019,

– dit que la démission de M. [F] est claire et non équivoque,

– fixé la créance de M. [F] au passif de la liquidation judiciaire de la Sas Technica Industrie prise en la personne de Me [U] es qualité de liquidateur les sommes suivantes :

* 16 800 euros bruts outre 1680 euros brut de congés payés afférents au titre de la rémunération variable de M. [F] pour l’exercice 2018,

* 16 800 euros bruts outre 1680 euros bruts de congés payés afférents au titre de la rémunération variable de M. [F] pour l’exercice 2019,

* 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné la remise des documents sociaux rectifiés des rappels et des sommes fixées au jugement,

– débouté M. [F] du surplus de ses demandes,

– déclaré le jugement opposable au CGEA AGS de [Localité 5] dans les limites définies aux articles L3253-6 et L3253-8 du code du travail et des plafonds prévus aux articles L3253-17 et D3253-5 du même code,

– dit que l’obligation du CGEA AGS de [Localité 5] de faire l’avance du montant total des créances ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

– dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

Par acte du 30 janvier 2023, M. [H] [F] a fait appel de ce jugement qui lui a été notifié le 16 janvier 2023 en ces termes :

‘ Objet/Portée de l’appel : L’appel tend à obtenir l’annulation ou à tout le moins la réformation du jugement rendu le 10 janvier 2023 par le conseil de prud’hommes d’Avignon RG F20/00297 des chefs ayant: – dit que la démission de M. [H] [F] est claire et non équivoque, -débouté M. [H] [F] du surplus de ses demandes’.

Cette affaire a été enregistrée sous le n° de rôle 23 00331.

Le 2 mars 2023, le greffe a adressé à M. [F] un avis d’avoir à signifier sa déclaration d’appel à l’Unedic délégation régionale CGEA AGS de [Localité 5] qui n’a pas constitué avocat.

Après avoir demandé à l’appelant ses observations écrites sur la caducité encourue de la déclaration d’appel du 30 janvier 2023 sur le fondement de l’article 902 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état, par ordonnance du 23 juin 2023, a prononcé la caducité partielle de la déclaration d’appel à l’égard de l’Unedic délégation régionale Cgea Ags de [Localité 5] et a condamné M. [H] [F] aux dépens de l’incident.

Le 7 avril 2023, M. [F] a régularisé une déclaration complémentaire à celle du 30 janvier 2023 en ces termes :

‘ Objet/Portée de l’appel : déclaration d’appel complémentaire à celle régularisée le 30 janvier 2023 enrôlée sous le RG 23/00331 devant la 5ème chambre sociale PH – Ledit appel complémentaire tend à obtenir l’annulation ou à tout le moins la réformation du jugement rendu le 10 janvier 2023 par le conseil de prud’hommes d’Avignon RG F 20/00297 des chefs ayant: -dit que la démission de M. [H] [F] est claire et non équivoque,

-débouté M. [H] [F] du surplus de ses demandes’.

Cette affaire a été enrôlée sous le n° 23 01227.

Par arrêt réputé contradictoire en date du 24 octobre 2023, la chambre sociale de la cour d’appel de Nîmes a déclaré irrecevable l’appel formé le 7 avril 2023 par M. [F] à l’encontre de la Selarl Balincourt ès qualités de liquidateur de la SAS Technica Industries, en ce qu’il porte sur un jugement ayant déjà fait l’objet d’un précédent appel le 30 janvier 2023 et, par suite, l’appel formé le même jour à l’encontre de l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 5], condamnant M. [F] aux dépens d’appel.

Par ordonnance du 11 juin 2024, l’affaire enrôlée sous le n° 23 00331a été fixée à l’audience du 21 novembre 2024 avec clôture à effet différé au 21 octobre 2024.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 12 avril 2023, M. [H] [F] demande à la cour de :

‘Statuant sur l’appel formé par M. [H] [F], a l’encontre du jugement rendu le 10 janvier 2023 par le Conseil de Prud’hommes d’AVIGNON,

Le déclarant recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

Infirmer le jugement du 10 janvier 2023 en ce qu’il a :

-dit que la démission de M. [H] [F] est claire et non équivoque,

-débouté M. [H] [F] du surplus de ses demandes.

