Remboursement des pertes du mandatLe mandant est tenu de rembourser au mandataire les avances et frais engagés pour l’exécution du mandat, conformément à l’article 1999 du Code civil. En l’absence de faute imputable au mandataire, le mandant ne peut se soustraire à cette obligation, même si l’affaire n’a pas abouti. Indemnisation des pertesSelon l’article 2000 du Code civil, le mandant doit indemniser le mandataire pour les pertes subies dans le cadre de la gestion, sauf si ces pertes sont dues à une imprudence du mandataire. Cette indemnisation est due même si le mandataire n’a pas réussi à générer des bénéfices. Conditions de renonciationLa renonciation aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil doit être claire, précise et acceptée en connaissance de cause par le mandataire, comme l’indiquent les arrêts de la Cour de cassation (Com., 4 décembre 1990, n° 88-18.781 et Com., 5 février 2002, n° 98-17.529). Si le mandant conserve la maîtrise des conditions d’exploitation, il ne peut pas transférer la charge des pertes au mandataire (Com., 28 juin 1994, n° 92-17.957). Maîtrise des conditions d’exploitationLa maîtrise des conditions d’exploitation par le mandant est déterminante pour l’indemnisation des pertes. Si le mandant fixe les prix de vente et les modalités d’exploitation, il est responsable des pertes subies par le mandataire, sauf en cas de faute de ce dernier. Preuve des pertesConformément à l’article 1315 (devenu 1351) du Code civil, il incombe au mandataire de prouver les pertes subies et leur lien avec le mandat, tandis que le mandant doit démontrer l’extinction de son obligation d’indemnisation par le paiement ou la faute du mandataire. Indivisibilité de l’opération contractuelleL’indivisibilité du fonds de commerce ne signifie pas que toutes les opérations contractuelles soient juridiquement indivisibles. Les activités exercées sous le contrat de location-gérance peuvent être juridiquement distinctes, permettant une appréciation séparée des pertes du mandat (Com., 17 décembre 2002, n° 01-02.221). Charges d’exploitationLes pertes du mandat doivent être évaluées en tenant compte des charges spécifiques à l’activité de vente de carburant, distinctes des autres activités exercées par le mandataire. Les charges doivent être réparties de manière appropriée pour déterminer la rentabilité de l’activité sous mandat. Fautes de gestionLes fautes de gestion alléguées par le mandant ne doivent pas nécessairement être la cause exclusive des pertes subies par le mandataire. La simple existence de pertes ne suffit pas à établir une faute de gestion, et il appartient au mandant de prouver que ces fautes ont eu un impact direct sur les pertes (Com., 28 janvier 1992, n° 89-15.676). |
L’Essentiel : Le mandant est tenu de rembourser au mandataire les avances et frais engagés pour l’exécution du mandat. En l’absence de faute imputable au mandataire, le mandant ne peut se soustraire à cette obligation. Le mandant doit également indemniser le mandataire pour les pertes subies, sauf si celles-ci résultent d’une imprudence de ce dernier. La renonciation aux dispositions légales doit être claire et acceptée en connaissance de cause. La maîtrise des conditions d’exploitation par le mandant est déterminante pour l’indemnisation.
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Résumé de l’affaire : La société BP France a conclu un contrat de location-gérance avec la SARL Carbudis pour l’exploitation d’une station-service, stipulant que la vente de carburants se ferait sous mandat. La SARL Carbudis devait déposer quotidiennement les recettes sur un compte au bénéfice de BP France, qui lui versait une commission. En 2006, la SARL Carbudis a cessé de restituer les recettes, entraînant la résiliation du contrat par BP France et l’expulsion de Carbudis par le tribunal.
La SARL Carbudis a alors assigné BP France en justice, réclamant des indemnités pour pertes et rupture abusive. BP France a contre-attaqué, demandant la restitution des recettes non versées. En 2007, la SARL Carbudis a été placée en liquidation judiciaire, et le liquidateur a pris part aux procédures. Parallèlement, BP France a porté plainte contre la gérante de Carbudis pour abus de confiance, mais elle a été relaxée tout en étant condamnée à rembourser les recettes non restituées. Le tribunal de commerce a débouté la SARL Carbudis de ses demandes et a fixé la créance de BP France à 47 153,86 euros. En appel, la cour a infirmé certaines décisions, notamment en ce qui concerne la renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil, et a ordonné une expertise pour évaluer les pertes. En 2017, la cour a condamné BP France à indemniser la SARL Carbudis pour rupture fautive du contrat. Cependant, la Cour de cassation a annulé cette décision en 2019, soulignant que les fautes de gestion de la SARL Carbudis empêchaient d’établir un lien direct entre les pertes et la gestion sous mandat. En 2022, la cour d’appel a confirmé certaines décisions, mais a également ordonné à BP France de verser des indemnités à la SARL Carbudis. La procédure est toujours en cours, avec des demandes de remboursement des pertes et des contestations sur la gestion de la SARL Carbudis. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le cadre juridique applicable à la relation entre le mandant et le mandataire dans le cadre d’un contrat de mandat ?Le cadre juridique applicable à la relation entre le mandant et le mandataire est principalement régi par les articles 1999 et 2000 du code civil. Selon l’article 1999 du code civil, « le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis. S’il n’y a aucune faute imputable au mandataire, le mandant ne peut se dispenser de faire ces remboursements et paiement, lors même que l’affaire n’aurait pas réussi, ni faire réduire le montant des frais et avances sous le prétexte qu’ils pouvaient être moindres. » L’article 2000 du code civil stipule que « le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable. » Ces articles établissent que le mandant a une obligation d’indemnisation envers le mandataire, sauf si ce dernier a commis une faute dans l’exécution de son mandat. Ainsi, la responsabilité du mandant est engagée lorsque les pertes subies par le mandataire résultent de la gestion effectuée dans le cadre du mandat, à condition que le mandataire n’ait pas commis de faute. Quel est le rôle de la renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil dans le cadre de ce litige ?La renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil est un point central dans ce litige. La cour d’appel a jugé que la SARL Carbudis n’avait pas valablement renoncé aux dispositions de ces articles, car les stipulations du contrat de location-gérance n’en reproduisaient pas les termes et ne mettaient pas en évidence l’importance de cette exclusion. En effet, l’article 2000 du code civil, qui protège le mandataire, ne peut être écarté que si la renonciation est claire, précise et acceptée en connaissance de cause par le mandataire. La cour a également souligné que le mandant, en l’occurrence la société BP France, avait conservé la maîtrise des conditions d’exploitation, ce qui rendait la renonciation inopérante. Ainsi, la renonciation à ces articles ne peut être considérée comme valable si le mandataire n’a pas été informé de manière adéquate des implications de cette renonciation. Quel est l’impact de la gestion déficitaire sur le droit à indemnisation du mandataire ?L’impact de la gestion déficitaire sur le droit à indemnisation du mandataire est significatif. L’article 2000 du code civil stipule que le mandant doit indemniser le mandataire des pertes subies à l’occasion de sa gestion, sauf si ces pertes sont dues à une imprudence imputable au mandataire. Dans ce cas, la cour a constaté que l’activité de la SARL Carbudis était structurellement déficitaire, ce qui a été corroboré par le rapport d’expertise. Cependant, la cour a également noté qu’aucune faute de gestion n’avait été établie à l’encontre de la SARL Carbudis, ce qui signifie que les pertes subies ne