La qualification du lien contractuel : entre prestation de services et contrat de travail.

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La qualification du lien contractuel : entre prestation de services et contrat de travail.

L’Essentiel : GFP Technologies, société basée en Eure-et-Loir, développe un logiciel pour l’assurance de personnes. M. [T], consultant indépendant, a collaboré avec elle depuis 2021. Après la fin de son contrat en octobre 2022, il a saisi le conseil de prud’hommes, revendiquant un lien de travail salarié. Le 22 décembre 2023, le conseil a déclaré son incompétence et a condamné M. [T] à verser 1 500 euros à GFP Technologies. En janvier 2024, M. [T] a interjeté appel, mais la cour a confirmé le jugement initial, considérant que les éléments de subordination présentés n’étaient pas suffisants pour établir un contrat de travail.

Présentation de GFP Technologies

La société par actions simplifiée GFP Technologies, située en Eure-et-Loir, développe un logiciel nommé « Open » destiné à l’assurance de personnes, en particulier dans les domaines de la santé et de la prévoyance. Employant plus de dix salariés, elle est régie par la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.

Profil de M. [T]

M. [T], né en mars 1979, est consultant indépendant en systèmes et logiciels informatiques depuis 2009, avec une expertise reconnue en langage PHP. Il a signé un contrat de prestations de services avec GFP Technologies le 4 janvier 2021, pour une mission auprès de la société Axa, qui incluait le développement et la maintenance d’applications.

Fin du contrat et litige

Le contrat entre M. [T] et GFP Technologies a pris fin le 31 octobre 2022, alors que son autorisation de travail avait expiré trois jours plus tôt. M. [T] a alors saisi le conseil de prud’hommes de Chartres en janvier 2023, revendiquant un lien de travail salarié avec la société.

Demandes de M. [T]

M. [T] a demandé au conseil de prud’hommes de se déclarer compétent, de requalifier son contrat en contrat de travail, et de lui verser diverses indemnités, y compris des dommages-intérêts pour travail dissimulé et licenciement irrégulier, ainsi que des bulletins de salaire conformes.

Réponse de GFP Technologies

GFP Technologies a contesté la compétence du conseil de prud’hommes, demandant le rejet des demandes de M. [T] et a formulé une demande reconventionnelle pour obtenir des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Jugement du conseil de prud’hommes

Le 22 décembre 2023, le conseil de prud’hommes a déclaré son incompétence pour juger la relation de travail entre M. [T] et GFP Technologies, a débouté la société de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, et a condamné M. [T] à payer 1 500 euros à GFP Technologies.

Procédure d’appel

M. [T] a interjeté appel du jugement en janvier 2024, demandant à la cour d’appel de se déclarer compétente pour connaître du litige et de condamner GFP Technologies à lui verser des indemnités. La société a également interjeté un appel incident pour confirmer le jugement de première instance.

Arguments sur la compétence

La cour d’appel a examiné la question de la compétence, notant que GFP Technologies contestait l’existence d’un contrat de travail, tandis que M. [T] soutenait le contraire. La cour a rappelé que la présomption de non-salariat peut être renversée par la preuve d’un lien de subordination.

Éléments de subordination

M. [T] a présenté plusieurs indices de subordination, mais la cour a jugé que ces éléments ne suffisaient pas à établir un lien de subordination caractéristique d’un contrat de travail. Les modalités de rémunération et l’utilisation du matériel de l’entreprise ont été considérées comme des éléments typiques d’une relation de prestation de services.

Décision finale de la cour d’appel

La cour d’appel a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, déclarant M. [T] responsable des dépens d’appel et lui imposant de verser 1 500 euros à GFP Technologies pour les frais irrépétibles, tout en déboutant M. [T] de sa propre demande sur ce même fondement.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence du conseil de prud’hommes pour juger la relation de travail entre M. [T] et la société GFP Technologies ?

Le conseil de prud’hommes est compétent pour régler les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail, comme le stipule l’article L. 1411-1 du code du travail :

« Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. »

Dans cette affaire, M. [T] revendique l’existence d’un contrat de travail avec la société GFP Technologies, tandis que cette dernière conteste cette relation, arguant qu’il s’agit d’un contrat de prestations de services.

L’article L. 8221-6 du code du travail établit une présomption de non-salariat pour les personnes immatriculées au registre du commerce, ce qui est le cas de M. [T]. Cependant, cette présomption est simple et peut être renversée si l’existence d’un contrat de travail est prouvée.

Pour établir un contrat de travail, trois critères cumulatifs doivent être réunis : la réalisation d’une prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination.

