Licenciement pour faute grave et contestation des préjudices liés à l’état de santé.

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Licenciement pour faute grave et contestation des préjudices liés à l’état de santé.

Le licenciement d’un salarié pour faute grave doit être justifié par des faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Selon l’article L. 1235-1 du Code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, en faveur du salarié en cas de doute. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur qui l’invoque. En vertu de l’article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral, et il incombe à l’employeur de prouver que les agissements allégués ne sont pas constitutifs de harcèlement. Les articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil stipulent que les créances de nature salariale portent intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, tandis que les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

L’Essentiel : Le licenciement pour faute grave doit être justifié par des faits imputables au salarié, rendant impossible son maintien dans l’entreprise. Le juge apprécie la régularité de la procédure et le caractère réel des motifs invoqués par l’employeur, en faveur du salarié en cas de doute. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur. Aucun salarié ne doit subir de harcèlement moral, et l’employeur doit prouver que les agissements allégués ne le sont pas.
Résumé de l’affaire :

Engagement et Transfert de Contrat

Un conseiller technico-commercial a été engagé par une société dans le secteur des céréales en août 2009. En 2019, son contrat a été transféré à une société coopérative agricole, où il a continué à travailler en tant que cadre.

Arrêt de Travail et Licenciement

Le conseiller a été en arrêt de travail en janvier 2021 pour des problèmes de santé. À son retour, il a été déclaré apte avec des préconisations médicales. Cependant, il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement et a été licencié pour faute grave le 4 mars 2021.

Contestations et Procédures Judiciaires

Le conseiller a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, demandant sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le paiement de diverses indemnités. La société a opposé une défense à ces demandes.

Jugement du Conseil de Prud’hommes

Le conseil de prud’hommes a jugé que le licenciement était fondé sur une faute grave et a débouté le conseiller de ses demandes, tout en déclarant la société recevable en sa demande reconventionnelle.

Appel et Nouvelles Demandes

Le conseiller a interjeté appel, demandant la réformation du jugement et le paiement de diverses sommes, y compris des dommages-intérêts pour harcèlement moral. La société a demandé la confirmation du jugement initial.

Éléments de Harcèlement Moral

Le conseiller a allégué avoir subi du harcèlement moral, mais la société a contesté ces accusations. Le tribunal a examiné les éléments présentés et a conclu que le harcèlement n’était pas établi.

Licenciement et Faute Grave

Le tribunal a confirmé que le licenciement était justifié par une faute grave, en raison du refus du conseiller de se conformer à une nouvelle affectation et de son comportement après son retour de congé maladie.

Décisions Finales

Le tribunal a infirmé certaines décisions du conseil de prud’hommes, notamment en ce qui concerne le rappel de salaire, et a condamné la société à verser des sommes au conseiller pour des créances salariales. La société a été condamnée aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique du licenciement pour faute grave ?

Le licenciement pour faute grave repose sur l’article L. 1234-1 du Code du travail, qui stipule que le contrat de travail peut être rompu par l’employeur pour une faute grave. Cette faute se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

En vertu de l’article L. 1235-1 du Code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Dans cette affaire, la société a justifié le licenciement en invoquant le refus du salarié d’accepter une nouvelle affectation, ainsi que son comportement lors de son retour d’arrêt maladie. Ces éléments ont été considérés comme des violations des obligations contractuelles, rendant son maintien dans l’entreprise impossible.

Quel est le cadre légal concernant le harcèlement moral au travail ?

Le harcèlement moral est régi par l’article L. 1152-1 du Code du travail, qui stipule qu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés ayant pour effet une dégradation de ses conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du même code précise que, lorsqu’un litige survient, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dans cette affaire, le salarié a allégué plusieurs faits constitutifs de harcèlement moral, tels que le changement de secteur et l’absence de prise en compte de ses restrictions médicales. Cependant, le tribunal a conclu que les éléments présentés ne suffisaient pas à établir l’existence d’un harcèlement moral, car l’employeur a démontré que la nouvelle affectation était conforme aux stipulations contractuelles.

Quel est le régime des créances salariales et des créances indemnitaires ?

