La requalification du CDD de journaliste en CDI en référé

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La requalification du CDD de journaliste en CDI en référé

La requalification du CDD de journaliste en CDI ne peut s’opérer en référé en l’absence de dommage imminent. En la cause rien n’établit que la situation de la journaliste revêt un caractère d’urgence ou qu’elle constitue un trouble manifestement illicite.

Constitue un dommage imminent, la perte de l’emploi par l’effet de la survenance du terme, durant la procédure, du contrat à durée déterminée toujours en cours au moment où le juge des référés statue, ce dommage étant de nature à priver d’effectivité le droit pour le salarié de demander la requalification d’un contrat à durée déterminée irrégulier en contrat à durée indéterminée, afin d’obtenir la poursuite de la relation contractuelle avec son employeur.

En l’espèce, au jour où la cour statue, le contrat de travail à durée déterminée de la journaliste n’est plus en cours depuis le 1er avril 2024, de sorte que la décision à rendre n’a pas pour objet de prévenir un dommage imminent.

La question de savoir si le recours au CDD pour l’emploi de la journaliste à compter du 3 octobre 2022 était fondé sur un motif légitime et si celle-ci occupait un poste temporaire ou lié à l’activité normale ou permanente de l’employeur ne relève pas de l’évidence en présence de contestations opposées par la société Bayard qui n’apparaissent pas dénuées de sérieux. Il appartiendra au juge du fond, qui est saisi, de trancher ces questions afin de déterminer s’il doit être fait droit à la demande de requalification formée par la journaliste et aux prétentions financières subséquentes de cette dernière.

Pour rappel, s’agissant des pouvoirs de la formation de référé :

– en application des dispositions de l’article R. 1455-5 du code du travail, ‘dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend’,

– en application des dispositions de l’article R. 1455-6 du même code, ‘la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite’,

– en application des dispositions de l’article R. 1455-7 du même code, ‘dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire’.

L’Essentiel : La société anonyme spécialisée dans le secteur de la presse, employant plus de 10 salariés, a embauché une journaliste stagiaire en qualité de rédactrice spécialisée social média. Après plusieurs CDD, la journaliste a demandé la transformation de son contrat en CDI, affirmant occuper un poste permanent. Le conseil de prud’hommes a débouté la journaliste de ses demandes, décision qu’elle a contestée en appel. La société a soutenu que le CDD était justifié et a demandé le rejet des demandes de provision. La cour d’appel a confirmé l’ordonnance de référé, déboutant la journaliste et la condamnant aux dépens.
Résumé de l’affaire :

Présentation de la société

La société anonyme Bayard, dont le siège social est situé dans le département des Hauts-de-Seine, est spécialisée dans le secteur de la presse, de l’édition et du multimédia, employant plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des journalistes du 1er novembre 1976.

Embauche et évolution de la journaliste stagiaire

Une journaliste stagiaire, ayant effectué un stage au sein du journal La Croix, a été embauchée par la société Bayard en qualité de journaliste stagiaire – rédactrice spécialisée social média. Elle a signé plusieurs contrats à durée déterminée (CDD) pour remplacer une salariée absente et pour un surcroît d’activité, avec un salaire mensuel brut de 2 387,15 euros, qui a été porté à 2 678,73 euros à partir du 1er mai 2023, lorsqu’elle a obtenu le statut de journaliste professionnel.

Demande de requalification du contrat

Le 8 janvier 2024, la journaliste a demandé la transformation de son CDD en contrat à durée indéterminée (CDI), affirmant qu’elle occupait un poste permanent. Le 15 janvier 2024, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour demander la requalification de son contrat et le paiement d’un ajustement de salaire, ainsi que diverses indemnités.

Décision du conseil de prud’hommes

Le 24 juillet 2024, l’affaire a été renvoyée en audience de départage. Le 8 mars 2024, la formation de référé a débouté la journaliste de toutes ses demandes, et celle-ci a interjeté appel de cette décision le 25 mars 2024. La relation de travail a pris fin le 31 mars 2024, au terme du dernier CDD.

