L’Essentiel : M. [O] a été engagé par Techniques chimiques nouvelles en tant qu’opérateur de fabrication en 2007. Le 7 avril 2020, il a été convoqué à un entretien préalable pour un licenciement, effectif le 22 avril, justifié par une faute grave liée à un départ de feu causé par une violation des règles de sécurité. Contestant son licenciement, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes, qui a requalifié le licenciement en cause réelle et sérieuse. En appel, la cour a infirmé cette requalification, concluant qu’il n’était pas prouvé que M. [O] avait enfreint les consignes après une réunion de sécurité.
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Engagement de M. [O]M. [O] a été engagé par la société Techniques chimiques nouvelles en tant qu’opérateur de fabrication à compter du 5 février 2007. Cette société, spécialisée dans la fabrication de produits chimiques, comptait huit salariés au moment de la rupture du contrat de travail, et appliquait la convention collective nationale des industries chimiques. Licenciement pour faute graveLe 7 avril 2020, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un licenciement, qui a été effectif par lettre du 22 avril 2020. Le licenciement a été justifié par des faits de faute grave, notamment l’initiation d’un départ de feu en chauffant un solvant à la flamme directe, en violation des règles de sécurité. Malgré une réunion de rappel des consignes de sécurité, M. [O] a continué à utiliser un brûleur à gaz, ce qui a conduit à des modifications non autorisées de l’installation de gaz. Contestations de M. [O]M. [O] a contesté son licenciement par une requête déposée le 31 mars 2021 auprès du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, demandant la requalification de son licenciement et le paiement de diverses sommes. Par jugement du 26 septembre 2022, le conseil a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et a condamné la société à verser plusieurs indemnités à M. [O]. Appel de M. [O]M. [O] a interjeté appel du jugement le 14 novembre 2022, demandant la confirmation de certaines décisions et la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse. La société Techniques chimiques nouvelles a également interjeté appel, contestant la requalification de son licenciement et demandant la confirmation de la faute grave. Motifs du licenciementLe tribunal a examiné les éléments de preuve concernant les faits reprochés à M. [O]. Il a été établi qu’un départ de feu avait eu lieu lors d’une manipulation, mais la date mentionnée dans la lettre de licenciement était erronée. Les témoignages ont confirmé que M. [O] avait assisté à une réunion de sécurité et que les consignes avaient été rappelées. Cependant, il n’a pas été prouvé qu’il avait continué à enfreindre ces consignes après la réunion. Décision de la courLa cour a infirmé le jugement du conseil de prud’hommes concernant la cause réelle et sérieuse du licenciement, concluant qu’il n’était pas établi que M. [O] avait méconnu les directives de sécurité après la réunion. En revanche, la cour a confirmé les condamnations financières à l’égard de la société, y compris les indemnités de préavis et de licenciement conventionnel, et a accordé une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Obligation de sécurité de l’employeurM. [O] a également invoqué un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, arguant que l’utilisation d’un brûleur à gaz défectueux constituait une négligence. Cependant, la cour a jugé que l’employeur avait pris des mesures pour assurer la sécurité des employés et que les conditions de travail ne justifiaient pas une insalubrité. Dommages-intérêts pour licenciement vexatoireLa demande de M. [O] pour des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire a été rejetée, la cour n’ayant pas trouvé de preuve suffisante pour établir un préjudice distinct de celui déjà réparé par la perte de son emploi. Frais et dépensLa cour a condamné la société Techniques chimiques nouvelles aux dépens de la procédure d’appel et a accordé des indemnités sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour couvrir les frais engagés par M. [O]. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de la faute grave justifiant un licenciement ?La faute grave est définie par l’article L. 1331-1 du Code du travail, qui stipule que « la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. » Il incombe à l’employeur de prouver les faits constitutifs de la faute grave. Cela signifie que l’employeur doit démontrer que les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et d’une gravité suffisante pour justifier son éviction immédiate. Dans le cas de M. [O], le licenciement a été justifié par des faits liés à la sécurité au travail, notamment l’utilisation d’un brûleur à gaz pour chauffer des solvants, malgré des directives contraires. Il est essentiel que les faits soient clairement établis et que le salarié ait eu connaissance des règles de sécurité. Le doute doit bénéficier au salarié, ce qui signifie que si les preuves sont insuffisantes, le licenciement ne peut être considéré comme justifié. Comment se prononce le juge sur la requalification du licenciement ?Le juge du contrat de travail, selon l’article L. 1235-1 du Code du travail, a la possibilité de requalifier un licenciement. Cet article précise que « si