Nuisances olfactives et troubles de voisinage : la responsabilité du propriétaire engagée.
Nuisances olfactives et troubles de voisinage : la responsabilité du propriétaire engagée.

Responsabilité du fait des troubles anormaux de voisinage

La responsabilité du fait des troubles anormaux de voisinage repose sur le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage. Cette règle est fondée sur la jurisprudence qui considère que la responsabilité est objective, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire de prouver une faute pour engager la responsabilité. La notion de trouble anormal de voisinage est autonome par rapport au droit commun de la responsabilité, et son appréciation se fait en fonction des circonstances de temps et de lieu.

L’article 544 du Code civil, qui définit le droit de propriété, stipule que « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, sous les restrictions établies par la loi ». En matière de voisinage, cette jouissance doit se faire sans causer de troubles excessifs aux voisins.

Prescription des actions en responsabilité

Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans, conformément à l’article 2224 du Code civil, à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Dans le cas présent, les époux [U] ont engagé leur action en justice en 2017, ce qui est dans le délai de prescription, car ils ont fait état de troubles anormaux de voisinage survenus entre 2014 et 2018.

L’article 123 du Code de procédure civile précise que les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause, sauf disposition contraire. Cela signifie que la question de la prescription peut être soulevée à tout moment, mais elle doit être fondée sur des éléments probants.

Règlement sanitaire et nuisances

Les nuisances olfactives et autres troubles causés par des animaux sont également régis par des règlements sanitaires, tels que le règlement sanitaire départemental. En l’espèce, les époux [U] ont soutenu que les nuisances causées par les chevaux de Mme [S] [J] constituaient une méconnaissance de ce règlement, ce qui pourrait engager la responsabilité des propriétaires des animaux.

L’article 1er du règlement sanitaire départemental de l’Aude impose des obligations d’entretien et de propreté des lieux où sont parqués des animaux, afin de prévenir les nuisances pour le voisinage. La méconnaissance de ces obligations peut être un élément constitutif d’un trouble anormal de voisinage.

Indemnisation du préjudice

L’indemnisation du préjudice résultant d’un trouble anormal de voisinage est fondée sur le principe de réparation intégrale du dommage. L’article 1240 du Code civil, qui traite de la responsabilité délictuelle, stipule que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le cadre de la réparation du préjudice, il est nécessaire de prouver l’existence d’un dommage, ainsi que le lien de causalité entre le trouble et le préjudice subi. Les époux [U] ont été en mesure de démontrer, par des témoignages et des constatations, que les nuisances avaient eu un impact significatif sur leur jouissance de la propriété, justifiant ainsi une indemnisation.

Condamnation aux dépens et frais irrépétibles

La condamnation aux dépens est régie par les articles 696 à 699 du Code de procédure civile, qui prévoient que la partie perdante est généralement condamnée aux dépens de l’instance. De plus, l’article 700 du même code permet au juge d’accorder une indemnité à la partie qui a dû engager des frais pour la défense de ses droits, ce qui a été appliqué dans le cas présent pour indemniser les époux [U] des frais irrépétibles engagés dans le cadre de leur action en justice.

L’Essentiel : La responsabilité du fait des troubles anormaux de voisinage repose sur le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage. Cette responsabilité est objective, sans nécessité de prouver une faute. L’article 544 du Code civil stipule que la jouissance de la propriété doit se faire sans causer de troubles excessifs. Les époux [U] ont engagé leur action en justice en 2017, dans le délai de prescription de cinq ans, pour des troubles survenus entre 2014 et 2018.
Résumé de l’affaire : Dans cette affaire, un couple de propriétaires d’une maison à usage d’habitation a engagé une action en justice contre deux autres personnes, l’une étant propriétaire d’une parcelle voisine et l’autre, locataire, ayant parqué des chevaux sur celle-ci. À partir de 2014, les propriétaires se sont plaints de nuisances causées par la présence de ces chevaux, notamment des nuisances olfactives et acoustiques. Ils ont tenté de résoudre le problème à l’amiable en contactant les deux autres parties, ainsi que le maire de la commune, qui a obtenu un engagement de la locataire pour déplacer les chevaux. Cependant, cette promesse n’a pas été respectée.

