Reprise d’ancienneté : l’intention des parties confirmée par la pratique.

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Reprise d’ancienneté : l’intention des parties confirmée par la pratique.

Reprise d’ancienneté

La reprise d’ancienneté dans le cadre d’un contrat de travail est régie par le principe selon lequel un employeur peut convenir avec un salarié de prendre en compte l’ancienneté acquise auprès d’un précédent employeur, conformément aux dispositions de l’article L. 1221-1 du Code du travail, qui stipule que le contrat de travail est un accord par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte d’une autre moyennant une rémunération.

Contrat de travail et mentions sur les bulletins de paie

Le contrat de travail doit être interprété selon la volonté des parties, et les mentions sur les bulletins de paie peuvent constituer des éléments de preuve de cette volonté. L’article 1134 du Code civil précise que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et que les parties doivent exécuter leurs obligations de bonne foi.

Modification unilatérale de l’ancienneté

La modification unilatérale par l’employeur de la date d’ancienneté mentionnée sur les bulletins de paie est prohibée, car elle constitue une atteinte aux droits du salarié. L’article L. 1232-6 du Code du travail impose que toute modification du contrat de travail doit être acceptée par le salarié, sauf en cas de motif économique.

Indemnité de procédure

L’indemnité de procédure est régie par l’article 700 du Code de procédure civile, qui permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour couvrir les frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

L’Essentiel : La reprise d’ancienneté dans un contrat de travail permet à un employeur de prendre en compte l’ancienneté acquise auprès d’un précédent employeur. Le contrat doit être interprété selon la volonté des parties, et les mentions sur les bulletins de paie peuvent servir de preuve. La modification unilatérale de la date d’ancienneté par l’employeur est prohibée, car elle porte atteinte aux droits du salarié. L’indemnité de procédure permet au juge de condamner la partie perdante à couvrir les frais exposés.
Résumé de l’affaire : La société Novartis Pharma a recruté un bio-technicien de production à partir du 3 janvier 2005. Le 5 octobre 2020, ce salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Mulhouse, demandant la reconnaissance d’une reprise d’ancienneté à partir du 1er janvier 1997, date de son embauche par un précédent employeur, la société Rhodia. Il reprochait à la société Novartis Pharma d’avoir modifié cette mention sur ses bulletins de paie.

Le 10 mai 2021, le conseil de prud’hommes a rejeté les demandes du salarié ainsi que celles de la société Novartis Pharma. Le tribunal a estimé que le contrat de travail ne stipulait pas de reprise d’ancienneté, mais seulement une prime d’ancienneté de 8 %. De plus, les bulletins de paie n’avaient pas mentionné d’ancienneté de 2005 à 2016, et les mentions de 2017 à 2019 ne prouvaient pas un accord sur une reprise d’ancienneté.

Le 16 novembre 2022, le salarié a interjeté appel. Dans ses conclusions du 30 décembre 2022, il a demandé à la cour d’infirmer le jugement et d’ordonner à la société Novartis Pharma de rectifier ses bulletins de paie pour y inscrire la date du 1er janvier 1997, ainsi qu’une indemnité de 1 500 euros pour les frais de procédure. Le salarié soutenait que la société s’était engagée à reprendre son ancienneté lors de son embauche.

En réponse, la société Novartis Pharma a demandé la confirmation du jugement initial et a réclamé une indemnité de 1 000 euros pour les frais de procédure. Elle a affirmé que la prime d’ancienneté était maintenue, mais sans reprise de l’ancienneté elle-même, et que les mentions sur les bulletins de paie étaient fictives.

La cour a finalement conclu que l’intention des parties était de reprendre l’ancienneté acquise par le salarié, ordonnant à la société Novartis Pharma de rectifier les bulletins de paie et de verser une indemnité de 1 500 euros au salarié.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la demande de reprise d’ancienneté par le salarié ?

Le salarié soutient que la société Novartis Pharma s’est engagée à reprendre son ancienneté acquise auprès d’un précédent employeur, ce qui est en lien avec l’article L1234-1 du Code du travail, qui stipule que « tout salarié a droit à une ancienneté qui s’acquiert par l’exercice d’une activité professionnelle ».

Le contrat de travail ne mentionne pas explicitement la reprise d’ancienneté, mais il prévoit une prime d’ancienneté de 8% du salaire de base, ce qui peut être interprété comme une volonté de maintenir la rémunération antérieure.

La jurisprudence a souvent considéré que l’absence d’exclusion de la reprise d’ancienneté dans le contrat peut laisser présumer une telle reprise, conformément à l’article L1221-1 du Code du travail, qui impose une bonne foi dans l’exécution du contrat de travail.

Quel est l’impact des bulletins de paie sur la reconnaissance de l’ancienneté ?

Les bulletins de paie jouent un rôle crucial dans la reconnaissance de l’ancienneté. Selon l’article L3243-1 du Code du travail, « l’employeur doit remettre au salarié un bulletin de paie lors de chaque paiement de salaire ».

Dans cette affaire, les bulletins de paie mentionnaient une date d’ancienneté au 1er janvier 1997, ce qui, selon la jurisprudence, peut constituer une preuve de l’accord entre les parties sur la reprise de l’ancienneté.

