Prescription des actions en paiementLa prescription des actions en paiement est régie par l’article L3245-1 du Code du travail, qui stipule que les actions en paiement des salaires se prescrivent par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Cette disposition a été introduite par la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, qui a modifié le délai de prescription antérieur de cinq ans. La jurisprudence a précisé que la détermination du délai de prescription dépend de la nature de la créance objet du litige, comme l’indiquent plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment ceux du 30 juin 2021 et du 4 septembre 2024. Demande de dommages-intérêts et prescriptionLa jurisprudence a également établi que, sous couvert d’une demande de dommages-intérêts, un salarié ne peut revendiquer le paiement d’une créance de rappel de salaire qui est prescrite. En effet, le préjudice lié à la perte de droits à la retraite, résultant de l’absence de versement de cotisations de retraite sur des salaires prescrits, ne peut être indemnisé si l’action en paiement des salaires est elle-même prescrite. Les arrêts de la Cour de cassation, tels que ceux du 5 octobre 2011 et du 13 mars 2013, confirment que le salarié ne peut obtenir réparation d’un préjudice lié à des cotisations de retraite non versées si les salaires correspondants sont prescrits. Application de la prescription aux cotisations de retraiteIl est établi que le régime de la prescription des cotisations de retraite suit celui de l’action en paiement des salaires. Ainsi, si le droit au paiement d’un rappel de congés payés pour les années antérieures à 2015 est éteint par la prescription triennale, l’action en paiement des cotisations de retraite assises sur ces salaires l’est également. Cette règle est confirmée par la jurisprudence, qui a jugé que le salarié ne peut revendiquer l’indemnisation d’un préjudice de retraite lié au non-paiement de cotisations de retraite lorsque les salaires correspondants sont prescrits, comme le souligne l’arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 2019. Article 700 du Code de procédure civileL’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés non compris dans les dépens. Toutefois, la décision de ne pas appliquer cet article repose sur l’équité et la situation respective des parties, ce qui a été retenu dans le jugement en question. |
L’Essentiel : La prescription des actions en paiement des salaires est de trois ans, selon l’article L3245-1 du Code du travail. Introduite par la loi n°2013-504, cette disposition a réduit le délai antérieur de cinq ans. La jurisprudence précise que le délai dépend de la nature de la créance. De plus, un salarié ne peut revendiquer le paiement d’une créance prescrite sous couvert de dommages-intérêts, notamment en ce qui concerne les cotisations de retraite non versées liées à des salaires prescrits.
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Résumé de l’affaire : Un directeur régional a été engagé par la société Saint Jude Médical en 2004, avant que celle-ci ne cède ses titres à la SAS Abbott médical France. En octobre 2018, lors d’une réunion, des questions ont été soulevées concernant le calcul des congés payés pour les salariés ayant une rémunération variable. La SAS Abbott a indiqué que son logiciel ne permettait pas d’appliquer la méthode la plus favorable, mais a promis d’étudier des solutions. En novembre 2018, la société a accepté de régulariser les rappels d’indemnités de congés payés dus depuis 2015, ce qu’elle a confirmé en décembre 2018.
Cependant, lors d’une réunion en janvier 2020, les représentants du personnel ont demandé si la société comptait également régulariser les cotisations de retraite omises, ce à quoi la SAS Abbott a répondu que ces actions étaient prescrites. Le directeur régional, estimant avoir subi un préjudice en raison de cette situation, a saisi le conseil de prud’hommes en juillet 2020 pour obtenir réparation. La SAS Abbott s’est opposée à cette demande. Le jugement du conseil de prud’hommes, rendu en décembre 2022, a déclaré l’action du directeur régional irrecevable en raison de la prescription, a refusé d’accorder des indemnités et a condamné le directeur aux dépens. En janvier 2023, le directeur a interjeté appel. Dans ses conclusions, il a demandé à la cour d’infirmer le jugement et de condamner la SAS Abbott à lui verser des dommages-intérêts pour le préjudice lié à sa retraite. La SAS Abbott a également demandé la confirmation du jugement initial, arguant que le litige portait sur des demandes de dommages-intérêts liées à des salaires prescrits. La cour a finalement confirmé le jugement de première instance, rejetant les demandes du directeur régional et le condamnant aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de la prescription des actions en paiement des cotisations de retraite ?La prescription des actions en paiement des cotisations de retraite est régie par l’article L3245-1 du code du travail, qui stipule que « les actions en paiement des salaires se prescrivent par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Avant la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, le délai de prescription était de cinq ans. Cette