En 2016, le couple a saisi un conciliateur de justice, mais le désaccord persistant les a conduits à assigner les deux autres parties devant le tribunal d’instance en 2017. Le tribunal a rendu un jugement en novembre 2022, rejetant les demandes des plaignants et les condamnant à payer des frais aux défenderesses. Le tribunal a estimé que les désagréments subis ne dépassaient pas les inconvénients normaux d’un environnement rural.

Les plaignants ont interjeté appel, soutenant que les nuisances avaient été anormales et que la responsabilité des deux autres parties devait être engagée. Ils ont également contesté la prescription de leur action, affirmant que les troubles avaient commencé en 2014 et non en 2012 comme le soutenait la propriétaire de la parcelle.

Dans ses conclusions, la propriétaire a demandé la confirmation du jugement initial, tandis que la locataire a contesté toute responsabilité. La cour d’appel a finalement infirmé le jugement de première instance, reconnaissant l’existence d’un trouble anormal de voisinage et condamnant les deux défenderesses à indemniser le couple pour le préjudice de jouissance subi, tout en rejetant certaines demandes d’indemnisation supplémentaires.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la prescription soulevée par la propriétaire du terrain voisin ?

La prescription est régie par l’article 2224 du code civil, qui stipule que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Dans cette affaire, la propriétaire du terrain voisin soutient que l’action des époux [U] est prescrite, arguant que le trouble aurait commencé en 2012. Cependant, les époux [U] affirment que les nuisances ont débuté en 2014, ce qui est corroboré par des correspondances datées de juillet 2014.

Ainsi, l’action des époux [U] a été engagée par assignation le 20 octobre 2017, soit dans le délai de cinq ans prévu par l’article 2224. Par conséquent, la fin de non-recevoir soulevée par la propriétaire du terrain sera rejetée.

Quel est le principe de la responsabilité en matière de trouble anormal de voisinage ?

Le principe de la responsabilité en matière de trouble anormal de voisinage repose sur l’idée que « nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage. » Cette théorie est autonome par rapport au droit commun de la responsabilité, car elle repose sur une responsabilité objective.

Il n’est pas nécessaire de prouver une faute ; il suffit de démontrer l’existence d’un trouble anormal. Ce trouble doit être apprécié en fonction des circonstances de temps et de lieu. Le respect des normes n’exclut pas l’existence d’un trouble anormal, et vice versa.

Dans cette affaire, le tribunal a reconnu l’existence de nuisances olfactives dues à la présence de chevaux, mais a estimé que ces nuisances ne dépassaient pas les inconvénients normaux dans un environnement rural. Toutefois, la cour d’appel a infirmé cette décision, considérant que les troubles étaient anormaux en raison de leur proximité avec l’habitation des époux [U].

Quel est l’impact de la qualité de propriétaire sur la responsabilité en cas de trouble anormal de voisinage ?

En matière de trouble anormal de voisinage, la responsabilité du propriétaire peut être engagée au même titre que celle de l’occupant. Cela signifie que la propriétaire du terrain voisin peut être tenue responsable des nuisances causées par les chevaux, même si la garde des animaux a été transférée à une tierce personne.

L’article 1242 du code civil précise que « on est responsable non seulement du dommage causé par son fait personnel, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre. » Ainsi, la cour a jugé que les époux [U] pouvaient mettre en cause la responsabilité de la propriétaire du terrain, en plus de celle de l’occupante.

Quel est le rôle des témoignages dans l’appréciation du trouble anormal de voisinage ?

Les témoignages jouent un rôle crucial dans l’appréciation du trouble anormal de voisinage. Ils permettent de corroborer les allégations des parties concernant les nuisances subies. Dans cette affaire, les époux [U] ont produit des témoignages attestant de l’impossibilité de profiter de leur jardin en raison des nuisances olfactives et de la prolifération d’insectes.

