Licenciement pour faute grave : requalification et conséquences financières.

·

·

Licenciement pour faute grave : requalification et conséquences financières.

Recevabilité des demandes d’appel

L’article 542 du code de procédure civile stipule que l’appel doit critiquer le jugement rendu par une juridiction du premier degré pour en demander la réformation ou l’annulation. La jurisprudence a établi que si les conclusions d’appel reprennent les moyens précédemment soumis, la cour d’appel est saisie des moyens déjà présentés. Cette règle est confirmée par des arrêts récents de la Cour de cassation, garantissant ainsi la recevabilité des demandes de M. [W].

Exécution du contrat de travail et reclassement

La qualification professionnelle d’un salarié est déterminée par la convention collective applicable, qui fixe les critères de classification. En cas de litige, le juge doit apprécier les fonctions réellement exercées. En cas de sous-classement, le salarié peut être reclassé rétroactivement et prétendre à un rappel de salaire. La cour a confirmé que M. [W] ne justifiait pas d’un niveau supérieur à celui qui lui avait été attribué, conformément aux dispositions de la convention collective.

Versement de primes et usage d’entreprise

Pour qu’un élément de rémunération soit reconnu comme un usage d’entreprise, il doit respecter les critères de généralité, de fixité et de constance. La cour a constaté que la prime de chantier versée à M. [W] ne remplissait pas ces critères, permettant ainsi à l’employeur de cesser son versement sans préavis.

Sanctions disciplinaires et comportement fautif

L’article L. 1331-1 du code du travail définit une sanction disciplinaire comme toute mesure prise par l’employeur suite à un comportement jugé fautif par le salarié. La faute doit être avérée et constituer une violation des obligations contractuelles. La cour a annulé l’avertissement du 8 août 2019, considérant que les faits reprochés n’étaient pas suffisamment établis, tout en confirmant l’avertissement du 31 décembre 2019 pour abandon de poste.

Licenciement pour faute grave

L’article L. 1232-1 du code du travail exige qu’un licenciement pour motif personnel soit justifié par une cause réelle et sérieuse. La faute grave est définie comme un comportement rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La cour a retenu que M. [W] avait commis des actes d’insubordination et des manquements graves, justifiant ainsi son licenciement pour faute grave, conformément aux articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.

Demande reconventionnelle de l’employeur

La demande reconventionnelle de l’employeur pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail n’a pas été retenue, car les faits invoqués ne constituaient pas une faute lourde justifiant une indemnisation. La cour a confirmé le jugement déféré en ce qu’il avait rejeté cette demande.

Demandes accessoires et dépens

Le jugement déféré a été infirmé concernant les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile, stipulant que M. [W] devait supporter les dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’une indemnité au titre de l’article 700.

L’Essentiel : L’article 542 du code de procédure civile stipule que l’appel doit critiquer le jugement rendu par une juridiction du premier degré pour en demander la réformation ou l’annulation. La jurisprudence a établi que si les conclusions d’appel reprennent les moyens précédemment soumis, la cour d’appel est saisie des moyens déjà présentés. En cas de litige, le juge doit apprécier les fonctions réellement exercées. La cour a confirmé que M. [W] ne justifiait pas d’un niveau supérieur à celui qui lui avait été attribué.
Résumé de l’affaire : La société à responsabilité limitée Menuiserie BM [B] et Fils, spécialisée dans les travaux de menuiserie, a engagé un salarié en qualité de menuisier par contrat à durée indéterminée. En avril 2019, ce salarié a demandé une rupture conventionnelle pour se consacrer à d’autres projets, mais l’employeur n’a pas répondu. En janvier 2020, la société a notifié une mise à pied conservatoire au salarié, suivie d’un licenciement pour faute grave en février 2020, invoquant des faits d’insubordination et de comportements déplacés.

Le salarié a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes, demandant la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le paiement de diverses indemnités. Le jugement du 28 septembre 2021 a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamnant la société à verser des indemnités au salarié, tout en déboutant ce dernier de certaines de ses demandes.

Le salarié a interjeté appel, demandant l’infirmation partielle du jugement, l’annulation des sanctions disciplinaires, un reclassement, et des rappels de salaire. La société a également formé un appel incident, contestant la requalification du licenciement et demandant des dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

La cour d’appel a jugé que les demandes du salarié étaient recevables et a confirmé le jugement en ce qui concerne le licenciement pour cause réelle et sérieuse, tout en annulant l’avertissement du 8 août 2019 pour insuffisance de preuve. En revanche, elle a retenu que le licenciement était justifié par des actes d’insubordination et a débouté le salarié de ses demandes d’indemnités. La cour a également rejeté la demande reconventionnelle de l’employeur pour exécution de mauvaise foi, confirmant ainsi le jugement de première instance sur ce point. Les dépens ont été mis à la charge du salarié.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement de la recevabilité des demandes de l’appelant principal ?

La société Menuiserie BM [B] et Fils soutient que les demandes de l’employé sont irrecevables en application de l’article 542 du code de procédure civile, qui stipule : « L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. »

L’employé réplique que ses demandes sont recevables car sa déclaration d’appel mentionne tous les chefs de jugement critiqués. La jurisprudence établit que si les conclusions d’appel sont identiques à celles soumises en première instance, la cour d’appel est saisie des moyens précédemment soumis.

Ainsi, toutes les demandes de l’employé sont jugées recevables devant la cour d’appel.

