Reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dans un accident de service.

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Reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dans un accident de service.

L’Essentiel : Le 6 juin 2017, un adjoint de sécurité a été blessé par balle lors d’un entraînement. Le lendemain, il a rempli un formulaire de reconnaissance de l’imputabilité au service, et un certificat médical a confirmé sa blessure. En mars 2019, un médecin a établi un certificat pour un état de stress post-traumatique lié à l’accident. En mai 2022, l’adjoint a saisi le tribunal judiciaire pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, l’État français. Le 31 octobre 2023, le tribunal a débouté l’adjoint de sa demande, mais la cour a ensuite reconnu la faute inexcusable de l’employeur.

Contexte de l’Accident

Le 6 juin 2017, un adjoint de sécurité a été blessé par balle lors d’un entraînement intitulé ‘Tuerie de Masse’.

Reconnaissance de l’Accident

Le lendemain, l’adjoint de sécurité a rempli un formulaire de reconnaissance de l’imputabilité au service. Un certificat médical a confirmé la blessure, et il a été en arrêt de travail jusqu’au 15 juillet 2017. L’accident a été reconnu imputable au service par arrêté du 2 août 2017.

Nouvelles Lésions et Rente Annuelle

En mars 2019, un médecin traitant a établi un certificat pour un état de stress post-traumatique lié à l’accident. Ces nouvelles lésions ont également été reconnues imputables au service. En mars 2022, une rente annuelle a été allouée à l’adjoint de sécurité.

Procédures Judiciaires

Deux formateurs responsables de l’entraînement ont été renvoyés devant le tribunal pour blessures involontaires, mais l’action publique a été éteinte par prescription. En mai 2022, l’adjoint de sécurité a saisi le tribunal judiciaire pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, l’État français.

Jugement du Tribunal Judiciaire

Le 31 octobre 2023, le tribunal a débouté l’adjoint de sécurité de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable et a mis hors de cause la caisse primaire d’assurance maladie. L’adjoint a interjeté appel de ce jugement.

Arguments de l’Agent Judiciaire de l’État

L’agent judiciaire a demandé la mise hors de cause du Préfet et a confirmé le jugement initial, arguant de l’absence de faute inexcusable de l’employeur.

Arguments de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie

La caisse a également demandé la confirmation du jugement, notamment celle l’ayant mise hors de cause.

Faute Inexcusable de l’Employeur

La cour a établi que l’accident était dû à la faute inexcusable de l’employeur, l’État français, en raison de manquements aux règles de sécurité lors de l’entraînement.

Majoration de la Rente

La cour a ordonné la majoration de la rente à son taux maximal en raison de la faute inexcusable reconnue.

Expertise Médicale

Une expertise médicale a été ordonnée pour évaluer les préjudices subis par l’adjoint de sécurité, y compris les souffrances physiques et morales, ainsi que le déficit fonctionnel permanent.

Demande de Provision

La demande de provision de l’adjoint de sécurité a été déboutée, faute de justificatifs.

Conclusion de la Cour

La cour a confirmé certaines décisions du tribunal tout en infirmant d’autres, notamment en reconnaissant la faute inexcusable de l’employeur et en ordonnant une expertise médicale pour évaluer les préjudices.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la mise hors de cause du Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est

L’article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 dispose que « toute action portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l’agent judiciaire de l’État ».

Cet article confère la compétence à l’agent judiciaire de l’État pour représenter l’État défendeur ou demandeur dans les contentieux judiciaires autres que ceux liés à l’impôt ou au domaine.

Dans cette affaire, l’agent non titulaire de la police, en qualité d’adjoint de sécurité, a été victime d’un accident du travail.

Il y a donc lieu de mettre hors de cause le Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est.

Sur la mise hors de cause de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne

La caisse primaire d’assurance maladie n’étant pas intervenue dans la prise en charge de l’accident du travail et le paiement des indemnités journalières et de la rente, ceux-ci étant traités par les services de l’État, il y a lieu de la mettre hors de cause.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la faute inexcusable

Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié.

Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

En l’espèce, l’absence de condamnation pénale des formateurs ne résulte que de la prescription intervenue et n’empêche pas le juge du pôle social d’examiner l’existence ou non d’une faute inexcusable de l’employeur.