Ces témoignages ont été pris en compte par la cour pour établir que les troubles subis n’étaient pas ponctuels, mais permanents, affectant la jouissance de leur propriété sur une période prolongée. Cela a conduit la cour à conclure à l’existence d’un trouble anormal, justifiant ainsi l’indemnisation des époux [U].

Quel est le montant de l’indemnisation accordée aux époux [U] et sur quel fondement repose-t-elle ?

La cour a accordé aux époux [U] une indemnisation de 1.000 euros pour le préjudice de jouissance subi en raison du trouble anormal de voisinage. Cette décision repose sur l’appréciation des nuisances subies entre 2014 et l’été 2018, qui ont été jugées anormales en raison de leur impact sur la jouissance de leur propriété.

L’indemnisation est fondée sur le principe de réparation intégrale du préjudice, qui vise à compenser les conséquences dommageables du trouble. En outre, la cour a également condamné les intimés à verser une somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles, conformément à l’article 700 du code de procédure civile, qui permet d’allouer des frais de justice à la partie gagnante.

ARRÊT n°2025-

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

5e chambre civile

ARRET DU 11 MARS 2025

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/06248 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PUQU

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 03 NOVEMBRE 2022

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CARCASSONNE

N° RG 19/01166

APPELANTS :

Monsieur [F] [U]

né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 13] (Aude)

[Adresse 9]

[Localité 13]

Représenté par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assisté de Me Nicolas DOMENECH, avocat au barreau de CARCASSONNE, avocat plaidant

Madame [X] [U] née [E]

née le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 12] (Aude)

[Adresse 9]

[Localité 13]

Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assisté de Me Nicolas DOMENECH, avocat au barreau de CARCASSONNE, avocat plaidant

INTIMEES :

Madame [G] [C] épouse [K]

née le [Date naissance 6] 1964 à [Localité 10] (Aude)

[Adresse 2]

[Localité 13]

Représentée par Me Victor LIMA de la SELARL FERMOND – LIMA, avocat au barreau de CARCASSONNE, avocat postulant

assistée de Me Vincent BERTRAND, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituant Me Victor LIMA, avocat plaidant

Madame [S] [J]

née le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 11]

[Adresse 8]

[Localité 13]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, substituant Me Gilles VAISSIERE, avocat au barreau de CARCASSONNE, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 30 Décembre 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Janvier 2025,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Corinne STRUNK, Conseillère, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Estelle DOUBEY

ARRET :

– Contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Mme Estelle DOUBEY, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U], sont propriétaires d’une maison à usage d’habitation située [Adresse 9] à [Localité 13], voisine d’une parcelle appartenant à Mme [G] [K] et sur laquelle Mme [S] [J] a parqué des chevaux.

A compter de l’année 2014, les époux [U] se sont plaints de nuisances engendrées par la présence des sept chevaux sur la parcelle voisine. Ils ont tenté de régler amiablement le litige en demandant à Mmes [G] [K] et [S] [J] de faire cesser le trouble.

Les époux [U] se sont adressés au maire de la commune de [Localité 13] qui a obtenu l’engagement de Mme [S] [J] de déplacer ses chevaux sur un autre site.

Au mois de juillet 2015, en raison de l’inaction de Mme [S] [J], le maire de [Localité 13] a mis en demeure cette dernière de faire cesser le trouble.

En novembre 2016, les époux [U] ont saisi le conciliateur de justice du tribunal d’instance de Carcassonne qui a dressé un constat de désaccord le 24 novembre 2016.

Par courriers recommandés avec accusé de réception du 24 août 2017, les époux [U] ont mis en demeure Mme [S] [J] et Mme [G] [K] de faire cesser le trouble causé par les chevaux.

Par acte d’huissier du 20 octobre 2017, M. [F] [U] et Mme [T] [U] ont fait assigner Mme [S] [J] et Mme [G] [K] devant le tribunal d’instance de Carcassonne afin de voir cesser le trouble anormal du voisinage résultant des nuisances olfactives, acoustiques et sanitaires.