Quel est le critère pour la requalification du licenciement ?

L’article L. 1232-1 du code du travail précise que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire pour un motif existant, exact, objectif et revêtant une certaine gravité.

La faute grave, selon l’article L. 1232-1, est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur doit prouver l’existence de cette faute, et le doute profite au salarié.

Dans ce cas, la cour a constaté que l’employé a commis des actes d’insubordination et des manquements, justifiant ainsi le licenciement pour faute grave.

Quel est le fondement juridique des sanctions disciplinaires ?

L’article L. 1331-1 du code du travail définit une sanction disciplinaire comme toute mesure prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré comme fautif. La faute doit être avérée et constituer une violation des obligations découlant du contrat de travail.

La cour a examiné les avertissements notifiés à l’employé et a constaté que les faits reprochés étaient corroborés par des pièces versées aux débats. En conséquence, les sanctions ont été jugées justifiées.

Quel est le critère pour établir un usage d’entreprise concernant les primes ?

Pour qu’un élément de rémunération soit reconnu comme un usage d’entreprise, il doit respecter trois critères : généralité, fixité et constance. La cour a constaté que la prime de chantier versée à l’employé ne respectait pas ces critères, car son montant variait et n’était pas versé chaque mois.

Ainsi, la demande de l’employé pour le versement de primes a été rejetée.

Quel est le fondement de la demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ?

L’employé a demandé des dommages-intérêts pour dégradation des conditions de travail, fondée sur l’article 1240 du code civil. Cependant, la cour a jugé que l’usage du pouvoir disciplinaire par l’employeur n’était pas constitutif d’une faute.

En l’absence de faute de l’employeur, la demande indemnitaire de l’employé a été rejetée.

Quel est le fondement de la demande reconventionnelle de l’employeur ?

L’employeur a demandé des dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail. Cependant, la cour a jugé que les faits invoqués ne constituaient pas une faute lourde du salarié.

Ainsi, la demande reconventionnelle de l’employeur a été rejetée.

Quel est le sort des demandes accessoires et des dépens ?

Le jugement déféré a été infirmé concernant les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile. L’employé a succombé intégralement en appel et doit supporter les dépens.

L’équité commande également de condamner l’employé à payer une indemnité à l’employeur sur le fondement de l’article 700.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 28 MARS 2025

N° 2025/73

Rôle N° RG 21/14945 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BIIVD

[M]

[W]

C/

S.A.R.L. B.M. MENUISERIE [B] ET FILS

Copie exécutoire délivrée le :

28 MARS 2025

à :

Me Nathalie OLMER, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Nicolas CASTELLAN, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 28 Septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F20/01146.

APPELANT

Monsieur [M] [W], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Nathalie OLMER, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.R.L. B.M. MENUISERIE [B] ET FILS, demeurant [Adresse 2]/FRANCE

représentée par Me Nicolas CASTELLAN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 03 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Fabrice DURAND, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre

Monsieur Fabrice DURAND, Président de chambre

Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2025

Signé par Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

1. La société à responsabilité limitée Menuiserie BM [B] et Fils immatriculée au RCS de Marseille sous le n°309 193 647 exerce depuis 1977 une activité de travaux de menuiserie : fabrication et pose de fenêtres, volets, portes de garage et portails ainsi que meubles en bois et parquets.

2. Cette société a engagé M. [M] [W] par contrat à durée indéterminée du 9 septembre 2008 en qualité de menuisier niveau III coefficient 210 position 1 moyennant une rémunération de 1 645,62 euros pour 151,67 heures de travail par mois.

3. La relation de travail est régie par la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu’à 10 salariés et aux accords collectifs applicables en région PACA.

4. Par courrier du 10 avril 2019, M. [W] a demandé à son employeur de conclure un rupture conventionnelle du contrat de travail afin de pouvoir « se consacrer à d’autres projets professionnels » (pièce salarié n°3). L’employeur n’a pas donné suite à cette demande.

5. Par courrier du 8 janvier 2020, la société Menuiserie BM [B] et Fils a notifié à M. [W] sa mise à pied conservatoire et l’a convoqué à un entretien préalable fixé le 21 janvier 2020.

6. Par courrier du 7 février 2020, la société a notifié au salarié son licenciement pour faute grave tenant à des faits répétés d’insubordination et de comportements déplacés à l’égard d’autres salariés.

7. Par requête déposée le 27 juillet 2020, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille aux fins de requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et paiement par l’employeur de diverses indemnités et accessoires de salaire.

8. Par jugement du 28 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Marseille a :

‘ requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

‘ condamné la société Menuiserie BM [B] et Fils à payer à M. [W] les sommes de :

– 7 078 d’indemnité légale de licenciement ;

– 4 438 euros d’indemnité de préavis ;

– 443 euros de congés payés afférents ;

– 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ dit que le présent jugement bénéficierait de l’exécution provisoire de droit sur les créances dans la limite des plafonds définis par R. 1454-28 du code du travail ;

‘ débouté M. [W] du surplus de ses demandes ;

‘ débouté la société BM Menuiserie [B] et Fils de ses demandes reconventionnelles ;

‘ condamné la société BM Menuiserie [B] et Fils aux dépens.