Demandes en appel

Dans ses dernières conclusions, la journaliste a demandé à la cour d’infirmer l’ordonnance de référé, de reconnaître la rupture de la relation contractuelle comme une violation de sa liberté d’ester en justice, et de condamner la société Bayard à la réintégrer dans ses fonctions, ainsi qu’à lui verser des provisions pour salaires et indemnités.

Réponse de la société Bayard

La société Bayard a contesté les demandes de la journaliste, arguant qu’elles étaient nouvelles et irrecevables, et que le CDD était justifié par des motifs légitimes. Elle a également demandé le rejet des demandes de provision, soutenant qu’il n’y avait pas de situation d’urgence.

Décision de la cour d’appel

La cour a confirmé l’ordonnance de référé, déclarant qu’il n’y avait pas lieu à référé sur les demandes de la journaliste. Elle a également condamné cette dernière aux dépens d’appel et à verser une somme à la société Bayard au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tout en déboutant la société de sa demande formée au même titre.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité des demandes nouvelles

La société Bayard soutient que la journaliste stagiaire a formulé des demandes nouvelles devant la cour d’appel, qui sont soumises au bureau de jugement, sans rapporter la preuve qu’elles ont un lien suffisant avec ses demandes initiales, qu’elle a totalement abandonnées.

Elle demande en conséquence que les prétentions nouvelles soient déclarées irrecevables.

L’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

L’article 564 du même code énonce que « à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. »

L’article 565 du même code dispose que « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. »

L’article 566 du code de procédure civile dispose enfin que « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. »

En l’espèce, la journaliste stagiaire a saisi la formation des référés du conseil de prud’hommes le 17 janvier 2024, alors que son contrat de travail était en cours d’exécution, aux fins de voir ordonner la poursuite de ce dernier dans l’attente de la décision au fond à rendre par le conseil de prud’hommes sur la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée.

Lorsque la formation des référés du conseil de prud’hommes a rendu son ordonnance le 8 mars 2024, le contrat de travail était encore en cours d’exécution.

La cessation du contrat de travail le 31 mars 2024 constitue un fait nouveau qui justifie la formulation de nouvelles demandes par la journaliste stagiaire.

En effet, cette dernière ne faisant plus partie des effectifs de la société Bayard, elle ne peut demander la poursuite de son contrat de travail dans l’attente de la décision à rendre au fond.

Ses demandes nouvelles tendant à voir dire que la rupture du contrat de travail est intervenue en violation de sa liberté fondamentale d’ester en justice, à voir condamner la société Bayard à la réintégrer dans ses effectifs, sous astreinte, et à voir condamner la société à lui verser une provision à valoir sur les salaires exigibles depuis le 1er avril 2024, sont la conséquence de la survenance d’un fait nouveau et sont donc recevables en cause d’appel.

La demande en paiement d’une provision à valoir sur l’indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée prévue par l’article L. 1245-2 du code du travail est également nouvelle mais elle découle de la prétention originaire de la journaliste stagiaire tendant à voir requalifier son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Elle est donc également recevable.

La société Bayard sera en conséquence déboutée de sa fin de non-recevoir.

Sur la demande de réintégration

La journaliste stagiaire demande sa réintégration au sein du journal La Croix pour plusieurs motifs.

Elle fait valoir que la rupture de la relation contractuelle intervenue le 31 mars 2024, après qu’elle a saisi le bureau de jugement et la formation de référé du conseil de prud’hommes, a été faite en violation de sa liberté fondamentale d’ester en justice.

Elle fait valoir que dans un courrier du 5 février 2024, son employeur a justifié la fin de la collaboration en invoquant les procédures contentieuses qu’elle a initiées, ce qui entraîne la nullité de la rupture ; que la privation délibérée d’emploi constitue un trouble manifestement illicite et un dommage imminent relevant de la juridiction des référés.

L’article L. 1235-3-1 du code du travail prévoit qu’est nul le licenciement qui procède de la violation d’une liberté fondamentale.

L’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit le droit à un procès équitable. Il en résulte qu’est nul comme portant atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié.

La nullité de la rupture du contrat de travail en cas de violation d’une liberté fondamentale du salarié constitue un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, le dernier contrat à durée déterminée de la journaliste stagiaire a été signé le 11 décembre 2023 pour la période courant du 1er janvier 2024 au 31 mars 2024.