pouvaient pas être imputées à une imprudence de sa part. Ainsi, même si l’activité était déficitaire, cela ne prive pas la SARL Carbudis de son droit à indemnisation, tant que les pertes ne sont pas le résultat d’une faute de gestion. Quel est le rôle de l’expertise judiciaire dans l’évaluation des pertes du mandat ?L’expertise judiciaire joue un rôle crucial dans l’évaluation des pertes du mandat. Elle a pour mission d’analyser les comptes de la SARL Carbudis et de déterminer si les pertes alléguées sont justifiées et en lien avec l’exécution du mandat. Cependant, la cour a relevé que le rapport d’expertise était inexploitables en raison de biais d’analyse, notamment le fait que l’expert n’a pas distingué entre les différentes activités exercées par la SARL Carbudis. L’expert a proposé plusieurs méthodes de répartition des charges, mais celles-ci n’ont pas été jugées pertinentes, car elles ne prenaient pas en compte la spécificité de l’activité de vente de carburant. En conséquence, la cour a décidé de se référer aux chiffres avancés par la SARL Carbudis dans son étude de rentabilité, qui reposait sur des données fiables et cohérentes, pour établir les pertes du mandat. Quel est le lien entre la responsabilité du mandant et les fautes de gestion du mandataire ?Le lien entre la responsabilité du mandant et les fautes de gestion du mandataire est fondamental dans le cadre de l’indemnisation des pertes. Selon l’article 2000 du code civil, le mandant est tenu d’indemniser le mandataire des pertes subies, sauf si ces pertes sont dues à une imprudence imputable au mandataire. Dans cette affaire, la cour a constaté que la SARL Carbudis n’avait pas commis de faute de gestion qui aurait pu être la cause des pertes subies. Ainsi, même si des anomalies de gestion ont été relevées, elles ne sont pas directement liées à la constitution des pertes du mandat. Cela signifie que la responsabilité du mandant demeure engagée tant que les pertes ne sont pas le résultat d’une faute imputable au mandataire, ce qui renforce le droit à indemnisation de la SARL Carbudis. |
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRÊT DU 19 MARS 2025
sur renvoi après cassation
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 24/04140 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CJAJS
Décision déférée à la Cour :
Sur renvoi après cassation – arrêt de la Cour de Cassation en date du 10 janvier 2024 – pourvoi n° C 22-19.778 (J 22-21.762 jonction) E 18-10.380 ayant cassé et annulé partiellement l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris en date du 11 mai 2022 – n° RG 21/08876
Arrêt de la Cour de Cassation en date du 7 mai 2019 – pourvoi n° C17-29.004 (Q 18-10.090 jonction) ayant cassé et annulé partiellement l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris en date du 11 octobre 2017 – n° RG 11/22193
Jugement du 02 décembre 2011 par le tribunal de commerce de Paris – n° RG 2006048586
APPELANTES
Madame [V] [E]
[Adresse 4]
[Localité 5]
S.A.R.L. CARBUDIS, prise en la personne de Maître [B] [W], ès qualités de liquidateur de la S.A.R.L. CARBUDIS, dont le siège social est [Adresse 3], [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentés et assistés par Me Nicolas Pinto, avocat au barreau de Paris, toque : C1408
INTIMÉE
S.A.S. EG RETAIL (FRANCE) SAS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au R.C.S. de Pontoise sous le numéro 439 793 811
[Adresse 1]
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentée par Me Lin Nin, substitué par Me Lucie Aignelot, tous deux de la SELARL Duclos Thorne Mollet-Vieville, avocats au barreau de Paris, toque : P0075
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Février 2025, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, et M. Julien Richaud, conseiller, lequel a été entendu en son rapport.
Mme Brigitte Brun-Lallemand et M. Julien Richaud ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composé de :
Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre
M. Julien Richaud, conseiller
M. Gilles Buffet, conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Valérie Jully
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par M. Maxime Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.
Par contrat à durée indéterminée du 17 avril 2001 modifié par avenant du 1er janvier 2004, la société BP France (aux droits de laquelle vient la SAS EG Retail France, anciennement dénommée Delek France puis EFR France), spécialisée dans le commerce de détail de carburants en magasin spécialisé, a donné en location-gérance une station-service située à [Localité 9] à la SARL Carbudis, dont la gérante, madame [Z] [E], s’est portée caution à hauteur de 22 867,35 euros.
Cet acte stipulait que l’activité de vente de carburants s’exerçait sous le régime du mandat et que la SARL Carbudis s’obligeait à déposer quotidiennement les recettes qu’elle en tirait sur un compte bancaire objet d’un ordre de prélèvement automatique magnétique au bénéfice de la société BP France qui lui versait en contrepartie une commission mensuelle constituée d’une part fixe d’un montant de 9 147 euros et d’une part variable de 0,006 centimes d’euro par litre vendu. Les autres activités attachées au fonds de commerce étaient en revanche exercées librement aux risques et périls de l’exploitant.
La SARL Carbudis ayant cessé de restituer les recettes de carburant courant 2006, la société BP France, après l’avoir vainement mise en demeure d’y procéder par lettre du 7 juin 2006, lui a notifié par courrier du 15 juin 2006 la résiliation de son contrat au visa de sa clause résolutoire. La SARL Carbudis s’étant maintenue dans les locaux loués, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné son expulsion par ordonnance définitive du 13 juillet 2006.
Invoquant des conditions d’exploitation structurellement déficitaires, la SARL Carbudis a, par acte d’huissier signifié le 23 juin 2006, assigné devant le tribunal de commerce de Paris la société BP France en paiement de diverses sommes au titre des pertes du mandat et de la prime de fin de contrat ainsi qu’en réparation de son préjudice pour rupture abusive de la relation. Par acte d’huissier signifié le 19 juillet, la société BP France a assigné la SARL Carbudis et madame [Z] [E], en sa qualité de caution, en particulier en restitution des recettes de carburant encaissées pour son compte. Ces deux instances étaient jointes.
Le tribunal de commerce de Nanterre ayant prononcé une liquidation judiciaire contre la SARL Carbudis par jugement du 17 juillet 2007, le liquidateur judiciaire (Maître [B] [W]) intervenait à l’instance.
Parallèlement, les parties se sont opposées dans les procédures suivantes :
– la société BP France a déposé une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de madame [Z] [E] des chefs d’abus de confiance et de recel d’abus de confiance. Par un arrêt du 7 juin 2017, la cour d’appel de Versailles a relaxé la prévenue mais l’a condamnée civilement au paiement du montant des recettes de carburant non restituées (62 398,86 euros) ;
– par jugement du 30 mars 2009, le conseil des prud’hommes de Nanterre a dit que madame [Z] [E] était liée par un contrat de travail à la société BP France.
Par jugement du 2 décembre 2011, le tribunal de commerce de Paris a :
– débouté la SARL Carbudis de l’ensemble de ses demandes ;
– fixé la créance de la SAS Delek France venant aux droits de la société BP France au passif de la SARL Carbudis à la somme de 47 153,86 euros, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du 6 juin 2006, au titre des ventes de carburant et à celle de 38 112,25 euros au titre de l’indemnité d’occupation ;
– condamné solidairement à hauteur de 22 867,37 euros madame [Z] [E], en sa qualité de caution des créances fixées au passif de la SARL Carbudis ;
– condamné la SARL Carbudis à payer à la SAS Delek France venant aux droits de la société BP France à la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté la SAS Delek France venant aux droits de la société BP France du surplus de ses demandes ;
– condamné la SARL Carbudis aux dépens.
