Prescription et responsabilité personnelle : enjeux d’une action en réparation

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Prescription et responsabilité personnelle : enjeux d’une action en réparation

Prescription de l’action en responsabilité délictuelle

L’action en responsabilité délictuelle est soumise à un délai de prescription quinquennal, conformément à l’article 2224 du Code civil, qui stipule que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Le point de départ de ce délai est fixé à la date de la manifestation du dommage, ce qui est précisé par la jurisprudence. En l’espèce, le dommage a été constaté lors du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, soit le 12 février 2018, date à laquelle les maîtres d’ouvrage ont pu envisager d’engager la responsabilité personnelle de M. [W].

Interruption de la prescription

L’article 2241 du Code civil prévoit que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Pour qu’une citation en justice interrompe la prescription, elle doit être signifiée à la personne concernée.

Dans le cas présent, l’assignation délivrée le 14 mars 2019 à M. [W] a été faite à la fois en son nom personnel et en qualité de liquidateur amiable de la SARL Batyss. Les termes de l’assignation étant clairs, ils ont permis d’interrompre le délai de prescription de l’action en responsabilité délictuelle.

Fin de non-recevoir pour défaut de qualité

Selon l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel que le défaut de qualité ou la prescription.

M. [W] a soulevé une fin de non-recevoir en arguant que l’assignation ne lui avait pas été signifiée personnellement, ce qui aurait pu empêcher l’interruption de la prescription. Toutefois, la cour a retenu que l’assignation mentionnait explicitement sa qualité personnelle, ce qui a permis de rejeter cette fin de non-recevoir.

Responsabilité personnelle du dirigeant

La responsabilité personnelle d’un dirigeant de société peut être engagée pour des fautes de gestion détachables de ses fonctions, conformément aux principes de la responsabilité délictuelle. En l’espèce, M. [W] a été accusé d’avoir commis une faute en faisant réaliser des travaux pour lesquels la SARL Batyss n’était pas assurée.

Cette responsabilité est fondée sur l’article 1382 ancien du Code civil, qui impose à quiconque cause un dommage à autrui de le réparer. La cour a donc examiné si les conditions de la responsabilité délictuelle étaient réunies, notamment la faute, le dommage et le lien de causalité.

Frais irrépétibles et dépens

L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à verser à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles exposés. Dans cette affaire, M. [W] a été condamné à verser des sommes à M. [X] et aux autres parties pour couvrir ces frais, en raison de sa défaite dans l’instance.

Les dépens de la procédure d’appel sont également à la charge de la partie succombante, conformément aux dispositions générales du Code de procédure civile.

L’Essentiel : L’action en responsabilité délictuelle est soumise à un délai de prescription quinquennal, à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Le point de départ est fixé à la date de la manifestation du dommage, constaté lors du dépôt du rapport d’expertise judiciaire. L’assignation délivrée à M. [W] a interrompu le délai de prescription, car elle mentionnait explicitement sa qualité personnelle, permettant ainsi de rejeter la fin de non-recevoir soulevée.
Résumé de l’affaire : Un acheteur et une vendeuse ont conclu un contrat d’assistance à la maîtrise d’ouvrage avec une société de construction pour la réalisation de leur maison. Après réception des travaux, ils ont constaté des désordres et ont demandé une expertise pour en déterminer l’origine et les remèdes. Une première expertise amiable a été réalisée, suivie d’une expertise judiciaire ordonnée par le tribunal, qui a confirmé l’existence de malfaçons.

Les maîtres d’ouvrage ont ensuite assigné le liquidateur amiable de la société de construction, ainsi que plusieurs assureurs, devant le tribunal pour obtenir réparation des préjudices subis. Au cours de la procédure, la vendeuse a cédé sa part du bien à l’acheteur, qui a poursuivi l’action en son nom seul. Le liquidateur a contesté la recevabilité des demandes en invoquant la prescription, arguant que les actions engagées à son encontre n’avaient pas été signifiées correctement.