9. Par déclaration au greffe du 21 octobre 2021, M. [W] a relevé appel de ce jugement.

10. Vu les dernières conclusions de M. [W] déposées au greffe le 27 octobre 2022 aux termes desquelles il demande à la cour :

‘ de rejeter la demande de la société Menuiserie BM [B] et Fils tendant à déclarer M. [W] irrecevable en sa demande de réformation du jugement attaqué ;

‘ de recevoir les présentes écritures et les dire bien fondées ;

‘ d’infirmer partiellement le jugement dont appel ;

‘ de prononcer en conséquence, l’annulation des sanctions disciplinaires des 8 août 2019 et 31 décembre 2019 ;

‘ de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

‘ de condamner à ce titre la société au paiement de 23 301,81 euros d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (10,5 mois de salaire brut) ;

‘ de le reclasser au niveau IV position 1 de la grille de classification professionnelle en application de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment ;

‘ de condamner en conséquence la société BM Menuiserie [B] et fils à lui payer un rappel de salaire résultant de l’absence d’évolution professionnelle de 9 426,52 euros et un rappel de primes du mois de juillet 2019 à janvier 2020 de 2 811,66 euros sur la base des 3 derniers mois de versement ;

‘ de condamner la société à lui payer 10 000 euros en réparation du préjudice distinct subi résultant de la dégradation des conditions de travail et de la violation de sa vie privée ;

‘ de condamner la société à lui payer 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ de condamner la société aux intérêts de droit et à leur capitalisation ;

‘ de condamner la société aux entiers dépens de l’instance ;

‘ de débouter la société de toutes ses demandes, fins et conclusions dans ses demandes au titre de l’appel incident ;

‘ de confirmer le jugement pour le surplus.

11. Vu les dernières conclusions de la société BM Menuiserie [B] et Fils déposées au greffe le 7 avril 2022 aux termes desquelles elle demande à la cour :

Sur les demandes de l’appelant dans le cadre de son appel principal,

‘ in limine litis, de déclarer M. [W] irrecevable en sa demande de réformation faute de critique expresse du jugement attaqué dans les délais d’appel ;

‘ et subsidiairement de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté M. [W] du surplus de ses demandes ;

‘ de débouter en conséquence M. [W] de ses demandes d’annulation des sanctions disciplinaires des 8 août 2019 et 31 décembre 2019, de reclassement au niveau IV position 1 et de rappels de salaires de 9 426,53 euros, de rappel de primes de juillet 2019 à janvier 2020, de 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral distinct, de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, des intérêts de droit et de leur capitalisation ;

‘ par substitution de motifs, de débouter M. [W] de sa demande de reclassement du fait de la prescription de cette demande ;

‘ de débouter M. [W] de sa demande de condamnation de 23 301,81 euros d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

‘ plus généralement, de débouter M. [W] de toutes ses demandes, fins et moyens ;

‘ de condamner M. [W] à lui payer somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel ;

Au titre de l’appel incident formé la société BM Menuiserie [B] et Fils,

‘ d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, l’a condamnée à payer à M. [W] les sommes de 7 078 euros d’indemnité légale de licenciement, 4 438,44 euros d’indemnité de préavis, 443 euros de congés payés afférents, 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, a débouté la société de ses demandes reconventionnelles et l’a condamnée aux entiers dépens ;

‘ de prononcer la validité du licenciement pour faute grave de M. [W] ;

‘ d’annuler toutes les condamnations prononcées en première instance à son encontre ;

‘ de condamner M. [W] à lui payer la somme de 5 000 euros du fait de l’exécution déloyale et de mauvaise foi de son contrat de travail ;

‘ de débouter M. [W] de toutes ses demandes, fins et moyens ;

‘ de condamner M. [W] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel ;

12. Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

13. L’instruction a été clôturée par ordonnance du 23 janvier 2025.

MOTIFS DE L’ARRÊT

I – Sur la recevabilité des demandes de l’appelant principal,

14. La société Menuiserie BM [B] et Fils soutient que les demandes de M. [W] sont irrecevables en application de l’article 542 du code de procédure civile au motif que ses conclusions d’appelant ne critiquent à aucun moment le jugement dont il demande la réformation partielle.

15. M. [W] réplique que ses demandes sont recevables dans la mesure où sa déclaration d’appel mentionne régulièrement tous les chefs de jugement critiqués. En toute hypothèse, il fait valoir que l’irrégularité soulevée est de pure forme et qu’aucun grief n’étant démontré par la société intimée.

Appréciation de la cour

16. L’article 542 du code de procédure civile dispose : « L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. »

17. Une jurisprudence établie retient que dans l’hypothèse où les conclusions d’appel sont reprises à l’identique de celles prises en première instance, la cour d’appel est saisie des moyens précédemment soumis au premier juge que l’appelant réitérait expressément à l’identique dans ses conclusions d’appel (Soc., 6 juillet 1995, pourvoi n°94-40.587 et 2e Civ., 18 octobre 2018, pourvoi n°17-24.339).

18. Cette solution a été confirmée par des arrêts plus récent de la Cour de cassation (2e Civ. 30 septembre 2021 pourvoi n°19-21.737 et 2e Civ. 19 mai 2022 pourvoi n°21-10.554), ce second arrêt ayant été rendu sous l’empire des textes du code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017.

19. Il en résulte que toutes les demandes de M. [W] sont recevables devant la cour d’appel.

II – Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail,

1 – Sur la demande de reclassement du salarié,

20. M. [W] sollicite l’infirmation du jugement ayant rejeté ce chef de demande. Il soutient que ses qualifications professionnelles, sa technicité affirmée et son expérience au sein de l’entreprise justifient un classement plus élevé au niveau IV de la convention collective applicable.