Le jugement rendu le 3 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Carcassonne :

Rejette les demandes de M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] ;

Condamne M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] aux entiers dépens ;

Condamne solidairement M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] à payer à Mmes [S] [J] et [G] [K] la somme de 1.000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le premier juge retient que les désagréments occasionnés entre 2014 et l’été 2018 par la présence occasionnelle des équidés de Mme [G] [K], parqués sur le fonds voisin d’une surface de 2 hectares 7, n’excédaient pas les inconvénients habituels du voisinage dans un environnement rural.

Les époux [U] ont relevé appel de la décision par déclaration au greffe du 14 décembre 2022.

Dans leurs dernières conclusions du 25 juillet 2024, les époux [U] demandent à la cour de :

Rejeter toutes conclusions contraires aux présentes comme injustes et mal fondées ;

Juger recevable l’appel de M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] ;

Rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prétendue prescription présentée pour la première fois en appel par Mme [G] [K] ;

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Carcassonne du 3 novembre 2022 en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] ;

Juger Mmes [S] [J] et [G] [K] solidairement responsables du trouble anormal de voisinage, ainsi que du trouble manifestement illicite subi par M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] , depuis 2014 et jusqu’au début de l’été 2018, troubles préjudiciables ayant résulté de la présence d’un cheptel de six à sept chevaux appartenant à Mme [S] [J] et parqué sur la parcelle appartenant à Mme [G] [K] figurant au cadastre de la comme de [Localité 13] sous les références AA [Cadastre 5], à proximité de leur habitation domiciliaire, ainsi que des conditions de ce parcage ;

Condamner solidairement Mmes [S] [J] et [G] [K] à payer à M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] les sommes suivantes :

Infirmer le jugement en ce qu’il a condamné solidairement M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U], à payer à Mmes [S] [J] et [G] [K] la somme de 1.000 euros à chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner solidairement Mmes [S] [J] et [G] [K] à payer à M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] la somme de 2.000 euros à chacun au titre des frais irrépétibles et en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Infirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] aux entiers dépens de première instance ;

Condamner Mme [S] [J] et Mme [G] [K] aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement direct au bénéfice de l’avocat soussigné, en application des dispositions des articles 696 à 699 du code de procédure civile.

Les époux [U] concluent au rejet de la fin de non-recevoir de Mme [G] [K] en ce qu’elle aurait été présentée pour la première fois en cause d’appel.

Ils soutiennent avoir subi un trouble anormal de voisinage entre 2014 et l’été 2018 caractérisé par la présence, sur le fonds voisin appartenant à Mme [G] [K], des chevaux de Mme [S] [J] dont les déjections auraient engendré des nuisances olfactives. Les appelants précisent habiter dans la maison natale de M. [F] [U] au c’ur du village et n’avoir jamais subi de nuisances de cette ampleur avant 2014. Ils reprochent l’absence d’entretien de la parcelle affectée au parcage des chevaux.

Les époux [U] soutiennent avoir subi un trouble manifestement illicite tiré de la méconnaissance, pendant plus de trois années, du règlement sanitaire départemental de l’Aude. A ce titre, ils rappellent les nombreuses attestations faisant notamment état de l’absence d’entretien de la parcelle et des nuisances olfactives. Ils précisent que Mme [S] [J] élève ses chevaux dans le cadre d’une activité professionnelle.

Les appelants concluent à la caractérisation d’un préjudice traduit par des nuisances olfactives, acoustiques et sanitaires, subies entre 2014 et l’été 2018.

Ils soutiennent que tant la responsabilité extracontractuelle de Mme [S] [J], propriétaire des chevaux n’ayant pas entretenu la parcelle, que celle de Mme [G] [K], propriétaire du fonds voisin n’ayant rien fait pour endiguer les nuisances et étant parfaitement au fait des infractions au règlement départemental d’hygiène, doivent être engagées.