Ce faisant,

Statuant a nouveau,

Vu le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes d’Avignon en date du 10 janvier 2023

Vu l’appel partiel de M. [F], uniquement sur la rupture des relations contractuelles

Vu la requête de M. [F] en date du 28 juillet 2020 et le Bordereau de Pièces

Vu les conclusions en réponse MEE BCO du 7 septembre 2021

Vu l’article L 1222.1 du Code du Travail

Vu l’avenant au Contrat de travail en date du 30 juin 2017 et son article 4 rémunération

Vu les bulletins de paie des années 2018 2019

Vu I’absence de paiement de la rémunération variable contractuellement prévue

Vu la jurisprudence constante,

Vu le redressement judiciaire prononce le 23 février 2022

Vu les pièces relatives au paiement de la rémunération variable 2018 2019 par Maître [U]

mandataire liquidateur de 41 à 44

Sur la rupture des relations contractuelles et de l’analyse :

Réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes en date du 10 janvier 2023 en ce qu’il a retenu que :

1-M. [F] fait valoir qu’il a démissionné en raison du litige qui l’opposait à son employeur concernant le montant de la partie variable de sa rémunération.

2-M. [F] a envoyé une lettre de démission à son employeur le 28 octobre

2019, exprimant de façon claire et non équivoque sa volonté de rompre son contrat de travail

au terme d’un préavis de trois mois et sollicitant même son employeur pour raccourcir ce même préavis.

Cette demande a été même réitérée dans un courrier envoyé par M. [F] à son employeur le 26 novembre 2019.

3 – A aucun moment, M. [F] n’invoque la faute de son employeur ayant conduit à sa démission. En revanche, il indique clairement dans les courriers adressés à son employeur qu’il a pris la décision de démissionner car ‘plusieurs projets se profilent devant lui’.

4-en conséquence, la rupture du contrat de travail de M. [F] s’analyse en une volonté claire et non équivoque et le déboute de sa demande de requalification en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Vu les manquements de l’employeur pendant l’exécution du contrat de travail,

Vu les manquements et les montants des rémunérations dues par l’employeur pour l’exécution

du contrat de travail : 39.241.97€

Constater que la lettre adressée le 28 octobre 2019 est une prise d’acte parce que le salarié réclame le paiement des salaires dus soit 39.241.97€

Juger que cette prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse

En conséquence,

Le salaire de M. [F] en brut mensuel est de 8931.14 €.

La convention collective applicable est la CCN Ingénieurs et cadre métallurgie.

Fixer la créance de M. [F] aux sommes suivantes :

– 52693.74 € d’indemnité de licenciement

– 116 104 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– 4000€ au titre de l’article 700 CPC

– entiers dépens

Débouter l’ETUDE BALINCOURT des demandes suivantes :

– la démission de M. [F] est claire et non équivoque

– la rupture ne peut pas être analysée comme une prise d’acte

– la prise d’acte ne produit pas les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident.

Les condamner aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel’

Il fait valoir que :

Sur les manquements de l’employeur :

– il avait été convenu dans le cadre des négociations que son salaire de directeur industriel s’élèverait à 8000 euros brut, or lorsqu’il a reçu son contrat, il s’est aperçu que le salaire proposé était de 7000 euros assorti d’une rémunération variable de 20%.

– cette rémunération variable prévue à l’article 4 de son contrat de travail ne lui a pas été payée pour les exercices 2018 et 2019.

– la société Technica Industrie n’a jamais fixé d’objectifs conditionnant le versement de la rémunération variable ; elle ne peut donc soutenir que les objectifs de 2019 n’ont pas été atteints de sorte qu’il n’a pas droit à la rémunération variable

– les primes exceptionnelles qui lui ont été versées n’ont pas la même nature que la rémunération variable et ne peuvent donc être déduites de ce que lui doit l’employeur au titre de la rémunération variable.

Sur la requalification de la démission :

– il a démissionné de son poste car l’employeur ne lui a pas payé les rémunérations variables contractuellement prévues malgré ses demandes réitérées.

– ce manquement est grave car la mise en place de cet élément de rémunération avait déterminé son consentement à accepter le poste de directeur industriel.

– sa lettre du 28 octobre 2019 ne peut être analysée comme une démission et doit être requalifiée en prise d’acte de la rupture ayant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

-le conseil de prud’hommes qui a fait droit à la demande de paiement de la rémunération variable n’a pas tiré les conséquences juridiques qui s’imposaient à lui puisque c’est en raison de cette absence de paiement qu’il a rompu le contrat de travail.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 30 juin 2023, la SELARL Etude Balincourt, représentée par Me [J] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Technica Industries, demande à la cour de :

– déclarer mal fondé l’appel de M. [H] [F] à l’encontre de la décision rendue le 10 janvier 2023 par le conseil de prud’hommes d’Avignon – confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

– condamner M. [H] [F] aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

– la démission de M. [F] est claire et non équivoque ; elle est uniquement liée à son projet professionnel de création de société et non à l’absence de paiement de la rémunération variable.