21. La société Menuiserie BM [B] et Fils réplique qu’elle s’est conformée aux dispositions de la convention collective prévoyant un classement au niveau III pour un ouvrier titulaire d’un brevet professionnel. Elle soutient que M. [W] ne répond pas aux critères exigés par la convention collective pour bénéficier d’un classement au niveau IV.

Appréciation de la cour

22. La qualification professionnelle du salarié qui doit être précisée dans le contrat de travail est déterminée en référence à la classification fixée par la convention collective applicable dans l’entreprise .

23. En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier les fonctions réellement exercées par le salarié. En cas de sous-classement, le salarié doit être replacé de manière rétroactive au niveau auquel son poste correspond. Il peut alors prétendre à un rappel de salaire correspondant au minimum conventionnel afférent à ce coefficient.

24. La cour partage l’analyse des premiers juges ayant retenu que M. [W] titulaire d’un brevet professionnel avait bénéficié d’une intégration plus favorable que celle prévue par la conventioncollective en étant immédiatement classé au niveau III et que le salarié ne démontrait ni pouvoir d’autonomie et de gestion ni mission de tutorat des apprentis justifiant un niveau supérieur de classification.

25. En effet, les attestations versées aux débats par M. [W] sont insuffisamment précises et trop peu circonstanciées pour établir que les missions qu’il exerçait relevait du niveau IV de classification de la convention collective.

26. M. [W] ne démontre pas avoir exécuté « des travaux complexes de son métier », avoir « organisé le travail des ouvriers » constituant son équipe, pris des « initiatives relatives à la réalisation technique des tâches à effectuer », exercé des « missions de représentation correspondantes », fait preuve d’une « parfaite maîtrise de son métier et technicité affirmée » ni avoir suivi une formation professionnelle de niveau IV ou formation continue ou validation des acquis professionnels du niveau requis.

27. Par ailleurs, le fait que M. [W] se soit mal comporté envers les apprentis et stagiaires n’établit pas pour autant qu’il assurait le « tutorat éventuel des apprentis et des nouveaux embauchés », aucun élément du dossier n’établissant qu’une telle mission de formation lui était confiée par l’employeur.

28. M. [W] n’est pas fondé à se prévaloir d’une « reconnaissance implicite du sous-classement du salarié » du fait de l’augmentation en mai 2019 de son salaire de 1852,76 euros à 2 199,22 euros par mois. Cette augmentation de salaire est une décision relevant du pouvoir de direction de l’employeur, peu important de savoir si cette décision est en lien avec la demande de rupture conventionnelle présentée le 10 avril 2019 par M. [W]. Il ne peut être reproché à l’employeur d’avoir pris cette décision favorable au salarié, de même qu’il ne peut s’en déduire de sa part une reconnaissance implicite d’un sous-classement du salarié.

29. Par ailleurs, M. [W] ne précise pas le fondement juridique lui permettant de reprocher à l’employeur « l’absence d’évolution de salaire », dès lors que l’employeur a parfaitement respecté les dispositions de la convention collective applicable.

30. Le jugement déféré est donc confirmé en ses dispositions ayant rejeté la demande de reclassement de M. [W] ainsi que les prétentions salariales en découlant.

2 ‘ Sur le versement de primes de chantier,

31. M. [W] sollicite l’infirmation du jugement ayant rejeté sa demande de versement de 2 811,66 euros de primes de chantiers, s’agissant d’un usage ayant eu cours de février 2018 à juin 2019 pendant 1 an et quatre mois. Il soutient que ces primes étaient versés chaque mois aux deux salariés de l’entreprise et que leur montant variait seulement selon l’importance des chantiers et qu’à défaut de dénonciation de cet usage par l’employeur, ce dernier est tenu de lui verser cette prime d’un montant moyen de 401,66 euros par mois jusqu’à son départ effectif de l’entreprise.

32. La société Menuiserie BM [B] et Fils s’oppose à cette demande en faisant valoir que cette de prime de chantier n’était pas contractuelle mais discrétionnaire et que cette prime ne respectait pas les critères de généralité, constance et fixité imposés par la jurisprudence pour qualifier un usage d’entreprise.

Appréciation de la cour

33. Pour être reconnu comme un usage en vigueur au sein de l’entreprise, un élément de rémunération doit respecter les trois critères cumulatifs de généralité, de fixité et de constance.

34. Il ressort des bulletins de salaire des années 2018 et 2019 qu’une somme appelée « prime de chantier » a été versée par la société Menuiserie BM [B] et fils à M. [W] les mois suivants :

– février 2018 : 364 euros

– mars 2018 : 380 euros

– avril 2018 : 260 euros

– mai 2018 : aucune prime

– juin 2018 : 260 euros

– juillet 2018 : 560 euros

– août 2018 : aucune prime

– septembre 2018 : 410 euros

– octobre 2018 : 400 euros

– novembre 2018 : 361 euros

– décembre 2018 : 450 euros

– janvier 2019 : 560 euros

– février 2019 : 420 euros

– mars 2019 : 490 euros

– avril 2019 : 560 euros

– mai 2019 : 330 euros

– juin 2019 : 315 euros.