loi a réduit ce délai à trois ans, ce qui a des implications directes sur les actions en paiement des cotisations de retraite, qui sont assises sur des salaires. La jurisprudence a également précisé que lorsque des régimes de prescription spéciaux sont prévus, ces délais spécifiques s’appliquent à l’exclusion de tous les autres. Ainsi, le juge doit apprécier la nature de la créance objet de la demande, sans se limiter à la qualification retenue par les parties. Quel est l’impact de la prescription sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice de retraite ?La demande de dommages-intérêts pour préjudice de retraite est affectée par la prescription des créances sous-jacentes. En effet, la jurisprudence a établi que, même sous couvert d’une demande de dommages-intérêts, si le salarié demande en réalité le paiement d’une créance de rappel de salaire qui est prescrite, cette demande sera déclarée irrecevable. L’article 2262 du code civil précise que « la prescription est interrompue par l’assignation en justice. » Cependant, dans le cas présent, le salarié a demandé des dommages-intérêts en raison de l’absence de versement de cotisations de retraite sur des salaires prescrits. Cela signifie que le droit au paiement de ces cotisations est également éteint, car il suit le régime de prescription des salaires. Ainsi, le tribunal a correctement appliqué la prescription triennale fixée par l’article L3245-1 du code du travail, déclarant l’action du salarié irrecevable. Quel est le rôle de l’article 700 du code de procédure civile dans cette affaire ?L’article 700 du code de procédure civile stipule que « la partie qui perd le procès peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » Dans cette affaire, le tribunal a décidé qu’aucune des parties ne pouvait prétendre à une indemnité au titre de cet article, en considérant que ni l’équité ni la situation respective des parties ne justifiaient une telle application. Cela signifie que, malgré la demande de l’une des parties, le tribunal a estimé que les circonstances de l’affaire ne justifiaient pas une compensation financière pour les frais engagés, ce qui est une application classique de l’article 700. Quel est le principe du contradictoire et comment a-t-il été respecté dans cette procédure ?Le principe du contradictoire, énoncé dans les articles 15 et 16 du code de procédure civile, impose que chaque partie ait la possibilité de connaître et de discuter les arguments et les pièces présentées par l’autre partie. Dans cette affaire, la cour a constaté que la société avait communiqué ses nouvelles pièces et écritures dans les délais impartis, et que l’appelant avait également eu l’opportunité de répondre à ces éléments. Le tribunal a jugé que la violation du principe du contradictoire n’était pas démontrée, car les deux parties avaient eu l’occasion de présenter leurs arguments et de se défendre. Cela a permis de garantir un procès équitable, conformément aux exigences du droit. Quel est le lien entre la demande de dommages-intérêts et les cotisations de retraite non versées ?La demande de dommages-intérêts formulée par le salarié est directement liée aux cotisations de retraite non versées, car elle repose sur le préjudice financier résultant de l’absence de versement de ces cotisations. Cependant, la jurisprudence a établi que, même si le salarié prétend demander des dommages-intérêts, cela ne peut pas contourner la prescription applicable aux salaires. En effet, le tribunal a constaté que le montant des droits à la retraite était calculé sur la base des cotisations non versées, qui elles-mêmes étaient assises sur des salaires prescrits. Ainsi, le tribunal a conclu que le salarié ne pouvait pas revendiquer une indemnisation pour un préjudice de retraite lié à des cotisations de retraite qui ne pouvaient être réclamées en raison de la prescription des salaires correspondants. |
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 MARS 2025
N° RG 23/00128 – N° Portalis DBV3-V-B7H-VT2D
AFFAIRE :
[S] [B]
C/
S.A.S. ABBOTT MEDICAL FRANCE SAS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Décembre 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : 20/00988
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Stéphane MORER de
la SELARL BAYET ET ASSOCIES
Me Stéphanie TERIITEHAU de
la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [S] [B]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Stéphane MORER de la SELARL BAYET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0105
APPELANT
S.A.S. ABBOTT MEDICAL FRANCE SAS
N° SIRET : 398 04 3 3 56
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 – Substitué par Me Julie MARECHAL avocate au barreau de VERSAILLES
INTIMEE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Janvier 2025 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Présidente chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,
Madame Véronique PITE, Conseillère,
Madame Odile CRIQ, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
M.[S] [B] a été engagé par la société Saint Jude Médical par contrat à durée indéterminée à effet du 1er janvier 2004 en qualité de directeur régional. La société a ultérieurement cédé ses titres à la SAS Abbott médical France.