Saisie par madame [Z] [E] et la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 20 novembre 2013 :
– infirmé le jugement sauf en ses dispositions ayant pris acte de l’intervention volontaire du liquidateur de la SARL Carbudis et ayant condamné solidairement à hauteur de 22 867,37 euros madame [Z] [E], en sa qualité de caution des créances fixées au passif de la SARL Carbudis ;
– statuant de nouveau dans cette limite :
* dit que la SARL Carbudis n’avait pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ;
* dit que la société BP France n’avait pas violé les stipulations de l’article 3 du préambule du Protocole relatif à l’exploitation en location-gérance d’un fonds de commerce de station-service de société pétrolière, dit AIP ;
* fixé la créance de la société BP France, aux droits de laquelle vient la société Delek France, au passif de la SARL Carbudis à la somme de 62 398, 86 euros au titre des ventes de carburants non restituées, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jugement ;
– avant dire droit sur les pertes du mandat ainsi que sur les comptes entre les parties, ordonné une expertise et sursis à statuer dans l’attende du dépôt du rapport de l’expert sur les demandes relatives à la rupture du contrat de location-gérance par la société BP France, au versement de la prime de fin de contrat prévue à l’article 5.3 de l’AIP, à la reprise des stocks prévue par l’article 4.1 de l’AIP, au versement d’indemnités au titre de l’occupation de la station-service, au paiement de sommes au titre du compte chèque, du compte divers et du compte lubrifiant, à la caution et à l’article 700 du code de procédure civile ;
– réservé les dépens.
Par arrêt du 11 octobre 2017, la cour d’appel de Paris a :
– infirmé le jugement entrepris, sauf en ses dispositions ayant pris acte de l’intervention volontaire du liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis ;
– statuant à nouveau cette limite :
* dit que la SARL Carbudis n’avait pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ;
* dit que la société BP France n’avait pas violé les stipulations de l’article 3 du préambule du Protocole relatif à l’exploitation en location-gérance d’un fonds de commerce de station-service de société pétrolière, dit AIP ;
* fixé la créance de la société BP France, aux droits de laquelle vient la société Delek France, au passif de la SARL Carbudis à la somme de 62 398, 86 euros au titre des ventes de carburants non restituées, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jugement ;
* dit que l’activité de vente d’essence de la SARL Carbudis était structurellement déficitaire ;
* dit qu’aucune faute de gestion de la SARL Carbudis n’était établie, qui s’opposerait à ce que cette société obtienne un dédommagement pour le déficit de l’activité de vente d’essence ;
* en conséquence, condamné la société EFR France à payer à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 174 699 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 23 juin 2006, les intérêts étant capitalisés ;
* condamné la société EFR France à verser à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 24 614, 37 euros au titre de la prime de fin de contrat ;
* ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties ;
* dit que la société EFR France avait rompu le contrat à tort ;
* débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
* condamné la société EFR France à supporter les dépens de première instance et d’appel ;
* condamné la société EFR France à payer à madame [Z] [E] la somme de 5 000 euros et à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cependant, par arrêt du 7 mai 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, mais seulement en ce qu’il dit qu’aucune faute de gestion de la SARL Carbudis n’était établie qui s’opposerait à ce qu’elle obtienne un dédommagement pour le déficit de l’activité de vente d’essence, condamné la société EFR France, devenue la société EG Retail France, à payer à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, les sommes de 174 699 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2006, capitalisés, et de 24 614,37 euros au titre de la prime de fin de contrat, ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties, rejeté le surplus des demandes et statué sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens.
Sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 11 mai 2022 :
– dans la limite de sa saisine, confirmé le jugement sauf en ce qu’il a :
* débouté la SARL Carbudis de sa demande au titre de la rupture fautive du contrat ;
* condamné la SARL Carbudis à payer à la société Delek France venant aux droits de la société BP France la somme de 38 112,25 euros au titre de l’indemnité d’occupation ;
* condamné madame [Z] [E] en sa qualité de caution ;
– statuant de nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant :
* déclaré irrecevable la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, en sa demande de remboursement par la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, de la caution bancaire de 15 245 euros ;
* condamné la SAS EG Retail France à payer à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 80 470 euros au titre de la rupture fautive du contrat de gérance, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision outre capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil ;
* débouté la SAS EG Retail France de sa demande d’indemnité d’occupation et de ses demandes à l’égard de madame [Z] [E] en sa qualité de caution ;
* condamné la SAS EG Retail France aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise ;
* condamné la SAS EG Retail France à payer à madame [Z] [E] la somme de 5 000 euros et à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* rejeté toute autre demande.
Néanmoins, par arrêt du 10 janvier 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, « mais seulement en ce qu’il rejette la demande en paiement par la société EG Retail (France) à M. [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis, de la somme de 274 526 euros au titre des pertes du mandat formée par Mme [E] et M. [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis », pour les motifs suivants :
Vu l’article 2000 du code civil :
10. Selon ce texte, le mandant doit indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable.
11. Pour rejeter la demande de remboursement des pertes d’exploitation subies par la société Carbudis, l’arrêt énonce, d’abord, qu’il appartient à cette société, en sa qualité de mandataire, de rendre compte de sa gestion au mandant et qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que cette société n’a pas commis de faute de gestion s’opposant à une indemnisation du déficit de l’activité de vente de carburant sous mandat. Il relève, en se référant aux conclusions de l’expertise judiciaire, que, sur la période de 2001 à 2006, l’activité de distribution de carburant était stable, que l’activité boutique était en progression en volume mais qu’elle a connu une chute du taux de marge sur les derniers exercices, que les charges d’exploitation ont significativement augmenté sur les deux derniers exercices, notamment les charges externes et de personnel, et, plus généralement, que le niveau d’activité de l’entreprise était insuffisant pour dégager des bénéfices couvrant les charges. Il retient, au titre de l’indemnisation du mandataire du fait de la rupture fautive du contrat par le mandant, qu’il ressort de l’ensemble des pièces comptables et du rapport d’expertise que l’activité de la station-service était structurellement déficitaire.