– la demande au sujet de la rémunération variable n’est manifestement pas la cause de sa démission mais l’une de ses conséquences pour M. [H] [F] et contrairement aux allégations de ce dernier, il n’a nullement demandé à plusieurs reprises le versement de cette rémunération variable puisqu’il était conscient que les résultats de la société ne légitimaient pas un tel versement

– M. [F] ne pourra qu’être débouté de ses demandes indemnitaires dont les montants en sont infondés et subsidiairement erronés ou excessifs.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS

Sur la démission de M. [H] [F]

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.

Le salarié doit ainsi rapporter la preuve que la rupture du contrat de travail est imputable au non-respect par l’employeur de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

L’existence d’un litige avec l’employeur, antérieur ou contemporain de la démission, est de nature à donner à celle-ci un caractère équivoque.

Un lien de causalité entre les manquements imputés à l’employeur et l’acte de démission doit exister et ce lien est établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission et s’ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié.

Une fois le lien de causalité établi, le juge examine les griefs afin de déterminer s’ils caractérisent des manquements suffisamment graves pour entraîner la requalification en un licenciement ou une prise d’acte de rupture.

Par courrier du 28 octobre 2019, M. [H] [F] a démissionné en ces termes :

« J’occupe le poste de Directeur Industriel depuis le 30/06/2017 au sein de votre entreprise.

Après plusieurs mois de réflexion, j’ai choisi de donner une nouvelle impulsion à ma vie personnelle et c’est la raison pour laquelle je vous informe que je démissionne de mon poste à compter de ce jour.

J’ai bien noté que les termes de mon contrat prévoient un préavis de 3 mois.

Le contrat de travail qui nous lie prendra donc fin le 29/01/2020 au soir.

Je vous saurais gré de bien vouloir me faire savoir si vous acceptez le regroupement en fin de préavis des deux heures de recherche d’emploi quotidiennes accordées par la Convention collective au salarié démissionnaire, de sorte que je puisse quitter mon emploi à une date plus proche, donc le 07/01/2020 après mon service.

J’ajoute que si ma demande de regroupement des heures de recherche d’emploi ne rencontre pas votre agrément, je consommerai ces heures conformément aux dispositions de la convention collective, donc un jour à votre gré et le lendemain à mon choix ; et/ou l’indemnisation des heures non utilisées.

Lors de mon dernier jour de travail dans l’entreprise, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail, une attestation Pôle emploi ainsi que vous procédiez au règlement de ma prime variable sur objectifs 2018 et 2019 au prorata de mon temps de présence (soit 100%) comme le stipule mon contrat de travail.

Je vous prie d’agréer’ »

Il ressort bien de la lettre de démission elle-même qu’un litige opposait le salarié à l’employeur concernant le versement de la partie variable de sa rémunération.

En outre, dans son courriel du 20 novembre 2019 puis son courrier du 26 novembre 2019, M. [H] [F] réitèrait la demande de versement des primes variables 2018 et 2019.

M. [T] [O] qui occupait un poste de directeur commercial au sein de l’entreprise témoigne ‘(…) Je confirme avoir assisté à diverses demandes de M. [F] concernant le paiement de ses primes liées à son contrat tout au long de ces deux années. Aucune réponse de la part des dirigeants sur ce sujet, malgré de nombreuses demandes (…). Etant le témoin du non-respect des engagements de notre direction groupe, ceci a confirmé ma décision de quitter Technica Industries.’

Mme [W] [N] atteste aussi ‘quoi qu’il en soit je ne pense pas que je serai restée a Technica Industries car l’ambiance y était mauvaise et les conditions contractuelles pas toujours respectées par la direction de TI notamment avec M. [F] [H] (directeur industriel) et M. [X] [V] (DAF) qui réclamaient leurs primes sur objectifs.’

Il ressort donc de ces éléments que la question du paiement des rémunérations variables était récurrente à une période antérieure et contemporaine de la démission.