Questionnée lors d’une réunion des délégués du personnel du 18 octobre 2018 sur l’application de la méthode la plus favorable aux salariés disposant d’une rémunération variable pour le calcul de leurs congés payés, la SAS Abbott médical France a indiqué que son logiciel de paie ne lui permettait pas d’appliquer la règle du dixième mais seulement du maintien de salaire.
Elle a précisé étudier les modalités de correction afin de remédier à cette situation.
Lors de la réunion du comité d’entreprise du l5 novembre 2018, la SAS Abbott médical France a accepté de procéder à la régularisation du rappel d’indemnité de congés payés dus aux salariés disposant d’une rémunération variable du fait de la non-application de la règle du dixième, plus favorable dans leur cas, sur les trois années précédentes, soit depuis le mois d’octobre 2015, ce
qu’elle a confirmé lors de la réunion suivante du 6 décembre 2018.
A l’issue de la régularisation du rappel d’indemnité de congés payés intervenue au mois de décembre 2018, les représentants du personnel ont interrogé la société, lors de la réunion du comité social et économique du 29 janvier 2020, sur son intention de régulariser également les cotisations omises auprès des organismes de retraite des salariés, ce à quoi la société a répondu que l’action en paiement des cotisations de retraite était prescrite du fait de la prescription du paiement des salaires correspondants.
Estimant qu’il avait subi un préjudice lié au calcul de ses droits à la retraite au regard des années au cours desquelles le rappel de salaire de congés payés n’avait pas été régularisé du fait de la
prescription et en l’absence d’issue amiable du litige, M.[S] [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt par requête du 31 juillet 2020 aux fins d’obtenir réparation du préjudice de retraite, ce à quoi la SAS Abbott médical France s’est opposée.
Par jugement rendu le 12 décembre 2022, le conseil de prud’hommes a statué comme suit :
déclaré irrecevable l’action de M.[S] [B] en raison de la prescription
dit n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile
dit n’y avoir lieu à exécution provisoire
déboute les parties du surplus de leurs demandes
condamné M.[S] [B] aux dépens de l’instance.
Le 10 janvier 2023, M.[S] [B] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 septembre 2024, M.[S] [B] demande à la cour de :
déclarer recevable M.[S] [B] en ses demandes fins et conclusions
rejeter les conclusions signifiées le 24 septembre 2024 par la SAS Abbott médical France ainsi que l’ensemble des pièces communiquées à l’appui de ses écritures
infirmer le jugement intervenu et statuant à nouveau
condamner la société à payer à M.[S] [B] la somme de 36 687,77 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice lié à la retraite
condamner la société à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
la condamner aux entiers dépens
débouter la société de l’intégralité de ses demandes
ordonner l’exécution provisoire en application de l’article 515 du code de procédure civile
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 septembre 2024, la SAS Abbott médical France demande à la cour de :
confirmer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes en ce qu’il a :
déclaré irrecevable l’action de M.[S] [B] en raison de la prescription
dit n’y avoir lieu à exécution provisoire
condamné M.[S] [B] aux entiers dépens
infirmer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile
en conséquence, et statuant à nouveau, débouter M.[S] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
condamner à titre reconventionnel M.[S] [B] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
condamner M.[S] [B] aux entiers dépens de l’instance.
Par ordonnance rendue le 25 septembre 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 janvier 2025.
Par conclusions notifiées par RPVA du 9 octobre 2024, la SAS Abbott médical France a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture et l’admission de ses écritures en réponse à la demande de rejet des conclusions récapitulatives et pièces signifiées le 24 septembre 2024, ce à quoi s’est opposé M.[S] [B] par conclusions notifiées le 14 octobre 2024.
Par ordonnance du 17 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de la SAS Abbott médical France en révocation de l’ordonnance de clôture.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Sur la demande de rejet des conclusions et pièces transmises par RPVA du 24 septembre 2024
L’appelant relève que la cour d’appel a informé par message RPVA de la date de clôture fixée au 25 septembre 2024, en précisant que les éventuelles nouvelles conclusions doivent être communiquées dernier délai 15 jours avant la date de clôture annoncée ; à défaut aucun renvoi de date de clôture ne sera accepté; que par message RPVA en date du 24 septembre 2024, la société a communiqué de nouvelles pièces et écritures. Il demande, sur le fondement des articles 15, 16 et 135 du code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, de voir rejeter les conclusions signifiées le 24 septembre 2024 par son adversaire ainsi que l’ensemble des pièces communiquées à l’appui de ses écritures, compte tenu de leur tardiveté et de leur contravention au principe du contradictoire et à la loyauté des débats, de sorte que seules les conclusions et pièces notifiées par l’intimée le 28 avril 2023 doivent être prises en compte.