12. L’arrêt retient, ensuite, que l’expert a relevé deux séries d’anomalies dans la gestion de la station-service, concernant, d’une part, le nombre de transactions réalisées au titre de l’activité de la boutique, d’autre part, des mouvements bancaires injustifiés. S’agissant des ventes de la boutique, l’arrêt relève que l’expert a constaté que le nombre de transactions était plus élevé que le nombre de ventes, ce qui laisse entendre qu’un certain nombre de ventes n’a pas été enregistré. Il ajoute que, s’il est certain que ces anomalies ne concernent pas la vente de carburant, il ressort du rapport d’expertise que celles-ci avaient une incidence pour le retraitement des données lors de la répartition des recettes et charges entre les deux activités. S’agissant des mouvements bancaires, l’arrêt relève que l’expert, ainsi que les investigations menées dans la procédure correctionnelle ouverte à l’encontre de Mme [E], ont mis en lumière l’existence, entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2007, d’un certain nombre de transferts de liquidité au débit de la société Carbudis, pour une part étrangers à l’exploitation de la station-service et demeurés injustifiés pour l’autre. Il relève encore que, selon l’expert, ces mouvements de fonds ont été à l’origine de l’appauvrissement de la société Carbudis. Il en conclut que les anomalies de gestion de cette société sur la période de 2001 à 2006 empêchent d’établir avec suffisamment de fiabilité, non seulement, que celle-ci a essuyé des pertes dans l’exercice de son mandat de vente de carburant, mais également, que des imprudences ne sont pas sans lien avec le déficit de son activité.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les fautes de gestion dont elle retenait l’existence étaient à l’origine de l’intégralité des pertes subies par la société Carbudis, qu’elle avait constatées sur la période d’exploitation antérieure au 1er janvier 2006, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Par déclaration reçue au greffe le 19 février 2024, la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et madame [Z] [E] ont saisi la cour de renvoi.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 juin 2024, la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et madame [Z] [E] demandent à la Cour, au visa des articles 1131, 1999 et 2000 du code civil, L 330-3, L 442-6 et L 622-21 et suivants du code de commerce, d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la SARL Carbudis de sa demande de remboursement des pertes du mandat et statuant à nouveau :
– à titre principal, de :
* juger que la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, n’a pas permis à la SARL Carbudis de renoncer à l’article 2000 du code civil en connaissance de cause ;
* juger que la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, ne peut se prévaloir d’une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée d’une obligation essentielle contenue à l’article 3 du préambule des AIP, qu’elle a de surcroît délibérément violé ;
* juger que la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, doit rembourser à la SARL Carbudis les pertes du mandat de la station qui ont pour origine un fait dont elle a conservé la maîtrise ;
* juger que la SARL Carbudis n’a commis aucune imprudence de gestion pour les périodes pour lesquelles elle réclame le remboursement des pertes du mandat ;
* en conséquence, condamner la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, à verser à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 274 526 euros au titre des pertes du mandat ;
* à titre subsidiaire et si par impossible la cour devait juger que la SARL Carbudis n’a pas droit au remboursement des pertes pour l’exercice clôturé le 30 mai 2006 pour lequel des fautes sont alléguées, il est demandé à la Cour de condamner la SAS EG Retail France à verser à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 229 964 euros HT au titre du remboursement des pertes issues cumulées pour les exercices allant du 17 avril 2001 au 31 mai 2005 ;
– à titre très subsidiaire, d’ordonner une contre-expertise ;
– à titre plus subsidiaire, de :
* dire et juger que seule la méthode n° 2 utilisée par l’expert doit être retenue ;
* en conséquence, condamner la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, à verser à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 121 391 euros au titre des pertes du mandat ;
– en tout état de cause, de :
* débouter la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, de l’ensemble de ses demandes ;
* condamner à la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, à verser à la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 35 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
* condamner à la SAS EG Retail France, venant aux droits de la société BP France, à verser à madame [Z] [E] la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l’article 1154 du code civil à compter de la demande.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 juin 2024, la SAS EG Retail France demande à la cour de :
– juger la SAS EG Retail France recevable et bien fondée en ses prétentions ;
– juger que la SARL Carbudis a valablement renoncé au bénéfice des articles 1999 et 2000 du code civil au titre du contrat du 17 avril 2001 et, vu les articles 1999 et 2000 du code civil :
* à titre principal :
constater que le jugement du 2 décembre 2011 portant sur la validité de la renonciation aux articles 1999 et 2000 est définitif ;
en conséquence, débouter la SARL Carbudis de ses demandes de remboursements des prétendues pertes au titre du mandat ;
* à titre subsidiaire :
juger que les dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ont un caractère supplétif et que la SARL Carbudis y a valablement renoncé ;
juger que les parties n’ont pas fait référence aux AIP au titre du contrat de location-gérance ;
en tout état de cause, juger que la renonciation à l’article 2000 du code civil n’est pas en contradiction avec les AIP ;
en conséquence, juger que la SARL Carbudis a valablement renoncé au bénéfice des articles 1999 et 2000 du code civil et demeure irrecevable à solliciter le paiement d’indemnités en application des articles 1999 et 2000 du code civil ;
– sur la demande de remboursement des prétendues pertes au titre du mandat, vu l’article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles 1999 et 2000 du code civil ;
o à titre principal :
juger que les dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ont un caractère supplétif et que la SARL Carbudis y a valablement renoncé ;
juger que Maître [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis et madame [Z] [E] n’établissent pas que les conditions dont le mandant aurait conservé la maîtrise seraient la cause exclusive des pertes dont la SARL Carbudis ès qualités de mandant demande l’indemnisation, n’opposent aucune étude des prix à la pompe au soutien de ses demandes d’indemnisation et n’affirment ni ne démontrent encore moins avoir été victime d’une quelconque discrimination par rapport à d’autres membres du réseau quant à la fixation du prix ;
juger que Maître [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis et madame [Z] [E] ne sont pas fondés à soutenir que ses pertes trouvent leur cause dans une faute qu’aurait commise la SAS EG Retail France dans la fixation du prix des carburants ;
en conséquence, confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 décembre 2011 en ce qu’il a débouté la [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis et madame [Z] [E] de l’ensemble de leurs demandes visant les pertes prétendument causées par la SAS EG Retail France ;
* à titre subsidiaire :
juger qu’en refusant de restituer les recettes carburant, en omettant de comptabiliser régulièrement et fidèlement des opérations de ventes de marchandises, et en procédant à des débits et virements injustifiés en comptabilité, la SARL Carbudis a commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation au titre notamment des dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ;
juger que le fonds de commerce donné en location-gérance constitue un tout indivisible commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation ;
juger qu’en tout état de cause, la comptabilité de la SARL Carbudis n’est pas cohérente et n’apporte pas la preuve certaine des prétendues pertes cumulées au titre du mandat ;
en conséquence, débouter Maître [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis et madame [Z] [E] de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation des pertes subies par elle au titre de l’exécution du mandat ainsi que le paiement de la prime de fin de contrat ;
* à titre infiniment subsidiaire :
juger que les méthodes n° 1 et n° 2 proposées par l’expert judiciaire ne peuvent être retenues en ce qu’elles ont pour effet de gonfler artificiellement l’activité de vente de carburant dans l’exploitation de la station-service et constituent une violation des règles commerciales et comptables ;
juger que seule la méthode n° 3 attachée aux marges est susceptible d’être retenue ;
en conséquence, limiter la condamnation de la SAS EG Retail France au versement de la somme de 14 880 euros au titre des pertes du mandat, telles qu’arrêtées par l’expert judiciaire ;
débouter Maître [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis de sa demande de condamnation à l’encontre de la SAS EG Retail France, à titre principal, au paiement de la somme de 274 526 euros au titre du cumul des pertes du mandat, et à titre subsidiaire, au paiement de la somme de 229 964 euros HT au titre des pertes cumulées du mandat pour les exercices allant du 17 avril 2001 au 31 mai 2005, à titre très subsidiaire, de sa demande d’expertise et à titre plus subsidiaire, au paiement de la somme de 121 391 euros à l’encontre de la SAS EG Retail France au profit de Maître [B] [W] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis au titre des pertes du mandat ;
– en tout état de cause :
* débouter Maître [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis et madame [Z] [E] de l’intégralité de leurs demandes ;
* débouter Maître [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis et madame [Z] [E] de l’intégralité de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ;
* condamner solidairement Maître [B] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Carbudis et madame [Z] [E] au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont les frais d’expertise.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 décembre 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.