L’inspection a mis en évidence un non-respect par deux des formateurs en technique de sécurité en intervention des règles de sécurité.

Dans ces conditions, la faute inexcusable de l’employeur est établie et le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la victime de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable.

Sur la majoration de la rente

La faute inexcusable de l’employeur étant reconnue, il convient d’ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente servie en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

Cette majoration suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité permanente partielle reconnu à la victime.

Sur l’indemnisation des préjudices et l’expertise

Il résulte de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que, en cas de faute inexcusable, la victime d’un accident du travail peut demander à l’employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d’autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité.

Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation a jugé que désormais la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Désormais, la victime d’une faute inexcusable de l’employeur apparaît fondée à solliciter l’indemnisation de son déficit fonctionnel permanent, non réparé par la rente.

Il s’en déduit que les souffrances physiques et morales visées à l’article L. 452-3 ne sauraient, sauf à entraîner une double indemnisation, porter sur une période postérieure à la consolidation.

Au titre de l’article L. 452-3, sont indemnisables les préjudices suivants : souffrances physiques et morales, préjudice esthétique, préjudice d’agrément, préjudice résultant de la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle.

La date de consolidation est fixée par l’organisme qui verse les prestations et non l’expert.

L’Agent Judiciaire de l’État, représentant l’État et les services gestionnaires du risque professionnel, fera l’avance des frais d’expertise.

Sur la demande de provision

N’invoquant aucun élément, et ne produisant aucun justificatif, la victime sera déboutée de sa demande de provision.

ARRÊT N° /2025

SS

DU 05 MARS 2025

N° RG 23/02401 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FISG

Pole social du TJ de REIMS

22/223

31 octobre 2023

COUR D’APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE

SECTION 1

APPELANT :

Monsieur [N] [J]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Maître Emmanuel LUDOT, avocat au barreau de REIMS

INTIMÉS :

Caisse CPAM DE LA MARNE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Madame [W] [P], régulièrement munie d’un pouvoir de représentation

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

Ministères Economiques et Financiers – [Adresse 7]

[Localité 6]

Représenté par Maître Rui manuel PEREIRA de la SCP TERTIO AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : Mme BOUC

Siégeant en conseiller rapporteur

Greffier : Madame RIVORY (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 17 Décembre 2024 tenue par Mme BOUC, magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Corinne BOUC, présidente, Jérôme LIZET, président assesseur et Dominique BRUNEAU, conseiller, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 05 Mars 2025 ;

Le 05 Mars 2025, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :

Faits, procédure, prétentions et moyens

Le 6 juin 2017, M. [N] [J], adjoint de sécurité à la circonscription de sécurité publique de [Localité 8], a été blessé par balle au flanc gauche lors d’une formation à un entraînement ‘Tuerie de Masse’.

Le 7 juin 2017, M. [N] [J] a complété un formulaire de reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident. Le certificat médical initial du 6 juin 2017 fait état d’une ‘plaie flanc gauche d’incidence 3/4 arrière concernant les plans musculaires profond sans atteinte digestive ce jour sous réserve d’évolution ou complications’.

Il a été en arrêt de travail du 6 juin 2017 au 15 juillet 2017. Il a été reconnu apte à la reprise du travail à compter du 16 juillet 2017 sans restriction par le service de médecine statutaire et de contrôle de la police nationale.

Par arrêté du 2 août 2017, cet accident a été reconnu imputable au service.

Le 28 mars 2019, le docteur [T], médecin traitant, établit un certificat médical pour nouvelles lésions ‘état de stress post-traumatique’ en lien avec l’accident du travail du 6 juin 2017.

Par arrêté du 23 octobre 2019, ces nouvelles lésions sont reconnues imputables au service, en lien avec l’accident du travail du 6 juin 2017.

La date de consolidation a été fixée au 3 octobre 2019 et le taux d’invalidité a été fixé à 15 % pour état de stress post-traumatique.

Par arrêté du 29 mars 2022, une rente annuelle de 1.393,17 euros a été allouée à M. [N] [J].

***********

Deux policiers, en charge de la formation, seront renvoyés devant le tribunal de police de Reims pour blessures involontaires avec incapacité inférieure ou égale à 3 mois.

