Sur l’annulation de la mise à pied disciplinaireLe juge peut annuler une sanction disciplinaire si celle-ci est jugée irrégulière en la forme ou injustifiée, conformément aux articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du Code du travail. Ces articles stipulent que le juge doit apprécier la régularité de la procédure disciplinaire et la nature des faits reprochés au salarié. En cas de doute, celui-ci doit profiter au salarié. La mise à pied disciplinaire doit être proportionnée à la faute commise. Si le salarié établit l’existence d’un préjudice distinct, il peut obtenir des dommages et intérêts. Sur le licenciement pour faute graveLe licenciement pour faute grave doit reposer sur une cause réelle et sérieuse, comme le précise l’article L. 1232-1 du Code du travail. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, et l’employeur doit prouver la matérialité des faits reprochés. La lettre de licenciement doit circonscrire l’objet du litige, et l’employeur ne peut invoquer un motif non mentionné dans cette lettre. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur, qui doit agir rapidement après avoir eu connaissance des faits. Les dispositions de l’article L. 1234-1 du Code du travail stipulent que la faute grave prive le salarié de son droit à un préavis. Sur les délais de prévenance et la durée maximale de travailL’article L. 3121-18 du Code du travail fixe la durée quotidienne de travail effectif à 10 heures, sauf dispositions conventionnelles contraires. En cas de modification des horaires, l’employeur doit respecter un délai de prévenance, tel que stipulé dans l’avenant à l’accord-cadre sur la réduction du temps de travail. L’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020, relative aux mesures d’urgence en matière de durée de travail, permet des dérogations à la durée maximale de travail, mais ces dérogations doivent être justifiées et respectées. L’employeur doit informer le comité social et économique et la direction régionale des entreprises des dérogations mises en œuvre. Sur les conséquences des absences injustifiéesLes absences injustifiées peuvent constituer une faute, et leur réitération peut justifier un licenciement. Toutefois, la rupture immédiate du contrat de travail n’est pas toujours justifiée, notamment en tenant compte de l’ancienneté du salarié. Les articles L. 1235-4 et L. 1231-7 du Code du travail précisent les conditions de la rupture et les droits du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les intérêts sur les condamnations prononcées sont dus à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, conformément aux articles 1231-7 et 1344-1 du Code civil. |
L’Essentiel : Le juge peut annuler une sanction disciplinaire si celle-ci est jugée irrégulière ou injustifiée, en appréciant la régularité de la procédure et la nature des faits reprochés. La mise à pied disciplinaire doit être proportionnée à la faute commise. En cas de licenciement pour faute grave, l’employeur doit prouver la matérialité des faits et agir rapidement. Les absences injustifiées peuvent constituer une faute, justifiant un licenciement, mais la rupture immédiate n’est pas toujours justifiée.
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Résumé de l’affaire : La SAS La crêpe de Brocéliande, spécialisée dans la fabrication de galettes et crêpes, a embauché un ouvrier polyvalent en avril 2013. En février 2020, cet ouvrier a été convoqué à un entretien préalable pour des abandons de poste non autorisés, ce qui a conduit à une mise à pied disciplinaire de cinq jours. Suite à un accident de travail survenu en mars 2020, le salarié a été prescrit des soins sans arrêt de travail. Cependant, il a de nouveau quitté son poste sans autorisation en avril 2020, ce qui a entraîné un nouvel entretien préalable au licenciement.
Le 28 avril 2020, la société a notifié le licenciement de l’ouvrier pour faute grave, invoquant des abandons de poste répétés. En réponse, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes en novembre 2020, demandant l’annulation de la mise à pied, la requalification de son licenciement et des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La SAS La crêpe de Brocéliande a contesté ces demandes, soutenant la légitimité de la mise à pied et du licenciement. Le conseil de prud’hommes a rendu un jugement en avril 2022, annulant la mise à pied et condamnant la société à verser des indemnités au salarié, tout en déclarant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La société a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement. Dans ses conclusions, elle a réaffirmé la validité de la sanction disciplinaire et du licenciement. Le salarié, de son côté, a demandé la confirmation du jugement initial. L’affaire a été fixée à l’audience de la cour d’appel, avec des arguments des deux parties sur la légitimité des sanctions et des absences. La cour a dû examiner la régularité des procédures disciplinaires et la justification des absences du salarié pour rendre sa décision. |
Q/R juridiques soulevées : html
Quel est le fondement juridique de la mise à pied disciplinaire notifiée au salarié ?La mise à pied disciplinaire notifiée au salarié repose sur les articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail. Ces articles stipulent que le juge doit apprécier la régularité de la procédure disciplinaire et la nature des faits reprochés au salarié pour déterminer si une sanction est justifiée. L’article L. 1333-1 précise que « le juge apprécie la régularité de la procédure disciplinaire suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ». De plus, l’article L. 1333-2 indique que « le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise ». Ainsi, la mise à pied disciplinaire doit être fondée sur des faits avérés et justifiés, ce qui implique que l’employeur doit prouver la réalité des manquements reprochés au salarié. Quel est le cadre légal du licenciement pour faute grave dans cette affaire ?Le licenciement pour faute grave est encadré par l’article L. 1232-1 du code du travail, qui stipule