Par courrier du 8 janvier 2024, la journaliste stagiaire a demandé la régularisation de son contrat à durée déterminée arrivant à son terme le 31 mars 2024 en contrat à durée indéterminée.

Puis elle a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt de deux actions, au fond le 15 janvier 2024 et en référé le 17 janvier 2024.

Par courrier du 5 février 2024, la société a répondu au courrier de la salariée du 8 janvier 2024 et à sa demande de transformation de son CDD en CDI.

Il ne ressort pas des termes de ce courrier, avec l’évidence requise en référé, que la société Bayard a mis fin au contrat de travail la liant à la journaliste stagiaire en raison des actions en justice engagées par cette dernière.

En l’absence de trouble manifestement illicite, il n’y a pas lieu à référé sur la demande de réintégration.

Sur les demandes de provisions

La journaliste stagiaire demande le paiement à titre provisionnel d’une part de la somme de 21 000 euros à valoir sur le salaire dont elle a été privée depuis le 1er avril 2024 du fait de la rupture abusive des relations contractuelles et d’autre part de la somme de 2 945,29 euros à valoir sur l’indemnité de requalification prévue par l’article L. 1245-2 du code du travail.

La société Bayard conclut au débouté de ces demandes.

Les demandes de provisions découlent de celles tendant d’une part à la réintégration de la salariée dans les effectifs de l’employeur et d’autre part à la requalification du contrat de travail.

Dès lors que le juge des référés n’a pas le pouvoir d’examiner ces deux prétentions, il doit être dit, par ajout à la décision entreprise, qu’il n’y a pas lieu à référé sur les demandes de provisions.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et débouté la journaliste stagiaire de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

La journaliste stagiaire sera condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société Bayard une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sa demande formée du même chef étant rejetée.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80O

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 FÉVRIER 2025

N° RG 24/00957

N° Portalis DBV3-V-B7I-WNYY

AFFAIRE :

[P] [G]

C/

S.A. BAYARD

Décision déférée à la cour : appel d’une ordonnance de référé rendue le 08 mars 2024 par le Conseil de Prud’hommes de BOULOGNE-

BILLANCOURT

Formation : Référé

N° RG : R 24/00010

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Fabrice AUBERT

Me Pierre-Alexis DUMONT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX FÉVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

APPELANTE

Madame [P] [G]

née le 08 octobre 1996 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Fabrice AUBERT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0100

****************

INTIMEE

S.A. BAYARD

N° SIRET : 542 042 486

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Pierre-Alexis DUMONT de la SAS ACTANCE, postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168

Plaidant: Me Gaëlle KERMAREC, avocat au barreau de PARIS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 novembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés devant Madame Isabelle CHABAL, conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, présidente,

Madame Valérie DE LARMINAT, conseillère,

Madame Isabelle CHABAL, conseillère,

Greffière en préaffectation lors des débats : Madame Victoria LE FLEM,

EXPOSE DU LITIGE

La société anonyme Bayard, dont le siège social est situé [Adresse 1] à [Localité 4], dans le département des Hauts-de-Seine, est spécialisée dans le secteur d’activité de la presse, l’édition, le multimédia. Elle emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des journalistes du 1er novembre 1976.

Mme [P] [G], née le 8 octobre 1996, après avoir effectué un stage au sein du journal La Croix – service culture de la société Bayard du 4 au 29 janvier 2021 dans le cadre de sa formation universitaire de journaliste, a été embauchée par la société Bayard, au sein du journal La Croix – service web, en qualité de journaliste stagiaire – rédactrice spécialisée social média, selon les contrats à durée déterminée (CDD) suivants :

– du 29 mars au 30 juillet 2022 pour remplacer une salariée absente pour congé maternité,

– du 1er août au 4 septembre 2022 pour remplacer la même salariée absente pour congés payés,

– du 3 octobre au 31 décembre 2022 dans le cadre d’un surcroît d’activité lié à la réorganisation du service, moyennant un salaire mensuel de base brut de 2 387,15 euros outre un 13ème mois.