Dans ses dernières conclusions du 2 février 2024, Mme [G] [K] demande à la cour de :

Rejeter toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées ;

Déclarer irrecevable comme prescrite depuis le 1er janvier 2017 l’action des époux [U] ;

Dire que la décision entreprise produira son plein et entier effet ;

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Rejeter toutes les demandes formulées par les époux [U] ;

Condamner solidairement les époux [U] à payer à Mme [G] [K] la somme de 4.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance ;

Dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par l’arrêt à intervenir et qu’en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions du Décret n° 2016-230 du 26 février 2016 et de l’article L.111-8 du code des procédures civiles d’exécution, devront être supportées solidairement par les époux [U] en sus de l’indemnité mise à leur charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

In limine litis, Mme [G] [K] conclut à la prescription de la demande des époux [U], arguant du fait que le premier acte de prêt par lequel Mme [G] [K] a mis à disposition de Mme [S] [J] les parcelles de terrain date du 1er janvier 2012. Selon elle, la prescription était acquise au 1er janvier 2017 et les époux [U] n’auraient agi qu’à partir du 20 octobre 2017.

Mme [G] [K] conclut à l’absence de trouble anormal du voisinage, précisant disposer de 2 hectares 7 dans une commune rurale et pour un maximum de 8 chevaux. Elle ajoute que les époux [U] ne rapportent pas la preuve du défaut de nettoyage et entretien de la parcelle. En outre, elle affirme que les appelants ne démontrent pas avoir subi de préjudice.

L’intimé sollicite sa mise hors de cause, arguant du fait que le commodat signé entre elle et Mme [S] [J] aurait transféré la garde de la chose prêtée à l’emprunteur, en l’espèce, Mme [S] [J] et que l’assignation initiale ne contenait aucun fondement concernant la mise en cause de la concluante.

Dans ses dernières conclusions du 30 mai 2023, Mme [S] [J] demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 3 novembre 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Carcassonne ;

Constater l’absence de tout manquement par Mme [S] [J] aux dispositions du règlement départemental sanitaire;

Constater l’absence de tout préjudice et de tout trouble anormal de voisinage ;

Constater en tout état de cause, l’aménagement réalisé par Mme [S] [J] afin d’éviter la présence des équidés le long de la limite séparative du fonds [U] ;

Débouter les époux [U] de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

Débouter les époux [U] de leur demande de condamnation de la requise à leur verser la somme de 7.000 euros à titre de dommages et intérêts pour un prétendu préjudice de jouissance totalement injustifié ;

Débouter les époux [U] de leur demande de condamnation de la requise à leur verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour un prétendu préjudice moral totalement injustifié ;

Débouter les époux [U] de leur demande de condamnation de la requise au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

Condamner reconventionnellement et solidairement les époux [U] à payer à Mme [S] [J] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.

Mme [S] [J] conclut au rejet de la demande fondée au titre d’un trouble manifestement illicite, arguant du fait que la notion de  » trouble manifestement illicite  » est une notion de procédure civile permettant uniquement de fonder la compétence du juge des référés mais n’ayant pas d’utilité devant le juge du fond.

Elle conclut également à l’absence de faute qui lui serait imputable. Elle affirme qu’aucune des règles énoncées n’est susceptible de s’appliquer en l’espèce et à tout le moins n’a été enfreinte par Mme [S] [J]. Elle précise que la parcelle de terre plantée en résineux ne dépend pas d’une habitation et qu’elle ne revêt pas la qualité d’établissement d’élevage.

Elle conteste l’existence d’un quelconque préjudice subi par les époux [U], soutenant régulièrement entretenir la parcelle, notamment en retirant les déjections normales de sept chevaux. Selon elle, les appelants ne rapportent pas la preuve du préjudice qu’ils allèguent, démontrant simplement que des chevaux sont présents sur la parcelle.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 30 décembre 2024.