que « le licenciement doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse ». La faute grave est définie comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, ce qui implique que l’employeur doit agir rapidement et engager la procédure de licenciement sans délai dès qu’il a connaissance des faits. L’article L. 1234-1 précise que « la faute grave prive le salarié du droit à un préavis ». Dans cette affaire, le licenciement a été justifié par des abandons de poste répétés, ce qui, selon l’employeur, constitue une insubordination. Toutefois, la charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur. Quel est le rôle des délais de prévenance dans la modification des horaires de travail ?Les délais de prévenance pour la modification des horaires de travail sont régis par l’avenant à l’accord-cadre sur la réduction du temps de travail, qui stipule que « toute modification du calendrier prévisionnel doit faire l’objet d’une information générale par affichage d’une note de service, dans les délais suivants : s’il s’agit d’une augmentation ou d’une diminution de la durée hebdomadaire prévue, au moins une semaine à l’avance ». L’article L. 3121-18 du code du travail précise également que « la durée quotidienne de travail effectif ne peut excéder 10 heures, sauf dispositions conventionnelles prévoyant un dépassement ». Dans le cas présent, le salarié a contesté les modifications de son planning, arguant qu’elles n’avaient pas respecté les délais de prévenance, ce qui pourrait affecter la légitimité des sanctions prises à son encontre. Quel est le principe de l’inopposabilité des modifications de planning en cas de non-respect des délais de prévenance ?Le principe de l’inopposabilité des modifications de planning est fondé sur le non-respect des délais de prévenance établis par l’accord collectif. En effet, si l’employeur ne respecte pas ces délais, les modifications apportées aux horaires de travail ne peuvent être opposées au salarié. L’article L. 3121-18 du code du travail, en lien avec les dispositions de l’avenant à l’accord-cadre, impose un respect strict des délais de prévenance pour toute modification des horaires de travail. Ainsi, si le salarié peut prouver que les modifications de son planning n’ont pas été communiquées dans les délais requis, il peut contester la légitimité des sanctions qui en découlent, y compris le licenciement. Quel impact a le contexte de la pandémie sur les obligations de l’employeur en matière de modification des horaires de travail ?Le contexte de la pandémie a conduit à des modifications exceptionnelles des horaires de travail, mais cela ne dispense pas l’employeur de respecter les obligations légales et conventionnelles. L’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 a introduit des dérogations temporaires, mais celles-ci doivent être justifiées et respectées. L’article 6 de cette ordonnance stipule que « la durée quotidienne maximale de travail peut être portée jusqu’à douze heures », mais cela nécessite une information préalable des instances représentatives du personnel. Dans cette affaire, l’employeur n’a pas démontré qu’il avait respecté ces obligations, ce qui pourrait rendre les modifications de planning inopposables au salarié, même dans un contexte d’urgence. Quel est le fondement des demandes d’indemnités formulées par le salarié ?Les demandes d’indemnités formulées par le salarié reposent sur plusieurs articles du code du travail et du code de procédure civile. L’article L. 1235-4 du code du travail stipule que « le salarié peut demander des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ». De plus, l’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer une somme au titre des frais exposés par l’autre partie. Dans ce cas, le salarié a demandé des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des rappels de salaire et des indemnités compensatrices, ce qui est conforme aux dispositions légales en vigueur. |
ARRÊT N°91/2025
N° RG 22/02692 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SWEX
S.A.S. LA CREPE DE BROCELIANDE
C/
M. [J] [R]
RG CPH : F 20/00663
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de RENNES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 14 Janvier 2025 devant Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Monsieur [X], médiateur judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Mars 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
APPELANTE :
S.A.S. LA CREPE DE BROCELIANDE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Lionel HEBERT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [J] [R]
né le 15 Août 1989 à [Localité 5] (MAYOTTE)
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Mme [C] [M] (Défenseur syndical ouvrier)
La SAS La crêpe de Brocéliande a pour activité la fabrication de galettes et crêpes, ainsi que la confection de produits préparés. Elle emploie 150 salariés et applique la convention collective de la boulangerie-pâtisserie industrielle.
Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 19 avril 2013, M. [J] [R] a été embauché en qualité d’ouvrier polyvalent par la société La crêpe de Brocéliande.
Le 12 février 2012, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Il lui était reproché d’avoir quitté son poste de travail sans autorisation et de manière anticipée, le 3 février 2020 puis le 12 février 2020.
Par lettre en date du 27 février 2020, il s’est vu notifier une mise à pied disciplinaire d’une durée de 5 jours.
Suite à un accident du travail survenu le 16 mars, le salarié victime d’une hémorragie conjonctivale à l’oeil gauche et d’un hématome sous-orbitaire gauche, s’est vu prescrire des soins sans arrêt de travail par son médecin traitant le 17 mars 2020.
Les 9 et 10 avril 2020, M. [R] a de nouveau quitté son poste de travail sans autorisation.
Le 10 avril 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé le 21 avril suivant.
Le 28 avril 2020, M. [R] s’est vu notifier son licenciement pour faute grave. Il lui était notamment reproché des abandons de poste répétés caractérisant son insubordination.