Les créances de nature salariale sont régies par les articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil, qui stipulent qu’elles portent intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes. Les créances indemnitaires, quant à elles, portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

Dans cette affaire, le tribunal a ordonné la capitalisation des intérêts, conformément à l’article 1343-2 du Code civil, qui permet la capitalisation des intérêts lorsque les créances sont échues. Cela signifie que les intérêts dus sur les créances salariales commenceront à courir à partir de la date de réception de la convocation, tandis que les créances indemnitaires porteront intérêt à partir de la décision du tribunal.

Quel est le rôle du médecin du travail dans le cadre des préconisations de santé ?

Le rôle du médecin du travail est essentiel dans le cadre des préconisations de santé au travail, comme le stipule l’article L. 4624-1 du Code du travail. Cet article précise que le médecin du travail a pour mission de veiller à la santé des travailleurs en adaptant leur poste de travail à leur état de santé.

Dans cette affaire, le médecin du travail a recommandé une organisation du travail permettant de limiter les déplacements professionnels à un maximum de 50 km du domicile du salarié. Cependant, il a été constaté que l’employeur n’avait pas respecté ces préconisations, ce qui a été un des éléments soulevés par le salarié dans sa demande de harcèlement moral. Toutefois, le tribunal a jugé que l’employeur avait agi conformément aux stipulations contractuelles et que la modification des conditions de travail était justifiée par le projet de départ du salarié.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 27 FEVRIER 2025

N° RG 22/03763 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VSU2

AFFAIRE :

[Y] [P] [K]

C/

S.C.A. SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE NATUP

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 22 Novembre 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DREUX

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 21/00085

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Arnaud LEBIGRE de

la SELARL LEBIGRE

Me Amélina RENAULD de

la SELARL POINTEL & ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [Y] [P] [K]

né le 15 Juin 1987 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 2]

Représentant : Me Arnaud LEBIGRE de la SELARL LEBIGRE, avocat au barreau de ROUEN, vestiaire : 94

APPELANT

****************

S.C.A. SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE NATUP

N° SIRET : 77 570 109 7

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Amélina RENAULD de la SELARL POINTEL & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN, vestiaire : 62 –

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Janvier 2025 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

Madame Odile CRIQ, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCEDURE

M. [Y]-[P] [K] a été engagé selon contrat de travail à durée indéterminée à effet du 17 août 2009, en qualité de conseiller technico-commercial 1 E, par la société Interface céréales.

En 2019, son contrat de travail a été transféré à la Société Coopérative Agricole Natup, qui intervient dans le secteur de la collecte, le stockage, la vente de céréales, de légumes ainsi que dans la préparation et l’organisation de la mise sur le marché de toutes productions ovines et ses dérivés et relève de la convention collective nationale des coopératives agricoles de céréales, de meunerie, d’approvisionnement, d’alimentation du bétail et d’oléagineux.

En dernier lieu, à compter du 1er janvier 2018, M. [K] occupait le poste de conseiller technico-commercial 2 E, statut cadre.

M. [K] a été en arrêt de travail du 4 au 29 janvier 2021 notamment pour état de stress aigu, burn out.

Au terme de la visite médicale de reprise du 11 février 2021, M. [K] a été déclaré apte avec les préconisations suivantes : « organisation du travail permettant de limiter les déplacements professionnels à un maximum de 50 km du domicile, et permettant d’appliquer les mesures barrière de façon optimale. À revoir dans un mois. ».

Convoqué le 15 février 2021 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 1er mars 2021, et mis à pied à titre conservatoire, M. [K] a été licencié par courrier du 4 mars 2021, énonçant une faute grave.

M. [K] a saisi, le 24 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Dreux, aux fins de contester son licenciement, de le requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que les indemnités afférentes, et aux fins de paiement de diverses sommes de natures indemnitaires et salariales, ce à quoi la société s’est opposée.

Par jugement rendu le 22 novembre 2022, le conseil de prud’hommes a statué comme suit :

En la forme,

Déclare [Y]-[P] [K] recevable en ses demandes,

Déclare la société coopérative agricole natup recevable en sa demande reconventionnelle,

En droit,

Dit que le licenciement n’est pas fondé sur une situation de harcèlement moral et rejette la demande de condamnation de la société coopérative agricole natup à lui payer la somme de 5.000 euros en réparation des préjudices subis.

Déboute M. [K] de sa demande de voir condamner la société coopérative agricole natup à lui payer les salaires du 2 au 10 décembre 2020 pour une somme de 1 196,65 euros outre 119,66 euros au titre des congés payés y afférents.