35. Cette « prime de chantier » a été versée à M. [W] pour la première fois en février 2018. Elle n’a pas été versée certains mois (mai 2018 et août 2018). Son montant n’est pas constant puisqu’il a varié entre 260 euros et 560 euros. Aucun mécanisme de calcul de cette prime n’a été présenté par l’employeur à ses salariés.

36. Il résulte des points précédents que les critères de fixité et de constance de cette prime ne sont pas réunis. Cette prime de chantier ne constitue donc pas un usage d’entreprise et l’employeur a pu cesser de la verser sans avoir à informer ses salariés ni à respecter un délai de prévenance.

37. Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [W] en paiement de 2 811,66 euros de cette prime de chantier de juillet 2019 à janvier 2020.

3 – Sur la demande d’annulation des avertissements,

38. M. [W] sollicite l’infirmation du jugement déféré et conclut à l’annulation des deux avertissements qui lui ont notifiés le 8 août 2019 et le 31 décembre 2019 en soutenant que les faits ayant motivé ces sanctions ne sont pas établis par l’employeur.

39. La société Menuiserie BM [B] et Fils conclut à la confirmation du jugement déféré ayant rejeté les demandes d’annulation des avertissements du 4 octobre 2017, 20 septembre 2018, 8 août 2019 et 31 décembre 2019 en faisant valoir que les faits reprochés au salarié sont corroborés par les pièces versées aux débats.

Appréciation de la cour

40. La cour constate que l’appel interjeté par M. [W] porte sur le chef du jugement attaqué ayant rejeté ses demandes d’annulation des quatre avertissements du 4 octobre 2017, du 20 septembre 2018, du 8 août 2019 et du 31 décembre 2019 mais que le dispositif de ses conclusions d’appelant se borne à solliciter l’infirmation des dispositions du jugement ayant rejeté ses demandes d’annulation des deux seuls avertissements notifiés le 8 août 2019 et le 31 décembre 2019.

41. Le jugement déféré ne peut donc qu’être confirmé en ses dispositions ayant rejeté la demande de M. [W] d’annulation des deux avertissements notifiés le 4 octobre 2017 et le 20 septembre 2018.

42. Par application de l’article L.1331-1 du code du travail, constitue une sanction disciplinaire toute mesure autre que les observations verbales prises par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

43. Le comportement fautif du salarié doit se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire. La faute ne peut résulter que d’un fait avéré imputable au salarié et constituant une violation des obligations découlant du contrat ou des relations de travail.

44. La sanction est proportionnelle à la faute commise, l’employeur devant fournir à la juridiction prud’homale les éléments retenus pour prendre la sanction. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Concernant l’avertissement du 8 août 2019

45. Dans son courrier du 8 août 2019, l’employeur a reproché à M. [W] les faits suivants :

« Nous avons eu à déplorer de votre part un comportement inadmissible que nous amène à vous notifier par la présente un avertissement qui sera versé à votre dossier personnel.

Vous travaillez au sein de notre société depuis le 9 septembre 2008 en qualité de menuisier.

Or vous n’avez pas craint de ne pas respecter nos directives et de faire preuve d’insubordination.

En effet, comme pour l’ensemble du personnel, nous vous avons demandé de réaliser des heures supplémentaires dû à une forte activité avec des commandes et délais de livraison de chantiers à honorer. Vous en étiez informé depuis le mois de juin.

Vous nous avez déclaré avoir réalisé les dites heures supplémentaires sur les fiches des 24 et 25 juin 2019.

Or, nous nous sommes aperçus que vous ne les aviez en réalité pas effectuées puisque vous faisiez 7h30 de travail effectif et non 8h00.

Le 27 juin dernier, quand nous vous avons confronté à vos fausses déclarations, vous vous êtes énervé et êtes devenu agressif. Vous nous avez alors signifié que dorénavant, vous refuseriez d’effectuer toute heure supplémentaire.

Vous comprendrez que ce comportement est inadmissible car non seulement nous vous faisions confiance et vous nous avez menti en déclarant avoir réalisé des heures supplémentaires, qui vous ont par ailleurs été payées, mais en plus vous avez fait preuve d’insubordination en refusant d’effectuer d’autres heures supplémentaires qui plus est de manière particulièrement inappropriée.

Votre comportement fautif ne s’est pas arrêté là, puisque le 11 juillet dernier vous avez également refusé de remplir les fiches de travail habituellement réalisées quotidiennement en évoquant le fait que vous n’étiez pas ma secrétaire.

Or, comme vous le savez pertinemment, ces documents sont très importants dans le cadre du suivi des chantiers et entrent parfaitement dans le cadre de vos fonctions.

Outre le fait que vous refusez de suivre les directives qui vous étaient données, vous avez fait preuve d’insubordination en tenant encore une fois des propos agressifs et inappropriés.

(‘) »

46. Pour prétendre démontrer les faits mentionnés dans le courrier d’avertissement, l’employeur verse aux débats une attestation datée du 8 août 2019 (pièce n°8) aux termes de laquelle, Mme [G] [S], assistante commerciale au restaurant « La Nautique » sans lien déclaré avec l’entreprise, déclare : « J’ai assisté à une petite altercation où le patron disait avoir besoin de son salarié pour des heures supplémentaires (en s’adressant directement à lui) et le salarié a répondu qu’il ne resterait pas après son heure de fin fixe. Le salarié : [M] [W]. Le patron : M. [B] ».

47. Ce seul témoignage, imprécis et dépourvu de toute mention de date, est insuffisant pour établir la matérialité des faits sanctionnés par l’avertissement contesté.