MOTIFS

1/ Sur la prescription :

– Sur la demande nouvelle :

Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En application de l’article 123, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause à moins qu’il n’en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Enfin, en application de l’article 564, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Il s’ensuit que  » la demande tendant à voir prescrire une créance constitue une fin de non-recevoir qu’il appartient à la cour d’appel de qualifier comme telle et qui peut être proposée en tout état de cause. Viole les articles 123 et 564 du code de procédure civile, la cour d’appel qui, pour déclarer irrecevable une telle demande, juge que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter des conclusions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la révélation d’un fait, et que la demande tendant à voir déclarer prescrite la créance de l’appelante n’a pas été présentée au premier juge  » (civ 2e 1er décembre 2016, n°15-27.143P).

Eu égard à cette jurisprudence constante, la demande présentée par Mme [K] aux fins de prescription de l’action engagée par les époux [U] saisit donc la cour.

– Sur la recevabilité de l’action des époux [U] :

Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Au cas présent, les époux [U] se prévalent d’un préjudice occasionné par un trouble anormal de voisinage entre 2014 et l’été 2018 caractérisé par la présence, sur le fonds voisin appartenant à Mme [G] [K] constitué des parcelles [Cadastre 5] et [Cadastre 7], des chevaux de Mme [S] [J] dont les déjections auraient engendré des nuisances olfactives. Ils ont saisi le tribunal de première instance par assignation délivrée le 20 octobre 2017.

Si Mme [K] évoque une présence des chevaux dès l’année 2012, il est néanmoins établi que Mme [K] et Mme [J] ont convenu d’un prêt à usage le 4 juin 2015 permettant à Mme [J] d’occuper les parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 5] représentant une surface de 2 hectares 7, à charge pour elle de n’utiliser ces terres que pour  » la pâture pour 8 chevaux maximum « .

Elle ne démontre nullement que les faits litigieux ont débuté en 2012 comme elle le prétend alors que les appelants situent pour leur part le début des désagréments à compter de l’année 2014 comme en témoignent les correspondances en lien avec ce litige datées du mois de juillet 2014.

Il s’ensuit que l’action n’est pas prescrite pour avoir été engagée dans le délai de 5 ans à compter des premières plaintes. La fin de non-recevoir soulevée par Mme [K] sera donc rejetée.

2/ Sur la mise hors de cause de Mme [K]

Mme [K] soutient que sa responsabilité ne peut être mise en cause par les époux [U] dans la mesure où la garde des parcelles a été transférée par la convention du prêt à usage à Mme [J] qui doit seule répondre des dommages allégués par les appelants.

En matière de trouble anormal de voisinage, la responsabilité du propriétaire de l’immeuble peut être recherchée au même titre que celle de son locataire ou de tout occupant occasionnel.

C’est donc à bon droit que les époux [U] mettent en cause la responsabilité tant de Mme [K] en sa qualité de propriétaire que celle de Mme [J], occupante des parcelles litigieuses.

3/ Sur le trouble anormal du voisinage :

Il est de principe que nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.

Cette théorie des troubles anormaux de voisinage est autonome par rapport au droit commun de la responsabilité. Il s’agit d’une responsabilité objective qui est subordonnée uniquement, la preuve d’une faute n’étant pas requise, à l’existence d’un trouble anormal dont il convient de réparer les conséquences dommageables. Cette existence doit être appréciée en fonction des circonstances de temps et de lieu, et le respect des normes n’est pas exclusif de l’existence d’un trouble anormal de voisinage, et inversement, la méconnaissance de ces normes n’implique pas nécessairement un tel trouble.

Si le premier juge a reconnu l’existence d’un trouble résultant de la présence de chevaux situés sur les parcelles situées en mitoyenneté de la propriété des époux [U] caractérisé par des nuisances olfactives du fait de la présence de déjections animales, la présence de mouches et autres insectes, il a néanmoins exclu l’anormalité du trouble en considération de l’environnement et la destination des lieux.