M. [T] a présenté plusieurs indices de subordination, mais le tribunal a conclu qu’aucun de ces éléments ne prouvait l’existence d’un lien de subordination. Par conséquent, le conseil de prud’hommes a jugé qu’il n’était pas compétent pour connaître du litige.

Quels sont les critères permettant de caractériser l’existence d’un contrat de travail ?

Pour qu’une relation de travail soit qualifiée de contrat de travail, il est nécessaire de démontrer la présence de trois critères cumulatifs :

1. **Prestation de travail** : L’individu doit réaliser une prestation de travail.
2. **Rémunération** : Cette prestation doit être effectuée moyennant une rémunération.
3. **Lien de subordination** : Il doit exister un lien de subordination entre le travailleur et l’employeur, ce qui signifie que le travailleur exécute son travail sous l’autorité de l’employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres, de contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.

L’article L. 8221-6 du code du travail précise que la présomption de non-salariat peut être combattue par la preuve de l’existence d’un contrat de travail.

Dans le cas présent, M. [T] a tenté de prouver l’existence d’un lien de subordination en présentant divers indices, tels que la rédaction du contrat par la société GFP Technologies et l’imposition de modalités de rémunération. Cependant, le tribunal a estimé que ces éléments ne suffisaient pas à établir un lien de subordination, concluant ainsi à l’absence d’un contrat de travail.

Quelles sont les conséquences de l’absence de contrat de travail sur les demandes de M. [T] ?

L’absence de contrat de travail a des conséquences significatives sur les demandes de M. [T]. En effet, sans la reconnaissance d’une relation de travail salariée, il ne peut pas revendiquer les droits et protections associés à un contrat de travail, tels que :

– La remise de bulletins de salaire.
– Un certificat de travail.
– Le paiement d’indemnités pour licenciement irrégulier ou sans cause réelle et sérieuse.

L’article L. 8254-1 du code du travail stipule que toute personne doit vérifier, lors de la conclusion d’un contrat, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations. Dans le cas de M. [T], la société GFP Technologies a respecté ses obligations en mettant fin au contrat lorsque M. [T] a perdu son autorisation de travail.

Ainsi, le conseil de prud’hommes a jugé que M. [T] ne pouvait pas prétendre à des indemnités ou à des droits liés à un contrat de travail, ce qui a conduit à son déboutement de l’ensemble de ses demandes.

Quelles sont les implications de la procédure abusive dans ce litige ?

La société GFP Technologies a demandé des dommages-intérêts pour procédure abusive, arguant que M. [T] avait agi de mauvaise foi en saisissant le conseil de prud’hommes et la cour d’appel sans éléments probants pour soutenir sa demande.

L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile, sans préjudice des dommages-intérêts.

Cependant, le tribunal a conclu que la société GFP Technologies n’avait pas prouvé que M. [T] avait abusé de son droit d’ester en justice. Bien qu’il ait été débouté de ses prétentions, cela ne constitue pas en soi un abus de procédure.

Ainsi, la demande de la société GFP Technologies a été rejetée, confirmant que M. [T] avait le droit de faire valoir ses prétentions devant la justice, même si celles-ci n’ont pas abouti.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80O

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 NOVEMBRE 2024

N° RG 24/00141 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WJDO

AFFAIRE :

[W] [T]

C/

S.A.S. GFP TECHNOLOGIES prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité.

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 décembre 2023 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 2023-00006

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Abdelaziz MIMOUN

Me Sabine LAMIRAND

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

APPELANT

Monsieur [W] [T]

né le 18 Mars 1979 à Chine (99)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Abdelaziz MIMOUN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 89

****************

INTIME

S.A.S. GFP TECHNOLOGIES prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité.

N° SIRET : 882 18 1 9 85

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Sabine LAMIRAND, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455 –

Plaidant : Me Amandine RAVEL, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000049

Substitué par : Me Pauline BABIN, avocat au barreau de CHARTRES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 septembre 2024, en présence de Stéphanie HEMERY, greffière, et de [Z] [K], avocat stagiaire, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, présidente,

Madame Valérie DE LARMINAT, conseillère,

Madame Isabelle CHABAL, conseillère,

Greffière lors des débats : Madame Gaëlle RULLIER,

Greffière en préaffectation lors de la mise à disposition : Madame Victoria LE FLEM,

Rappel des faits constants

La société par actions simplifiée GFP Technologies, dont le siège social est situé à [Localité 4] en Eure-et-Loir, édite un logiciel informatique spécialisé dénommé  » Open  » dans l’assurance de personnes et plus particulièrement, la santé et la prévoyance qui permet aux assureurs de gérer les affiliations, les cotisations et les prestations. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 16 juillet 2021, dite Syntec.