48. En conséquence, le jugement déféré est infirmé de ce chef et l’avertissement délivré le 8 août 2019 à M. [W] est annulé.

Concernant l’avertissement du 31 décembre 2019

49. Par courrier du 31 décembre 2019, la société a notifié à M. [W] un avertissement sanctionnant un ensemble de six manquements intervenus les 6, 12, 15 et 19 novembre et les 2 et 23 décembre 2019.

50. S’agissant de l’abandon du chantier le 12 novembre 2019 par M. [W], ce manquement est attesté par le témoignage de la cliente Mme [H] daté du 22 novembre 2019 (pièce employeur n°11) rédigé dans les termes suivants : « une des deux personnes est parties au bout d’environ 1h 1h30 alors que les réparations n’étaient pas terminées laissant seul son collègue de travail ».

51. M. [W] ne donne aucune raison susceptible d’expliquer cet abandon de poste autre qu’une manifestation de colère ou de désinvolture de sa part alors que l’employeur lui avait confié cette mission avec un autre salarié. Ce grief est donc retenu comme justifiant l’avertissement notifié le 31 décembre 2019.

52. En revanche, les autres griefs mentionnés par le courrier d’avertissement ne sont pas établis par les pièces versées aux débats : le blocage du numéro de M. [B] par le salarié empêchant l’accès au chantier le 6 novembre 2019, le refus d’heure supplémentaire le 15 novembre 2019, le refus de coordination du travail avec l’employé intérimaire entraînant des interventions du chef d’entreprise pour pallier le 19 novembre 2019, le remplissage incorrect des fiches de travail journalières le 2 décembre 2019 et l’information tardive de l’employeur le vendredi 20 décembre 2019 d’une absence prévue le lundi 23 décembre 2019.

53. En conséquence, l’avertissement est justifié pour sanctionner le seul grief tenant à l’abandon du chantier sans motif légitime le 12 novembre 2019, les autres griefs devant être écartés.

4 ‘ Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

54. M. [W] présente pour la première fois en cause d’appel une demande de 10 000 euros de dommages-intérêts pour dégradation des conditions de travail et violation du secret médical fondée sur l’article 1240 du code civil. Il reproche à l’employeur d’avoir fait usage de son pouvoir disciplinaire, ce qui qui aurait dégradé son état de santé et l’aurait contraint à engager un suivi psychiatrique en septembre 2019.

55. La société Menuiserie BM [B] et Fils conclut au rejet de cette demande en faisant valoir que le salarié a lui-même évoqué un syndrome dépressif en lien avec son licenciement et ainsi contraint l’employeur à évoquer son état de santé.

Appréciation de la cour

56. L’usage du pouvoir disciplinaire par l’employeur, sauf abus non démontré en l’espèce, n’est pas constitutif d’une faute commise par l’employeur. Il en est de même de la décision prise le 8 janvier 2020 par la société Menuiserie BM [B] et Fils de mettre à pied M. [W] et de le convoquer à un entretien préalable : cette décision de l’employeur est légale et aucunement fautive.

57. S’agissant de la production par la société intimée d’un certificat médical du 4 avril 2019 (pièce n°18), elle n’est pas davantage fautive dès lors qu’une telle pièce n’a pu être donnée à l’employeur que par M. [W] lui-même et que l’employeur n’a pas fait un usage abusif de ce document médical.

58. En l’absence de faute commise par la société Menuiserie BM [B] et Fils, la demande indemnitaire de M. [W] est donc rejetée.

III – Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail,

59. M. [W] conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a retenu que son licenciement était fondé sur un motif réel et sérieux. Il soutient que les faits ayant motivé ce licenciement ne sont pas matériellement établis et que de tels faits ne sont pas susceptibles de constituer la faute grave invoquée par l’employeur.

60. La société Menuiserie BM [B] et Fils conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il n’a pas retenu l’existence d’une faute grave du salarié. Elle soutient que le nombre et la gravité des fautes commises par M. [W] et mentionnées dans la lettre de licenciement justifient amplement son licenciement pour faute grave.

Appréciation de la cour

61. L’article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est à dire pour un motif existant, exact, objectif et revêtant une certaine gravité rendant impossible, sans dommages pour l’entreprise, la continuation du contrat de travail et nécessaire le licenciement.

62. La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant d’un contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant le temps du préavis.

63. En application des dispositions des articles L 1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 alinéa 1 du code du travail, la reconnaissance de la faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement.

64. L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute et le doute profite au salarié.

65. La lettre de licenciement du 7 février 2020, en précisant les motifs et fixant les limites du litige conformément à l’article L. 1235-2 alinéa 2 du code du travail, est libellée dans les termes suivants:

« A compter du 6 janvier dernier, vous avez adopté un comportement gravement fautif n’hésitant pas à ne pas respecter les directives qui vous étaient données en vous abstenant délibérément de remplir les tâches qui vous incombent.

En outre, vous avez également fait preuve d’insubordination à mon encontre.

En effet, dès le 6 janvier, vous avez notamment refusé de charger le véhicule d’une partie du matériel nécessaire à la réalisation des travaux de la journée en faisant preuve d’une attitude de défiance à mon égard. Ce n’est qu’après avoir insisté à plusieurs reprises que vous avez enfin daigné suivre mes directives. Vous comprendrez aisément que ce comportement envers le chefs d’entreprise dans une petite société telle que la mienne n’est pas tolérable.