Par jugement définitif du 4 mars 2022, après désistement de M. [N] [J] de son appel, le tribunal de police de Reims a constaté l’extinction de l’action publique par l’effet de la prescription.

***********

La phase amiable de conciliation initiée par M. [N] [J] le 12 mai 2022 devant la CPAM de la Marne n’ayant pas aboutie (courrier électronique du 28 juin 2022 informant le conseil de M. [J] du refus d’instruire, la caisse n’ayant pas pris en charge cet accident du travail), M. [N] [J] a saisi le 18 août 2022 le pôle social du tribunal judiciaire de Reims aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur l’État français, pris en la personne du Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est.

Par jugement du 31 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Reims a :

– débouté M. [N] [J] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’Etat français pris en la personne du Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est ;

– mis hors de cause la CPAM de la Marne ;

– condamné M. [N] [J] aux dépens.

Ce jugement a été notifié à M. [N] [J] par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le 10 novembre 2023.

Par lettre recommandée envoyée le 14 novembre 2023, M. [N] [J] a interjeté appel de ce jugement.

Par mention au dossier, la cour a sollicité la mise en cause de l’agent judiciaire de l’État en application de l’article 38 de la loi 55-366 du 3 avril 1955.

Par acte de commissaire de justice délivré à personne le 10 mai 2024, M. [N] [J] a fait citer l’agent judiciaire de l’État devant la cour.

Suivant ses conclusions responsives et récapitulatives reçues le 5 décembre 2024, M. [N] [J] demande à la cour de :

– le déclarer recevable et bien-fondé en son appel,

– infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

– juger que l’ÉTAT FRANÇAIS, pris en la personne du PRÉFET de la zone de défense de sécurité EST et représenté par l’Agent Judiciaire de l’État, est l’auteur d’une faute inexcusable, en sa qualité d’employeur d'[N] [J], dans le cadre de l’accident de service survenu le 6 juin 2017,

En conséquence,

– lui accorder le bénéfice d’une rente majorée,

– ordonner une mesure d’expertise médicale, et la confier à tel expert qu’il plaira à la cour de désigner, avec mission de :

– Convoquer les parties,

– Se faire remettre tous documents utiles à sa mission,

– Se faire remettre notamment, l’entier dossier médical de M. [N] [J]

– Rappeler que l’Expert peut s’adjoindre tout sapiteur qu’il estime utile,

– Décrire les opérations et soins pratiqués sur M. [N] [J]

– Fixer la date de consolidation,

– Déterminer la durée de l’incapacité temporaire de travail en indiquant si elle a été totale ou si une reprise partielle est intervenue ; dans ce cas en préciser la durée

– Rechercher si du fait des lésions constatées initialement, il existe une atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions, et dans l’affirmative, après en avoir précisé les éléments, chiffrer le taux du déficit physiologique résultant au jour de l’examen de la différence entre la capacité antérieure, dont le cas échéant les anomalies devront être discutées et évaluées, et la capacité actuelle,

– Rechercher si, malgré son incapacité permanente, la victime est au plan médical physiquement et intellectuellement apte à reprendre dans les conditions antérieures, ou autres, l’activité qu’elle exerçait,

– Rechercher si l’état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ou amélioration ; dans l’affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution, son degré de probabilité ; dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé,

– Préciser si l’état de la victime nécessite des soins spéciaux, un traitement ou un appareil de prothèse ; dans l’affirmative, déterminer leur durée ou leur fréquence de renouvellement et leur coût,

– Donner son avis sur l’importance des souffrances endurées, des atteintes esthétiques et du préjudice d’agrément, préciser notamment si la victime subit une gêne dans sa vie affective et familiale ainsi que dans ses activités de sport et de loisir ; assortir le cas échéant la description de photographies datées et commentées,

– Dire, le cas échéant, si l’aide d’une tierce personne à domicile est nécessaire, s’il existe un besoin d’appareillage et si des soins postérieurs à la consolidation des blessures sont à prévoir ; dans l’affirmative, donner tous éléments permettant d’en chiffrer le coût.

– Faire toutes observations utiles à la manifestation de la vérité,

– Du tout dresser rapport qui sera déposé dans tel délai qu’il plaira à Mme/M. le président fixer.