Ce contrat a été renouvelé à deux reprises pour le même motif : pour les périodes du 1er janvier au 31 décembre 2023 et du 1er janvier au 31 mars 2024.

A compter du 1er mai 2023, Mme [G] a obtenu le statut de journaliste professionnel et son salaire mensuel brut de base a été porté à 2 678,73 euros.

Par courrier du 8 janvier 2024, Mme [G], affirmant qu’elle occupait un poste permanent, a demandé si son contrat à durée déterminée pouvait être transformé en contrat à durée indéterminée.

Par requête déposée au greffe le 15 janvier 2024, Mme [G] a saisi au fond le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt d’une demande de requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et de paiement d’un ajustement de salaire et de diverses indemnités, outre une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, avec exécution provisoire.

Par décision du 24 juillet 2024, l’affaire a été renvoyée en audience de départage.

Par requête reçue au greffe le 17 janvier 2024, Mme [G] a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en lui demandant de :

– ordonner la poursuite de la relation contractuelle entre Mme [G] et la société Bayard dans l’attente de la décision à intervenir devant le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt dans la procédure au fond,

– condamner la société Bayard à verser 1 000 euros à Mme [G] au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par ordonnance contradictoire rendue le 8 mars 2024, la formation de référé du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– débouté Mme [G] sur (sic) 1’ensemble de ses demandes,

– dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

Mme [G] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 25 mars 2024.

La relation de travail a pris fin le 31 mars 2024 au terme du contrat à durée déterminée.

Par avis du 2 avril 2024 l’affaire a fait l’objet d’une fixation à bref délai.

Par dernières conclusions n°2 adressées par voie électronique le 8 octobre 2024, Mme [G] demande à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé du 8 mars 2024 du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt,

statuant à nouveau,

– dire que la rupture de la relation contractuelle est intervenue le 31 mars 2024, après saisine par la salariée du bureau de jugement et de la formation de référé du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, en violation de la liberté fondamentale de Mme [G] d’ester en justice,

– condamner la société Bayard à réintégrer Mme [G] au sein du journal « La Croix » dans ses fonctions de journaliste rédacteur social média, aux salaires et conditions contractuelles en vigueur au 31 mars 2024, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de l’arrêt à la société Bayard,

– condamner la société Bayard à verser à titre de provision à Mme [G] :

. 21 000 euros bruts, à valoir sur les salaires exigibles depuis le 1er avril 2024,

. 2 945,29 euros à valoir sur l’indemnité de requalification,

– condamner la société Bayard à verser 3 500 euros à Mme [G], sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société Bayard de toutes ses demandes,

– condamner la société Bayard aux entiers dépens.

Par conclusions adressées par voie électronique le 21 octobre 2024, la société Bayard demande à la cour de :

à titre principal,

– constater que l’ensemble des demandes formulées par Mme [G] en appel sont des prétentions nouvelles, prohibées en application de l’article 564 du code de procédure civile,

– constater que Mme [G] a déjà formulé ses demandes devant le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt dans une affaire actuellement pendante (n° RG : 24/00073) et dont le délibéré sera rendu le 22 juillet 2024,

en conséquence,

– rejeter l’ensemble des demandes de Mme [G] en les déclarant irrecevables,

à titre subsidiaire,

– constater qu’aucune situation d’urgence n’est caractérisée,

– constater que les demandes présentées par Mme [G] se heurtent à des contestations sérieuses,

– constater l’absence de trouble manifestement illicite et de dommage imminent,

en conséquence,

– dire et juger qu’il n’y a pas lieu à référé,

– débouter Mme [G] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

à titre infiniment subsidiaire,

– dire et juger que le CDD conclu avec Mme [G] entre le 3 octobre 2022 et le 31 mars 2024 l’était pour l’un des cas de recours limitativement énumérés par la loi,

– dire et juger que Mme [G] ne rapporte pas la preuve qu’elle occupait un emploi lié à l’activité normale et permanente,

– dire et juger que Mme [G] n’a pas été victime d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice,

– dire et juger que les demandes de provision de Mme [G] à valoir sur les salaires exigibles depuis le 1er avril 2024 et sur l’indemnité de requalification sont injustifiées,

en conséquence,

– rejeter l’ensemble des demandes de Mme [G] en les déclarant infondées,

à titre ‘reconventionnel’,

– condamner Mme [G] à verser la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [G] aux entiers dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 23 octobre 2024, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 8 novembre 2024.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la recevabilité des demandes nouvelles

La société Bayard soutient que Mme [G] formule des demandes nouvelles devant la cour d’appel, qui sont soumises au bureau de jugement, sans rapporter la preuve qu’elles ont un lien suffisant avec ses demandes initiales, qu’elle a totalement abandonnées. Elle demande en conséquence que les prétentions nouvelles soient déclarées irrecevables.