En outre, le même jour, après vous être installé à la place du conducteur du véhicule d’entreprise, vous avez subitement déclaré avec provocation ne pas pouvoir conduire ledit véhicule prétextant une absence de points sur votre permis. Toutefois, vous n’avez pas été à même de justifier de cette impossibilité malgré mes demandes, ce qui m’a obligé à revoir l’organisation de la société ce qui a particulièrement affecté le fonctionnement de l’entreprise.

Par ailleurs, le 7 janvier, l’apprenti qui était censé travailler sous votre responsabilité est revenu au siège de l’entreprise car vous vous êtes permis de tenir des propos déplacés envers lui, ce qui l’a particulièrement affecté.

Enfin, vous n’avez pas manqué de refuser le 8 janvier au matin, à ce que ce même apprenti travaille sur le même chantier que vous alors que je vous avais expressément demandé de le superviser.

Faisant fi de mon autorité, vous êtes revenu au siège de la société et vous avez décidé de vous changer et de partir sans autorisation en abandonnant votre poste de travail.

Comme je vous l’ai indiqué à plusieurs reprises, il m’appartient d’organiser le travail de la société et de répartir les tâches. Vous ne pouvez pas systématiquement vous opposer à mes directives.

Votre comportement d’une extrême gravité perturbe sérieusement le fonctionnement de la société

En outre, ce comportement intervient alors que deux avertissements ont déjà été prononcés à votre encontre pour non-respect des directives et insubordination, en date du 08/08/2019 et du 31/12/2019.

Je vous avais alors demandé de vous ressaisir.

Or, au contraire vous n’avez pas manqué de réitérer votre comportement fautif.

Vous comprendrez donc que je n’ai pas d’autres choix que de vous licencier pour faute grave.

(‘) »

66. Il ressort de l’attestation datée du 14 novembre 2020 de M. [X], lycéen en stage au sein de l’entreprise (pièce employeur n°12), que M. [W] lui a tenu des propos déplacés le 7 janvier 2020 en lui disant, alors qu’il reprenait son poste de travail après un rendez-vous administratif au service des étrangers de la préfecture le matin même, que « la France allait me virer prochainement ». M. [X] précise que M. [W] a continué d’évoquer ce sujet avec le stagiaire, en le provoquant délibérément sur son statut d’étranger en France et en refusant de changer de sujet de discussion alors que M. [X] le lui demandait.

67. Il ressort de ce témoignage particulièrement circonstancié de M. [X] que malgré l’intervention de M. [B] le 7 janvier 2020 pour mettre un terme à l’incident, M. [W] a continué le lendemain à harceler M. [X] en refusant de l’intégrer à l’équipe de travail le 8 janvier 2020 et en lui ordonnant de porter des pièces de menuiserie trop lourdes pour une personne seule. M. [W] lui a directement et sans aucune raison déclaré qu’il ne souhaitait pas travailler avec lui.

68. Lors de l’entretien préalable du 21 janvier 2020, M. [W] n’a pas contesté la teneur de ses propos, affirmant simplement que « c’était simplement un échange d’ordre privé et qui n’avait rien à voir avec le travail » (pièce salarié n°19).

69. Dans une attestation datée du 24 octobre 2020 (pièce employeur n°13), M. [T], enseignant au lycée professionnel [3] explique que l’entreprise [B] accepte depuis plusieurs années de participer à la formation des jeunes de son établissement. M. [T] déclare qu’en mars et avril 2018, deux élèves de l’établissement avaient déclaré qu’un salarié de l’entreprise prénommé [M] les avait insultés et leur avait mal parlé.

70. Ce témoignage d’un enseignant du lycée confirme qu’il était habituel de la part de M. [W] d’adopter un comportement agressif ou insultant envers les élèves en stage dans l’entreprise, au point que le lycée [3] a dû suspendre temporairement sa collaboration avec l’entreprise [B].

71. L’employeur est tenu d’une obligation de sécurité et de protection de la santé physique et psychique de ses salariés. La cour relève que cette obligation est encore plus importante envers les lycéens et apprentis en stage, du fait de leur âge et de leur vulnérabilité particulière au sein de la collectivité de travail.

72. Par ailleurs, le conseiller du salarié l’ayant assisté lors de l’entretien préalable du 21 janvier 2020 confirme que M. [W] a reconnu lors de cet entretien ne plus avoir de points sur son permis de conduire.

73. Il ressort des éléments du dossier que M. [W] n’a pas informé en temps utile son employeur de l’annulation de son permis de conduire, alors pourtant qu’il conduit régulièrement les véhicules de l’entreprise, ce qui lui impose d’informer immédiatement son employeur de toute mesure de restriction ou de suppression de son droit à conduire.

74. La cour observe que c’est seulement à l’occasion de la dispute survenue le 6 janvier 2020 avec M. [B] que M. [W] a brutalement abandonné le volant du camion de l’entreprise en refusant de le conduire « en disant qu’il n’avait plus de points au permis de conduire » (pièce employeur n°12).

75. Ce comportement est particulièrement désinvolte et irresponsable de la part de M. [W]. En agissant ainsi, le salarié conduit la société Menuiserie BM [B] et Fils à l’affecter à des tâches incompatibles avec la situation de son permis de conduire et l’expose à engager sa responsabilité civile et pénale en cas de survenue d’un accident alors qu’il n’était plus titulaire du permis de conduire.