le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le juge peut condamner l’employeur à verser au salarié une indemnité. » Dans le cas présent, le conseil de prud’hommes a requalifié le licenciement de M. [O] pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Cependant, la cour d’appel a infirmé cette décision, considérant que les faits reprochés à M. [O] n’étaient pas suffisamment établis pour justifier un licenciement pour faute grave. La requalification du licenciement repose sur l’appréciation des éléments de preuve fournis par les deux parties. Si les éléments présentés par l’employeur ne sont pas convaincants, le juge peut conclure à l’absence de cause réelle et sérieuse. Quelles sont les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?Les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont régies par l’article L. 1235-3 du Code du travail, qui stipule que « le salarié a droit à une indemnité dont le montant est fixé par le juge, en tenant compte de l’ancienneté du salarié, de son âge, de sa situation et de ses chances de retrouver un emploi. » Dans le cas de M. [O], la cour a décidé de lui accorder une indemnité de 16 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tenant compte de son ancienneté de 13 ans et de son salaire mensuel de 2 904,96 euros. Cette indemnité vise à compenser la perte injustifiée de l’emploi et à aider le salarié à faire face aux conséquences financières de son licenciement. Le montant de l’indemnité peut varier en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas. Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de sécurité au travail ?L’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, définie par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. Ces articles stipulent que « l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » L’obligation de sécurité est une obligation de moyen renforcée, ce qui signifie que l’employeur doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour garantir la sécurité de ses employés. En cas de manquement à cette obligation, l’employeur peut être tenu responsable des accidents survenus sur le lieu de travail. Dans le cas de M. [O], bien que l’employeur ait été accusé d’avoir laissé un brûleur à gaz défectueux, la cour a constaté que des mesures avaient été prises pour sensibiliser les employés aux risques et que des formations avaient été dispensées. Cela a conduit à la conclusion que l’employeur avait respecté son obligation de sécurité. Quelles sont les implications des sanctions disciplinaires antérieures dans le cadre d’un licenciement ?L’article L. 1332-5 du Code du travail précise que « les sanctions disciplinaires doivent être proportionnées à la faute commise et ne peuvent être infligées que si elles sont justifiées par des faits précis. » Dans le cadre d’un licenciement, les sanctions disciplinaires antérieures peuvent être prises en compte pour établir un motif de licenciement. Cependant, ces sanctions doivent être clairement énoncées et justifiées. Dans le cas de M. [O], l’employeur a invoqué des sanctions antérieures pour justifier le licenciement. Toutefois, la cour a noté que ces sanctions n’étaient pas nécessairement liées aux faits reprochés dans le cadre du licenciement pour faute grave. Cela souligne l’importance de la clarté et de la pertinence des sanctions antérieures dans le cadre d’une procédure de licenciement. |
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 JANVIER 2025
N° RG 22/03408
N° Portalis DBV3-V-B7G-VQN6
AFFAIRE :
[G] [D] [O]
C/
Société TECHNIQUES CHIMIQUES NOUVELLES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 septembre 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-
BILLANCOURT
Section : I
N° RG : F 21/00389
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Serena PACELLI
Me Dan ZERHAT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [G] [D] [O]
né le 21 juin 1982
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Serena PACELLI, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 165
Plaidant : Me Kevin LADOUCEUR de l’AARPI LCMB & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
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Société TECHNIQUES CHIMIQUES NOUVELLES (TCN)
N° SIRET : 632 015 111
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentant: Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d’Avocats, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 73
Plaidant : Me Emmanuel DOUBLET de l’AARPI ACTE V AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 274
INTIMÉE
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 novembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
M. [O] a été engagé par la société Techniques chimiques nouvelles, en qualité d’opérateur de fabrication, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 5 février 2007.
Cette société est spécialisée dans la fabrication de produits chimiques. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de huit salariés. Elle applique la convention collective nationale des industries chimiques.
Par lettre du 7 avril 2020, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 17 avril 2020.
M. [O] a été licencié par lettre du 22 avril 2020 pour faute grave dans les termes suivant : « (‘) Le 27 février 2020, vous avez initié un départ de feu en chauffant un solvant sur un brûleur à gaz, feu qui a été immédiatement maîtrisé par l’équipe.