Dit que le licenciement de M. [K] est fondé sur une faute grave et déboute M. [K] de ses demandes de requalification en licenciement sans cause réelle.

Déboute M. [K] de sa demande de condamner la société coopérative agricole natup à lui payer :

. 10 273,11 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 027,31 euros au titre des congés payés y afférents ;

. 16 018.46 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

. 35 959,66 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

. 2 738,02 euros au titre de rappel de salaires outre 273,80 euros au titre des congés payés y afférents pour la période de la mise à pied conservatoire.

Dit qu’il n’y a pas lieu à remise des bulletins de paie, de l’attestation Pôle emploi et du certificat de travail rectifiés sous astreinte.

Dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

Déboute M. [K] de sa demande de faire condamner la société coopérative agricole natup à la somme de 2 000 euros sur les fondements de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [K] à verser à la société coopérative agricole natup la somme de 500 euros sur les fondements de l’article 700 du code de procédure civile.

Rejette les demandes plus amples ou contraires des parties.

Condamne M. [K] aux entiers dépens.

Le 22 décembre 2022, M. [K] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 16 septembre 2024, M. [K] demande à la cour de :

Reformer le Jugement du Conseil de Prud’hommes de Dreux, section Encadrement, en date du 22 novembre 2022, en toutes ses dispositions.

En conséquence et statuant à nouveau, condamner la société coopérative agricole natup au paiement des sommes suivantes :

683,80 euros bruts à titre de rappel de salaire de la semaine travaillée du 7 au 10 décembre 2020, outre 68,38 euros au titre des congés payés afférents.

2 738,02 euros bruts au titre du paiement de la mise à pied à titre conservatoire du 11 février au 5 mars 2021, outre la somme de 273,80 euros au titre des congés payés afférents.

10 273,11 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 027,31 euros bruts au titre des congés payés afférents.

16 018,46 euros nets au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

35 959,66 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

5 000 euros en réparation des préjudices subis au titre du harcèlement moral.

3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (première instance et appel).

assortir les condamnations pécuniaires des intérêts légaux et ordonner leur capitalisation.

Ordonner la remise d’un certificat de travail, d’un bulletin de paie et d’une attestation Pôle emploi conformes au jugement à intervenir.

Condamner la société coopérative agricole Natup aux entiers dépens en ce compris les frais d’exécution de l’arrêt à intervenir.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 29 août 2024, la société Coopérative Agricole Natup demande à la cour de :

A titre principal

Confirmer en tous points le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Dreux ;

En conséquence,

Juger que M. [K] n’a pas été victime d’un licenciement verbal ;

Juger que M. [K] n’a pas subi de harcèlement moral ;

Juger que le licenciement pour faute grave est constitué ;

En conséquence,

Débouter M. [K] de l’ensemble des demandes qui suivent :

rappel de salaire : 1 196,65 euros bruts outre 119,66 euros au titre des congés payés afférents

rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire : 2 738,02 euros bruts outre la somme de 273,80 euros au titre des congés payés afférents,

indemnité compensatrice de préavis : 10 273,11 euros bruts outre la somme de 1 027,31 euros au titre des congés payés afférents,

indemnité conventionnelle de licenciement : 16 018,46 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 35 959,66 euros

préjudices subis au titre du harcèlement moral : 5 000 euros

article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros

condamner M. [K] à verser à la société la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Condamner M. [K] aux entiers dépens.

A titre subsidiaire

Si la Cour jugeait le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, limiter la condamnation à titre de dommages-intérêts au montant de 10 273,11 euros.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 25 septembre 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 6 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le licenciement verbal :

Le salarié affirme avoir fait l’objet d’un licenciement verbal du fait de l’annonce par M. [J] responsable de région Est aux équipes de l’arrivée d’une personne dénommée « [B] en qualité d’agent commercial pour succéder à [Y] [P] [K]. ».

La société conteste tout licenciement verbal.

Il ressort des pièces produites aux débats que le 1er septembre 2020, M. [J] annonçait effectivement aux équipes l’arrivée de « [B] » pour succéder à M.[Y] [P] [K] en précisant toutefois que ce dernier avait décidé de s’impliquer exclusivement « à son travail d’agriculteur ». M. [J] ajoutait « nous lui souhaitons plein de réussite dans cette fonction. ».

Ainsi, la raison du départ de M. [K] de l’entreprise était clairement annoncée par M. [J] comme étant un choix du salarié et non pas comme une rupture qui lui aurait été imposée.

Dans les circonstances précédemment évoquées, le message du 17 novembre 2020 produit par le salarié aux termes duquel M. [J] indique au support informatique « [Y] [P] doit quitter l’entreprise ce jeudi 19 novembre » ne démontre pas davantage que le salarié ait été licencié de façon verbale.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié énonce avoir subi les faits suivants constitutifs selon lui d’un harcèlement moral :

-le changement de secteur du salarié constituant une modification abusive du contrat de travail ou des conditions de travail.

-l’absence de prise en compte des restrictions médicales,

-l’absence de saisine en temps utile du comité social et économique- CSE-,

-les man’uvres tendant à déstabiliser M. [K],

-la dégradation de son état de santé.

Le salarié objective les faits suivants :

Par lettres recommandées avec accusé de réception des 4 janvier et 10 février 2021, la société confirmait au salarié son affectation au secteur « Est de la nationale 154 avec comme bureau le dépôt de [Localité 7] ».

Alors que la société recevait du salarié le 15 décembre 2020 ( pièce n° 11 de l’appelant) une plainte pour harcèlement moral, cette dernière a saisi deux mois plus tard le Comité Social Economique- CSE- le 18 février 2021, des faits de harcèlement moral dénoncés par M. [K].

Il est également démontré que M. [K] a fait une demande de congés sans solde du 20 novembre au 4 décembre 2020 (pièce n° huit de l’appelant) et que le bulletin de salaire de décembre 2020 fait ressortir une durée de congé sans solde supérieure jusqu’au 10 décembre 2020 ainsi qu’une absence de paiement du salaire du 4 au 10 décembre 2020. Les man’uvres déstabilisatrices alléguées par M. [K] sont établies dans cette mesure.

La nouvelle affectation du salarié soit le dépôt de [Localité 7] était située à 54 kms du domicile de ce dernier et son nouveau secteur d’affectation situé plus à l’est que le précédent était au-delà de la distance des 50 kms par rapport à son domicile tel que préconisé par le médecin du travail.

Ensuite des préconisations du médecin du travail du 11 février 2021, la zone d’affectation de l’employeur n’a pas été modifiée.

En revanche, au jour de la décision de la nouvelle affectation du salarié par l’employeur, le non-respect par ce dernier des préconisations médicales qui sont postérieures n’est pas établi.

Ensuite de la dénonciation de harcèlement moral faite par le salarié le 15 décembre 2020 ( pièce n° 11 de l’appelant) la société a certes saisi deux mois plus tard le Comité Social Economique- CSE- le 18 février 2021, des faits dénoncés par M. [K], sans toutefois que cette saisine puisse être qualifiée de tardive.

Pris dans leur ensemble, ceux des faits matériellement établis suffisamment précis permettent, de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Il appartient à l’employeur d’établir que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

– L’employeur justifie que la nouvelle affectation de M. [K] au bureau de [Localité 7] était conforme aux stipulations contractuelles selon lesquelles, le salarié rattaché administrativement au siège d’Interface Céréales situé [Adresse 4] à [Localité 6] pouvait être amené à exercer son activité sur tout site au sein des départements dans lesquels l’entreprise était présente à savoir le département de l’Eure ( 27) de l’Eure-et-Loir ( 28) et de l’Orne (61). L’employeur démontre que la nouvelle affectation du salarié était distante seulement de 7 kms du bureau auquel il était affecté précédemment à [Localité 9] et que la nouvelle zone de prospection était limitrophe au précédent secteur d’intervention du salarié.

Il est justifié que cette modification des conditions de travail faisait suite au projet de M. [K] de quitter l’entreprise et à l’embauche consécutive par la société de M. [I] pour le remplacer sur son précédent secteur puis du renoncement par le salarié à son projet .

Si la zone d’affectation choisie l’employeur n’a pas été modifiée ensuite des préconisations du médecin du travail du 11 février 2021 prises pour une durée limitée d’un mois, pour autant ce dernier justifie que la priorité du salarié n’était pas d’effectuer des déplacements, mais de préparer une action d’ampleur sur la zone en renseignant un fichier d’agriculteurs, étant observé que le salarié devait être revu par le médecin du travail au bout d’un mois.

L’employeur ne justifie pas d’une demande de congés sans solde du salarié jusqu’au 10 décembre 2020.

En conclusion, si la dégradation temporaire de l’état de santé de M. [K] est établie selon l’arrêt de travail versé aux débats qui lui a été délivré, le fait unique non justifié par l’employeur, à savoir l’absence de paiement du salaire pour une période de congé sans solde non formulée par le salarié, ne suffit pas à caractériser des faits réitérés susceptibles de caractériser un harcèlement moral.

Le harcèlement moral allégué par M. [K] n’est donc pas établi. M. [K] sera débouté de sa demande à ce titre et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

« Monsieur,

Nous vous avons convoqué à un entretien préalable le 1er mars dernier, auprès de [V] [Z], DRH, auquel vous ne vous êtes pas présenté, pour une éventuelle mesure de licenciement pour faute grave.

Dans le cadre de votre annonce d’un projet personnel de reprise de l’exploitation familiale, qui vous amènerait à quitter l’entreprise, nous avons à compter du 1er septembre 2020 anticipé votre succession avec le recrutement de Monsieur [B] [I] que vous avez formé et accompagné jusque fin novembre 2020.

Alors que nous vous avions validé oralement (échanges par mails) un congé sans solde d’un an afin de lancer votre projet avec la sécurité de revenir au sein de l’entreprise en cas d’échec, vous avez subitement changé d’avis et demandé que ce départ s’organise dans le cadre d’une rupture conventionnelle par mail du 07 décembre 2020. Cette rupture ayant pour conséquence le paiement d’une indemnité conséquente, nous avons refusé cette demande.

Vous comptant donc dans nos effectifs, alors qu’un accord tacite prévoyait votre départ, nous vous avons notifié un changement de secteur commercial par mail le 10 décembre 2020, celui-ci se situant sur la même zone d’emploi et n’ayant aucun impact sur votre rémunération s’imposait donc à vous.

Refusant ce nouveau secteur, nous vous avons rappelé à l’ordre le 21 décembre 2020 et mis en demeure le 04 janvier 2021 dernier de bien vouloir vous y conformer.

A votre retour d’arrêt maladie le 1er février 2021 au-delà de refuser votre nouveau secteur vous avez continué vos démarches commerciales sur votre ancien secteur dorénavant alloué à Monsieur [B] [I] tout en refusant de répondre à tout appel téléphonique ou convocation de votre hiérarchie. Cette conduite nous a mis dans une situation particulièrement délicate auprès de nos adhérents mais également auprès de Monsieur [B] [I] rendant votre maintien dans l’entreprise impossible

Nous vous confirmons pour les mêmes raisons, la mise à pied conservatoire dont vous faites l’objet depuis le 11 février 2021.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement dès la date de première présentation de cette lettre par la poste et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis, ni de licenciement.

Vous voudrez bien restituer, dès que possible également, le véhicule, le téléphone et l’ordinateur portable mis à votre disposition pour l’exercice de votre mission.

Nous vous prions de croire, Monsieur, en l’assurance de nos salutations distinguées. ».

En cas de litige, en vertu des dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste il profite au salarié.

La faute grave se définit comme résultant d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat et la charge de la preuve repose sur l’employeur qui l’invoque.

Pour preuve de la faute grave, la société produit les pièces suivantes :

-Selon courriel du 10 décembre 2020, M. [J], responsable hiérarchique, prenait acte de la décision de M. [K] de revenir sur son engagement de suspendre son contrat de travail, et l’informait de son affectation sur un secteur de prospection « juste à côté de son portefeuille actuel à l’est de la route 154 de l’axe [Localité 5] [Localité 6] » et de son « nouveau lieu d’affectation à [Localité 7]. ».

-par courriel du 15 décembre 2020 adressé à M. [U], responsable du pôle agricole, M. [K] refusait sa nouvelle affectation sur le site de [Localité 7] ainsi que de développer un nouveau secteur en prospection en faisant état d’un allongement de son temps de déplacement.

-une lettre en recommandée avec accusé de réception adressée le 10 février 2021 par la société au salarié actant que ce dernier avait repris son activité le 1er février 2021 sur son précédent secteur.

Selon avenant au contrat de travail du 13 août 2018, il était stipulé que le salarié était rattaché administrativement au siège d’Interface Céréales situé [Adresse 4] à [Localité 6] et que le salarié pouvait être amené à exercer son activité sur tout site au sein des départements dans lesquels l’entreprise était présente à savoir le département de l’Eure ( 27) de l’Eure-et-Loir ( 28) et de l’Orne (61).

Il est établi selon les pièces communiquées qu’au mois de novembre 2020, M. [K] entendait interrompre son activité au sein de la société sous la forme d’un congé sabbatique dans le but de créer ou de reprendre une entreprise et que le 7 décembre 2020, ce dernier suggérait à l’employeur le recours à une rupture conventionnelle du contrat de travail.

Il est également établi que M. [I] a été recruté par la société aux fins de remplacer M. [K], et que ce dernier s’engageait à assurer selon ses termes « la meilleure transition possible » (pièce n° 5 de l’appelant) en début d’année 2021 avec le collègue recruté pour le remplacer.

Alors qu’aux termes de son contrat de travail, le salarié était tenu à une obligation de mobilité en exerçant son activité sur tout site au sein des départements dans lesquels l’entreprise était présente, la modification ainsi proposée par l’employeur était en adéquation avec les stipulations contractuelles et justifiée au regard des circonstances initiées par le souhait du salarié d’interrompre son activité et qui ont conduit in fine l’employeur à la proposition d’une nouvelle affectation.

Ainsi, le refus du salarié de sa nouvelle affectation annoncé à l’employeur dès le 15 décembre 2020, et sa persistance à se maintenir à son ancien poste, après suspension du contrat de travail pour maladie lors de sa reprise d’activité le 1er février 2021, avant toutes restrictions formulées le 11 février 2021 par le médecin du travail, n’étaient pas fondés.

Ces faits ainsi établis constituent une violation par le salarié de ses obligations contractuelles d’une importance telle qu’elle rendait immédiatement impossible son maintien dans l’entreprise.

En conséquence de ce licenciement reposant sur une faute grave le salarié sera débouté de l’ensemble de ses prétentions et le jugement confirme’ de ce chef.

Sur la demande en paiement du salaire au titre de la mise à pied conservatoire :

Le licenciement pour faute grave étant fondé, la mise à pied à titre conservatoire de M. [K] était justifiée. Ce dernier sera débouté de sa demande par confirmation du jugement de ce chef.

Sur la demande en paiement d’un rappel de salaire :

Il est établi que M. [K] qui n’a pas sollicité de congés sans solde sur la période du 7 au 10 décembre 2020 n’a pas été payé. Il est donc bien fondé en sa demande de paiement de la somme de 683,80 euros ( 170,95 euros x 4) outre 68,38 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé à ce titre.

Sur les autres demandes :

Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne. La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.

Il sera ordonné à l’employeur de remettre au salarié les documents de fin de contrat régularisés, mais sans fixation du montant d’une astreinte laquelle n’est pas nécessaire à assurer l’exécution de cette injonction.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [K] au titre des frais irrépétibles d’instance.

Il sera alloué à M. [K] la somme de 500 euros de ce chef.

La société qui succombe doit supporter les entiers dépens. Ils ne comprendront pas les frais d’exécution forcée qui ne constituent pas des dépens au sens de l’article 695 du code de procédure civile et sont recouvrés dans les conditions du code des procédures civiles d’exécution.

PAR CES MOTIFS

La COUR statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Dreux rendu le 22 novembre 2022 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté M. [Y]-[P] [K] de sa demande de rappel de salaire du 4 au 10 décembre 2020 et de sa demande au titre des frais irrépétibles et en ce qu’il a condamné M. [Y] [P] [K] aux dépens.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant.

Condamne la Société Coopérative Agricole Natup à payer à M. [Y]-[P] [K] la somme de 683,80 euros à titre de rappel de salaire du 4 au 10 décembre 2020 outre 68,38 euros au titre des congés payés afférents.

Rappelle que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, pour les créances salariales échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

Ordonne la capitalisation des intérêts.

Ordonne à la Société Coopérative Agricole Natup de remettre à M. [Y]-[P] [K] les documents de fin de contrat régularisés.

Dit n’y avoir lieu à fixation du montant d’une astreinte.

Condamne la Société Coopérative Agricole Natup à payer à M. [Y]-[P] [K] la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance.

Condamne la Société Coopérative Agricole Natup à payer à M. [Y]-[P] [K] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Condamne la Société Coopérative Agricole Natup aux entiers dépens qui ne comprennent pas les frais d’exécution.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


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