Le tribunal a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par le liquidateur, considérant que l’assignation délivrée en mars 2019 l’avait bien informé de la portée des demandes à son encontre, tant en son nom personnel qu’en tant que liquidateur. Le liquidateur a fait appel de cette décision, demandant la réformation de l’ordonnance et la condamnation des maîtres d’ouvrage à lui verser des frais.

Les assureurs impliqués dans l’affaire ont également pris position, demandant à la cour de se prononcer sur les demandes du liquidateur et de condamner la partie succombante aux dépens. Finalement, la cour a confirmé l’ordonnance du tribunal, rejetant les demandes du liquidateur et condamnant ce dernier à payer des frais aux parties adverses.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la fin de non-recevoir soulevée par le dirigeant d’entreprise concernant la prescription de l’action ?

La fin de non-recevoir soulevée par le dirigeant d’entreprise repose sur l’article 122 du Code de procédure civile, qui définit la fin de non-recevoir comme tout moyen tendant à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel que la prescription.

En application de l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Le point de départ de l’action en responsabilité extracontractuelle est la manifestation du dommage, et selon l’article 2241, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.

Pour interrompre la prescription, une citation en justice doit être signifiée à celui qu’on veut empêcher de prescrire.

Il est donc essentiel de déterminer si l’assignation délivrée à M. [W] a été faite en son nom personnel et si elle a effectivement interrompu le délai de prescription.

Quel est le point de départ du délai de prescription pour l’action en responsabilité délictuelle ?

Le point de départ du délai de prescription pour l’action en responsabilité délictuelle doit être fixé au jour de la manifestation du dommage, conformément à l’article 2224 du Code civil.

Dans cette affaire, il a été établi que M. [X] et Mme [M] n’ont pris connaissance du dommage qu’à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, soit le 12 février 2018.

C’est à ce moment-là qu’ils ont pu envisager d’engager la responsabilité du dirigeant d’entreprise pour la faute commise.

Ainsi, le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir de cette date, et non à partir de l’ouverture du chantier ou de la date de l’assignation en référé.

Quel impact a eu l’assignation délivrée le 14 mars 2019 sur la prescription de l’action ?

L’assignation délivrée le 14 mars 2019 a eu un impact significatif sur la prescription de l’action en responsabilité délictuelle.

Cet acte a été remis à M. [W] en son nom personnel et en qualité de liquidateur amiable de la SARL Batyss, ce qui a permis d’interrompre le délai de prescription.

L’article 2241 du Code civil stipule que la demande en justice interrompt le délai de prescription, et dans ce cas, l’assignation a été rédigée de manière à mentionner explicitement la responsabilité personnelle de M. [W].

Ainsi, même si le formulaire de remise de l’acte comportait une mention incomplète, cela ne saurait affecter la portée de l’assignation, qui a été claire dans ses intentions.

Quel est le rôle des expertises dans la détermination de la responsabilité du dirigeant d’entreprise ?

Les expertises jouent un rôle crucial dans la détermination de la responsabilité du dirigeant d’entreprise.

Dans cette affaire, l’expertise amiable a d’abord révélé que la SARL Batyss avait exécuté une mission de maîtrise d’œuvre complète, alors qu’elle n’était assurée que pour une mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage.

Ce décalage entre les termes du contrat et les actions menées a été mis en lumière lors de l’expertise judiciaire, permettant ainsi aux maîtres d’ouvrage de prendre connaissance des éléments nécessaires pour envisager la responsabilité personnelle du dirigeant.

Il est donc essentiel que les expertises soient menées de manière rigoureuse et exhaustive pour établir les faits et les responsabilités, car elles fournissent les bases sur lesquelles les parties peuvent fonder leurs actions en justice.

Quel est le résultat de la décision de la Cour concernant les demandes d’indemnisation et les frais irrépétibles ?

La décision de la Cour a confirmé l’ordonnance rendue le 6 juin 2023 par le juge de la mise en état, rejetant la fin de non-recevoir soulevée par le dirigeant d’entreprise.