Chauffer un solvant à la flamme directe est contraire à nos règles élémentaires de sécurité.
Dés le 28 février 2020, j’ai réuni toute l’équipe et ai pris le temps de rappeler les consignes de sécurité de base.
Nous avons conclu cette réunion en rappelant qu’il ne fallait en aucun cas chauffer un solvant ou un tension-actif à la flamme. Nos équipements, constitués d’étuve et de thermoplongeurs faits sur mesure, permettent la réalisation sécurisée de nos produits.
Le 6 mars 2020, malgré cette réunion et ces rappels, vous avez réitéré la même opération et avez fait chauffer un tension-actif, en prenant ainsi le risque d’être à l’origine d’un nouveau départ de feu.
Ainsi, dès le 7 mars 2020, j’ai pris le soin de remplacer le petit brûleur à gaz par une plaque électrique.
Contre toute attente le 9 mars 2020 vous avez pris l’initiative d’intervenir sur l’installation de gaz pour réinstaller le brûleur à gaz, en catimini et sans autorisation de ma part.
Vous avez sectionné un tuyau souple de gaz que vous avez bouché grossièrement avec de la paraffine pour vous brancher à une autre arrivée de gaz.
Ainsi, le 06 mars 2020 vous n’avez nullement tenu compte des règles de sécurité que nous avions pris soin de rappeler le 28 février 2020.
Cette faute a été accompagnée d’une deuxième faute tout aussi grave, puisque vous avez sans aucune autorisation ni compétence modifié l’installation de gaz de la société.
Ces faits mettent en cause la bonne marche de l’entreprise et sont constitutifs d’une faute grave.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date d’envoi de la présente lettre (…) ».
Par lettre du 4 mai 2020, M. [O] a sollicité des précisions sur les motifs de licenciement et, par lettre du 18 mai 2020, la société a indiqué qu’il n’y avait pas lieu d’apporter de précision supplémentaire.
Par requête du 31 mars 2021, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de contester son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 26 septembre 2022, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section industrie) a :
. requalifié le licenciement pour faute grave de M. [O] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse
. fixé la créance de M. [O] aux sommes suivantes et condamné la Sarl Techniques chimiques nouvelles en la personne de son représentant légal à verser à M. [O] les sommes suivantes :
. 5 809, 92 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
rappelé que l’exécution provisoire est de droit pour les salaires et accessoires de salaire
. 11 329, 34 euros brut à titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement
. 950 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
. débouté M. [O] de toutes les demandes plus amples ou contraires
. débouté la Sarl techniques chimiques nouvelles de toutes les demandes plus amples ou contraires
. fixé en application de l’article R 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [O] à la somme de 2 904, 96 euros
. dit qu’il n’y a lieu à exécution provisoire
. dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le présent jugement et en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société défenderesse.
Par déclaration adressée au greffe le 14 novembre 2022, M. [O] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 12 novembre 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [O] demande à la cour de :
. Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 26 septembre 2022 en ce qu’il a jugé que les faits invoqués par la SARL Techniques Chimiques Nouvelles (TCN) dans la lettre de licenciement ne sont pas constitutifs d’une faute grave ;
. Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 26 septembre 2022 en ce qu’il a fixé le salaire de référence mensuel de M. [O] à 2 904,96 euros ;
. Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 26 septembre 2022 en ce qu’il a condamné la SARL Techniques Chimiques Nouvelles (TCN) à payer à M. [O] la somme de 5 809,92 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (2 mois) ;
. Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 26 septembre 2022 en ce qu’il a condamné la SARL Techniques Chimiques Nouvelles (TCN) à payer à M. [O] la somme de 11 329,34 euros brut au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;
. Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 26 septembre 2022 en ce qu’il a : requalifié le licenciement pour faute grave de M. [O] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse et a débouté M. [O] de toutes les demandes plus amples ou contraires,
Et statuant à nouveau,
. Requalifier le licenciement de M. [O] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. Rejeter l’appel incident de la SARL Techniques Chimiques Nouvelles (TCN) ;
. Débouter la SARL Techniques Chimiques Nouvelles (TCN) de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