76. Par ailleurs, M. [W] reconnaît dans ses conclusions (page 14) avoir « pu refuser de charger le véhicule d’une partie du matériel, alors que cela n’entrait pas ses fonctions au-delà du fait qu’il remplissait de nombreuses tâches en supplément de celles de menuisier, sans aucun remerciement ».

77. Ce comportement de la part de M. [W] le 6 janvier 2020 constitue un refus fautif de sa part dès lors que fonction de menuisier, notamment dans une très petite entreprise comptant peu d’ouvriers, implique nécessairement de transporter du matériel sur les chantiers et de charger les véhicules de l’entreprise en fonction des besoins du chantier.

78. Il ressort des précédents développements que M. [W] a bien commis les actes d’insubordination et les manquements qui lui ont été reprochés dans la lettre de licenciement du 7 février 2020.

79. Enfin, contrairement à la position soutenue par M. [W] dans ses écritures, sa lettre du 10 avril 2019 demandant une rupture conventionnelle n’explique aucunement que « à compter de cette lettre, les sanctions disciplinaires se sont accumulées contre lui ».

80. En effet, il ressort au contraire des pièces versées au dossier par l’employeur que M. [W] avait déjà été sanctionné :

‘ par avertissement du 4 octobre 2017 pour une semaine entière d’absence injustifiée ;

‘ par avertissement du 20 septembre 2018 pour s’être absenté de son poste de travail le 19 septembre 2018 pendant 40 mn sans motif légitime autre que celui donné à l’employeur « d’être allé prendre un café » (pièce n°5) ;

‘ par avertissement du 31 décembre 2019 pour abandon du chantier le 12 novembre 2019.

81. Les manquements de M. [W] ayant motivé son licenciement, tels que le défaut d’information de l’employeur de la perte de son permis de conduire, ou encore les faits de harcèlement commis sur les lycéens en stage dans l’entreprise, sont particulièrement graves en ce qu’ils sont de nature à engager la responsabilité civile et pénale de la société Menuiserie BM [B] et Fils.

82. De surcroît, ces faits commis du 6 au 8 janvier 2020, après plusieurs avertissements déjà notifiés, démontrent que M. [W] n’a jamais pris conscience de la gravité de son comportement et qu’il a persévéré dans ses agissements en dépit des observations qui lui avaient été faites.

83. La gravité des fautes commises et leur réitération ont rendu impossible le maintien de M. [W] dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

84. En conséquence, le jugement déféré est infirmé en ses dispositions ayant retenu que la faute grave de M. [W] n’était pas établie et ayant condamné la société menuiserie BM [B] et Fils à payer au salarié 7 078 d’indemnité légale de licenciement, 4 438,44 euros d’indemnité de préavis et 443 euros de congés payés afférents. M. [W] est donc débouté de toutes ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail.

IV – Sur la demande reconventionnelle de l’employeur,

85. La société Menuiserie BM [B] et Fils conclut à l’infirmation du jugement déféré ayant rejeté sa demande reconventionnelle de 5 000 euros de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

86. M. [W] ne répond pas à cette demande.

Appréciation de la cour

87. Les faits invoqués par l’employeur au soutien de sa demande relèvent du conflit l’opposant à son salarié dans le cadre de la rupture du contrat de travail. La société Menuiserie BM [B] et Fils évoque une exécution du contrat de travail par son salarié « de parfaite mauvaise foi », « dans le but d’obtenir une rupture conventionnelle » ou encore « l’exercice de pressions mettant en danger les autres salariés ».

88. Ces faits ne sont donc pas susceptibles de matérialiser une faute lourde du salarié ayant causé un dommage à l’employeur devant être indemnisé.

89. Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande reconventionnelle.

V – Sur les demandes accessoires,

90. Le jugement déféré est infirmé en ses dispositions ayant statué sur les dépens et sur les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

91. M. [W] succombe intégralement en appel et doit donc supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

92. L’équité commande en outre de condamner M. [W] à payer à la société Menuiserie BM [B] et Fils une indemnité de 500 euros en première instance et une indemnité de 1 500 euros en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et en matière prud’homale,

Déclare recevables les demandes de M. [M] [W] aux fins d’infirmation du jugement déféré ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf celles :

‘ ayant rejeté la demande d’annulation de l’avertissement du 8 août 2019 ;

‘ ayant rejeté la qualification de faute grave ;

‘ ayant en conséquence condamné la société menuiserie BM [B] et Fils à payer M. [W] les sommes de 7 078 d’indemnité légale de licenciement, 4 438,44 euros d’indemnité de préavis et 443 euros de congés payés afférents ;

‘ ayant statué sur les dépens et octroyé une indemnité de 1 200 euros à M. [M] [W] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmés et y ajoutant,

Annule l’avertissement délivré le 8 août 2019 à M. [M] [W] ;

Rejette la demande de M. [M] [W] aux fins de requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. [M] [W] de ses demandes en paiement de 4 438,44 euros d’indemnité de préavis et 443 euros de congés payés, de 7 078 euros d’indemnité légale de licenciement afférents et de 23 301,81 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Rejette la demande de 10 000 euros de dommages-intérêts de M. [M] [W] en réparation du préjudice distinct subi résultant de la dégradation des conditions de travail et de la violation de sa vie privée ;

Condamne M. [M] [W] à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel ;

Condamne M. [M] [W] à payer à la société somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon