Règle de droit applicableL’article L. 1235-1 du Code du travail stipule que le juge doit apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement fournis par l’employeur, en tenant compte des éléments présentés par les parties. En cas de doute, celui-ci doit profiter au salarié. Textes législatifs pertinentsLe Code du travail, notamment l’article L. 1235-1, est fondamental pour déterminer la légitimité d’un licenciement. Ce texte impose à l’employeur de justifier les motifs de licenciement par des éléments concrets et vérifiables. Application de la règleDans cette affaire, la cour a constaté que les éléments fournis par l’employeur n’étaient pas suffisants pour établir de manière certaine la responsabilité de la salariée dans les griefs invoqués. Le doute a donc été interprété en faveur de la salariée, conformément à l’article L. 1235-1. Conséquences juridiquesLe licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, entraînant l’octroi de dommages et intérêts à la salariée. La décision de la cour a également confirmé le remboursement des indemnités de chômage, conformément aux dispositions légales en vigueur. Article 700 du Code de procédure civileL’article 700 du Code de procédure civile permet au juge d’allouer une somme à titre de frais irrépétibles, ce qui a été appliqué dans cette décision pour couvrir les frais engagés par la salariée dans le cadre de la procédure. |
L’Essentiel : L’article L. 1235-1 du Code du travail stipule que le juge doit apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement fournis par l’employeur. En cas de doute, celui-ci doit profiter au salarié. La cour a constaté que les éléments fournis par l’employeur n’étaient pas suffisants pour établir la responsabilité de la salariée. Le doute a donc été interprété en faveur de la salariée, entraînant l’octroi de dommages et intérêts et le remboursement des indemnités de chômage.
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Résumé de l’affaire : Une assistante de gestion a été employée par la SAS Les Domaines Auriol depuis 1996, avec un salaire brut de 2 634 euros. Le 8 décembre 2020, elle a été licenciée pour des motifs liés à un virement de 35 000 euros effectué vers un compte bancaire à l’étranger, suite à un e-mail suspect. L’employeur a soutenu que, en raison de son rôle central dans les finances de l’entreprise, elle aurait dû alerter sur cette situation. De plus, d’autres anomalies avaient été constatées, notamment un non-paiement d’un client de 8 873 euros et la perte de chèques envoyés à la banque.
Le 28 avril 2021, l’assistante a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement injustifié et a condamné la SAS Les Domaines Auriol à lui verser 21 072 euros pour préjudice et 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’employeur a interjeté appel le 21 février 2023, demandant l’infirmation du jugement et la réduction des condamnations. Dans ses conclusions, l’assistante a demandé des dommages et intérêts plus élevés pour licenciement injustifié et préjudice moral. La cour a examiné les éléments fournis par les deux parties. Bien que l’employeur ait présenté des preuves de la connaissance des procédures par l’assistante, celle-ci a contesté leur authenticité et a fourni des éléments montrant qu’elle n’était pas responsable du virement. La cour a noté que le doute devait profiter à la salariée, ce qui a conduit à l’écartement du premier grief. Concernant les autres griefs, bien que des manquements aient été établis, l’ancienneté et le bon comportement antérieur de l’assistante ont conduit à la conclusion que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. La cour a confirmé le jugement initial, allouant 35 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement injustifié et 2 500 euros pour les frais de justice. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur pour le licenciement ?L’article L. 1235-1 du code du travail stipule que le juge doit apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. Il doit former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et peut ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Dans cette affaire, l’employeur a produit des éléments prouvant que la salariée avait une connaissance des procédures à suivre. Cependant, la salariée a contesté l’authenticité de certains documents et a fourni des éléments qui remettent en cause les allégations de l’employeur. Ainsi, le doute a profité à la salariée, entraînant l’écartement du premier grief. Quel lien peut être établi entre la relance du client et la rupture des relations commerciales ?Il a été établi que les échanges entre la salariée et le client étaient cordiaux, ce qui ne permet pas de faire un lien direct entre la relance effectuée par la salariée et la rupture des relations commerciales. Cependant, il a été constaté que la salariée ne s’était pas assurée de la véracité des informations avant de relancer le client. Cela constitue un manquement, mais ne justifie pas le licenciement. Le juge a donc retenu que ce grief était établi, mais qu’il ne suffisait pas à justifier la rupture du contrat de travail. Quelles sont les conséquences de la négligence de la salariée dans le traitement des chèques ?Les circonstances entourant la remise des chèques à l’établissement bancaire n’ont pas été contestées. Il a été prouvé que la salariée avait relancé des clients sans avoir vérifié au préalable l’encaissement des chèques. Ce n’est qu’après plusieurs relances qu’elle a interrogé la banque sur l’encaissement, ce qui a conduit à des demandes d’annulation des chèques. La négligence dans le traitement de ces dossiers a été avérée, ce qui a contribué à établir un des griefs retenus par l’employeur. Quel impact a l’ancienneté de la salariée sur la décision de licenciement ?L’ancienneté de vingt-cinq ans de la salariée et son passé exempt de reproche ont été des éléments déterminants dans l’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement. Le conseil de prud’hommes a jugé que, malgré les manquements retenus, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cela a conduit à l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixés à 35 000′ brut. Quel est le fondement de l’indemnisation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ?L’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés. Dans cette affaire, la cour a confirmé le jugement en condamnant l’employeur à verser 2 500′ à la salariée sur ce fondement. Cette indemnisation vise à compenser les frais engagés par la salariée dans le cadre de la procédure judiciaire. |
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 02 AVRIL 2025
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 23/01035 – N° Portalis DBVK-V-B7H-PXLD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 19 JANVIER 2023 du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE NARBONNE – N° RG F21/00063
APPELANTE :
S.A.S. LES DOMAINES AURIOL, inscrite au RCS de Narbonne sous le n° 384 495 388
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Marie-hélène REGNIER de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CARCASSONNE
INTIMEE :
Madame [U] [H] épouse [W]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Marianne MALBEC de la SELARL CLEMENT MALBEC CONQUET, avocat au barreau de NARBONNE
Ordonnance de clôture du 15 Janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Février 2025,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
M. Jean-Jacques FRION, Conseiller
Mme Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
* *
FAITS ET PROCÉDURE
[U] [H], épouse [W], a été embauchée par la SAS Les Domaines Auriol à compter du 18 octobre 1996. Elle exerçait les fonctions d’assistante de gestion avec un salaire mensuel brut de base en dernier lieu de 2 634′.
Le 8 décembre 2020, elle a été licenciée pour les motifs suivants : « … l’entreprise a réalisé un virement bancaire d’un montant de 35 000′ – trente-cinq mille euros) vers un compte bancaire HSBC basé à l’étranger (Angleterre) à la suite de la réception d’un e-mail provenant de l’adresse suivante : »[Courriel 3] », avec comme objet : » Acquisitions et consultations ». Nous rappelons qu’à cette demande n’était joint aucun document justificatif, que le compte bancaire de l’entreprise destinatrice n’était pas connu…
Même si nous pouvons entendre ces points, nous vous rappelons que vous occupez un poste central dans le fonctionnement des finances et que votre connaissance de l’entreprise, de ses procédures, des modes de communication du Président de la société aurait dû vous amener à alerter et éviter cette arnaque…
Nous vous avons également précisé lors de votre entretien que ces faits sont survenus alors que nous constations d’autres anomalies importantes…
En effet, au mois de mai 2020, nous aurions dû recevoir un virement d’un montant de 8 873′ de la part d’un de nos clients. Jusqu’au mois de septembre 2020, ce non-paiement n’a entraîné aucune réaction particulière d’alerte du gestionnaire de compte, ni de recherche visant à comprendre où si ce virement était intervenu et sur quel compte. Alors que le client faisait valoir qu’il avait bien procédé au paiement et que vous auriez pu identifier celui-ci en procédant aux vérifications correspondantes, vous avez mis la société en situation de tension avec ce client qui a été perdu.
Vous avez également transmis une dizaine de chèques par courrier non-suivi à l’attention de notre banque, ces chèques ont pendant un temps été perdus, ce qui a suscité de votre part plusieurs demandes auprès de partenaires de l’entreprise d’annulation des règlements… .
Eu égard votre ancienneté, votre progression dans l’entreprise et les responsabilités qui vous ont été confiées, un tel comportement n’est pas compatible avec la bonne exécution de vos missions, que vous connaissez pourtant parfaitement… ».
Le 28 avril 2021, estimant son licenciement injustifié, [U] [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Narbonne qui, par jugement de départage en date du 19 janvier 2023, a condamné la SAS Les Domaines Auriol à lui payer les sommes de 21 072′ à titre de préjudice résultant de la rupture du contrat de travail et de 2 500′ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et a ordonné le remboursement des indemnités chômage dans la limite de six mois.
Le 21 février 2023, la SAS Les Domaines Auriol a interjeté appel. Dans ses dernières conclusions notifiées et enregistrées au greffe le 15 janvier 2025, elle conclut à l’infirmation du jugement, au rejet des prétentions adverses et à l’octroi de la somme de 3 500′ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, elle demande de ramener les condamnations prononcées à de plus justes proportions.
Dans ses dernières conclusions notifiées et enregistrées le 10 janvier 2025, [U] [W], relevant appel incident, demande l’infirmation du jugement et la condamnation de l’employeur à lui payer :
– la somme de 48 510′ à titre de dommages et intérêts pour licenciement injustifié,
– la somme de 15 000′ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– la somme de 3 500′ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.
L’article L. 1235-1 du code du travail dispose que le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
S’agissant du premier grief, l’employeur produit, outre divers éléments prouvant que la salariée avait une parfaite connaissance de la procédure à suivre, plusieurs documents desquels il résulte que le virement a été réalisé depuis la clé informatique de [U] [W], précision faite que l’attribution des postes était individuelle.