M. [T], né le 18 mars 1979, exerce l’activité professionnelle de conseil en systèmes et logiciels informatiques en qualité d’indépendant depuis son immatriculation le 31 juillet 2009. Il dispose d’une expérience reconnue en langage PHP.

Le 4 janvier 2021, la société GFP Technologies a conclu avec M. [T] un contrat de prestations de services, pour une durée initiale de 6 mois renouvelable par tacite reconduction, impliquant son affectation sur la mission  » Axa » afin de répondre aux besoins spécifiques de cette société, notamment de développer et maintenir les applications, automatiser les méthodes de travail, rédiger les documents informatiques et assurer une veille technologique.

Le contrat a pris fin le 31 octobre 2022, alors que l’autorisation de travail de M. [T], de nationalité chinoise, avait pris fin le 28 octobre 2022 et que l’intéressé n’avait plus de titre valide.

Revendiquant avoir été lié à la société GFP Technologies par un contrat de travail, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Chartres par requête reçue au greffe le 20 janvier 2023.

La décision contestée

M. [T] a demandé au conseil de prud’hommes de :

– se déclarer compétent pour juger la relation de travail avec la société GFP Technologies,

– requalifier le contrat de prestations l’ayant lié à la société GFP Technologies en contrat de travail salarié au poste de développeur, statut cadre, convention collective nationale des bureaux d’études,

– condamner la société GFP Technologies à remettre les bulletins de salaire conformes comportant une rémunération brute mensuelle de 12 168 euros brut pour la période ayant couru entre le 4 janvier 2021 et le 31 octobre 2022 sous astreinte de 50 euros par document, à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement à intervenir,

– condamner la société GFP Technologies à lui remettre un certificat de travail comportant comme date d’entrée le 4 janvier 2021 et de sortie le 30 novembre 2022 en qualité de développeur informatique, sous astreinte de 50 euros par document à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement à intervenir,

– condamner la société GFP Technologies à procéder à sa déclaration auprès de l’URSSAF et procéder au règlement des cotisations afférentes sous astreinte de 100 euros et de lui en justifier, à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement à intervenir,

– condamner la société GFP Technologies à lui restituer la somme de 65 260 euros versée au titre des cotisations sociales indépendant,

– fixer à la somme de 12 168 euros son salaire mensuel brut moyen,

– condamner la société GFP Technologies à lui verser les sommes suivantes :

. 73 008 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

. 12 168 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier,

. 24 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 36 504 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 3 650,40 euros au titre des congés payés afférents,

. 3 295,50 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile,

– 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– intérêts légaux avec capitalisation à compter de la saisine du conseil,

– dépens y compris ceux d’exécution.

La société GFP Technologies a quant à elle demandé au conseil de prud’hommes de :

– se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Chartres,

– débouter M. [T] de l’ensemble de ses demandes,

à titre reconventionnel,

– condamner M. [T] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

– condamner M. [T] aux dépens et à lui payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’audience de conciliation a eu lieu le 16 juin 2023.

L’audience de jugement a eu lieu le 20 octobre 2023.

Par jugement contradictoire rendu le 22 décembre 2023, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Chartres :

– s’est déclarée incompétente pour juger la relation de travail entre M. [T] et la société GFP Technologies,

– a renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

– a dit que l’instance sera retirée du rang des affaires en cours,

– a débouté la société GFP Technologies de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

– a condamné M. [T] à payer à la société GFP Technologies la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– a condamné M. [T] aux entiers dépens de l’instance.

La procédure d’appel

M. [T] a interjeté appel-compétence du jugement par déclaration du 5 janvier 2024 enregistrée sous le numéro de procédure 24/00141.

Par requête reçue au greffe le 5 janvier 2024, M. [T] a sollicité l’autorisation d’assigner la société GFP Technologies selon la procédure à jour fixe.

Par ordonnance rendue le 31 janvier 2024, M. [T] s’est vu autoriser à assigner la société GFP Technologies selon la procédure à jour fixe pour une audience fixée le 5 septembre 2024, dans le cadre d’une audience rapporteur.

Prétentions de M. [T], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 13 août 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [T] demande à la cour d’appel de :

– infirmer le jugement en ce que le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent pour juger la relation de travail le liant à la société GFP Technologies et :

. a renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

. a dit que l’instance sera retirée du rang des affaires en cours,

. a débouté la société GFP Technologies de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

. l’a condamné à payer à la société GFP Technologies la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

. l’a condamné aux entiers dépens de l’instance,

statuant de nouveau.