Mme [G] répond que la rupture de la relation contractuelle survenue le 31 mars 2024, postérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes, est un fait nouveau qui rend recevables ses nouvelles prétentions.

L’article 122 du code de procédure civile dispose que ‘constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.’

L’article 564 du même code énonce que ‘à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.’

L’article 565 du même code dispose que ‘les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.’

L’article 566 du code de procédure civile dispose enfin que ‘les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.’

En l’espèce, Mme [G] a saisi la formation des référés du conseil de prud’hommes le 17 janvier 2024, alors que son contrat de travail était en cours d’exécution, aux fins de voir ordonner la poursuite de ce dernier dans l’attente de la décision au fond à rendre par le conseil de prud’hommes sur la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée.

Lorsque la formation des référés du conseil de prud’hommes a rendu son ordonnance le 8 mars 2024, le contrat de travail était encore en cours d’exécution.

La cessation du contrat de travail le 31 mars 2024 constitue un fait nouveau qui justifie la formulation de nouvelles demandes par Mme [G].

En effet, cette dernière ne faisant plus partie des effectifs de la société Bayard, elle ne peut demander la poursuite de son contrat de travail dans l’attente de la décision à rendre au fond.

Ses demandes nouvelles tendant à voir dire que la rupture du contrat de travail est intervenue en violation de sa liberté fondamentale d’ester en justice, à voir condamner la société Bayard à la réintégrer dans ses effectifs, sous astreinte, et à voir condamner la société à lui verser une provision à valoir sur les salaires exigibles depuis le 1er avril 2024, sont la conséquence de la survenance d’un fait nouveau et sont donc recevables en cause d’appel.

La demande en paiement d’une provision à valoir sur l’indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée prévue par l’article L. 1245-2 du code du travail est également nouvelle mais elle découle de la prétention originaire de Mme [G] tendant à voir requalifier son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Elle est donc également recevable.

La société Bayard sera en conséquence déboutée de sa fin de non-recevoir.

Sur ce, il est rappelé, s’agissant des pouvoirs de la formation de référé :

– qu’en application des dispositions de l’article R. 1455-5 du code du travail, ‘dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend’,

– qu’en application des dispositions de l’article R. 1455-6 du même code, ‘la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite’,

– qu’en application des dispositions de l’article R. 1455-7 du même code, ‘dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire’.

Sur la demande de réintégration

Mme [G] demande sa réintégration au sein du journal La Croix pour plusieurs motifs.

Sur l’atteinte à sa liberté fondamentale d’ester en justice

Mme [G] demande qu’il soit dit que la rupture de la relation contractuelle intervenue le 31 mars 2024, après qu’elle a saisi le bureau de jugement et la formation de référé du conseil de prud’hommes, a été faite en violation de sa liberté fondamentale d’ester en justice.

Elle fait valoir que dans un courrier du 5 février 2024 son employeur a justifié la fin de la collaboration en invoquant les procédures contentieuses qu’elle a initiées, ce qui entraîne la nullité de la rupture ; que la privation délibérée d’emploi constitue un trouble manifestement illicite et un dommage imminent relevant de la juridiction des référés.

La société Bayard répond que Mme [G] n’a pas fait l’objet d’un licenciement mais que son contrat à durée déterminée a pris fin à son terme, le 31 mars 2024, ce terme ayant été fixé dès le 1er janvier 2024 soit antérieurement au courrier qu’elle a envoyé le 5 février 2024 ; qu’en outre dans son courrier du 5 février 2024, elle n’a pas fait de reproches à Mme [G] mais a fait référence aux contentieux engagés par elle uniquement pour s’en étonner alors que les relations de travail étaient jusqu’alors très apaisées et que Mme [G] n’avait même pas évoqué son souhait de passer en contrat à durée indéterminée lors d’un entretien récent.