La société Novartis Pharma n’a pas réussi à prouver que cette mention était uniquement destinée à des fins techniques pour le calcul de la prime d’ancienneté, ce qui renforce la position du salarié.

Quel est le rôle des pratiques antérieures de l’employeur dans cette affaire ?

Les pratiques antérieures de l’employeur sont déterminantes pour établir l’intention des parties. L’article 1134 du Code civil stipule que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

La société Novartis Pharma a maintenu une mention constante de l’ancienneté sur les bulletins de paie de septembre 2012 à janvier 2020, ce qui démontre une intention de reprendre l’ancienneté acquise par le salarié.

Cette continuité dans la pratique contredit l’argument de l’employeur selon lequel la mention de l’ancienneté était fictive et renforce la demande du salarié pour une reconnaissance formelle de son ancienneté.

Quel est le fondement de la décision de la cour concernant l’astreinte ?

La cour a décidé de ne pas assortir la décision d’une astreinte, ce qui est en ligne avec l’article 1315 du Code civil, qui impose à celui qui réclame une obligation de prouver l’existence de cette obligation.

Dans ce cas, la cour a jugé que les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas une astreinte immédiate, même si le salarié avait droit à la mention de son ancienneté sur les bulletins de paie.

Cette décision reflète une approche équilibrée, tenant compte des intérêts des deux parties et de la nécessité d’une exécution de bonne foi des obligations contractuelles.

Quel est le régime des dépens et des frais de procédure dans cette affaire ?

La société Novartis Pharma, ayant succombé, est condamnée aux dépens conformément à l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que « la partie perdante est condamnée aux dépens ».

De plus, selon l’article 700 du même code, le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour couvrir les frais non compris dans les dépens.

Dans cette affaire, la cour a accordé au salarié une indemnité de 1 500 euros pour couvrir ses frais, tout en déboutant l’employeur de sa demande d’indemnité, ce qui souligne l’importance de l’équité dans la répartition des frais de justice.

MINUTE N° 25/262

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRET DU 01 AVRIL 2025

Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/04118

N° Portalis DBVW-V-B7G-H6OE

Décision déférée à la Cour : 10 Mai 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANT :

Monsieur [C] [G]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par M. [U] [Y], délégué syndical,

INTIMEE :

S.A.S. NOVARTIS PHARMA SAS,

prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jacques PEROTTO de la SELARL ALERION AVOCATS, substitué par Me Eloïse RAMOS, avocats au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2025, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. ROBIN, Président de chambre, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. ROBIN, Président de chambre (chargé du rapport)

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme WOLFF

ARRET : – contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées,

– signé par M. ROBIN, Président de chambre et Mme WOLFF, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Novartis Pharma a embauché M. [C] [G] en qualité de bio-technicien de production à compter du 3 janvier 2005.

Le 5 octobre 2020, M. [C] [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Mulhouse en invoquant une reprise conventionnelle d’ancienneté remontant au 1er janvier 1997, date de son embauche par la société Rhodia, et en reprochant à la société Novartis Pharma d’avoir modifié cette mention sur ses bulletins de paie.

Par jugement du 10 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Mulhouse a débouté M. [C] [G] de ses demandes et la société Novartis Pharma de ses demandes reconventionnelles.

Pour l’essentiel, le conseil de prud’hommes a considéré que le contrat de travail conclu entre les parties ne mentionnait pas une reprise d’ancienneté mais seulement une rémunération de 8 % au titre de l’ancienneté, que les bulletins de paie n’avaient mentionné aucune ancienneté de 2005 à 2016 et que la mention portée sur ces bulletins au cours des années 2017 à 2019 ne permettait pas de démontrer un accord des parties sur une réelle reprise d’ancienneté.

Le 16 novembre 2022, M. [C] [G] a interjeté appel de ce jugement.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 13 décembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 7 février 2025, à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu’à ce jour.

*

* *

Par conclusions datées du 30 décembre 2022 et reçues au greffe le 4 janvier 2023, M. [C] [G] demande à la cour d’infirmer le jugement ci-dessus et d’ordonner à la société Novartis Pharma d’inscrire sur ses bulletins de salaire la date du 1er janvier 1997 au titre de la mention de l’ancienneté et de rectifier, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de paie délivrés depuis le 1er janvier 2020 ; il sollicite une somme de 1 500 euros à titre d’indemnité de procédure.

M. [C] [G] soutient que, lors de son embauche, la société Novartis Pharma s’est engagée à reprendre l’ancienneté qu’il avait acquise auprès d’un employeur de la même branche et que cela explique la fixation à 8 % de la prime d’ancienneté par le contrat de travail et la mention d’une ancienneté remontant au 1er janvier 1997 sur les bulletins de paie, cela depuis 2013.

Par conclusions déposées le 5 avril 2023, la société Novartis Pharma demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner M. [C] [G] à lui payer une indemnité de 1 000 euros à titre d’indemnité de procédure.

La société Novartis Pharma soutient que lors de l’embauche de M. [C] [G] elle a consenti à celui-ci de maintenir le paiement de la prime d’ancienneté qu’il percevait auprès de son précédent employeur mais qu’elle n’a pas entendu reprendre l’ancienneté elle-même ; elle fait valoir que les bulletins de paie mentionnaient une date d’ancienneté fictive pour les besoins du calcul de la prime et qu’elle a fait évoluer leur présentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la reprise d’ancienneté

Le contrat de travail écrit conclu le 17 novembre 2004 entre la société Novartis Pharma et M. [C] [G] ne prévoit expressément aucune reprise de l’ancienneté acquise par celui-ci auprès d’un précédent employeur, mais ne permet pas davantage d’exclure une telle reprise d’ancienneté ; en effet, ce contrat prévoit que le salarié percevra, outre un salaire de base mensuel de 1 800 euros, une prime d’ancienneté de 8% du salaire de base et une telle prime d’ancienneté versée dès l’embauche peut se justifier soit par la volonté des parties de maintenir la rémunération versée par le précédent employeur, sans reprise de l’ancienneté du salarié mais jusqu’à ce qu’il puisse prétendre à une prime d’un montant supérieur, soit par la volonté des parties de reprendre l’ancienneté du salarié.

Cependant, la pratique constante suivie par la société Novartis Pharma depuis l’embauche de M. [C] [G] démontre que, au moins pour ce qui concerne la rémunération, l’intention des parties était de reprendre l’ancienneté acquise par le salarié auprès de son précédent employeur ; en effet, elle a fait évoluer la prime d’ancienneté en fonction d’une date d’embauche remontant au 1er janvier 1997.

Aucun élément ne permet d’étayer la thèse de l’employeur selon laquelle cette reprise d’ancienneté aurait été contractuellement limitée au seul calcul de la prime due à ce titre ; en particulier, la société Novartis Pharma n’invoque aucun avantage lié à l’ancienneté dont M. [C] [G] aurait été privé.

Au contraire, à compter de septembre 2012 et de manière constante jusqu’en décembre 2019, les bulletins de paie mensuels ont toujours mentionné que la date d’ancienneté du salarié était le « 01.01.1997 » ; non seulement rien ne démontre, ainsi que le soutient l’employeur, que cette mention, qui ne figurait pas sur les bulletins de paie antérieurs, aurait été nécessaire pour les seuls besoins techniques du calcul du montant de la prime d’ancienneté, mais, de surcroît, cette affirmation est contredite, d’une part, par la circonstance que cette date ne figurait pas sur les bulletins de paie antérieurs qui étaient similaires en tous points à l’exception de cette seule mention et, d’autre part, par le fait qu’à compter de janvier 2017, alors que la présentation des bulletins de paie a été totalement modifiée, la société Novartis Pharma a continué de mentionner la même date d’ancienneté, en ajoutant cependant la date d’entrée dans l’entreprise.

Cette dernière pratique a été poursuivie de manière constante durant trois ans jusqu’en janvier 2020, lorsque la société Novartis Pharma a modifié la date d’ancienneté pour la faire coïncider avec la date d’entrée dans l’entreprise.

La pratique constante suivie par la société Novartis Pharma démontre ainsi que l’intention des parties lors de la conclusion du contrat de travail était non seulement de maintenir la rémunération antérieure de M. [C] [G] mais de reprendre effectivement l’ancienneté acquise précédemment par ce salarié dans la même branche d’activité, sans prévoir aucune exception, et que l’employeur a, par pure opportunité, prétendu modifier cette ancienneté de manière unilatérale.

En conséquence, M. [C] [G] est fondé à demander à la société Novartis Pharma de mentionner sur les bulletins de paie une date d’ancienneté au 1er janvier 1997 et de lui remettre des bulletins de paie rectifiés pour la période écoulée depuis le 1er janvier 2020.

Néanmoins, les circonstances de l’espèce ne justifient pas d’assortir cette disposition d’une astreinte dès son prononcé.

Sur les dépens et les autres frais de procédure

La société Novartis Pharma, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

Selon l’article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Les circonstances de l’espèce justifient de condamner la société Novartis Pharma à payer à M. [C] [G] une indemnité de 1 500 euros au titre des frais exclus des dépens exposés à l’occasion du présent procès ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement déféré en ses dispositions frappées d’appel ;

Et, statuant à nouveau,

ORDONNE à la société Novartis Pharma de mentionner sur les bulletins de paie de M. [C] [G] une ancienneté remontant au 1er janvier 1997 ;

CONDAMNE la société Novartis Pharma à remettre à M. [C] [G] des bulletins de paie rectifiés, mentionnant une ancienneté remontant au 1er janvier 1997, pour la période écoulée depuis janvier 2020 ;

DIT n’y avoir lieu d’assortir la disposition ci-dessus d’une astreinte dès son prononcé ;

CONDAMNE la société Novartis Pharma aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à M. [C] [G] une indemnité de 1 500 euros (mille cinq cents euros), par application de l’article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 1er avril 2025, signé par Monsieur Emmanuel Robin, Président de Chambre et Madame Lucille Wolff, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


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