En conséquence, M. [W] a été condamné à payer à M. [X], à la SA Abeille IARD & Santé et à la SMABTP une somme de 1 000 euros chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, qui prévoit que la partie perdante peut être condamnée à verser des frais irrépétibles à la partie gagnante.

De plus, M. [W] a été condamné aux entiers dépens de la procédure d’appel, ce qui signifie qu’il doit également couvrir les frais de la procédure engagée par les parties adverses.

Cette décision souligne l’importance de la responsabilité dans les relations contractuelles et les conséquences financières qui peuvent en découler.

AFFAIRE : N° RG 23/01619 –

N° Portalis DBVC-V-B7H-HHTE

ARRÊT N°

ORIGINE : Décision du Juge de la mise en état de CHERBOURG du 06 Juin 2023 – RG n° 19/00312

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 11 MARS 2025

APPELANT :

Monsieur [T] [W] en son nom personnel et ès qualités de liquidateur amiable de la SARL BATYSS,

né le 07 Juin 1969 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté et assisté de Me Thibault GAMBLIN, avocat au barreau de CHERBOURG

INTIMÉS :

Monsieur [G] [X]

né le 10 Juillet 1973 à [Localité 12]

[Adresse 4]

[Localité 5]

représenté et assisté de Me Anne RABAEY, avocat au barreau de CHERBOURG

La S.A. ABEILLE IARD & SANTE

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 306 522 665

[Adresse 1]

[Localité 11]

représentée et assistée de Me Thomas LECLERC, avocat au barreau de CAEN

La S.A.R.L. C2L

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 14]

[Localité 6]

La SELARL SBCMJ ès qualitès de Commissaire à l’exécution du plan de la SARL C2L,

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 5]

L’E.U.R.L. SERGE LECANU

prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 7]

[Localité 6]

toutes trois non représentées, bien que régulièrement assignées,

La S.A. MAAF ASSURANCES

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 13]

[Localité 9]

représentée et assistée de Me Amélie MARCHAND-MILLIER, avocat au barreau de COUTANCES

La Compagnie d’assurance SMABTP ès qualités d’assureur de la SARL BATYSS

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 10]

[Localité 8]

représentée et assistée de Me Virginie PIEDAGNEL, avocat au barreau de CHERBOURG

DÉBATS : A l’audience publique du 19 décembre 2024, sans opposition du ou des avocats, Mme GAUCI SCOTTE, conseillère, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme COLLET

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 11 Mars 2025 et signé par Mme GAUCI SCOTTE, conseillère, pour le président empêché, et Mme COLLET, greffier

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte sous seing privé, M. [G] [X] et Mme [V] [M] ont conclu le 26 juillet 2009, un ‘contrat d’assistance à la maîtrise d’ouvrage’ avec la SARL Batyss, représentée par M. [T] [W], pour la construction de leur maison d’habitation.

Le 23 mai 2011, M. [X] et Mme [M] ont réceptionné les travaux et constaté divers désordres.

M. [X] et Mme [M] ont confié à M. [O] la réalisation d’une expertise sur la description, l’origine et les remèdes à apporter aux désordres. L’expert a établi son rapport le 26 novembre 2014.

Par ordonnance du 15 septembre 2015, le président du tribunal de grande instance de Cherbourg-en-Cotentin, saisi par les maîtres d’ouvrage, a ordonné une expertise judiciaire afin de connaître notamment l’origine de ces désordres, les conséquences sur l’immeuble et les moyens d’y remédier et l’a confiée à M. [K], qui a déposé son rapport le 12 février 2018.

Par actes des 14, 25 et 26 mars 2019, M. [X] et Mme [M] ont fait assigner M. [W] personnellement et en qualité de liquidateur amiable de la SARL Batyss, la SMABTP, la société MAAF Assurances, la SARL C2L, l’EURL Serge Lecanu et la SA Aviva, devant le tribunal de grande instance de Cherbourg-en-Cotentin, aux fins d’obtenir indemnisation des malfaçons et réparation des préjudices subis.