Il convient de constater que la SAS Abbott médical France a communiqué le 24 septembre 2024 au titre des pièces communes, les pièces n°7.1 à 7.8 relatives aux jugements rendus par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en départage le 26 avril 2024, n°21/01397, n°21/01398, n°21/01399, n°21/01400, n°21/01256, n°21/01257, n°21/01402, n°21/01439 et que dans ses dernières conclusions, elle a ajouté en page 7 ‘A titre liminaire, la Société ABBOTT MEDICAL attire l’attention de la Cour de céans au sujet de la décision rendue en départage par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt, le 26 avril 2024, dans le cadre de demandes similaires formulées par des salariés et anciens salariés de la Société ABBOTT MEDICAL. Par 8 jugements, le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt a jugé que: « L’action en rappel des indemnités de congés-payés pour la période antérieure à 2015 étant prescrite, l’action visant à obtenir le paiement des cotisations de retraite assises sur ces indemnités non versées est également prescrite en application des dispositions de l’article L3245-1 du code du travail’ et en page 10 ‘ L’inapplicabilité de cette décision est également confirmée par ce même Conseil, le 26 avril 2024. »
Néanmoins, ces rajouts ne peuvent être considérés comme des éléments nouveaux dès lors que ce dossier fait déjà partie d’une série de 9 dossiers appelés à la même audience, concernant le même litige, la même question juridique de prescription et dont les salariés sont tous représentés par le même avocat. Par ailleurs, la motivation retranscrite des jugements du 26 avril 2024 mentionnée dans les rajouts est identique à celle retenue dans les dossiers portés aujourd’hui devant la cour d’appel. Ainsi ces rajouts ne nécessitent pas de nouvelles discussions juridiques et ne présentent qu’un caractère informatif.
Enfin, il convient de relever que la société a communiqué ses dernières conclusions et pièces le 24 septembre 2024 à 16h10 et que l’appelant y a répondu le 24 septembre 2024 à 18h34 en produisant des conclusions et une nouvelle pièce n°6 aux fins de voir rejeter les conclusions et pièces du même jour de l’intimée. Au vu des rajouts dont l’intérêt et la complexité ne sont pas démontrés, l’appelant pouvait y répondre dans les conclusions transmises à 18h34.
En conséquence, et la violation du principe du contradictoire n’étant pas démontrée, il convient de rejeter la demande de voir écarter les conclusions et pièces transmises par la SAS Abbott médical France le 24 septembre 2024.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Il convient de rappeler qu’avant la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, toutes les actions, tant réelles que personnelles, étaient prescrites par trente ans et que les actions en paiement des salaires se prescrivaient par cinq ans (ancien article 2277 du code civil en vigueur jusqu’au 19 juin 2008 et ancien article L3245-1 du code du travail).
C’est la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 qui a réduit le délai de prescription fixé par l’article L3245-l du code du travail à trois ans à compter du jour ou celui qui l’exerce a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Dans cinq arrêts du 30 juin 2021, la cour de cassation a jugé que la détermination du délai de prescription des actions dépendait de la nature de la créance objet du litige (Cass. soc. 30-6-2021 n° 18-23.932 FS-B; Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-10.161 FS-B ; Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-14.543 FS-B ; Cass. soc. 30-6-2021 n° 20-12.960 FS-B ; Cass. soc. 30-6-2021 n° 19-16.655 FS-B). Elle a confirmé cette analyse dans ses arrêts du 4 septembre 2024 (Cass. soc., 4 sept.2024, n° 23-13.931 FS-B ; Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-22.860 FS-B ; Cass. soc., 4 sept. 2024, n° 22-20.976 FS-B) et encore récemment dans trois arrêts du 12 février 2025 (Soc. 12 févr. 2025, FS-B, n° 23-18.876; Soc. 12 févr. 2025, FS-B, n° 23-10.806; Soc. 12 févr. 2025, FS-B, n° 23-15.667).
Elle a également précisé que lorsque les régimes de prescription spéciaux sont prévus (la discrimination par exemple), les délais de prescription spécifiques s’appliquaient à l’exclusion de tous les autres. Il appartient donc au juge du fond d’apprécier la nature de la créance objet de la demande et il ne doit pas s’arrêter à la qualification retenue par les parties.