L’article L. 1235-3-1 du code du travail prévoit qu’est nul le licenciement qui procède de la violation d’une liberté fondamentale.

L’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit le droit à un procès équitable. Il en résulte qu’est nul comme portant atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié.

La nullité de la rupture du contrat de travail en cas de violation d’une liberté fondamentale du salarié constitue un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, le dernier contrat à durée déterminée de Mme [G] a été signé le 11 décembre 2023 pour la période courant du 1er janvier 2024 au 31 mars 2024 (pièce 12 de Mme [G]).

Par courrier du 8 janvier 2024, Mme [G] a demandé la régularisation de son contrat à durée déterminée arrivant à son terme le 31 mars 2024 en contrat à durée indéterminée (pièce 13 de Mme [G]).

Puis elle a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt de deux actions, au fond le 15 janvier 2024 et en référé le 17 janvier 2024.

Par courrier du 5 février 2024, la société a répondu au courrier de la salariée du 8 janvier 2024 et à sa demande de transformation de son CDD en CDI (pièce 9 de la société). A titre préalable, elle a signalé à la salariée qu’elle est très surprise de la voie contentieuse qu’elle souhaite emprunter alors que les échanges se déroulent de manière apaisée et constructive depuis le mois de novembre 2023 au sujet de la prolongation de son CDD après le 31 décembre 2023. Puis elle a discuté les arguments de Mme [G] tendant à la requalification de son contrat et a conclu que ‘au vu des éléments de droit et de faits évoqués ci-dessus, nous ne pouvons que vous confirmer le caractère temporaire du contrat qui nous lie et la fin de collaboration prévue au 31 mars 2024.’

Il ne ressort pas des termes de ce courrier, avec l’évidence requise en référé, que la société Bayard a mis fin au contrat de travail la liant à Mme [G] en raison des actions en justice engagées par la salariée. Elle a exprimé son refus de requalifier le contrat de travail et a rappelé le terme prévu pour ce dernier.

En l’absence de trouble manifestement illicite, il n’y a pas lieu à référé sur la demande de Mme [G].

Sur les autres motifs

Mme [G] demande sa réintégration en invoquant en premier lieu le fait qu’elle occupait un poste relevant de l’activité normale et permanente de l’entreprise et en second lieu le fait que le motif du recours au CDD n’est pas justifié.

Elle précise qu’au sein du service web du journal La Croix, deux journalistes en contrat à durée indéterminée (M. [R] et Mme [Z]) s’occupaient des réseaux sociaux et travaillaient l’un de 7h30 à 16h30 et l’autre de 11h à 20h, en alternance chaque semaine ; qu’elle a remplacé Mme [Z] lors de son congé de maternité et de ses congés payés, puis M. [R], muté sur un autre service, à compter du 3 octobre 2022, occupant donc le poste laissé vacant par ce dernier en effectuant les mêmes tâches que Mme [Z] ; que dès lors qu’elle assurait la production quotidienne de contenus pour les réseaux sociaux, il ne s’agissait pas d’une mission temporaire. Elle fait valoir qu’à plusieurs reprises, elle a sollicité en vain la poursuite de la relation de travail en contrat à durée indéterminée.

Elle soutient qu’il ressort des termes du courrier de l’employeur du 5 février 2024 que la réorganisation du service web était alors encore au stade de la réflexion, de sorte que le recours au CDD le 3 octobre 2022 ne pouvait être valablement motivé par une réorganisation ‘effective’.

La société Bayard réplique que ne sont pas réunies les conditions d’urgence ou d’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite susceptibles de justifier la compétence du juge des référés.

Elle invoque l’existence de contestations sérieuses dès lors qu’elle estime que le CDD conclu avec Mme [G] à compter du 3 octobre 2022 était parfaitement licite, tout comme les renouvellements qui ont suivi, que le conseil de prud’hommes a constaté que le poste occupé par Mme [G] était spécifique et temporaire et que l’ensemble des CDD était basé sur des motifs de recours légitimes et précis, que Mme [G] n’a jamais manifesté de réticence à la signature de chacun de ces contrats et de leurs prolongations, que Mme [G] occupait un poste par nature temporaire compte tenu de la transformation numérique du journal La Croix, en particulier du service web qui faisait l’objet de réflexions sur son organisation, que Mme [G] n’établit pas en quoi elle pourrait prétendre à une réintégration au poste de rédactrice social média qu’elle a occupé.

A titre infiniment subsidiaire, elle fait valoir que le recours au CDD entre le 3 octobre 2022 et le 31 mars 2024 n’a pas pourvu durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, a été fondé sur un motif autorisé, par le biais d’un contrat et de renouvellements écrits.

Le contrat de travail à durée déterminée de Mme [G] à effet au 3 octobre 2022 a été renouvelé à deux reprises avec un terme fixé au 31 mars 2024.

Mme [G] a saisi au fond le conseil de prud’hommes d’une demande de requalification de son CDD en CDI le 15 janvier 2024. Puis le surlendemain, elle a saisi la formation des référés du conseil de prud’hommes d’une demande tendant à voir ordonner la poursuite de la relation contractuelle en attendant la décision à rendre au fond.

Le CDD a pris fin à son terme le 31 mars 2024 et Mme [G] demande désormais sa réintégration dans la société Bayard.

Mme [G] ne justifie pas que sa situation revêt un caractère d’urgence ou qu’elle constitue un trouble manifestement illicite.

Constitue un dommage imminent, la perte de l’emploi par l’effet de la survenance du terme, durant la procédure, du contrat à durée déterminée toujours en cours au moment où le juge des référés statue, ce dommage étant de nature à priver d’effectivité le droit pour le salarié de demander la requalification d’un contrat à durée déterminée irrégulier en contrat à durée indéterminée, afin d’obtenir la poursuite de la relation contractuelle avec son employeur.

En l’espèce, au jour où la cour statue, le contrat de travail à durée déterminée de Mme [G] n’est plus en cours depuis le 1er avril 2024, de sorte que la décision à rendre n’a pas pour objet de prévenir un dommage imminent.

La question de savoir si le recours au CDD pour l’emploi de Mme [G] à compter du 3 octobre 2022 était fondé sur un motif légitime et si Mme [G] occupait un poste temporaire ou lié à l’activité normale ou permanente de l’employeur ne relève pas de l’évidence en présence de contestations opposées par la société Bayard qui n’apparaissent pas dénuées de sérieux. Il appartiendra au juge du fond, qui est saisi, de trancher ces questions afin de déterminer s’il doit être fait droit à la demande de requalification formée par Mme [G] et aux prétentions financières subséquentes de cette dernière.

Il convient en conséquence, par ajout à la décision entreprise, de dire qu’il n’y a pas lieu à référé sur la demande.

Sur les demandes de provisions

Mme [G] demande le paiement à titre provisionnel d’une part de la somme de 21 000 euros à valoir sur le salaire dont elle a été privée depuis le 1er avril 2024 du fait de la rupture abusive des relations contractuelles et d’autre part de la somme de 2 945,29 euros à valoir sur l’indemnité de requalification prévue par l’article L. 1245-2 du code du travail.

La société Bayard conclut au débouté de ces demandes.

Les demandes de provisions découlent de celles tendant d’une part à la réintégration de la salariée dans les effectifs de l’employeur et d’autre part à la requalification du contrat de travail.

Dès lors que le juge des référés n’a pas le pouvoir d’examiner ces deux prétentions, il doit être dit, par ajout à la décision entreprise, qu’il n’y a pas lieu à référé sur les demandes de provisions.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et débouté Mme [G] de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

Mme [G] sera condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société Bayard une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sa demande formée du même chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Déboute la société Bayard de sa fin de non-recevoir,

Confirme l’ordonnance rendue par la formation des référés du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes formées par Mme [P] [G],

Condamne Mme [P] [G] aux dépens d’appel,

Condamne Mme [P] [G] à payer à la société Bayard une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [P] [G] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Victoria Le Flem, greffière en préaffectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière en préaffectation, La présidente,


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