. Condamner la SARL Techniques Chimiques Nouvelles (TCN) à verser à M. [O] les sommes suivantes :
. indemnité compensatrice de préavis (2 mois) : 5 809,92 euros
. indemnité conventionnelle de licenciement : 11 329,34 euros
. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (15 mois) 43 574,40 euros
. dommage et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité par l’employeur (3 mois) : 8 714,88 euros
. dommage et intérêts pour rupture brutale et vexatoire (3 mois) 8 714,88 euros
. indemnité pour insuffisance des motifs dans la lettre de licenciement : 2 904,96 euros
. frais non compris dans les dépens (art. 700 CPC) 6 000 euros
. Condamner la SARL Techniques Chimiques Nouvelles (TCN) aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société techniques chimiques nouvelles demande à la cour de :
. Infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :
. Requalifié le licenciement pour faute grave de M. [O] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
. Fixé la créance de M. [O] aux sommes suivantes et condamné la SARL Techniques chimiques nouvelles (TCN) en la personne de son représentant légal à verser à M. [O] les sommes suivantes:
. 5 809,92 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (2 mois),
. 11 392,34 euros bruts à titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
. 950 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
. Débouté la société TCN de toutes les demandes plus amples ou contraires
Et statuant à nouveau il est demandé à la Cour de :
. Juger que M. [O] a commis une faute grave
. Juger que le licenciement pour faute grave de M. [O] est justifié
. Débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes
. Condamner M. [O] à verser 4 000 euros à la société TCN au titre de l’article 700 du code de procédure civile
. Condamner M. [O] aux entiers dépens
Sur le licenciement
Le salarié expose d’abord que la lettre de licenciement vise avec imprécision de précédentes sanctions qui, d’ailleurs, sont pour certaines sans rapport avec un non-respect des règles de sécurité ou, pour d’autres, insuffisamment motivées et, d’autre part, ne peuvent être invoquées en application de l’article L. 1332-5 du code du travail.
Il soutient ensuite que la photographie prise à son insu n’est pas probante en ce qu’elle ne montre pas que, comme le prétend à tort l’employeur, il fumait.
Il fait enfin valoir que les faits qui lui sont imputés ne sont pas établis et en particulier, qu’il n’y a eu aucun départ de feu le 27 février 2020, que les solvants et les tensio-actifs ont toujours été chauffés avec des brûleurs à gaz, qu’aucune procédure de fabrication et aucune règle de sécurité n’a été portée à sa connaissance, qu’il n’y a eu aucune réunion destinée à attirer l’attention sur l’interdiction de chauffer des solvants à la flamme et qu’il n’y a eu aucun remplacement de brûleur à gaz.
En réplique, l’employeur conclut à l’existence de sanctions disciplinaires antérieures définitives et notamment la dernière du 10 avril 2019 qui lui reprochait déjà de négliger les procédures de fabrication. Il soutient en outre que le licenciement pour faute grave est justifié par la nature des faits reprochés au salarié et que ces faits sont établis.
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La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l’employeur et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d’une gravité suffisante pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.
En l’espèce, le salarié a été licencié pour faute grave le 22 avril 2020 pour avoir persisté à utiliser un brûleur à gaz pour chauffer des solvants en dépit des directives contraires qui lui avaient été données par l’employeur.
Il est établi par les témoignages produits par ce dernier qu’un départ de feu a bien eu lieu lors d’une manipulation effectuée par le salarié. Elle est datée du 26 février 2020 (cf. attestation de M. [F]) et non du 27 février 2020 comme indiqué par erreur dans la lettre de licenciement. En effet, selon l’attestation précise et circonstanciée de M. [S] : « le jour de l’incendie, une odeur de souffre caractéristique de la combustion du DHSO a contraint l’équipe entière à sortir du bâtiment. La chauffe d’un solvant était décrite par les fiches de procédure ; l’utilisation de la flamme était totalement proscrite. Ce même jour, j’ai envoyé un message WhatsApp à une connaissance faisant état d’un début d’incendie initié par un collaborateur qui m’avait incommodé. Ce message est daté en date du 26/02/2020 à 19h09 (‘) ».
L’erreur de date contenue dans la lettre de licenciement ne prête toutefois pas à conséquence dès lors qu’il ressort des témoignages produits qu’un départ de feu a bien eu lieu. D’ailleurs, si M. [O] ne reconnaît pas l’existence d’un « incendie », il reconnaît à tout le moins ce qu’il présente comme « une flamme qui est survenue lorsqu'[il] a réchauffé du solvant Denzel ».
