Règle de droit applicableL’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 stipule que, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police administrative, les personnes morales de droit privé satisfaisant à certains critères d’éligibilité ne peuvent encourir aucune action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives dus. Cette disposition vise à protéger les entreprises dont l’activité a été impactée par des mesures sanitaires, en interdisant les expulsions et les saisies durant cette période. Textes législatifs pertinentsL’article 1er, I, 2° de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, ainsi que l’article L. 3131-15, I, 5° du code de la santé publique, autorisent le Premier ministre à réglementer l’ouverture au public des établissements recevant du public, en imposant des conditions spécifiques d’accès et de présence. Ces textes ont été mis en place pour encadrer les mesures sanitaires durant la crise du COVID-19. De plus, l’article 40 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et l’article 40 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 précisent les conditions d’accueil du public dans les établissements de type N, tels que les restaurants, en imposant des restrictions sur le nombre de personnes et les distances à respecter. Application de la règle de droitDans le cadre de l’exécution forcée, le juge de l’exécution, selon l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, est compétent pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent lors de l’exécution forcée. Cela inclut les demandes de mainlevée de saisie-attribution et d’annulation de procès-verbaux de reprise des lieux, lorsque ces demandes sont fondées sur des dispositions législatives protectrices. En l’espèce, la cour a jugé que la locataire, en raison de l’impact des mesures sanitaires sur son activité, ne pouvait pas être soumise à des voies d’exécution forcée pour les loyers dus durant la période où son activité était affectée, ce qui a conduit à l’annulation des actes de saisie et de reprise des lieux. |
L’Essentiel : L’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 stipule que, jusqu’à deux mois après la cessation de l’impact d’une mesure de police administrative, les personnes morales de droit privé éligibles ne peuvent encourir d’actions pour retard ou non-paiement des loyers. Cette disposition vise à protéger les entreprises affectées par des mesures sanitaires, interdisant expulsions et saisies durant cette période. La cour a jugé que la locataire ne pouvait pas être soumise à des voies d’exécution forcée pour les loyers dus.
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Résumé de l’affaire : Le litige oppose une société civile immobilière (la bailleresse) à une société (la locataire) concernant un bail commercial renouvelé le 15 janvier 2019 pour des locaux à usage de restauration. En raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19, la locataire a suspendu le paiement de son loyer pour le deuxième trimestre 2020. En réponse, la bailleresse a signifié un commandement de payer le 19 octobre 2020 pour non-paiement des loyers.
Le 20 janvier 2021, un juge des référés a constaté l’acquisition de la clause résolutoire et a condamné la locataire à payer une provision pour les arriérés de l’année 2020. En exécution de cette décision, la bailleresse a repris possession des locaux le 23 février 2021 et a procédé à une saisie-attribution sur le compte bancaire de la locataire. Cette dernière a alors assigné la bailleresse en annulation du procès-verbal de reprise et en mainlevée de la saisie. Le jugement du 12 avril 2021 a débouté la locataire de ses demandes et a condamné celle-ci à verser des frais à la bailleresse. La cour d’appel a confirmé ce jugement le 10 février 2022, en précisant que la locataire n’avait pas respecté les conditions de réouverture imposées par le décret du 31 mai 2020, rendant ainsi la reprise des lieux et la saisie régulières. Cependant, la Cour de cassation a cassé cette décision le 30 novembre 2023, renvoyant l’affaire devant une cour autrement composée. La locataire a alors formulé de nouvelles demandes, incluant l’invalidation des actes de reprise et de saisie, ainsi que des dommages-intérêts pour la perte de son fonds de commerce. La bailleresse a également formulé des demandes reconventionnelles. Les débats se poursuivent sur la validité des actes d’exécution et les conséquences de l’expulsion sur les droits de la locataire. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le pouvoir du juge de l’exécution en matière de contestation des décisions de justice ?Le juge de l’exécution, selon l’article L.213-6 du code de l’organisation judiciaire, est compétent pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent lors de l’exécution forcée. Il a également la capacité de traiter des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée. Ainsi, dans le cas présent, les demandes de la locataire, qui visent à annuler le procès-verbal de reprise des lieux et à ordonner sa réintégration, relèvent bien des compétences du juge de l’exécution, malgré les arguments de la bailleresse. Quel est le fondement de la nullité des procès-verbaux de reprise des lieux et de saisie-attribution ?La bailleresse soutient que les procès-verbaux de reprise des lieux et de saisie-attribution sont valables car fondés sur une décision de justice exécutoire. Cependant, l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 stipule que, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après la cessation d’une mesure de police administrative, les personnes morales de droit privé ne peuvent encourir d’action ou de voie d’exécution pour non-paiement des loyers dus durant cette période. Il est établi que la locataire satisfaisait aux critères d’éligibilité pour bénéficier de cette protection, ce qui rend les actes de saisie et de reprise nuls et de nul effet. Quel est l’impact de la réintégration sur la situation de la locataire ?La locataire soutient que, étant donné la nullité du procès-verbal de reprise des lieux, elle doit être réintégrée dans ses droits. Toutefois, la bailleresse fait valoir que le local a été reloué à une autre société, rendant ainsi la réintégration impossible. Cette situation soulève des questions sur les droits de la locataire et sur la possibilité de rétablir ses droits en nature, ce qui semble compromis par l’occupation actuelle des lieux par un tiers. Quel est le fondement de la demande de dommages-intérêts de la locataire ?La locataire demande des dommages-intérêts pour le préjudice résultant de son éviction, qu’elle évalue à 414 000 euros, correspondant à la perte de son fonds de commerce. Cependant, la demande de réparation par équivalence est considérée comme recevable, car elle complète la demande de réintégration, qui est le mode de réparation en nature. Il est important de noter que le préjudice allégué doit être prouvé, et la locataire doit démontrer que son éviction a eu un impact direct sur son activité commerciale. Quel est le cadre juridique des demandes accessoires et des dépens ?Concernant les demandes accessoires, l’intimée a sollicité des dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Cependant, pour qu’une action soit considérée comme abusive, il faut prouver une intention maligne ou une erreur grossière, ce qui n’est pas établi dans ce cas. De plus, l’article 700 du code de procédure civile stipule que chaque partie doit supporter ses propres dépens, ce qui a été appliqué dans cette affaire, sans qu’il soit nécessaire d’accorder des frais irrépétibles à l’une ou l’autre des parties. |
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 27 MARS 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 24/03201 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CI5V4
Décision déférée à la cour :
Arrêt du 30 novembre 2023 rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation
(Arrêt n°774 FS-B)
APPELANTE
S.A.S.U. [7]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Plaidant par Me Nicole-marie POIRIER GALIBERT de l’ASSOCIATION POIRIER SCHRIMPF, avocat au barreau de PARIS, toque : R228
INTIMÉE
S.C.I. [3]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Johanna BOU HASSIRA, avocat au barreau de PARIS
Plaidant par Me Yoni MARCIANO, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : P0316
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 février 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie Distinguin, conseiller et Madame Emmanuelle Lebée, président de chambre honoraire, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Muriel Durand, président de chambre
Madame Emmanuelle Lebée, président de chambre honoraire
Madame Valérie Distinguin, conseiller
GREFFIER : Monsieur Grégoire Grospellier
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Muriel Durand, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.
Le 15 janvier 2019, la société civile immobilière [3] (la bailleresse) a renouvelé un bail commercial consenti à la société [7] (la locataire), et portant sur des locaux à usage de restauration, salon de thé et accessoirement vente à emporter, sis [Adresse 5] à [Localité 6].
En raison de la crise sanitaire liée au virus covid-19 et des mesures gouvernementales interdisant la réception du public dans les restaurants, la locataire a, le 29 avril 2020, avisé la bailleresse de la suspension du paiement du loyer du deuxième trimestre 2020.
Le 19 octobre 2020, la bailleresse a fait signifier à la locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire pour non-paiement des loyers de l’année 2020.
Une ordonnance de référé du 20 janvier 2021, signifiée le 4 février 2021, a constaté l’acquisition, au 19 novembre 2020, de la clause résolutoire insérée au bail et a condamné la locataire au paiement d’une certaine somme à titre de provision à valoir sur l’arriéré de loyers, charges et indemnités d’occupation afférents aux quatre trimestres de l’année 2020.
En exécution de cette décision, la bailleresse a, le 23 février 2021, fait dresser un procès-verbal de reprise des locaux loués puis, le 12 mars 2021, pour avoir paiement de la somme de 15 350,55 euros, a procédé à la saisie-attribution d’un compte bancaire ouvert au nom de la locataire, laquelle saisie a été fructueuse.