1°) Sur le remboursement des pertes du mandat
Moyens des parties
Au soutien de leurs prétentions, la SARL Carbudis, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et madame [Z] [E] exposent que la société BP France ne leur a pas remis de document d’information précontractuelle (ci-après, « le DIP ») en violation de l’article L 330-3 du code de commerce, privant ainsi la SARL Carbudis de toute possibilité de renoncer aux articles 1999 et 2000 du code civil. Elles expliquent que cette faute, qui caractérise également une violation de l’article 1.2 des AIP, cause à la SARL Carbudis, dont le chiffre d’affaires était constitué à 98 % des ventes de carburant, un préjudice consistant dans les pertes du mandat. Elles soulignent le caractère indemnitaire de leur prétention pour écarter l’application de la prescription prévue par l’article 1304 du code civil. Elles ajoutent que la renonciation stipulée dans le contrat n’est pas efficace en ce qu’elle est contraire aux dispositions du préambule des AIP et ne reproduit pas les dispositions qui en sont l’objet, madame [Z] [E] n’ayant aucune expérience en droit et dans la gestion d’une station-service et n’ayant pu en comprendre les termes et les implications. Elles précisent en outre que l’arrêt du 20 novembre 2013 est définitif sur ce point et qu’une telle clause ne peut quoi qu’il en soit exclure les pertes d’exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant (Com., 26 octobre 1999, GUE c. Total), spécialement quand le montant de la commission rémunérant le mandataire pour la vente de carburant est trop faible, peu important l’absence d’abus dans la fixation du prix ou de discrimination entre membres du réseau. Pour établir la maîtrise de l’ensemble des paramètres d’exploitation par la société BP France, elles invoquent le fait que la SARL Carbudis ne disposait pas dans sa station-service d’activité de diversification et que le conseil des prud’hommes a estimé que l’encadrement et la règlementation de l’activité de madame [Z] [E] par la société BP France fondait la qualification de contrat de travail.
Les appelantes contestent toute faute de gestion au motif que :
– la comparaison avec l’activité de la SARL Ouslati n’est pas pertinente faute d’éléments sur le montant de la commission perçue et sur la consistance de son activité ainsi que sur les modalités d’exploitation antérieures au contrat du 17 avril 2001 ;
– la conservation des recettes carburant est causée par la faute de la société BP France ;
– l’existence d’un solde bancaire créditeur n’exclut pas la réalité d’une activité structurellement déficitaire ;
– le placement de la somme de 15 350 euros correspond au montant de la caution bancaire exigée par la société BP France et placée en SICAV monétaire, cette dernière en ayant d’ailleurs perçu l’intégralité ;
– les éventuels manquements commis en juin 2006 sont postérieurs à la période objet de ses demandes qui s’étend du 17 avril 2001 au 31 mai 2006. Subsidiairement, elles soulignent l’absence d’incidence de ces fautes résiduelles sur le droit à indemnisation de la SARL Carbudis pour les exercices comptables antérieurs, les pertes du mandat se constituant progressivement, année après année.
Sur le quantum de l’indemnisation, elles exposent que les pertes du mandat ne peuvent être compensées par le résultat des activités annexes, l’activité boutique, qui ne concernait pas la mission de l’expert judiciaire, étant exercée aux risques et périls de l’exploitant. Elles entendent ainsi écarter les méthodes n° 1 et 3 de l’expert judiciaire, la première consistant à comparer des activités de prestation de service et d’achat vente et la troisième à déterminer le résultat du mandat par soustraction de la profitabilité des activités annexes sans égard pour la réalité économique de l’activité objet du mandat, pour ne retenir que l’approche fondant la deuxième qu’elles proposent d’adopter à titre très subsidiaire et qui s’appuie sur les encaissements de produits pétroliers et le chiffre d’affaires de la boutique. A raison du caractère progressif de la constitution, exercice par exercice, des pertes du mandat, elles estiment également infondée la compensation opérée par l’expert entre les années positives et négatives. Elles réclament de ce fait une indemnisation ainsi ventilée :
– 51 487 euros pour l’exercice allant du 17 avril 2001 au 31 mai 2002 ;
– 44 038 euros pour l’exercice allant du 1er juin 2002 au 31 mai 2003 ;
– 62 780 euros pour l’exercice allant du 1er juin 2003 au 31 mai 2004 ;
– 71 659 euros pour l’exercice allant du 1er juin 2004 au 31 mai 2005 ;
– 44 562 euros pour l’exercice allant du 1er juin 2005 au 31 mai 2006, seul exercice pouvant, à titre subsidiaire, être affecté par les fautes de gestion alléguées.
En réponse, la SAS EG Retail France expose que l’arrêt du 11 mai 2022 a définitivement confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a validé la renonciation de la SARL Carbudis aux articles 1999 et 2000 du code civil. Subsidiairement, elle soutient que, ces dispositions n’étant pas d’ordre public, la SARL Carbudis y a valablement renoncé ainsi que le stipule explicitement le contrat (section I, article 3 ; section II, première phrase et article A-5-1) dont les clauses ne sont pas contraires aux AIP qui ne prévoient aucune distinction entre les activités concernées, ne créent aucune obligation de résultat relatives aux discussions entreprises par les parties et n’obligent pas la compagnie pétrolière à combler les pertes d’exploitation éventuelles du pompiste.
Subsidiairement, elle explique, après avoir rappelé qu’il incombe au mandataire de prouver que les pertes alléguées sont exclusivement causées par des conditions d’exploitation dont le mandant a conservé la parfaite maitrise, que :
– la SARL Carbudis ne prouve pas le montant de ses pertes qui n’est pas conforme à sa propre comptabilité et précise que les encaissements de carburant sur lesquels elle s’appuie ne sont ni constitutifs de son chiffre d’affaires ni représentatifs sur les plans économiques et comptables Elle ajoute que les résultats du successeur de la SARL Carbudis dans l’exploitation de sa station-service confirment, à loyer et commission identiques, la viabilité et la rentabilité du fonds de commerce et contredisent la thèse d’une exploitation structurellement déficitaire ;
– les relations des parties étaient régies par un contrat unique soumis à la loi du 20 mars 1956, l’ensemble des activités (carburants, marchandises et lavage) s’exerçant au sein d’un seul fonds de commerce dont l’universalité rend fongibles les éléments qui le composent. Se réclamant des dispositions des AIP confirmant l’unicité de la station-service, elle s’oppose en conséquence à toute ventilation ou au découpage analytique de la gestion selon les activités exercées qui sont imbriquées et à apprécier dans leur ensemble, le mandat applicable à la vente de carburant pour alléger la trésorerie de l’exploitant constituant une simple modalité commerciale d’exploitation du contrat de location-gérance. Elle précise en outre que l’exploitation se faisant sous la marque BP, le chiffre d’affaires résultant de ce dernier était lié à l’activité de mandat, interdépendance économique qui exclut l’affectation de la totalité du chiffre d’affaires issu de la location-gérance à la seule activité boutique ;
– la SARL Carbudis ne prouve ni que les prix à la pompe étaient excessifs ou discriminatoires et seraient la cause exclusive des pertes alléguées ni que le montant des commissions, supérieur à la marge commerciale habituelle pratiquée dans le secteur, serait insuffisant. Elle ajoute que, à la différence du montant des encaissements qui n’est pas représentatif de l’activité de l’exploitant et qui varie en fonction du prix, celui des commissions, qui fluctue en fonction du volume vendu, reflète l’activité de distribution sous mandat et le poids de cette activité au regard du montant du loyer de la location-gérance ;
– le rapport d’expertise doit être écarté au motif qu’il pallie la carence probatoire de la SARL Carbudis et ne caractérise pas les éléments dont la société BP France aurait conservé la maîtrise et qui seraient exclusivement la cause des pertes qu’il a calculées.
La SAS EG Retail France impute par ailleurs à la SARL Carbudis des imprudences faisant obstacle au bénéfice de l’article 2000 du code civil qui résident dans :
– l’absence de révélation des pertes qu’elle allègue durant l’exécution du mandat ainsi que la poursuite d’un mandat déficitaire ;
– le défaut de comptabilisation de l’ensemble de ses ventes de marchandises (différentiel entre les volumes de vente et le nombre de transaction de 24 106 euros entre 2001 et juin 2006), l’écart constaté confirmant l’absence de fondement légitime à la non-restitution des recettes carburant ;
– le placement en 2005 de 15 350 euros en valeurs mobilières ;
– des virements injustifiés à hauteur de 61 166,61 euros entre le 1er avril 2006 et le 31 mars 2007 ;
– des transferts de liquidités à hauteur de 44 400 euros le 22 juin 2006.
Elle critique enfin les méthodes de l’expert en précisant que la première confond le chiffre d’affaires du mandataire, constitué des commissions carburant, et celui du mandant, et que la deuxième augmente artificiellement l’activité de vente de carburant en intégrant les taxes (80 %). Elle entend retenir la troisième méthode qui s’attache à la comparaison des marges de chaque activité et permet de respecter tant le cadre de l’exploitation du fonds de commerce que la mise en ‘uvre de l’ensemble des moyens pour l’exploiter.
Réponse de la cour
a) Sur la portée de la cassation partielle
Conformément aux articles 623 à 625, 631 et 638 du code de procédure civile, la cassation, qui peut être totale ou partielle, est partielle lorsqu’elle n’atteint que certains chefs dissociables des autres, la portée de la cassation étant déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce et s’étendant à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire. Sur les points qu’elle atteint, la cassation replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant le jugement cassé et entraîne, sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire. Devant la juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation, l’affaire étant à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.
Par arrêt du 20 novembre 2013, la cour d’appel de Paris a, après avoir infirmé le jugement du 2 décembre 2011 sur ce point, « dit que la société Carbudis n’a[vait] pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil » au motif que, si les stipulation du contrat de location-gérance excluent l’application des articles 1999 et 2000 du code civil, elles n’en reproduisent pas les termes, n’attirent pas l’attention de l’exploitant sur l’importance de cette exclusion qui ampute substantiellement ses droits et manquent de clarté, madame [Z] [E], qui n’était ni juriste ni professionnel averti en matière de gestion de station-service, n’ayant de ce fait pas pu accepter cette dérogation en connaissance de cause quoiqu’elle ait reconnu, en signant le contrat de location gérance, avoir reçu les informations précontractuelles nécessaires à l’exploitation du fond.
S’appuyant sur le principe selon lequel les parties à un contrat de mandat conclu à titre onéreux ne peuvent conventionnellement déroger aux dispositions de l’article 2000 du code civil, qui ne sont pas d’ordre public (en ce sens, Com. 4 décembre 1990, n° 88-18.781), qu’à la double condition que la clause soit claire et précise et acceptée en connaissance de cause par le mandataire (en ce sens, Com., 5 février 2002, n° 98-17.529) et que le mandant n’ait pas la maîtrise des conditions d’exploitation et des modalités de fixation des prix (en ce sens, Com., 28 juin 1994, n° 92-17.957), la cour d’appel ajoutait surabondamment que, même à supposer que le mandataire ait valablement renoncé au bénéfice de ce texte, les pertes qui ont pour origine un élément d’exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant ne peuvent être conventionnellement mises à la charge du mandataire. Elle précisait que tel est le cas quand ce dernier ne dispose d’aucune latitude dans la détermination des prix de vente des produits qu’il commercialise au nom et pour le compte de son mandant, ni dans celle des modalités de reversement du prix. Constatant que l’article 3 du contrat de location-gérance soumettait la SARL Carbudis au régime du mandat pour l’activité carburants, qui représentait jusqu’à 97 % de son activité, et qu’en vertu de ses stipulations, la société BP France fixait les prix de vente des carburants, les modalités de reversement de ce prix ainsi que les horaires d’ouverture et les conditions d’exploitation de la station-service, elle jugeait que le mandant avait conservé la maîtrise de l’exploitation portant sur la vente des carburants et était tenu de ce fait de compenser les pertes essuyées par la SARL Carbudis à l’occasion de sa gestion, sauf imprudence qui lui serait imputable.
Cet arrêt, qui tranchait une partie du principal et qui était de ce fait une décision mixte, est devenu, à défaut de pourvoi immédiat formé conformément aux articles 606 à 608 du code de procédure civile, irrévocable de ce chef revêtu de l’autorité de la chose jugée au sens des articles 480 du code de procédure civile et 1355 du code civil.
De ce fait, par arrêt du 11 octobre 2017, la cour d’appel de Paris infirmait à nouveau le jugement entrepris de ce chef et rappelait dans le dispositif de sa décision que la SARL Carbudis n’avait pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil. Elle motivait cette solution par renvoi aux motifs de l’arrêt mixte précédent.
Aussi, par arrêt du 7 mai 2019, la Cour de cassation a rejeté sans motivation spéciale la première branche du moyen du pourvoi de la SAS EG Retail France critiquant la motivation de l’arrêt du 11 octobre 2017 relatif à la renonciation aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil, chef de dispositif non concerné par la cassation partielle. D’ailleurs, la cassation partielle prononcée par le 10 janvier 2024 l’est précisément au visa de l’article 2000 du code civil qui, par hypothèse, régit le litige.
En conséquence, l’absence de renonciation de la SARL Carbudis aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil est définitive et sa remise en cause se heurte à l’autorité de la chose jugée dès le 20 novembre 2013. Le moyen opposé à ce titre par la SAS EG Retail France ne mérite ainsi aucun examen.
b) Sur le bienfondé de l’action
En application de l’article 1999 du code civil, le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis. S’il n’y a aucune faute imputable au mandataire, le mandant ne peut se dispenser de faire ces remboursements et paiement, lors même que l’affaire n’aurait pas réussi, ni faire réduire le montant des frais et avances sous le prétexte qu’ils pouvaient être moindres.
Et, conformément à l’article 2000 du code civil, le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable.
Ainsi, à défaut de renonciation expresse valable qui ne peut quoi qu’il en soit porter sur des pertes qui auraient pour origine un élément d’exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant, le mandant doit indemniser le mandataire des pertes qu’il a subies à l’occasion du mandat et de celles qui proviennent directement de son exécution, sauf faute imputable au mandataire (en ce sens, Com., 17 décembre 1991, n° 89-21.356) qui ne peut être déduite de la seule existence des pertes éprouvées (en ce sens, Com., 28 janvier 1992, n° 89-15.676). Dans ce cadre, conformément à l’article 1315 (devenu 1351) du code civil, il incombe au mandataire de prouver les pertes subies ainsi que leur lien de rattachement avec le mandat et au mandant de démontrer l’extinction de son obligation d’indemnisation par l’effet du paiement ou de la faute de son mandataire.
– Sur les pertes du mandat
Sur la maîtrise des éléments d’exploitation
Le fonds de commerce de station-service de la SARL Carbudis était exploité en exécution d’un contrat de la location gérance. Néanmoins, l’activité de vente de carburant était soumise au régime du mandat tandis que les activités annexes étaient exercées aux risques et périls de l’exploitant (section I, article 3) tenu de ne pas concurrencer les produits de marque BP (section II-B, article 1).
La section II-A du contrat, qui porte spécifiquement sur la vente de carburant, stipule que la SARL Carbudis vend pour le compte de la société BP France les carburants exclusivement fournis par cette dernière, sans modification ni altération, aux prix et conditions quotidiennement fixés par la société BP France, la première facturant les produits et en percevant le prix pour le compte de la seconde dans les livres d’un établissement bancaire agréé par la société BP France, à charge de lui restituer l’intégralité des recettes afférentes via un ordre de prélèvement automatique (articles 1 à 4). La section III du contrat définit les horaires d’ouverture et de fermeture de la station-service (article 7 : du lundi au vendredi de 5 heures à 22 heures et les week-ends de 8 heures à 22 heures). Cette maîtrise des conditions d’exploitation et l’importance de ces sujétions ont motivé la qualification de contrat de travail de la relation nouée entre madame [Z] [E] et la société BP France (pièce 46 des appelantes, jugement du conseil des prud’hommes du 17 février 2009).
Par ailleurs, aux termes du rapport d’expertise non contesté sur ces points et des photographies insérées par la SAS EG Retail France dans ses écritures (pages 6 et 7), la station-service exploitée par la SARL Carbudis était située sur le [Adresse 10] à [Localité 9], le long d’une route départementale à cinq voies sans autre commerce à proximité. Elle était constituée des pompes de distribution de carburants BP et d’une boutique de petite taille mais était dépourvue de station de lavage et de baie mécanique. Aussi, à la différence d’une station-service d’autoroute au sein de laquelle les clients peuvent se rendre exclusivement pour des menus achats indépendants de toute acquisition de carburant et des stations-services disposant d’équipements pouvant attirer la clientèle pour eux-mêmes, elle était presque exclusivement fréquentée par des consommateurs de carburant.
Dès lors, ainsi que l’a déjà jugé la cour d’appel de Paris dans ses arrêts des 20 novembre 2013 et 11 octobre 2017 définitifs sur ces points, la société BP France, qui fixait les modalités exclusives d’approvisionnement et d’accueil du client ainsi que les prix et les conditions de sa restitution, peu important à cet égard l’inexistence de tout abus ou discrimination, maîtrisait les conditions d’exercice de l’activité sous mandat.
Sur l’indivisibilité de l’opération contractuelle
Pour justifier une appréciation globale de la rentabilité de l’activité de la SARL Carbudis et contester le principe des pertes du mandat, la SAS EG Retail France oppose l’indivisibilité de l’ensemble contractuel encadrant les relations, les caractères du fonds de commerce (universalité de fait et indivisibilité) et les dispositions des AIP. Ces trois arguments ne sont pas pertinents car :
– l’indivisibilité du fonds de commerce, à l’instar de sa définition comme universalité de fait, sont mobilisées, notamment pour définir ses conditions de cession ou l’étendue du droit de gage des créanciers, pour appréhender l’actif ou l’ensemble qu’il constitue d’un point de vue patrimonial qui n’est, ici, pas concerné. Ces caractéristiques n’impliquent pas par elles-mêmes que toutes les opérations contractuelles effectuées à l’occasion de son exploitation soient juridiquement indivisibles et soient soumises à un régime unitaire ;
– l’unicité de la convention prise comme instrumentum, qui ne mentionne jamais l’indivisibilité des opérations contractuelles qu’elle définit, n’implique pas celle de l’acte appréhendé comme negocium et des activités économiques exercées en exécution de ses stipulations. Or, en dépit d’éléments communs aux deux activités (durée et causes de cessation), l’article 3 de la section I du contrat distingue clairement les régimes juridiques applicables aux activités exercées en soumettant exclusivement et expressément l’activité carburant aux articles 1984 et suivants du code civil, par hypothèse inapplicables à l’activité boutique. Cette dualité, caractéristique d’une divisibilité juridique et d’une étanchéité des opérations économiques, est prolongée par celle des modalités d’exploitation du fonds de commerce. Celles-ci font l’objet de stipulations distinctes prévoyant, peu important l’unité de la comptabilité de l’exploitant, un flux économique dissocié pour l’activité mandat dont les recettes sont isolées pour être quotidiennement restituées en intégralité à la société BP France qui rémunère l’exploitant par des commissions fixe et variable couvrant exclusivement les charges propres au mandat (article 5.1 qui ne concerne, au regard de sa position et de sa lettre, que le mandat contrairement à ce que soutient la consultation produite en pièce 104 par l’intimée). Le contrat, qui impose l’établissement d’un document spécifique intitulé « compte-rendu mensuel de gestion de mandat » à transmettre au mandant, n’envisage à cet égard aucune compensation entre les profits et charges des activités parallèlement exercées ;
– les AIP définissent, pour l’appréciation du résultat de l’exploitant, un cadre comptable qui n’implique pas l’impossibilité d’une ventilation des activités juridiquement et économiquement divisibles dans une logique de détermination des pertes du mandat conforme à l’esprit de leur article 3 qui dispose que l’exploitant qui se comporte en bon commerçant et en bon gestionnaire dégage un résultat annuel d’exploitation positif et que la société pétrolière s’engage à étudier à tout moment le cas de l’exploitant qui ne s’estimerait ne pas dégager un tel résultat.
En conséquence, en l’absence de toute stipulation ou d’éléments extrinsèques révélant l’intention commune des parties de rendre leur opération contractuelle indivisible, les pertes du mandat doivent être exclusivement appréciées dans le cadre de son exécution sans pouvoir être compensées par les bénéfices dégagés dans le cadre de l’activité boutique (a contrario, Com. 17 décembre 2002, n° 01-02.221 qui juge que, lorsque le contrat de mandat est un élément d’un ensemble contractuel indivisible, l’appréciation de la rentabilité s’opère pour l’ensemble et non pour le seul mandat).
Sur l’identification des charges rattachables à l’exécution du mandat
En l’absence de dépenses distinctes des charges d’exploitation alléguées par la SARL Carbudis, les pertes du mandat résident dans la différence entre le montant de la commission perçue en paiement de l’exécution du mandat et celui de l’ensemble des charges que celle-ci génère.