– déclarer le conseil de prud’hommes de Chartres, ou le cas échéant la cour de céans dans sa faculté d’évocation, pour connaître du litige l’opposant à la société GFP Technologies,

– se déclarer compétent pour connaître du litige,

– condamner la société GFP Technologies à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

– débouter la société GFP Technologies de ses demandes indemnitaires formées au titre de la procédure abusive et sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Prétentions de la société GFP Technologies, intimée et appelante incidente

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 26 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses moyens, la société GFP Technologies demande à la cour d’appel de :

– déclarer recevable et bien fondé l’appel incident qu’elle a interjeté,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour juger de la relation de travail la liant à M. [T],

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [T] à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande reconventionnelle tenant à voir condamner M. [T] à lui verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

et statuant à nouveau,

– condamner M. [T] à lui verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

– condamner M. [T] à lui verser une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais qu’elle a été contrainte d’exposer en appel,

– condamner M. [T] aux entiers dépens.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur la compétence

La société GFP Technologies soulève l’incompétence de la juridiction prud’homale, en l’absence selon elle de contrat de travail liant les parties tandis que M. [T], revendiquant l’existence d’une relation de travail salariée, conclut au contraire à la compétence de la juridiction prud’homale.

L’alinéa 1er de l’article L. 1411-1 du code du travail dispose :  » Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.  »

Pour statuer sur la compétence de la juridiction prud’homale, il y a lieu de se prononcer sur l’existence d’un contrat de travail liant M. [T] à la société GFP Technologies.

L’article L 8221-6 du code du travail instaure une présomption de non-salariat à l’encontre des personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales.

Tel est le cas de M. [T], ainsi qu’il le reconnaît.

Il s’agit toutefois d’une présomption simple qui peut être combattue lorsqu’il est établi l’existence d’un contrat de travail.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.

Trois critères cumulatifs permettent de caractériser l’existence d’un contrat de travail, à savoir la réalisation d’une prestation de travail moyennant une rémunération sous la subordination d’un employeur.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

Pour prétendre être lié par un contrat de travail à la société GFP Technologies, M. [T] fait état de neuf indices de subordination juridique.

Il soutient ainsi que le contrat de prestations a été établi par la société GFP Technologies, que le système de rémunération au forfait journalier confirme sa dépendance économique et le lien de subordination, comme la nécessité d’établir un compte-rendu pour être payé, la mise à disposition du matériel de la société GFP Technologies, l’organisation de son temps de travail par la société GFP Technologies, sa présence régulière dans les locaux de l’entreprise, sa dépendance économique à titre exclusif, des modalités de rupture symptomatiques de l’existence d’une relation salariée et l’indifférence de la proposition de tarif qu’il a faite.

Il sera constaté que l’ensemble des ces éléments, tels qu’énoncés, ne sont pas de nature à caractériser l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Concernant l’instrumentum, M. [T] prétend que le contrat a été rédigé en l’espèce par la société GFP Technologies alors qu’il appartient en principe au prestataire de rédiger le contrat commercial.

La société GFP Technologies justifie que c’est à la demande de M. [T] qu’elle a préparé le contrat, qui est en effet rédigé à l’entête de la société (pièce 2 de l’intimée) et quoi qu’il en soit la qualité de rédacteur ne commande pas la nature du contrat signé.

Concernant les modalités de rémunération, M. [T] soutient que la société GFP Technologies les lui a imposées, alors qu’il ressort d’un courriel du 4 décembre 2020 que c’est lui qui a fixé les conditions financières de son intervention à 520 euros HT par jour en ces termes :

 » Re-bonjour [M],

Comme convenu, je vous transmets ce mail avec des informations ci-dessus.

Disponibilités : à partir du 07/12/2020

TJM : 520 euros HT/J

Cordialement,

[W] [T]  » (pièce 8 de l’intimée).

A l’opposé de ce que soutient M. [T], le caractère forfaitaire et journalier de sa rémunération correspond davantage aux modalités d’un contrat de prestations de service au contraire d’une rémunération horaire qui s’attache en principe au contrat de travail.

M. [T] oppose ensuite que la société GFP Technologies lui demandait de renseigner ses jours d’intervention, ce qui serait un indice d’un lien de subordination.