Le 16 mars 2021, la locataire a assigné la bailleresse en annulation du procès-verbal de reprise des locaux loués et mainlevée de la saisie-attribution.
Par jugement en date du 12 avril 2021, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a débouté la société [7] de ses demandes, la société Sci [3] de ses demandes reconventionnelles, et a condamné la société [7] à payer à la société Sci [3] la somme de 2’000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu que l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, applicable à compter du 17 octobre 2020 s’appliquait aux loyers et aux charges locatives dus pour «’la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police », cette formulation faisant référence à la période d’occupation auxquels les loyers et charges se rattachaient et non à la date d’exigibilité des loyers, sans que cette période puisse être antérieure à l’entrée en vigueur de la loi le 17 octobre 2020, qu’ainsi, la période visée par le bailleur du 1er au 3e trimestre 2020 était exclue du domaine d’application de l’article 14, contrairement à ce qu’affirmait la demanderesse, qu’en outre, les dispositions protectrices de l’article 14 ne permettaient pas au preneur de s’exonérer du paiement du loyer de la période où l’activité avait été affectée par une mesure de police.
Par arrêt en date du 10 février 2022, cette cour a confirmé le jugement et condamné la société [7] à une indemnité de procédure.
Pour débouter la locataire de ses demandes, l’arrêt d’appel a retenu que le décret du 31 mai 2020 avait autorisé les établissements accueillant du public à reprendre leur activité sous certaines conditions qu’il appartenait à la locataire de respecter et elle en a déduit qu’une partie des loyers impayés, à savoir ceux échus du mois d’août au mois d’octobre 2020, était devenue exigible alors que l’activité de la locataire n’était pas affectée par des mesures de police, de sorte que la reprise des lieux loués et la saisie-attribution du 12 mars 2021 étaient régulières.
Au visa de l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, de l’article 1er, I, 2o de la loi n°’2020-856 du 9 juillet 2020, de l’article L. 3131-15, I, 5o, du code de la santé publique, de l’article 40 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et de l’article 40 du décret n°’2020-860 du 10 juillet 2020, la Cour de cassation, par arrêt du 30 novembre 2023, a cassé cette décision en toutes ses dispositions et a renvoyé l’affaire devant cette cour autrement composée.
La société [7] a saisi la cour par déclaration en date du 5 février 2024.
Les conclusions récapitulatives de la société [7], en date du 15 janvier 2025, tendent à voir la cour’:
‘ la déclarer recevable en son recours ;
‘ infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la société civile immobilière [3] de ses demandes reconventionnelles’;
statuer à nouveau,
‘ juger nul et de nul effet le procès-verbal de reprise des lieux du 23 février 2021 et sa dénonciation du 4 mars 2021 ;
‘ à défaut, condamner la SCI [3] à verser à la société [7] la somme de 414’000 euros à titre de dommages et intérêts ;
en tout état de cause,
‘ juger nul et de nul effet le procès-verbal de saisie-attribution du 12 mars 2021 et sa dénonciation par acte du 17 mars 2021 ;
‘ ordonner la mainlevée de la saisie-attribution en date du 12 mars 2021’;
‘ débouter la SCI [3] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
‘ la condamner à lui payer la somme de 20’000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance, à ceux afférents à la procédure ayant donné lieu à l’arrêt cassé ainsi qu’à ceux de la présente procédure devant la cour de renvoi.
Les conclusions récapitulatives de la société civile immobilière [3], en date du 16 janvier 2025, tendent à voir la cour’:
‘ confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté la société [7] de ses demandes et en ce qu’il a condamné celle-ci à lui verser la somme de 2’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ condamner la société [7] à lui verser la somme de 10’000 euros à la SCI [3] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre la somme de 40’000 euros à titre de dommages et intérêts, celle de 10’000 euros au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens’;
‘ débouter la société [7] de l’ensemble de ses demandes.
Pour plus ample exposé du litige, des prétentions et des moyens, il est fait renvoi aux écritures visées.
Discussion
Sur les pouvoirs du juge de l’exécution’:
Pour s’opposer à la demande, la bailleresse soutient que le juge de l’exécution n’ayant pas le pouvoir, aux termes de l’article R.121-1 du code des procédures civiles d’exécution, de modifier ou de suspendre l’exécution de la décision de justice, il ne peut revenir sur une décision du juge des référés ayant constaté l’acquisition de la clause résolutoire, non frappée d’appel, ni ordonner la réintégration et qu’il ne lui est pas demandé de délais. Elle en déduit que la société [7] doit être déboutée de ses demandes.
Cependant, selon les dispositions de l’article L.213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée ainsi que des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires.
Il en résulte que les demandes de l’appelante, lesquelles ne tendent plus, comme devant le premier juge, à voir modifier le dispositif de l’ordonnance de référé l’ayant condamnée à payer une provision sur les loyers de l’année 2020 et ayant autorisé la bailleresse à faire procéder à son expulsion, mais tendent à voir annuler le procès-verbal de reprise des lieux, celui de la saisie-attribution et à voir ordonner sa réintégration dans les lieux loués, entrent dans les pouvoirs de la cour d’appel, statuant avec ceux du juge de l’exécution.
Sur la validité du procès-verbal de reprise des lieux’et du procès-verbal de saisie-attribution :
Après avoir évoqué la mauvaise foi de la locataire, qui n’a pas relevé son courrier pendant la période sanitaire, s’est abstenue de faire de la vente à emporter et a laissé à l’abandon son fonds de commerce, la bailleresse soutient que le procès-verbal de reprise des lieux et celui de saisie-attribution sont valables, dès lors qu’ils se fondent sur une décision de justice exécutoire et définitive.
Cependant, selon l’article 14 de la loi n°’2020-1379 du 14 novembre 2020, applicable à compter du 17 octobre 2020, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3°du I de l’article 1 de la loi n°’2020-856 du 9 juillet 2020 ou du 5o du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, les personnes morales de droit privé satisfaisant à plusieurs critères d’éligibilité ne peuvent encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives dus pour une période, même antérieure au 17 octobre 2020, au cours de laquelle leur activité économique est affectée par l’une des mesures de police précitée.
Il n’est pas discuté par la bailleresse et il est établi par l’attestation de l’expert-comptable de la locataire que celle-ci satisfaisait à ces critères d’éligibilité.
Selon l’article 1er, I, 2°, de la loi n°’2020-856 du 9 juillet 2020, l’article L. 3131-15, I, 5 , du code de la santé publique et l’article 40 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020, le Premier ministre peut, par décret, réglementer l’ouverture au public, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public.
Selon l’article 40 du décret n°’2020-663 du 31 mai 2020 et l’article 40 du décret n°’2020-860 du 10 juillet 2020 les établissements recevant du public de type N, restaurants et débits de boissons, ne peuvent accueillir du public qu’à la condition que les personnes accueillies aient une place assise, qu’une même table ne regroupe que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes, et qu’une distance minimale d’un mètre soit garantie entre les tables occupées par chaque personne ou groupe de personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, sauf si une paroi fixe ou amovible assure une séparation physique.
Il n’est pas discuté par le bailleur que la surface des lieux loués ne permettait pas à la locataire de respecter cette mesure de police.
Il en résulte que l’appelante ne pouvait encourir de voies d’exécution forcée à son encontre pour retard ou non-paiement des loyers échus du mois d’août au mois d’octobre 2020, peu important que celles-ci aient reposé sur une décision de justice exécutoire.’
Il convient donc d’infirmer le jugement attaqué et d’annuler le procès-verbal de reprise des lieux en date du 23 février 2021, la saisie-attribution en date du 12 mars 2021 et, par voie de conséquence, la dénonciation de celle-ci.
Sur la réintégration’:
La locataire soutient que le procès-verbal de reprise des lieux étant nul et de nul effet, elle est fondée à demander à être rétablie dans ses droits en nature par la réintégration dans les locaux dont elle a été illégalement évincée.
Cependant, ainsi que le soutient la bailleresse, le local ayant été reloué à une autre société qui l’occupe et l’exploite, la réintégration de l’appelante est impossible.
Sur la demande de réparation par équivalence’:
La locataire, soutenant que le préjudice résultant du défaut de réintégration est équivalent à la perte de son fonds de commerce, dont elle estime la valeur à la somme de 400’000 euros, demande la condamnation de la bailleresse à lui payer cette somme à titre de dommages-intérêts.
Sur la recevabilité de ce chef de demande’:
La bailleresse soutient que cette demande est irrecevable comme nouvelle, rappelant qu’elle s’était opposée dès 2021 à la réintégration en raison de son impossibilité matérielle.
Cependant, la demande de réintégration constitue le mode de réparation en nature du préjudice résultant de l’irrégularité de l’expulsion. La demande de réparation par équivalence en est le complément nécessaire et est donc recevable.
Au fond’:
A l’appui de sa demande, la locataire soutient que l’expulsion lui a fait perdre la chance de faire une demande de délais et d’obtenir la suspension de la clause résolutoire ou de bénéficier d’une procédure collective faisant échec aux clauses résolutoires, de telles actions étant autant de moyens pour le preneur au bail commercial de faire échec à la clause résolutoire et, ainsi, de conserver l’exploitation de son fonds de commerce. Elle fait aussi valoir que l’expulsion l’a privée d’intérêt à agir alors que ces actions avaient des chances de succès élevées, qu’elle estime à 90’%.
L’appelante produit une attestation d’une agence immobilière évaluant la valeur de son fonds à la somme de 460’000 euros et évalue donc son préjudice à la somme de 414’000’euros
Cependant, en présence d’une ordonnance de référé exécutoire, le préjudice dont l’appelante entend obtenir réparation résulte, non de la perte de chance de faire échec à l’acquisition de la clause résolutoire et ainsi de conserver le fonds de commerce, mais de l’impossibilité d’exploiter celui-ci entre la date à laquelle son activité aurait cessé d’être affectée par une mesure de police administrative et son expulsion à la requête de la bailleresse.
Or, la locataire a manifesté un désintérêt certain sur le sort de son fonds de commerce.
En effet après avoir informé la bailleresse le 29 avril 2020 qu’elle suspendait le paiement de son loyer à compter du 2e trimestre 2020, la société [7] n’a pas relevé son courrier à partir du mois de juin 2020, n’a donc pas pris connaissance de la mise en demeure que lui a adressée le conseil de la bailleresse en date du 23 juin 2020, ni du commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 19 octobre 2020, ni encore de l’assignation en référé en date du 18 novembre 2020, pas plus que de la signification, le 4 février 2021 de l’ordonnance de référé en date du 20 janvier 2021 et non plus que du commandement de quitter les lieux, en date du 18 février 2021, ou, à supposer, ce qu’elle ne soutient pas, qu’elle ait eu connaissance de ces derniers actes, n’a pas comparu devant le juge des référés, n’a introduit aucun recours à l’encontre de la décision de celui-ci et n’a pas saisi le juge du fond.
Ce comportement, ne permet pas de caractériser une perte de chance, ou même d’évaluer celle-ci à quelque somme que ce soit, d’exploiter son fonds de commerce, dans des locaux demeurés occupés par la locataire sans droit ni titre, entre la date à laquelle son activité aurait cessé d’être affectée par une mesure de police sanitaire et l’exécution par la bailleresse de l’ordonnance de référé l’ayant autorisée à procéder à l’expulsion de l’appelante sur le fondement d’un titre exécutoire.
L’appelante, qui n’invoque d’autre préjudice que celui de cette perte de chance, sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les demandes accessoires’:
L’intimée sollicite la somme de 40 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Le droit d’exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s’il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l’appréciation de ses droits. Tel n’apparaît pas le cas en l’espèce, un tel abus de la part de l’appelante ne pouvant se déduire de l’échec de son action.
En outre, l’intimée ne rapporte pas la preuve d’un préjudice distinct de celui résultant de l’obligation de défendre à la procédure.
L’intimée sollicite également une somme de 10 000 euros à titre d’amende civile pour procédure abusive, sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile.
L’amende civile n’étant prononcée qu’au bénéfice du Trésor public, il ne sera pas fait droit à ce chef de demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles’:
Chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions devra supporter les dépens qu’elle a exposés en première instance et en appel.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
Infirme le jugement entrepris’;
Statuant à nouveau,
Déclare nul et de nul effet le procès-verbal de reprise des lieux en date du 23 février 2021′;
Déclare nul et de nul effet le procès-verbal de saisie-attribution du 12 mars 2021 et sa dénonciation par acte du 17 mars 2021′;
Ordonne la mainlevée de la saisie-attribution du 12 mars 2021′;
Déboute la société [7] de sa demande de réintégration dans les lieux loués et de sa demande de dommages-intérêts’;
Déboute la société civile immobilière [3] de ses demandes de dommages-intérêts et d’amende civile’;
Rejette les demande formées en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
Dit que chaque partie supportera les dépens qu’elle a exposés en première instance et en appel.
Le greffier, Le président,
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