Il sera rappelé par ailleurs que la cour n’est saisie d’aucun appel concernant le versement de la rémunération variable, le conseil de prud’hommes ayant condamné l’employeur à ce titre considérant qu’aucun objectif n’avait été fixé par ce dernier, de sorte que la totalité de la part variable prévue au contrat était due, soit 16 800 euros pour chacune des deux années 2018 et 2019 outre les congés payés afférents.

Ce manquement de l’employeur à une obligation contractuelle pesant sur lui est donc admis et il n’est pas contesté qu’il s’agissait pour le salarié d’un élément de rémunération important ayant déterminé son consentement.

Dans ces conditions, le fait que le salarié a indiqué dans sa lettre de démission qu’il souhaitait donner une nouvelle impulsion à sa vie personnelle, que dans le courrier du 26 novembre 2019 il avait précisé avoir pris la décision de démissionner car il avait plusieurs projets qui ‘se profilent’ devant lui, ou encore le fait que l’intéressé a créé une société un mois seulement après sa démission sont sans incidence, la démission devant s’analyser en une prise d’acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera en conséquence infirmé.

Sur les conséquences indemnitaires

Sur l’indemnité légale de licenciement

M. [H] [F] réclame la somme de 52 693 euros.

Le liquidateur indique que ce montant est erroné et qu’au regard des dispositions de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, la somme ne peut s’élever, à titre subsidiaire, qu’à 43 942, 14 euros.

En application de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie,

‘Il est alloué à l’ingénieur ou cadre, licencié sans avoir commis une faute grave, une indemnité de licenciement distincte du préavis. Le taux de cette indemnité de licenciement est fixé comme suit, en fonction de la durée de l’ancienneté de l’intéressé dans l’entreprise :

‘ pour la tranche de 1 à 7 ans d’ancienneté : 1/5 de mois par année d’ancienneté ;

‘ pour la tranche au-delà de 7 ans : 3/5 de mois par année d’ancienneté.

Pour le calcul de l’indemnité de licenciement, l’ancienneté et, le cas échéant, les conditions d’âge de l’ingénieur ou cadre sont appréciées à la date de fin du préavis, exécuté ou non (…).

A la fin du préavis de trois mois, M. [H] [F] avait une ancienneté de 14 ans et 6 mois.

La convention collective prévoit que l’indemnité de licenciement est calculée sur la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels, dont l’ingénieur ou cadre a bénéficié au cours de ses 12 derniers mois précédant la notification du licenciement.

Il convient cependant d’y intégrer les sommes allouées au titre de la rémunération variable, de sorte que le salaire mensuel à retenir sera fixé à la somme de 8931,14 euros brut.

M. [H] [F] a donc droit à 1/5 de mois par année d’ancienneté de 1 à 7 ans et au-delà de 7 ans, 3/5 :

(1/5 X 7 X 8931,14) + (3/5 X 7,5 X 8931,14) = 52 693,74 euros

Sur l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [H] [F] réclame la somme de 116 104 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur indique à titre subsidiaire que ce montant dépasse celui défini par l’article L. 1235-3 du code du travail.

En application des dispositions de l’article 1235-3 du code du travail, le salarié qui justifie d’une ancienneté de 14 années complètes dans une entreprise dont il n’est pas contesté qu’elle occupait habituellement au moins onze salariés, peut prétendre à une indemnité comprise entre trois et douze mois de salaire brut.

Compte tenu de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [H] [F] âgé de 35 ans lors de la rupture, de son ancienneté de 14 années complètes, de ce qu’il n’est pas contesté qu’il a retrouvé immédiatement une activité professionnelle, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 44 655,70 euros, sur la base du salaire de référence de 8931,14 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens d’appel seront déclarés frais privilégiés de la procédure collective.

Il n’est pas inéquitable de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de la dévolution,

-Infirme le jugement rendu le 10 janvier 2023 par le conseil de prud’hommes d’Avignon en ce qu’il a :

-dit que la démission de M. [H] [F] est claire et non équivoque

-débouté M. [H] [F] du surplus de ses demandes

-Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

– Fixe ainsi que suit la créance de M. [H] [F] au passif de la liquidation judiciaire de la société Technica Industries :

-52 693,74 euros d’indemnité légale de licenciement

-44 655,70 euros d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

– Dit que ces sommes seront inscrites par le mandataire liquidateur sur l’état des créances de la procédure collective ouverte à l’encontre de la société,

– Dit qu’en application des articles L 622-28 et L 641-3 du Code de commerce, le jugement d’ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

-Dit que les dépens d’appel seront déclarés frais privilégiés de la procédure collective.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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