L’appelant soutient qu’il ne fait aucune demande de paiement de salaire ou de cotisation soumis au délai de prescription de trois ans mais uniquement une demande de paiement de dommages intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Il expose que la prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance. Le préjudice du salarié né de la perte des droits correspondant aux cotisations non versées par l’employeur à des régimes de retraite n’est certain qu’au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension, de sorte que viole l’article 2262 du code civil, l’arrêt qui décide que la prescription court à compter de la date à laquelle le versement des cotisations aurait dû intervenir.
La SAS Abbott médical France relève que le litige ne porte pas sur la contestation de l’assiette de cotisations et donc sur une obligation de faire mais sur une demande en réparation des conséquences financières de l’absence de versement de cotisations de retraite afférentes à des salaires prescrits. Par ailleurs, elle relève que le litige ne porte pas plus sur le non versement de cotisations sur des salaires versés pour lequel l’appréciation de la prescription est différente. Elle conteste l’applicabilité de l’arrêt de la cour d’appel de Paris ‘Chibanis’ du 31 janvier 2018 invoqué par l’appelant, le litige portant sur la réparation d’un préjudice de carrière non prescrit, sur une demande de dommages-intérêts, et non sur un rappel de salaire, et la cour d’appel de Paris n’ayant pas reconstitué le montant des cotisations sociales versées pour calculer ensuite la perte correspondante sur la pension de retraite comme le fait aujourd’hui l’appelant, mais ayant réalisé une évaluation forfaitaire du préjudice.
C’est par une exacte appréciation des faits et des textes que le premier juge a observé que l’appelant sollicitait le versement de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice de retraite lié au non versement de cotisations de retraite assises sur des salaires prescrits. La jurisprudence a retenu cette solution dans différentes espèces en retenant que, sous couvert d’une demande de dommages-intérêts, le salarié demandait le paiement d’une créance de rappel de salaire qui était prescrite ( Soc., 5 octobre 2011 n°10-18176; Soc., 13 mars 2013, n°12-13.089 ; Soc, 22 octobre 2014, n°13-16.936, 13-17.209; Soc., 27 mai 2015, n°14-11.109; Soc.,27 novembre 2019 n°16-26.209).
En effet, contrairement à ce qu’il soutient, le rapport actuariel qu’il produit a bien retenu le montant des droits à la retraite qui ne seront pas perçus sur la base des taux de cotisations de chaque exercice de référence et de ses relevés de carrière et a pris comme première base de référence les créances salariales non versées. La lecture du rapport de la société Ami Consulting permet de confirmer que le chiffrage du préjudice décrit par l’appelant correspond exactement au montant de la perte du fait des cotisations sociales non versées sur des salaires non versés. Le rapport de l’actuaire conclut que ‘ la perte pécuniaire de retraite de M.[S] [B] au titre de la retraite obligatoire AGIRC est de 32 236,17 euros au 1er juin 2019 et la perte pécuniaire de retraite de M.[S] [B] au titre de la retraite supplémentaire est estimée à 4 451,60 euros au 1er juin 2019.En conséquence, la perte totale de retraite de M.[S] [B] due au non-paiement des rappels de congés payés prescrits est de 36 687,77 euros au 1erjuin 2019″. Il apparaît clairement qu’il n’est pas question d’une perte de chance mais bien d’une demande en réparation d’un préjudice évalué sur la base de congés payés prescrits non payés.
Or le droit au paiement d’un rappel de congés payés pour les années antérieures à 2015 est éteint du fait de la prescription triennale. En conséquence, l’action du salarié en paiement de cotisations de retraite assises sur ces salaires l’est également. En conséquence, le salarié ne peut revendiquer l’indemnisation d’un préjudice de retraite lié au non-paiement de ces cotisations de retraite, le régime de la prescription des cotisations de retraite ne pouvant que suivre celui de l’action en paiement des salaires qui n’auraient pas donné lieu à cotisation.
C’est à raison que le premier juge a d’une part, retenu que, sous le couvert d’une demande de dommages-intérêts en raison de l’absence de régularisation de ses rappels de congés payés entre 2004 et 2015 et donc de la minoration de l’assiette de calcul de sa pension de retraite, le salarié demandait en réalité le paiement d’une créance de rappel de salaire qui était prescrite d’autre part, a appliqué la prescription triennale fixée par l’article L3245-1 du code du travail, déclarant en conséquence l’appelant irrecevable, de sorte que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Ni l’équité ni la situation respective des parties ne justifient l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, les demandes formées de ce chef seront donc rejetées.
Sur les dépens
Il convient de condamner M.[S] [B] aux dépens.
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement de départage du conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 16 décembre 2022 en toutes ses dispositions;
Y ajoutant;
Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M.[S] [B] aux dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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