Il verse également l’attestation de Mme [I], directrice administrative et financière par intérim, selon laquelle « [U] [H] n’a pas vérifié l’exactitude de l’origine du courriel et ne s’est pas conformée à la procédure ISO. Elle n’a pas conseillé, alerté ni même rappelé la procédure. Elle a effectué le virement conformément aux autorisations bancaires » mais aussi le message électronique de [U] [W] elle-même reconnaissant que le nom de l’opératrice ayant opéré le transfert est « Me [U] [T] ».
Toutefois, non seulement, [U] [W] conteste l’authenticité de cette dernière pièce mais elle verse aux débats des éléments qui contredisent les éléments produits par l’employeur.
Ainsi, dans le procès-verbal daté du 13 octobre 2020, signé par Mme [I], cette dernière rapporte qu’elle a « été victime d’arnaque au président », qu’elle a « transmis la demande au service comptable qui a le jour même effectué le virement de notre banque Palatine », précisant que les faits se sont déroulés « sur ma boîte mail ».
Ainsi, non seulement, Mme [I] ne désigne pas [U] [W] comme étant à l’origine du virement mais la lecture des échanges du 13 octobre 2020 prouve que celle-ci n’a jamais été destinataire d’une quelconque demande en ce sens, ce que confirme le fait que :
– les échanges ne sont initialement déroulés entre Mme [I] et l’escroc ;
– la directrice administrative et financière a pris l’initiative de mettre « [S] en copie pour qu’elle valide le virement dès réponse de [sa] part », le courriel en copie n’étant ni celui de [U] [W], ni celui du service de comptabilité, mais celui d’une autre comptable de la société,
– c’est cette autre comptable qui a adressé la « preuve du virement de 35 000′ comme demandé » ;
– pour tenter une nouvelle escroquerie, l’escroc s’est de nouveau adressé à l’adresse électronique compta3.
Il est en outre démontré que Mme [I] était dans l’entreprise depuis le mois de septembre 2020, en formation avec le directeur financier sortant, de sorte qu’elle avait une connaissance suffisante des procédures de base de facturation.
Il en résulte que les éléments produits par l’employeur, dès lors qu’ils sont remis en cause par ceux versés par la salariée, ne permettent pas d’établir de manière certaine que [U] [W] avait été sollicitée dans le cadre de cette demande de virement et qu’elle aurait alors eu la possibilité d’alerter et éviter l’escroquerie mise en place.
Le doute profitant au salarié, il y a lieu d’écarter ce premier grief.
Concernant le deuxième grief, dès lors que les échanges produits entre [U] [W] et le client sont cordiaux, il ne peut être fait de lien entre la relance réalisée au client par la salariée au mois de juillet 2020 concernant le paiement d’une somme de 8 873,28′ et la rupture des relations commerciales intervenue à la fin de l’année 2020.
En revanche, il est établi que la salariée s’était effectivement abstenue de procéder à toute vérification utile avant cette relance, de sorte que le grief est établi.
Concernant le troisième grief, les circonstances de la remise des chèques à l’établissement bancaire ne sont pas discutées.
Il résulte également des différents éléments fournis que la salariée, avant toute procédure de vérification, avait relancé le 9 septembre 2020 des clients qui avaient déjà remis l’intégralité de leur règlement par chèque au mois de juillet 2020.
Ce n’est que le 5 octobre 2020 qu’elle a interrogé la banque sur l’encaissement de ces chèques, ce qui l’a conduite à solliciter l’annulation des chèques auprès des clients puis à leur confirmer leur bon encaissement.
La négligence de la salariée dans le traitement de ces dossiers est donc avérée.
Il s’ensuit que deux des griefs visés par la lettre de licenciement sont établis.
Cependant, au vu de l’ancienneté de vingt-cinq ans de [U] [W] et de son passé jusqu’alors exempt de reproche, c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a écarté, au vu des manquements retenus, la cause réelle et sérieuse du licenciement pour retenir que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Au regard de l’ancienneté de [U] [W], de son salaire au moment du licenciement et de la circonstance qu’elle a été indemnisée par Pôle emploi avant d’être embauchée dans le cadre de deux contrats à durée déterminée inférieurs à six mois au cours de l’année 2021, il y a lieu de lui allouer la somme de 35 000′ brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
N’étant pas démontrée l’existence d’un préjudice distinct de celui, né de la perte de l’emploi, réparé par l’octroi des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, [U] [W] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.
* * *
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur au remboursement des indemnités de chômages payées à la salariée licenciée dans la limite maximum prévue par la loi.
Enfin, l’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour d’appel.
LA COUR,
Confirme le jugement, sauf à fixer le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 35 000′ brut;
Condamne la SAS Les Domaines Auriol à payer à [U] [H] épouse [W] la somme de 2 500′ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens.
La greffière Le président
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