Mais, dès lors que les factures sont la résultante du nombre de jours prestés auquel est appliqué le taux journalier, il ne peut être reproché à l’entreprise de s’assurer que les prestations correspondantes ont bien été réalisées, ce procédé s’inscrivant dans les rapports habituels entre un prestataire et un donneur d’ordre. Cet argument doit donc être écarté.

M. [T] invoque encore la mise à disposition par l’entreprise du matériel informatique, comme indice d’un lien de subordination.

La société GFP Technologies répond de façon convaincante qu’elle est tenue d’utiliser du matériel et des procédures sécurisées, que la solution informatique qu’elle commercialise fonctionne sur les systèmes informatiques de ses clients assureurs et traite de données de santé, par essence extrêmement confidentielles, qu’elle ne peut donc absolument pas permettre qu’un ordinateur tiers, dont elle ne peut garantir la fiabilité, ait accès à ses réseaux ou ceux de ses clients et ainsi, à des données de santé particulièrement sensibles, qu’elle impose donc à toute personne amenée à intervenir sur son réseau informatique ou celui de ses clients, le respect d’une procédure stricte de sécurité qui ne peut s’opérer que par le biais d’un ordinateur GFP Tech.

Pour ces raisons, la société GFP Technologies est légitime à imposer à ses prestataires d’utiliser son propre matériel, ce qui ne peut constituer un indice de subordination.

M. [T] souligne encore qu’il devait parfois se rendre dans les locaux de l’entreprise pour y travailler et/ou pour participer à des réunions d’étapes, ce qui s’inscrit toutefois totalement dans la nécessaire coordination du travail entre un prestataire et son donneur d’ordre et qui ne peut constituer un indice de subordination, comme l’invoque l’appelant.

M. [T] argue d’une dépendance économique et d’une rupture de contrat qui serait  » symptomatique  » de l’existence d’une relation de travail salariée.

Il sera cependant rappelé que la notion de dépendance économique est une notion commerciale inopérante à caractériser un lien de subordination tel qu’il est défini de façon constante par la jurisprudence.

Quant aux circonstances de la rupture des relations contractuelles, la société GFP Technologies fait valoir à juste titre qu’elle était tenue de respecter les dispositions du code du travail s’agissant des travailleurs étrangers, qu’il soit donneur d’ordre ou employeur, étant rappelé que le titre de séjour de M. [T] portait la mention  » activité professionnelle non-salariée « .

En effet, l’article L. 8254-1 du code du travail dispose :  » Toute personne vérifie, lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution de ce contrat, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations au regard des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1.  »

Il ne peut dès lors être reproché à la société GFP Technologies d’avoir rompu le contrat la liant à M. [T] qui, à ce moment-là, ne disposait plus d’une autorisation de travailler.

En toute hypothèse, cette circonstance n’est pas de nature à constituer un indice du lien de subordination.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, M. [T] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu’il était lié à la société GFP Technologies par une relation de travail salariée.

Dans ces conditions, c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes de Chartres s’est déclaré incompétent pour connaître du litige opposant les parties.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l’abus de procédure

La société GFP Technologies sollicite la condamnation de M. [T] à lui payer une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Elle fait valoir que M. [T] est dans l’incapacité de produire aux débats le moindre élément portant sur quelque directive que ce soit, contrôle dans l’exécution de son travail ou sanction qui lui aurait été infligée, qu’il ne dispose pas du moindre élément de nature à justifier de la qualité de salarié dont il se prévaut, qu’il est donc patent qu’il a fait preuve d’une mauvaise foi manifeste en saisissant d’abord le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel. Elle considère que cette saisine a été orchestrée dans l’unique but de lui nuire alors que M. [T] ne conteste pas continuer à prester dans différentes entreprises en qualité d’indépendant.

M. [T] s’oppose à la demande, faisant valoir qu’il ne résulte aucunement que son action serait téméraire.

En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un montant maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

En l’espèce toutefois, la société GFP Technologies ne rapporte pas la preuve que le droit fondamental de M. [T] d’ester en justice pour faire arbitrer ses prétentions, a dégénéré en abus, même si celui-ci a été débouté à deux reprises de ses prétentions.

La société GFP Technologies sera déboutée de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu’il a condamné M. [T] aux dépens et à payer à la société GFP Technologies une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.

M. [T], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens d’appel en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

M. [T] sera en outre condamné à payer à la société GFP Technologies une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 500 euros et sera débouté de sa propre demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Chartres le 22 décembre 2023,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [W] [T] au paiement des dépens d’appel,

CONDAMNE M. [W] [T] à payer à la SAS GFP Technologies une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [W] [T] de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Victoria Le Flem, greffière en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière en préaffectation, La présidente,


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