Dans l’attente,

– lui accorder une provision à hauteur de 20.000 € à valoir sur l’indemnisation de son préjudice,

– condamner l’AGENT JUDICIAIRE DE L’ÉTAT au paiement d’une somme de 3.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclarer opposable l’arrêt à intervenir à toutes les parties au litige,

– le condamner en tous les dépens de 1ère instance et d’appel, dont distraction est requise au profit de me Emmanuel LUDOT, avocat aux offres de droit,

– débouter l’AGENT JUDICIAIRE DE L’ÉTAT de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Suivant ses conclusions reçues au greffe via le RPVA le 25 octobre 2024, l’Agent Judiciaire de l’État demande à la cour de :

– mettre hors de cause le Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est,

A titre principal,

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [J] de l’ensemble de ses demandes au motif de l’absence de faute inexcusable de l’employeur,

A titre subsidiaire,

– statuer ce que de droit quant à la majoration de la rente accident du travail,

– lui donner acte de ses protestions et réserves d’usage quant à la mesure d’expertise médicale sollicitée par M. [J],

– limiter les postes de préjudice qui donneront lieu à expertise aux postes suivants :

‘ Souffrances physiques et morales,

‘ Préjudice esthétique,

‘ Préjudices d’agrément (au sens d’une activité spécifique sportive ou de loisir),

‘ Préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle,

‘ Déficit fonctionnel temporaire,

‘ Assistance à tierce personne temporaire avant consolidation,

‘ Frais de logement adapté,

‘ Frais de véhicule adapté,

‘ Préjudice sexuel,

‘ Préjudices permanents exceptionnels,

– ordonner que les frais d’expertise soient avancés et réglés par la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne,

– débouter M. [J] de sa demande d’indemnité provisionnelle ou, à titre infiniment subsidiaire, la réduire à de plus justes proportions,

En tout état de cause,

– condamner M. [J] à lui verser la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant ses conclusions récapitulatives reçues au greffe le 9 décembre 2024, la caisse demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, notamment celle l’ayant mise hors de cause, de débouter l’AJE de sa demande de condamnation de la caisse à faire l’avance des frais d’expertise et si la cour considérait qu’elle devait faire l’avance des sommes relatives à la liquidation des préjudices de M. [J] [N], condamner l’agent judiciaire, représentant le préfet de zone de défense, à lui rembourser ces sommes au titre de son action récursoire.

M. Le Préfet de la Zone Est de Défense et de Sécurité Est a été convoqué par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le 1er février 2024.

Pour l’exposé des moyens des parties, il sera renvoyé aux conclusions sus mentionnées, auxquelles les parties se sont rapportées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la mise hors de cause du Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est

L’ article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 dispose que ‘toute action portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l’ agent judiciaire de l’État ‘.

Cet article confère la compétence à l’agent judiciaire de l’État pour représenter l’État défendeur ou demandeur dans les contentieux judiciaires autres que ceux liés à l’impôt ou au domaine.

M. [J] était agent non titulaire de la police, en qualité d’adjoint de sécurité au sein de la DDSP de la Marne.

Dans ces conditions, il y a lieu de mettre hors de cause le Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est.

Sur la mise hors de cause de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne

La caisse primaire d’assurance maladie n’étant pas intervenue dans la prise en charge de l’accident du travail et le paiement des indemnités journalières et de la rente, ceux-ci étant traités par les services de l’État, il y a lieu de la mettre hors de cause.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la faute inexcusable

Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve que l’employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

En l’espèce, l’absence de condamnation pénale des formateurs ne résulte que de la prescription intervenue et n’empêche pas le juge du pôle social d’examiner l’existence ou non d’une faute inexcusable de l’employeur.

Il résulte de l’enquête pénale de l’IGPN, que lors de l’entraînement dénommé ‘tuerie de masse’, en lien avec les attentats terroristes, visant à apprendre aux BAC jour et nuit et à la section d’intervention à coordonner leurs interventions, les premiers devant pousser les terroristes dans un espace confiné et les seconds devant intervenir pour l’assaut dans cet espace, l’exercice avait été prévu aves des balles à blanc tant pour les fusils HK G36 que pour les Sig Sauer. M. [J] jouait le rôle d’un des terroristes, dit ‘plastron’ avec une arme qui tirait des billes. Au cours de l’exercice, il a été touché par une balle.

L’inspection a mis en évidence un non-respect par deux des formateurs en technique de sécurité en intervention (FTSI), des règles de sécurité suivantes :

– en ne sollicitant aucun avis technique préalable à la réalisation d’un entraînement notamment auprès des services de l’armurerie sur les munitions employées pour les fusils HK G36 (n’ayant pas obtenu de balles à blanc, ils ont utilisé de vieilles balles en plastique que l’un d’eux aurait récupéré lorsqu’il était à l’école de police et qui se sont révélées être des balles datant de 1993, fabriquées en Espagne et qui n’ont jamais été utilisées par le police française et par ailleurs l’absence de bouchon obtureur sur ce type de fusil permettant les tirs à blanc),

– en ne donnant aucune instruction précise concernant les restrictions de tir en direction des plastrons, le tireur ayant touché M. [J] indiquant l’avoir visé, en l’absence de toute consigne,

– en ne procédant à aucune recherche concernant l’existence d’instruction de commandement précisant les modalités de mise en oeuvre d’un entraînement ‘tuerie de masse’, et notamment l’instruction de commandement du 29 d’avril 2019 qui prévoit que l’emploi des munitions à blanc est de la compétence des FTSI qui ne doivent l’utiliser qu’en direction d’une zone neutre,

– en n’imposant pas aux plastrons le port des équipements de protection nécessaire (gilet par balle et lunettes).

Dans ces conditions, la faute inexcusable de l’employeur est établie et le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable.

Sur la majoration de la rente

La faute inexcusable de l’employeur étant reconnue, il convient d’ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente servie en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

Cette majoration suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité permanente partielle reconnu à la victime.

Sur l’indemnisation des préjudices et l’expertise

Il résulte de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu’en cas de faute inexcusable, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut demander à l’employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d’autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation a jugé (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947) que désormais la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Désormais la victime d’une faute inexcusable de l’employeur apparaît fondée à solliciter l’indemnisation de son déficit fonctionnel permanent, non réparé par la rente et partant non couvert par tout ou partie du livre IV du code de sécurité sociale, comprenant les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence, personnelles, familiales et sociales. (en ce sens Civ.2ème, 1er juillet 2010 n° 09-67.028 et Civ.2ème, 28 mai 2009, n°08-16.829 Bull. II no131).

Le déficit fonctionnel permanent indemnise la réduction définitive (après consolidation) du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s’ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence, personnelles, familiales et sociales.

Il s’en déduit que les souffrances physiques et morales visées à l’article L. 452-3 du code de sécurité sociale ne sauraient, sauf à entraîner une double indemnisation, porter sur une période postérieure à la consolidation et voient leur périmètre coïncider avec les souffrances endurées de droit commun.

Au titre de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, sont indemnisables les préjudices suivants :

– Préjudice causé par les souffrances physiques et morales (avant consolidation en suite des deux arrêts de la Cour de Cassation du 20 juin 2023),

– Préjudice esthétique (avec cette précision que la jurisprudence admet qu’il puisse être distingué entre le préjudice temporaire et le préjudice permanent),

– Préjudice d’agrément,

-Préjudice résultant de la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle,

Au titre des chefs de préjudice de droit commun non réparés par le livre IV du code de la sécurité sociale, sont indemnisables les préjudices suivants :

Avant consolidation (la consolidation étant celle fixée dans le cadre de la législation professionnelle et ne relevant pas d’une fixation de droit commun) :

-Frais d’assistance à expertise,

-Frais d’assistance tierce personne à titre temporaire,

-Déficit fonctionnel temporaire (D.F.T.),

-Préjudice esthétique temporaire (cf supra),

Après consolidation:

-Déficit fonctionnel permanent (D.F.P.),

-Frais de logement adapté (F.L.A.),

-Frais de véhicule adapté (F.V.A.),

-Préjudice scolaire, universitaire ou de formation (P.S.U.),

-Préjudice sexuel,

-Préjudice d’établissement,

-Préjudice permanent exceptionnel,

-Préjudice esthétique permanent (cf supra),

-Déficit fonctionnel permanent (DFP).