Sur le constat que les chevaux ont été parqués de 2014 à 2018 sur deux parcelles de plus de 2 hectares sur la commune de [Localité 13], composée de zones naturelles composée et agricoles, de l’entretien justifiée des parcelles par Mme [K], du caractère ponctuel des désagréments subis essentiellement en été et par vent Sud-est et du respect des dispositions du règlement sanitaire départemental de l’Aude, le premier juge a indiqué que les troubles occasionnés par la présence d’équidés n’excèdent pas les inconvénients habituels du voisinage dans un environnement rural.

Cette analyse sera néanmoins infirmée par la cour qui retient le caractère anormal des troubles occasionnés par la présence d’équidés à proximité immédiate de l’habitation des époux [U] en bord de clôture, en dépit de la superficie de la parcelle les accueillant, compte-tenu de l’impossibilité pour eux sur une période de l’année d’utiliser leur extérieur notamment pour les temps de repas qu’ils sont contraints de prendre à l’intérieur, en raison de nuisances olfactives permanentes, accentuées par vent marin, liées à l’accumulation de crottins mélangés à de la paille ainsi que de la prolifération d’insectes comme en atteste le procès-verbal de constat en date du 18 juillet 2017.

Les divers témoignages (pièces 20 à 30, 36 à 51) confirment de manière circonstanciée et concordante l’impossibilité de prendre des repas à l’extérieur contraignant les époux [U] à rester à l’intérieur fenêtres et portes fermées tant en raison d’une odeur prégnante et permanente que de l’invasion d’insectes comprenant des mouches se posant sur la nourriture ou occasionnant des piqures.

Il ne peut être considéré qu’il s’agit d’un trouble ponctuel alors même que le climat méditerranéen permet de profiter des extérieurs pendant une période assez longue dans l’année qu’il est possible d’évaluer à six mois excédant largement la seule période estivale et que l’impossibilité d’utiliser les extérieurs sur cette période est permanente et privent les époux [U] de la jouissance de leur propriété tant pour des temps de repas que pour d’autres moments de loisirs (jouissance de leur jardin).

Si Mme [K] produit plusieurs témoignages attestant de l’entretien régulier des parcelles occupées par ses chevaux, il s’avère cependant au regard des témoignages produits par les appelants que le nettoyage des parcelles n’était pas régulier ce qui peut être problématique sur les périodes de forte chaleur.

Enfin, le seul fait que l’habitation des époux [U] se situe dans un environnement rural, ne peut suffire à écarter le caractère anormal des troubles dénoncés qui résulte de l’impossibilité pour les époux [U] d’utiliser les extérieurs de leur propriété sur une partie de l’année.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement déféré et de retenir l’existence d’un trouble anormal du voisinage qui justifie l’indemnisation du préjudice revendiqué par les appelants.

Cela étant, la demande indemnitaire paraît disproportionnée et sera ramenée à la somme de 1.000 euros au titre du préjudice de jouissance subi de 2014 à l’été 2018.

Sur la réparation du préjudice moral, les époux [U] ne justifient pas d’un préjudice particulier. Ils seront ainsi déboutés de cette demande.

Vu les éléments susvisés le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.

4/ Sur les demandes accessoires :

Le jugement déféré sera infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les intimés, qui succombent, sera condamnées in solidum aux entiers dépens.

L’équité commande de faire droit à la demande présentée par les appelants au titre des frais irrépétibles et de condamner les intimés à leur régler la somme totale de 1.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Dit que la demande aux fins d’irrecevabilité de l’action des époux [U] présentée par Mme [G] [K] n’est pas nouvelle et par conséquence recevable en appel,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par Mme [G] [K],

Déboute Mme [G] [K] de sa demande tendant à être mise hors de cause,

Confirme le jugement rendu le 3 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Carcassonne en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [G] [K] et Mme [S] [J] à payer à M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] la somme de 1.000 euros au titre de l’indemnisation de leur préjudice de jouissance occasionné par un trouble anormal du voisinage,

Condamne in solidum Mme [G] [K] et Mme [S] [J] à payer à M. [F] [U] et Mme [X] [E], épouse [U] la somme totale de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Mme [G] [K] et Mme [S] [J] aux entiers dépens.

Le greffier, La présidente,


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