*
M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes par requête du 9 novembre 2020 afin de voir :
– Annuler la mise à pied disciplinaire de 5 jours,
– Condamner la SAS La crêpe de Brocéliande à lui verser un rappel de salaire de 304 euros au titre de la mise à pied disciplinaire, outre les congés payés y afférents, la remise du bulletin de salaire correspondant
– Dire son licenciement dénué de faute grave;
– Condamner la SAS La crêpe de Brocéliande à lui verser les sommes suivantes :
– 15 000 euros au titre de non-respect de la procédure de licenciement et de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3192 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 3 648 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 364,80 euros de congés payés y afférents,
– 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SAS La crêpe de Brocéliande a demandé au conseil de prud’hommes de:
– Dire et juger bien fondée la sanction de mise à pied disciplinaire notifiée à M. [R] par lettre du 27 février 2020.
– Dire et juger bien fondé le licenciement de M. [R] intervenu pour faute grave par lettre du 28 avril 2020
– Débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
– Condamner M. [R] au paiement de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par jugement en date du 19 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Rennes a :
– Annulé la mise à pied disciplinaire de 5 jours notifiée à M. [R] le 27 février 2020.
– Condamné la SAS La crêpe de Brocéliande à verser à M. [R] la somme de 304 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire, outre la somme de 30,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents.
– Ordonné la remise par la SAS La crêpe de Brocéliande à M. [R] du bulletin de salaire rectifié correspondant à ce rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire et des congés payés y afférents, dans un délai de 30 jours à compter du prononcé du présent jugement et ceci sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
– Dit que le conseil de prud’hommes de Rennes se réserve le droit de liquider l’astreinte.
– Condamné la SAS La crêpe de Brocéliande à verser à M. [R] :
– 15 000 euros au titre du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
– 3 192 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.
– 3 648 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis.
– 364,80 euros au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis.
– Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la citation, celles à caractère indemnitaire à compter du prononcé du jugement.
– Ordonné, en application des dispositions de l’article 515 code de procédure civile, l’exécution provisoire du présent jugement.
– Ordonné, en tant que de besoin, le remboursement par la SAS La crêpe de Brocéliande des sommes éventuellement payées par Pôle Emploi, du jour du licenciement de M. [R] à ce jour, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.
– Dit qu’une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi Bretagne, selon les dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail.
– Condamné la SAS La crêpe de Brocéliande à payer à M. [R] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– Débouté la SAS La crêpe de Brocéliande de l’ensemble de ses demandes.
– Condamné la SAS La crêpe de Brocéliande aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution du présent jugement.
*
La SAS La crêpe de Brocéliande a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe du 27 avril 2022.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 4 juillet 2022, la SAS La crêpe de Brocéliande demande à la cour de :
– Infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– Dire et juger bien fondée la sanction de mise à pied disciplinaire notifiée à M. [R] par lettre de la SAS La crêpe de Brocéliande du 27 février 2020 ;
– Dire et juger bien fondé le licenciement de M. [R] intervenu pour faute grave par lettre de la SAS La crêpe de Brocéliande du 28 avril 2020 ;
– débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Le condamner à verser à la SAS La crêpe de Brocéliande une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– Le condamner aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son défenseur syndical par lettre recommandée avec accusé de réception le 4 octobre 2022, M. [R] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Annulé la mise à pied disciplinaire de 5 jours et condamné en conséquence la SAS La crêpe de Brocéliande à verser à M. [R] :
– 304 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire
– 30,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférente
– Et remis le bulletin de salaire correspondant
– Dit le licenciement dénué de faute grave et condamné en conséquence la SAS La crêpe de Brocéliande à verser à M. [R] :
– 15 000 euros à titre de non-respect de la procédure de licenciement et de licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 3 192 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
– 3 648 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 364,80 à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférente
– 1 500 euros sur fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Y additer,
– condamner la société au paiement de1 500 euros sur fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant la cour d’appel.
*
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 17 décembre 2024 avec fixation de l’affaire à l’audience du 14 janvier 2025.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
1- Sur l’annulation de la mise à pied disciplinaire
Pour infirmation du jugement entrepris, la société La crêpe de Brocéliande fait valoir qu’elle applique un régime d’annualisation et de modulation du temps de travail mis en place par un accord d’entreprise conclu le 18 novembre 1999 en application de la convention collective des activités industrielles de boulangerie et pâtisserie et de l’avenant n°1 du 3 novembre 1999;
qu’à ce titre, Monsieur [R] n’est pas fondé à lui reprocher d’avoir modifié à quelques reprises le planning prévisionnel de la durée hebdomadaire de travail, sans avoir respecté les délais de prévenance et d’information dès lors que les dispositions de l’accord-cadre du 3 novembre 1999 invoquées par le salarié n’ont pas été reprises dans l’accord d’entreprise du 18 novembre 1999.
La société souligne au surplus qu’il est de jurisprudence constante que l’employeur peut librement fixer une nouvelle répartition des horaires de travail au sein de la journée ou de la semaine, dès lors qu’il n’en résulte aucune modification de la durée contractuelle du travail ou de la rémunération contractuelle. Contestant les accusations de modification permanente des plannings prévisionnels de travail hebdomadaire, elle considère que rien ne justifiait l’abandon de poste de M. [R] les lundi 3 février 2020 et mercredi 12 février 2020. Elle explique avoir malgré la période d’activité haute prévue par la modulation réduit à 36 heures durant la semaine du 3 février.
Pour confirmation du jugement, M. [R] expose qu’il rencontrait des difficultés à obtenir un planning de travail respectant les délais de prévenance, que les changements de planning de dernière minute ne lui permettaient pas de gérer sa vie professionnelle et personnelle de façon sereine et qu’il a vainement demandé à son chef de ligne de revoir ses horaires de travail. Il soutient que l’employeur n’ayant aucun droit de faire travailler un salarié plus de 50 heures par semaine, ne peut se prévaloir de sa propre turpitude de sorte que la mise à pied doit être annulée avec remboursement du salaire non versé durant la mise à pied (5 jours).
En vertu des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail, le juge apprécie la régularité de la procédure disciplinaire suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, au regard des éléments produits par l’employeur au soutien de sa sanction et de ceux fournis par le salarié.
Il peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise et si un doute subsiste, il profite au salarié.
Lorsque le juge annule une sanction disciplinaire, il peut, si cela lui est demandé, accorder des dommages et intérêts au salarié. Pour cela, le salarié doit établir l’existence d’un préjudice distinct qui n’est pas entièrement réparé par l’annulation.
En l’espèce, le courrier de mise à pied disciplinaire daté du 27 février 2020 est rédigé comme suit : » […] Nous vous signifions par la présente, une sanction disciplinaire.
Vous n’avez pas été en mesure de nous apporter d’explications pertinentes et face à la multiplication de vos écarts, vous nous voyez contraints de vous infliger une mise à pied disciplinaire.
Cette mesure d’exclusion n’est que la juste réponse à votre entêtement et à la provocation dont vous faites preuve en faisant fi de nos consignes et en ignorant le sens du travail en équipe.
Vous avez rejoint La crêpe de Brocéliande le 23 avril 2013 et êtes affecté à l’approvisionnement des galettes et crêpes garnies.
Vous n’êtes pas sans ignorer les rouages de fonctionnement et l’importance de la présence de chacun dans le processus.
Le savoir-vivre suppose, par ailleurs que l’on se préoccupe de ses collègues, a fortiori lorsque l’on travaille en équipe.
Le 03 Février 2020, vous vous êtes autorisé à quitter votre poste à 12h00 alors que le planning indiquait votre présence jusqu’à 13h30, justifiant votre décision par votre refus d’être présent 10heures, étant précisé que vous travailliez 9h45 sur 4 jours cette semaine-là.
Le 12 février 2020,vous avez cette fois abandonné votre poste à 17h53 au lieu 22h45, ne vous préoccupant nullement, une fois de plus, de la production et de savoir comment vos collègues allaient gérer la situation.
Comme évoqué, votre comportement d’électron libre n’est pas isolé car, régulièrement, vous vous êtes fait remarquer par une propension à gérer comme vous l’entendez votre vie professionnelle, ignorant le sens du collectif et les fâcheuses conséquences que ceci peut entraîner pour l’entreprise.
Votre métier s’imbrique dans une ligne de production et il nous est difficile de comprendre que vous puissiez, en toute insouciance, quitter, à votre guise, votre poste, sans vous préoccuper de vos collègues et en ignorant totalement vos plannings horaires.
Votre refus de respecter les règles de l’entreprise appelle une sérieuse sanction.
Après réflexion, nous avons décidé, et aussi parce qu’il est nécessaire que vous preniez la mesure de votre inacceptable incorrection à quitter l’entreprise quand bon vous semble, de vous infliger une mise à pied disciplinaire.
Vous serez mis à pied 5 jours le 03 mars et le 05 mars 2020 et du 10 mars au 12 mars 2020, vous ne serez plus autorisé à venir travailler ces 5 jours et ne serez pas rémunéré.
Nous escomptons que ceci suffira pour vous sensibiliser à cette grave et préoccupante question de votre assiduité et de votre ponctualité au travail.
Nous vous rappelons que l’aménagement du temps de travail au sein de la Crêpe de Brocéliande fait l’objet d’un accord d’entreprise, d’une part, parfaitement conforme au code du travail et à notre convention collective, et d’autre part, à nos exigences de production. Votre argument de refuser de travailler 10 h évoqué le 03 février n’est pas recevable, cette durée étant tout à fait légale. Il vous appartient, si les conditions de travail que nous vous offrons au sein de l’entreprise ne vous conviennent pas, d’en tirer les conséquences et de prendre vos dispositions… » (pièce n°3 société).
Il ressort du courrier précité qu’il est fait grief à M. [R] d’avoir quitté son poste de travail sans autorisation le lundi 3 février 2020 puis le mercredi12 février 2020 avant la fin de son service.
La société La crêpe de Brocéliande verse aux débats :
– Le contrat de travail de M. [R] prévoyant à l’article 3 – Durée du travail : » La durée mensuelle moyenne de travail est de 151.70 heures, effectuées suivant les besoins du service, dans le cadre de l’accord d’annualisation mis en place au sein de la société. Le cas échéant des heures supplémentaires pourront toutefois être demandées à l’opérateur en fonction des nécessités du service et dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles. » (pièce n°1) ;
– L’avenant n°1 du 3 novembre 1999 à l’accord-cadre du 25 mai 1999 sur la réduction du temps de travail, prévoyant à l’article 6 : Programmation des horaires collectifs : « Il est souhaitable qu’une note de service informe le personnel le plus longtemps possible à l’avance des durées prévues et des variations d’horaires.
A. Aussi chaque entreprise doit, en fonction de ses variations habituelles d’activité, prévoir de manière indicative, pour chaque secteur visé, les périodes de plus ou moins grande activité. Ce calendrier prévisionnel – en principe annuel – doit être fixé au moins un mois avant le début de la période de comptage mentionnée à l’article 4 (soit, à défaut d’accord d’entreprise, au 1er décembre au plus tard).
B. Toute modification du calendrier prévisionnel doit faire l’objet d’une information générale par affichage d’une note de service, dans les délais suivants :
* S’il s’agit d’une augmentation ou d’une diminution de la durée hebdomadaire prévue, au moins une semaine à l’avance,
* S’il s’agit seulement d’un changement de l’horaire de travail, sans modification de la durée hebdomadaire, 48 heures à l’avance. »
– un document intitulé ‘Annexe 1 » édité le 16 novembre 1999 ( in fine pièce 7″) Projet 35 heures : organisation du travail par service » correspondant pour un poste d’opérateur au sein du service production : (..)* Fluctuation : 0 à 46 h / semaine, * Prévenance : 2 jours (pièce n°7) ;
– L’avenant du 18 novembre 1999 à l’accord sur la réduction du temps de travail de l’entreprise :
– l’article 3 Champ d’application : » Le présent accord fait référence à l’accord-cadre du 3 novembre 1999 sur la réduction du temps de travail des entreprises relevant de la convention collective de Boulangerie Pâtisserie industrielle à l’exception des articles 7, 8 et 9 relatifs à la rémunération, à l’article 12 relatif aux cadres et à l’article 14 relatif à l’épargne temps.
Le personnel actuellement à temps plein passera à un horaire collectif de 35 heures.
– l’article 6 ‘: » Les modalités d’aménagement du temps de travail obéissent à l’accord cadre de réduction du temps de travail des entreprises de boulangerie-pâtisserie industrielle.
Les périodes de forte modulation connues sont les suivantes :
Chandeleur de mi-janvier à mi-mars,
Période estivale (congé du personnel),
Rentrée scolaire sont des périodes de forte activité.
Fête de fin d’année (environ 3 semaines) est une période de faible activité. »
– un planning de la semaine S06 du 3 au 7 février 2020 correspondant pour M.[R] à des horaires de travail les 3 et 5 février : 3h30 – 13h30, les 6 et 7 février 3h30 -11h30 avec repos le 4 février ( pièce n°11) ;
– un planning modifié de la semaine 06 – édité le 6 février à 6h06 – pour M. [R] concernant les horaires des jeudi 6 et vendredi 7 février : 3h30 – 13h30 (pièce n°8);
– un planning de la semaine 07 du 10 au 14 février 2020 faisant apparaître :
Les lundi 10 et mardi 11 février : 13h30 – 22h45; le mercredi 12 février 2020 : 11h30 – 20h45
et les jeudi 13 et vendredi 14 février 2020 : 11h30 – 22h45 (pièce n°12) ;
– Le règlement intérieur prévoyant à l’article 20 – Horaires de travail que : » Sous réserve des droits reconnus par la loi, notamment les droits propres aux représentants du personnel, les retards et autres manquements au strict respect des horaires de travail, qui n’auraient pas été préalablement autorisés, devront être justifiés par un motif légitime sous peine de sanction.
Les horaires de travail sont fixés par la Direction et portés à la connaissance du personnel. Ils sont affichés dans le hall d’entrée du personnel.
Les salariés doivent respecter les horaires de travail fixés, sous peine d’être sanctionnés conformément aux dispositions du présent règlement. Toute modification de ces horaires s’impose aux salariés y compris si elle entraîne l’exécution d’heures complémentaires ou d’heures supplémentaires à laquelle les salariés ne pourront se soustraire. Les horaires devront être parfaitement respectés, le salarié devant être à son poste de travail du début jusqu’à la fin de la séance prévue par l’horaire affiché’ » (pièce n°9).
M. [R] qui ne conteste pas la matérialité des faits reprochés invoque le non-respect du délai de prévenance se traduisant par des » changements de planning de dernière minute ne permettant pas aux salariés de gérer leur vie professionnelle et personnelle de manière sereine « . Il soutient que durant la période de forte activité de la chandeleur ( mi-janvier à mi-mars), l’employeur a rallongé sa durée de travail à 10 heures alors que le salarié ne pouvait pas tenir ce rythme en commençant son service dès 3h30.
Le salarié produit de son côté :
– le planning rectifié établi le 6 février 2020 ( pièce 8)
– les attestations de plusieurs collègues de travail confirmant que les modifications régulières, parfois du jour au lendemain, des plannings. Mme [Z] précisant que depuis le changement de direction, les plannings étaient affichés plus tardivement, le jeudi ou le vendredi pour le lundi suivant, entraînant des difficultés pour organiser la vie personnelle et la garde des enfants.
– l’attestation de Mme [F] ayant accompagné la salarié lors de l’entretien préalable, M.[R] expliquant ses contraintes par la garde de sa petite fille.
L’article L 3121-18 du code du travail dispose que la durée quotidienne de travail effectif ne peut excéder 10 heures, sauf dispositions conventionnelles prévoyant un dépassement en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise à condition que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de 12 heures.
Il ressort des plannings des deux semaines litigieuses que le salarié ne conteste pas avoir reçus plus de 48 heures auparavant que l’employeur n’a procédé à aucune modification des horaires durant les journées des 3 et 12 février 2020, dont la durée de travail journalière n’a pas excédé le seuil de 10 heures. Les témoignages des salariés évoquant des changements intempestifs de plannings au sein de l’entreprise ne visent pas davantage les modifications affectant les semaines 06 et 07. Les développements du salarié relatifs à l’inopposabilité des plannings modificatifs reçus moins de 48 heures avant le début de la semaine ne présentent pas d’intérêt en l’espèce.
Le fait pour M.[R] de quitter sans autorisation préalable son poste de travail le 3 février 2020 à 12 heures avant la fin de son service fixé à13h30 et de s’absenter à nouveau le 12 février 2020 à 17h53 au lieu de sa fin de service fixée à 20h45- et non 22h45 comme visé à tort dans le courrier de mise à pied- constitue un manquement renouvelé à ses obligations contractuelles en l’absence de justification d’un motif légitime à ses absences.
Partant, c’est à tort que les premiers juges ont annulé la sanction disciplinaire notifiée le 27 février 2020 et condamné la société La crêpe de Brocéliande au remboursement du rappel de salaire.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
2- Sur le licenciement pour faute grave
Pour infirmation du jugement, la société appelante fait valoir que durant la journée du 17 mars 2020, M. [R] était absent à son poste de travail, sans produire le moindre justificatif. Si elle ne conteste pas avoir été informée de l’accident du travail survenu le 16 mars 2020, la société expose que le salarié dont le médecin traitant ne lui a prescrit que des soins aurait dû informer l’employeur de son absence le lendemain du 17 mars 2020 et lui transmettre un éventuel arrêt de travail.
La société appelante ajoute que dans le contexte de la pandémie liée au Covid-19 liées à des commandes imprévues et accrues de sa clientèle composée exclusivement d’enseignes nationales de la grande distribution :
– elle a dû modifier, de manière exceptionnelle et sans prévenance possible, les horaires de service prévus à 21h30 les 9 et 10 avril 2020, en les portant respectivement à 22h45 et à 23h45 ;
– compte tenu de la situation d’urgence avec des commandes très largement supérieures à la normale lors de la semaine 15 de l’année 2020, M. [R] ne pouvait refuser d’exécuter le travail demandé et l’ajustement de son horaire hebdomadaire de travail ;
– les circonstances d’urgence sanitaire commandaient que le salarié exécute loyalement le contrat de travail et se conforme aux horaires de travail prescrits dans l’intérêt de l’entreprise et ceux de la Nation.
Pour confirmation du jugement entrepris, le salarié soutient qu’en l’absence de preuves du respect de l’employeur des règles relatives à la durée maximale de travail autorisée et celles relatives aux délais de prévenance, la cour constatera que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
L’article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail. La faute grave privative du préavis prévu à l’article L. 1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Elle suppose une réaction rapide de l’employeur, qui doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint, dès lors qu’il a connaissance des fautes et qu’aucune vérification n’est nécessaire.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur.
En l’espèce, la lettre du 28 avril 2020 qui circonscrit l’objet du litige, de sorte que l’employeur ne peut invoquer un autre motif que celui qu’il a notifié au salarié dans la lettre de licenciement, est ainsi motivée :
» Nous faisons suite à notre entretien du 21 avril dernier auquel vous vous êtes présenté accompagné de [I] [F] et prenant acte de vos décisions assumées et répétées d’abandons de poste, vous est notifié, par la présente votre licenciement pour faute grave.
Vous aviez pourtant été mis en alerte puisqu’après de nombreux préalables, vous avez été infligé, en février dernier, une mise à pied disciplinaire pour des faits identiques. Nous avions déjà ponctué notre courrier par une très explicite mise en garde si vous vous avisiez de vous faire remarquer par de nouveaux manquements.
Non seulement, vous récidivez une énième fois, mais reconnaissez pleinement, par des aveux limpides, vos choix, nous marquant nettement votre désir de quitter l’entreprise. Nous n’aurons d’autre choix, face à une telle détermination, de répondre favorablement à votre souhait de départ.
Nous ne reviendrons pas sur nos précédentes correspondances vous ayant détaillé nos attentes en termes d’assiduité, de ponctualité, de loyauté et de respect. Cette valeur de respect notamment, tout comme celle de l’entraide en ces termes de crise sanitaire exceptionnelle, ne semblent pas être au c’ur de vos préoccupations. A l’heure ou nous devons redoubler d’efforts pour la continuité économique de la France et surtout répondre aux besoins alimentaires de la population, vous exprimer le souhait de vous centrer sur votre confort personnel et adapter vos horaires de travail à vos envies. Vous ne nous donnez nulle latitude pour opter pour une solution autre que le présent licenciement.
Vos affirmations et prétentions à solliciter une rupture conventionnelle marquent le point d’orgue de votre intention de quitter La crêpe de Brocéliande, vos derniers agissements constituant l’épilogue prémédité de notre collaboration.
Quelques jours après votre précédente sanction et après que vous aient été rappelées les règles, vous vous êtes absenté le 17 mars, sans justifier votre absence.
Lors de l’entretien préalable, vous vous êtes défendu en arguant avoir été victime d’un accident de travail le 16 mars, indiquant avoir donné une feuille de soins. Vous n’avez pas respecté la procédure applicable en cas d’accident mais avez prétendu penser que la feuille de soins suffisait. Votre défense n’est guère pertinente car non seulement vous devez respecter la procédure en de telles circonstances, ce que vous n’avez pas fait. Votre argument sera donc réfuté et nous conforte dans un constat de duperie fallacieuse.
Le 9 avril 2020, alors que vous deviez terminer votre service à 22h45, vous avez quitté l’entreprise à 20h59, sans autorisation de votre responsable de ligne. Les emplois du temps avaient été modifiés afin d’honorer nos commandes mais ceci étant, nous vous rappelons que même votre emploi du temps initial mentionnait votre présence jusqu’à 21h30.
Le 10 avril, vous avez récidivé en quittant l’entreprise à 21h37 alors qu’il vous avait été demandé de travailler jusqu’à 23h45.
Lors de notre entrevue, vous nous avez rétorqué que lorsque vous quittez votre poste, vous le laissez à un collègue, insinuant qu’il n’y a donc aucun souci. Vous avez reconnu ne pas avoir eu l’autorisation de votre responsable mais avez estimé votre choix judicieux car vous alléguez avoir effectué vos heures.
Je vous ai précisé qu’en ce moment, nous étions dans un contexte un peu particulier avec le Covid 19, que nous travaillons dans l’agroalimentaire et qu’il est normal que les horaires de travail varient en fonction des ventes et à la demande de nos clients.
Vous nous avez répondu que vous ne vouliez plus continuer à travailler comme ça, à tolérer des changements de plannings et prétendez ne pas avoir de reconnaissance. [‘]
Votre légèreté est sidérante et nous déplorons votre peu d’engagement dans notre démarche d’entraide en ces temps de crise. Nous ne pouvons cautionner vos abandons inopinés et récidivistes de votre poste, dégradant indéniablement la productivité et contraignant vos collègues à pallier votre défaillance.
Indiscutablement, et en dépit des recadrages, vous persistez et assumez votre manifeste indiscipline.
En conséquence, en considération de ces éléments factuels d’insubordinations répétées, causes d’indiscutables dommages subis par l’entreprise et face à une incessante provocation à notre égard, vous est signé, par la présente lettre, votre licenciement immédiat pour faute grave. Nous ne pouvons en effet vous maintenir dans l’entreprise sans risque de vous voir une fois de plus abandonner vos collègues en pleine production’ » (pièce n°5 société).
La société La crêpe de Brocéliande verse aux débats :
– Un récapitulatif hebdomadaire des heures travaillées de M. [R] sur la période du lundi 2 mars au vendredi 17 avril 2020, faisant apparaître une absence non justifiée la journée du mardi 17 mars 2020 et une période d’absence pour maladie entre le vendredi 20 mars et le 31 mars 2020 (pièce n°13) ;
– Le planning prévisionnel établi pour la semaine du 6 au 10 avril 2020 duquel il ressort que M. [R] devait travailler les lundi et mardi de 13h40 à 21h30, le mercredi de 12h40 à 20h30, et les jeudi 9 et vendredi 10 avril de 12h40 à 21h30 (pièce n°14) ;
– Le planning modifié pour la semaine du 6 au 10 avril 2020 concernant le jeudi 9 avril de 12h40 à 22h45 et le vendredi 10 avril de 13h40 à 23h45(pièce n°15).
S’agissant de son absence du 17 mars 2020, le salarié maintient avoir informé son employeur d’un rendez-vous médical suite à un accident du travail survenu la veille. À l’appui, il produit une feuille de soins établie le 17 mars 2020, portant déclaration d’un accident du travail survenu le 16 mars 2020 et la prescription de soins sans arrêt de travail jusqu’au 31 mars 2020 (pièce n°3).
La société qui reconnaît avoir été informée de l’accident du travail survenu le 16 mars 2020 conteste avoir eu connaissance de la consultation médicale du salarié qui s’est tenue le lendemain avec son médecin traitant.
Si Mme [F] collègue de M.[R] rapporte sans précision sur les circonstances de ses constatations personnelles que la feuille de soins du salarié aurait été ‘remise en main propre au responsable du personnel qui ne l’aurait pas fait remonter, il ne ressort aucunement de ce document la prescription d’un arrêt de travail pour la journée du 17 mars 2020 de sorte que le salarié aurait dû se présenter à l’heure habituelle de sa prise de poste, ce dont il ne justifie pas.
Partant, la matérialité du premier grief est établie.
S’agissant des autres absences, il est fait grief à M. [R] d’avoir quitté son poste de travail le jeudi 9 avril 2020 à 20h59 au lieu de 22h45, et le lendemain, 10 avril 2020, à 21h37 au lieu de 23h45.
L’employeur qui se prévaut d’un » évènement extraordinaire lié au Covid-19 » reconnaît dans ses écritures avoir dû ‘modifier de manière exceptionnelle et sans prévenance possible, les horaires journaliers de fin de service prévus initialement à 21h30 les 9 et 10 avril 2020, pour les porter respectivement à 22h45 et 23h45.’
Il convient de rappeler que les dispositions de l’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée de travail et de jours de repos, prise en application de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, prévoyaient uniquement la possibilité pour les employeurs d’imposer aux salariés la prise de jours de congés payés et de jours de repos sous réserve de respecter un délai de prévenance d’un jour, lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifiait eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19.
Il en résulte qu’aussi exceptionnel fût-il, le contexte lié à la pandémie et les dispositions légales et réglementaires applicables à ce titre ne peuvent pas légitimer des modifications intempestives de plannings et de la durée de travail de M. [R] sans respect du délai de prévenance de deux jours instauré par l’avenant à l’accord-cadre sur la réduction du temps de travail.
En outre, s’agissant de la durée hebdomadaire maximale de travail, l’article 6 de l’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 prévoyait, de manière temporaire et exceptionnelle, que : » Dans les entreprises relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale, déterminés par décret et, le cas échéant, par dérogation aux stipulations conventionnelles applicables :
1° La durée quotidienne maximale de travail fixée à l’article L. 3121-18 du code du travail peut être portée jusqu’à douze heures ;
2° La durée quotidienne maximale de travail accomplie par un travailleur de nuit fixée à l’article L. 3122-6 du code du travail peut être portée jusqu’à douze heures, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal au dépassement de la durée prévue à ce même article ;
3° La durée du repos quotidien fixée à l’article L. 3131-1 du code du travail peut être réduite jusqu’à neuf heures consécutives, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pu bénéficier ;
4° La durée hebdomadaire maximale fixée à l’article L. 3121-20 du code du travail peut être portée jusqu’à soixante heures ;
5° La durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives fixée à l’article L. 3121-22 du code du travail ou sur une période de douze mois pour les exploitations, entreprises, établissements et employeurs mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 722-1 et aux 2°, 3° et 6° de l’article L. 722-20 du code rural et de la pêche maritime et ayant une activité de production agricole, peut être portée jusqu’à quarante-huit heures ;
6° La durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit calculée sur une période de douze semaines consécutives fixée à l’article L. 3122-7 du code du travail peut être portée jusqu’à quarante-quatre heures.
Pour chacun des secteurs d’activité mentionnés au premier alinéa, un décret précise, dans le respect de l’objectif de protection de la santé des travailleurs, les catégories de dérogations admises parmi celles mentionnées aux 1° à 6° du présent article et, dans le respect des limites prévues par ces mêmes dispositions, la durée maximale de travail ou la durée minimale de repos qui peut être fixée par l’employeur.
L’employeur qui use d’au moins une de ces dérogations en informe sans délai et par tout moyen le comité social et économique ainsi que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Les dérogations mises en ‘uvre sur le fondement de cet article cessent de produire leurs effets au 31 décembre 2020. »
La société La crêpe de Brocéliande qui se prévaut des dérogations à la durée maximale de travail ne justifie toutefois d’aucune information préalable du CSE et de la Dirreccte, pas plus qu’elle ne démontre qu’elle faisait partie de la liste des entreprises relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale.
Dès lors, c’est à juste titre que le salarié invoque l’inopposabilité des modifications affectant la durée de travail pour les journées des 9 et 10 avril 2020. La cour observe que la durée de travail modifiée au titre de la journée du 9 avril 2020 demeurait en deçà de 10 heures.
Si l’employeur ne peut pas se prévaloir des modifications des horaires de fin de service afin de sanctionner le salarié, force est de constater que M.[R] a quitté son poste de travail de manière prématurée à 20h59 le 9 avril 2020, avant la fin de service à 21h30 figurant selon son planning initial qui lui était opposable.
Partant, le départ anticipé M. [R] le 9 avril 2020 de son poste de travail sans motif légitime constitue une faute à ses obligations contractuelles.
Au résultat de ces éléments, les griefs tirés de l’absence injustifiée du 17 mars 2020 et du départ anticipé de 31 minutes avant la fin de service prévu le 9 avril 2020 sont matériellement établis à l’encontre de M. [R].
Le comportement de M.[R] doit s’apprécier dans son contexte singulier à savoir l’inexécution partielle de sa prestation de travail s’inscrivant dans un processus de transformation de denrées alimentaires périssables exigeant une grande réactivité du fait d’un délai de stockage limité – 1,5 journée- et des commandes destinées à des enseignes nationales de la grande distribution. Ce comportement s’analysant comme un acte d’insubordination s’apprécie également au regard des antécédents disciplinaires du salarié sanctionné moins d’un mois plus tôt. En effet, la poursuite par un salarié d’un fait fautif autorise l’employeur à se prévaloir de faits similaires y compris ceux ayant déjà été sanctionnés pour caractériser une faute grave.
Toutefois , la réitération d’absences injustifiées, pour fautives qu’elles soient, n’imposait pas la rupture immédiate et sans préavis du contrat de travail au regard notamment de l’ancienneté du salarié ( 7 ans). Dans ces conditions, le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave, le salarié est fondé à obtenir le versement de l’indemnité compensatrice de préavis de 3 648 euros outre les congés payés afférents ainsi que de l’indemnité légale de licenciement de 3 192 euros, par voie de confirmation du jugement.
En revanche, le salarié sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par voie d’infirmation du jugement.
Les conditions de l’article L 1235-4 du code de procédure civile n’étant pas satisfaites, le jugement sera infirmé de ce chef.
Conformément aux dispositions des articles 1231-7 et 1344-1 du code civil, les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter du 12 novembre 2020, date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes pour les sommes à caractère de salaire et pour le surplus à compter de l’arrêt. Le jugement sera infirmé en ce qui concerne le point de départ des intérêts.
La remise de bulletins de salaires rectifiés et documents de fin de contrat ordonnée par le conseil de prud’hommes n’a pas lieu d’être assortie d’une astreinte provisoire et il suffira sur ce point de condamner la société appelante à remettre les dites pièces dans un délai d’un mois suivant la notification du présent arrêt.
Le jugement entrep
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