Sont exclus les postes de préjudice suivants comme indemnisés au titre du livre IV:

-Dépenses de santé actuelles,

-Pertes de gains professionnels actuels (P.G.P.A.),

-Dépenses de santé futures (D.S.F.),

-Assistance par tierce personne (A.T.P.) après consolidation,

-Pertes de gains professionnels futurs (P.G.P.F.), indemnisé par la rente,

-Préjudice professionnel et de déclassement: indemnisé par la rente.

La date de consolidation est fixée par l’organisme qui verse les prestations et non l’expert.

La mission de l’expert sera fixée en fonction de ces éléments.

L’Agent Judiciaire de l’État, représentant l’État et les services gestionnaires du risque professionnel, fera l’avance des frais d’expertise, en application des dispositions de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Sur la demande de provision

N’invoquant aucun élément, et ne produisant aucun justificatif, M. [J] sera débouté de sa demande de provision.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement rendu le 31 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Reims en ce qu’il a mis hors de cause la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne,

Infirme le dit jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Met hors de cause M. Le Préfet de la Zone de Défense et de Sécurité Est,

Dit que l’accident du travail dont a été victime M. [N] [J] le 6 juin 2017 est dû à la faute inexcusable de l’employeur, l’État français,

Ordonne la majoration de rente servie à M. [N] [J] à son taux maximum,

Dit que cette majoration sera versée à M. [N] [J] par le service gestionnaire du risque professionnel compétent,

Déboute M. [N] [J] de sa demande de provision à valoir sur la réparation définitive des préjudices subis,

Et par avant dire-droit,

Ordonne une expertise médicale confiée au docteur [K] [V], [Adresse 2], avec pour mission de :

– entendre contradictoirement les parties et leurs conseils dans le respect des règles de déontologie médicale ou relatives au secret professionnel,

– recueillir les renseignements nécessaires sur l’identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut exact, son mode de vie antérieure à l’accident et sa situation actuelle,

– se faire communiquer par la victime tous documents médicaux la concernant notamment ceux consécutifs à l’accident litigieux et à son état de santé antérieur,

– procéder, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime,

– d’évaluer la réparation liée au déficit fonctionnel temporaire antérieur à la consolidation ou la guérison fixée dans le cadre de droit commun,

– d’évaluer la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales antérieur à la date de consolidation,

-d’évaluer le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes ressenties, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence au quotidien après consolidation,

– de chiffrer par référence au « Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun » le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent(état antérieur inclus) imputable à l’accident, qui n’est pas celui de celui retenu par la caisse au titre de la législation professionnelle, résultant de l’atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu’elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après consolidation ; dans l’hypothèse d’un état antérieur, préciser en quoi l’accident a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation,

– d’évaluer le préjudice esthétique temporaire et permanent,

– d’évaluer le préjudice d’agrément,

– d’évaluer le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle,

– d’évaluer le préjudice sexuel,

Dit que l’expert devra préciser contradictoirement aux parties et au magistrat chargé du contrôle de l’expertise la méthodologie, le coût et le calendrier prévisible de ses opérations et qu’il devra, en cas de difficultés ou de nécessité d’une extension de la mission en référer au magistrat chargé du contrôle de l’expertise qui appréciera la suite à y donner,

Dit que l’expert désigné pourra, en cas de besoin, s’adjoindre le concours de tout spécialiste de son choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir simplement avisé les conseils des parties et le magistrat chargé du contrôle des expertises,

Dit que l’expert adressera un pré-rapport aux conseils des parties qui, dans les quatre semaines de la réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles il devra répondre dans son rapport définitif,

Dit que l’expert devra déposer son rapport au greffe de la cour dans les CINQ MOIS à compter de l’acceptation de sa mission, sauf prorogation dûment sollicitée auprès du juge chargé du contrôle des opérations d’expertise, et en adresser une copie aux conseils des parties,

Désigne le président de la chambre sociale, section 1, pour surveiller les opérations d’expertise,

Fixe à 1400 euros la consignation des frais à valoir sur la rémunération de l’expert,

Dit que ces frais seront avancés par l’agent judiciaire de l’État,

Réserve les autres chefs de demandes et les dépens,

Renvoie l’affaire à l’audience de la chambre sociale du 21 octobre 2025 à 13 h 30, la notification du présent arrêt valant convocation des parties à cette audience.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Madame Corinne BOUC, Présidente de Chambre, et par Madame Céline PAPEGAY, Greffier.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE DE CHAMBRE

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