Dans cette logique, la mission de l’expert judiciaire consistait à identifier, dans les charges de la SARL Carbudis, celles qui relevaient spécifiquement de l’activité de vente d’essence et à comparer ce montant aux commissions versées par la société BP France afin de déterminer si l’activité était structurellement déficitaire ou bénéficiaire. Les conclusions du rapport qu’il a déposé (pièce 59 de l’intimée) sont néanmoins inexploitables.
En effet, pour déterminer le caractère déficitaire de l’exploitation, l’expert s’appuie d’abord sur les résultats globaux de la SARL Carbudis sans distinction entre les activités exercées, biais d’analyse qui le conduit à reconnaître l’existence de difficultés financières dès l’origine mais des exercices positifs en 2003 et 2004 tout en relevant que le niveau d’activité ne permettait pas à l’entreprise de couvrir ses charges.
Par ailleurs, sans en expliquer clairement la raison, l’expert propose trois clés de répartition alternatives des charges qu’il qualifie de mixtes en ce qu’elles concernent les deux activités sans affiner son analyse poste par poste. Outre le fait qu’il présente lui-même sa première méthode comme un « non-sens » (page 33 du rapport), analyse que partagent les parties, ses méthodes 2 et 3, qui comparent respectivement, d’une part, les encaissements boutique et mandat entre eux, et d’autre part, la marge de la boutique et les commissions carburant, mettent en balance des données non homogènes et incommensurables. Alors que la troisième déduit, contre la lettre de la mission d’expertise, les pertes du mandat de la rentabilité de l’activité boutique, la seconde, plus objective quoiqu’écartée à raison de l’absence d’uniformité des taxes, repose sur un critère qui n’est pas pleinement représentatif de l’activité de la SARL Carbudis puisque le montant des encaissements de carburant dépend du volume mais également du prix à la pompe fixé par le mandant. En outre, ces méthodes ne reflètent pas le fait que l’activité principale de la SARL Carbudis consistait très majoritairement dans la distribution de carburant et que la station-service a été dimensionnée pour cette activité et était accessible au public selon des horaires fixés par la société BP France dont l’amplitude a eu un impact direct sur l’étendue de la masse salariale, les charges principales de la SARL Carbudis étant ainsi générées par l’activité de vente d’essence tandis que l’activité boutique n’implique par elle-même que des charges réduites sinon marginales.
Enfin, l’expert judiciaire a procédé à une compensation entre exercices alors que les pertes du mandat sont de constitution progressive et doivent s’apprécier exercice par exercice, l’article 3 du préambule des AIP évoquant d’ailleurs logiquement un résultat annuel d’exploitation positif.
A défaut de pouvoir adopter les conclusions expertales, la Cour se réfèrera aux chiffres avancés par la SARL Carbudis dans son étude de rentabilité du mandat (ses pièces 6 à 9 et 20), qui opère une ventilation poste par poste et repose sur des données fiables et cohérentes au regard de ses états financiers (ses pièces 10 à 13 et 19), en modifiant toutefois certaines clés de répartition, la part de 98 % régulièrement affectée à l’activité carburant, qui s’appuie sur les résultats issus de la méthode 2 de l’expert dont l’absence de pertinence est établie, n’étant pas justifiée. Ces informations étant suffisantes pour trancher le litige, aucune contre-expertise, dont l’organisation retarderait inutilement le jugement d’une affaire déjà très ancienne, ne sera ordonnée.
Les charges courantes et accessoires (électricité, eau, fournitures de station, téléphonie, frais de tenue de compte bancaire, frais d’affranchissement, agios et frais de caution, taxes, assurance) ainsi que les « honoraires comptables et juridiques » et les « frais actes et contentieux » sont indissociablement générées par les deux activités parallèles. Faute d’éléments permettant une quantification plus précise, une répartition par moitié sera retenue.
Les autres charges (entretien et réparation, assurance, grivèlerie et impayés, frais de carte bancaire, loyers, frais de personnel, amortissements) sont corrélées au volume d’activité et à l’organisation structurelle impliqués par les deux activités. A cet égard, les sujétions imposées à la SARL Carbudis, particulièrement au titre des horaires d’ouverture de la station-service, induisent directement un accroissement significatif du personnel nécessaire à son fonctionnement ainsi que des charges qui y sont attachées. En outre, si le loyer est, en exécution du contrat de location-gérance, la contrepartie de l’occupation de l’intégralité des locaux, le dimensionnement de la station-service a été déterminé par la société BP France en considération de l’importance de la distribution de carburant dans l’activité globale. Or, au regard de l’emplacement de la station-service, de l’absence de station de lavage et de baie mécanique et de la taille réduite de la boutique, il est certain qu’elle était presque exclusivement fréquentée par des consommateurs de carburant, ce que confirme, malgré son imperfection, la comparaison des encaissements carburant et boutique, les premiers représentant plus de 97 % du volume total. Au regard de ces éléments combinés, 90 % de ces charges seront rattachées à l’activité mandat. Après retraitement des données de la SARL Carbudis, les pertes du mandat s’établissent ainsi :
– 23 995,50 euros pour l’exercice courant du 17 avril 2001 au 31 mai 2002 (168 006,50 ‘ 144 011) ;
– 20 661,20 euros pour l’exercice courant du 1er juin 2002 au 31 mai 2003 (150 219,20 ‘ 129 558) ;
– 35 640 euros pour l’exercice courant du 1er juin 2003 au 31 mai 2004 (165 968 ‘ 130 328) ;
– 43 073,30 euros pour l’exercice courant du 1er juin 2004 au 31 mai 2005 (172 048,30 ‘ 128 975) ;
– 17 770,90 euros pour l’exercice courant du 1er juin 2005 au 31 mai 2006 (147 556,90 – 129 786).
Les pertes du mandat étant ainsi établies en leur principe et leur mesure, demeure la question de leur imputabilité.
– Sur les fautes du mandataire
Le fait que la SARL Carbudis, qui a pu se méprendre sur la rentabilité de l’activité mandat notamment au regard de la rentabilité globale de son activité pendant deux exercices, n’ait pas alerté la société BP France avant l’année 2006 de ses difficultés structurelles ne caractérise pas en soi une déloyauté contractuelle. A supposer le contraire, ce manquement, qui ne pourrait avoir que des conséquences indemnitaires qui ne sont pas en débat, n’est pas de nature à la priver du bénéfice des dispositions de l’article 2000 du code civil : elle ne constitue pas une faute de gestion susceptible d’avoir joué un rôle causal dans la constitution des pertes du mandat. Il en est de même du défaut de restitution des recettes carburant qui s’inscrivait dans une logique d’exception d’inexécution dans le cadre du conflit opposant les parties et n’affecte pas la gestion proprement dite de la station-service.
Par ailleurs, si l’expert a relevé, en étudiant les back office des ventes de la boutique sur la période 2001 à 2006, un écart qu’il n’expliquait pas entre le nombre des ventes et celui des transactions et qui révèlerait un défaut d’enregistrement de certaines opérations pour un montant total de 24 106 euros, ces anomalies ne concernent que l’activité boutique et sont sans lien avec la constitution des pertes du mandat. Ce constat vaut pour « l’immobilisation de 15 350 euros », qui correspond en réalité au montant de la caution bancaire sollicitée par la société BP France, et pour l’existence d’un solde bancaire de 30 000 euros en 2005 dont ni le caractère fautif ni le lien avec l’exécution du mandat ne sont établis.
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