Par acte du 10 août 2021 M. [X] et Mme [M] ont appelé à la cause la SELARL SBCMJ.

Les instances ont été jointes par mention au dossier.

M. [W] a constitué avocat en son nom personnel le 1er juin 2022.

Par ordonnance du 16 juin 2023 à laquelle il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Cherbourg-en-Cotentin a :

rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [W],

débouté M. [W] de sa demande d’indemnité fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté M. [X] et Mme [M] de leur demande d’indemnité fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

réservé les dépens de l’incident qui suivront le sort de ceux de l’instance au fond,

ordonné le renvoi de l’affaire et des parties à l’audience de mise en état du 5 juillet 2023 à 9 heures 30, et invité Me Gamblin, conseil de M. [W], à conclure sur le fond avant cette audience et à transmettre ses conclusions par RPVA avant le 4 juillet 2023 à 12 heures.

Par déclaration du 4 juillet 2023, M. [W] a formé appel de cette ordonnance, la critiquant en toutes ses dispositions.

En cours de procédure, M. [X] et Mme [M] se sont séparés et cette dernière a cédé sa part indivise du bien immobilier à M. [X], lequel, désormais seul propriétaire, poursuit seul la procédure.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 10 juin 2024, M. [W] demande à la Cour de :

réformer la décision rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Cherbourg le 6 juin 2023,

Statuant à nouveau,

juger irrecevables car prescrites l’ensemble des demandes formées par M. [X] et Mme [M] à son encontre en son nom personnel,

débouter par conséquent M. [X] et Mme [M] de l’ensemble de leurs demandes formées à son encontre à titre personnel,

renvoyer l’affaire au fond,

condamner M. [X] et Mme [M] à lui verser la somme de 2 400 euros au titre de ses frais irrépétibles,

débouter les intimés de leurs demandes fondées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [X] et Mme [M] aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 13 octobre 2023, la SMABTP demande à la Cour de :

lui donner acte, en sa qualité d’assureur de la SARL Batyss, de ce qu’elle s’en rapporte à la sagesse de la juridiction de céans sur les demandes formées par M. [W] au soutien de son appel,

condamner la partie succombante à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d’instance,

condamner la partie succombante aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 13 octobre 2023, la SA Abeille IARD & Santé demande à la Cour de :

lui donner acte, es qualité d’assureur de l’EURL Lecanu, de ce qu’elle s’en rapporte à la décision de la Cour concernant les demandes de M. [W],

condamner la partie succombante à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la partie succombante aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 18 octobre 2023, la SA MAAF Assurances demande à la Cour de :

statuer ce que de droit sur l’appel formé par M. [W],

condamner tout succombant aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 19 novembre 2024, M. [X] demande à la Cour de :

confirmer le jugement rendu en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir de M. [W], l’action des concluants n’étant pas prescrite,

débouter M. [W] de ses toutes ses demandes,

condamner M. [W] agissant en son nom personnel à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [W] agissant en son nom personnel aux entiers dépens de cet incident.

La déclaration et les conclusions d’appel ayant été régulièrement signifiées, la SARL C2L, la SELARL SBCMJ et l’EURL Serge Lecanu n’ont pas constitué avocat en cause d’appel.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 4 décembre 2024.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

M. [W] forme appel de l’ordonnance rendue le 6 juin 2023 par le juge de la mise en état de Cherbourg, lequel a rejeté la fin de non-recevoir soulevée, tenant à la prescription de l’action engagée par M. [X] et Mme [M] à l’encontre de M. [W] en son nom personnel.

Il fait valoir que lorsque M. [X] et Mme [M] ont engagé leur action devant le juge des référés pour voir ordonner une expertise, ils ont fait délivrer le 25 juin 2015 une assignation à M. [W] es qualité de liquidateur amiable de la SARL Batyss, mais pas en son nom personnel.

M. [W] précise qu’il n’était ni présent ni représenté dans l’instance de référé, pas plus qu’il n’a participé aux opérations d’expertise judiciaire.

Il relève que M. [X] et Mme [M] ont formé au fond des demandes tendant à voir reconnaître sa responsabilité à titre personnel, au motif qu’il aurait commis une faute de gestion détachable de ses fonctions de gérant de la SARL Batyss, en faisant réaliser à celle-ci une mission de maîtrise d »uvre complète alors qu’elle n’était assurée que pour une mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage.

M. [W] constate que ces demandes se fondent sur la responsabilité délictuelle de l’article 1382 ancien du Code civil, et sont donc soumises à la prescription quinquennale des actions personnelles et mobilières.

M. [W] soutient que le point de départ du délai de prescription à son égard doit être fixé à la date d’ouverture du chantier, date à laquelle l’assurance aurait dû être souscrite, soit en janvier 2010.

Il critique donc l’appréciation faite par le premier juge qui a retenu pour point de départ du délai de prescription la date à laquelle les maîtres d’ouvrage ont été informés de la possibilité de rechercher la responsabilité personnelle de M. [W], soit la date du rapport d’expertise judiciaire.

En outre, M. [W] relève que l’assignation délivrée le 14 mars 2019 dans le cadre de l’instance au fond, est adressée à M. [W] es qualité de liquidateur de la SARL Batyss, et non en son nom personnel, de même pour la signification des conclusions opérée le 25 mai 2022.

M. [W] soutient que ces actes n’ont pu interrompre la prescription de l’action à son encontre, dès lors qu’ils ne lui étaient pas personnellement signifiés, et ne lui sont donc pas opposables.

En défense, M. [X] sollicite la confirmation de l’ordonnance déférée et le rejet de la fin de non-recevoir soulevée.

Il soutient en premier lieu que l’assignation délivrée le 14 mars 2019 a été remise à M. [W] es qualité de liquidateur de la SARL Batyss mais aussi en son nom personnel, de sorte que cet acte était de nature à interrompre la prescription de l’action en responsabilité personnelle de M. [W].

M. [X] souligne que seul le formulaire de remise de l’acte comporte une mention incomplète de la qualité du destinataire.

Quant au point de départ du délai de prescription, M. [X] soutient qu’il doit être fixé au plus tôt à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire dans la mesure où c’est dans le cadre des opérations d’expertise judiciaire que le débat sur la nature de l’intervention de la SARL Batyss a été évoqué, et donc la possible responsabilité personnelle de M. [W].

M. [X] indique par ailleurs que la nature même de l’intervention de la SARL Batyss est soumise à l’appréciation des juges du fond, et que par conséquent, à ce jour, la faute de M. [W] ne peut être considérée comme caractérisée, de sorte que la prescription de l’action à son égard n’aurait pas même commencé à courir.

La SMABTP, assureur de la SARL Batyss, et la SA Abeille IARD & Santé, assureur de l’EURL Lecanu, et la SA MAAF, assureur de M. [S], s’en rapportent sur les demandes de M. [W].

Aux termes de l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En application de l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Le point de départ de l’action en responsabilité extracontractuelle est la manifestation du dommage.

Il résulte de l’article 2241 que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Pour interrompre la prescription ainsi que les délais pour agir, une citation en justice, même en référé, doit être signifiée à celui qu’on veut empêcher de prescrire.

Il n’est pas contesté par les parties que l’action engagée par M. [X] et Mme [M] à l’encontre de M. [W] en nom personnel est une action en responsabilité délictuelle (fondée sur la responsabilité personnelle du dirigeant de société) et est donc soumise au délai de prescription quinquennale.

A ce titre, le point de départ du délai de prescription de cette action doit être fixé au jour de la manifestation du dommage.

Il est constant que la SARL Batyss et M. [X] et Mme [M] ont conclu un contrat d’assistance à la maîtrise d’ouvrage.

Toutefois, dans le cadre de l’expertise amiable non contradictoire confiée à M. [O], cet expert a relevé que la SARL Batyss avait en réalité exécuté une mission de maîtrise d »uvre complète (elle a établi les plans, sélectionné les entreprises et assuré le suivi et la direction du chantier).

Cependant, dans le cadre de cette expertise, si M. [O] a conclu au caractère décennal des désordres, il n’a pas été signalé aux maîtres d’ouvrage la difficulté qui pouvait résulter du décalage entre les termes du contrat et les actions effectivement menées par la SARL Batyss.

Ce n’est qu’à l’occasion des opérations d’expertise judiciaire que les constructeurs et leurs assureurs sont intervenus, et que, dans ce cadre, le potentiel défaut d’assurance de la SARL Batyss pour l’exécution de missions de maîtrise d »uvre a été porté à la connaissance de M. [X] et Mme [M].

Il doit dès lors être considéré que c’est à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, soit le 12 février 2018, que M. [X] et Mme [M] ont pu prendre connaissance du dommage découlant du défaut d’assurance de la SARL Batyss et envisager à ce titre d’engager la responsabilité de M. [W], en sa qualité de dirigeant, pour la faute commise.

En conséquence, le point de départ du délai de prescription devra être fixé au 12 février 2018.

À l’occasion de la procédure de référé engagée par M. [X] et Mme [M] aux fins d’expertise judiciaire, il apparaît que l’assignation délivrée à M. [W] le 25 juin 2015 était adressée à ce dernier uniquement es qualité de liquidateur amiable de la SARL Batyss.

Toutefois, à cette date, M. [X] et Mme [M] n’avaient pas connaissance du dommage, et ne pouvaient donc envisager d’engager la responsabilité personnelle de M. [W].

En revanche, dans le cadre de l’instance au fond introduite par M. [X] et Mme [M], une assignation a été remise le 14 mars 2019 à M. [W], l’acte ayant été remis à personne.

Il convient de relever que l’assignation est rédigée en ces termes : « Donne assignation à M. [T] [W], personnellement et es qualité de liquidateur amiable de la SARL Batyss » et qu’en outre, le dispositif des demandes présentées mentionne expressément qu’est sollicitée la condamnation in solidum de « l’EURL Lecanu et le GAN son assureur, M. [W] en son nom personnel et es qualité de liquidateur de la SARL Batyss, la SMABTP, la SARL C2L, la MAAF assureur de l’entreprise [S] » à indemniser les désordres allégués.

M. [W] ne saurait arguer utilement de ce que le formulaire de remise ait indiqué de manière incomplète que l’acte était remis à M. [W] « es qualité de liquidateur de la SARL Batyss », sans reprendre la remise à titre personnel, pour prétendre que cette assignation ne lui aurait pas permis d’appréhender la portée des demandes dirigées à son encontre à titre personnel.

Ainsi, l’assignation délivrée le 14 mars 2019 à M. [W] a régulièrement interrompu le délai de prescription de l’action en responsabilité délictuelle formée à son encontre par M. [X] et Mme [M], en ce que les termes clairs et précis de l’assignation mentionnaient que l’action des maîtres d’ouvrage était tournée contre M. [W] cumulativement à titre personnel et es qualité de liquidateur de la SARL Batyss.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [W] à l’encontre des demandes formées envers lui en son nom personnel doit donc être rejetée, et l’ordonnance rendue le 6 juin 2023 par le juge de la mise en état de Cherbourg sera confirmée.

Sur les frais et dépens :

L’équité justifie que M. [W], qui succombe à l’instance, supporte les frais irrépétibles exposés par les parties adverses.

Il sera donc fait partiellement droit aux demandes des intimés et M. [T] [W] sera condamné à régler à chacun d’eux une somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au surplus, M. [W] est condamné aux dépens de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision réputée contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Confirme l’ordonnance prononcée le 6 juin 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Cherbourg en Cotentin,

Y ajoutant,

Déboute les parties de toutes autres demandes,

Condamne M. [T] [W] à payer à M. [G] [X], la SA Abeille IARD & Santé et la SMABTP une somme, chacun, de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne M. [T] [W] aux entiers dépens de la procédure d’appel.

LE GREFFIER p/LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ

M. COLLET A. GAUCI SCOTTE


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