Les parties sont en discussion sur les mesures prises par la direction pour que ce type d’accident ne se reproduise plus et notamment sur la réalité d’une réunion du 28 février 2020.
A cet égard l’employeur produit un compte-rendu de réunion du 28 février 2020 à laquelle étaient présents plusieurs salariés qui y sont mentionnés par les initiales de leurs nom et prénom. La cour relève qu’étaient présents les salariés « [V] » et « [E] », ces dernières initiales correspondant à celles de l’appelant. Le compte-rendu mentionne un « récipient de solvant DMSEL » qui s’est renversé « lors de sa chauffe sur le petit brûleur ». La proximité entre cette réunion et l’incendie du 27 février 2020 accrédite le fait que ces deux événements sont liés et donc, que la réunion s’est tenue parce qu’un incident s’était produit l’avant-veille.
Cette proximité accrédite aussi le fait qu’« [E] » est bien le salarié même si, comme il l’indique dans ses écritures, il n’a pas signé le procès-verbal de réunion. D’ailleurs, la sensibilisation des salariés faite le 28 février 2020 est confirmée par M. [K] [B] dans l’attestation qu’il a rédigée en faveur de M. [O], puisqu’il y indique : « le 28 février 2020, l’employeur nous a demandé de faire davantage attention lors de l’utilisation des brûleurs à gaz » (pièce 4 du salarié), étant précisé que le compte-rendu de réunion du 28 février 2020 mentionne les initiales « [L] » comme l’un des salariés qui y étaient présents.
Enfin, du constat d’huissier du 17 septembre 2021 il ressort que le document produit par l’employeur sous sa pièce 11 a été édité le 28 février 2020.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il est établi que le compte-rendu de la réunion du 28 février 2020 produit par l’employeur sous sa pièce 11 a bien été édité le 28 février 2020 et que le salarié était présent à cette réunion. Au surplus, il ressort de l’attestation de M. [U] qu’un « compte-rendu affiché (‘) rappelait les moyens de chauffe que nous devions utiliser » (pièce 33 de l’employeur).
Or, il ressort du compte-rendu de la réunion du 28 février 2020 qu’« on ne chauffe jamais un solvant ou tensio-actif à la flamme. On sécurise la chauffe des cires en se mettant une sonnerie d’alerte ».
Néanmoins, la lettre de licenciement reproche au salarié d’une part d’avoir continué à utiliser un brûleur à gaz pour chauffer des solvants ou des tensio-actifs et, d’autre part, d’avoir modifié l’installation du gaz.
Or, selon l’attestation de M. [B] « Bien que le 6 mars 2020, [le salarié] a uniquement chauffé de l’eau, les autres jours et ce depuis mon entrée dans l’entreprise, tous les opérateurs de fabrication ont toujours chauffé du solvant (ex. DEMZEL) et tensio-actif (ex. DUOMEN) à la flamme directe en utilisant des brûleurs à gaz. ».
L’employeur ne produit pour sa part aucun élément de nature à montrer que le 6 mars 2020, le salarié aurait, à l’aide d’un brûleur à gaz, fait chauffer directement un produit tensio-actif.
Dès lors, il n’est pas établi que le 6 mars 2020, le salarié ait fait chauffer un solvant ou un produit tensio-actif à la flamme.
En outre, en ce qui concerne la modification, par le salarié, de l’installation du gaz, l’attestation précise du même M. [B] mentionne : « Le 9 mars 2020, nous avons prévenu notre responsable de fabrication de la défectuosité du brûleur à gaz qui était branché et qui provoquait un genre d’explosion lorsqu’on l’allume et l’éteint. [le salarié] a indiqué à notre responsable de fabrication qu’il allait enlever le brûleur à gaz défectueux pour le remplacer par un autre en bon état. Le responsable nous a simplement donné son accord comme d’habitude. De plus, en l’absence de bouchon pour fermer la sortie de gaz en aval du robinet d’ouverture ou de fermeture, pour plus de sécurité, [le salarié] a mis un bouchon en cire en aval du robinet. ».
Par conséquent, il est établi que le 9 mars 2020, le salarié a effectivement installé un nouveau brûleur à gaz et qu’il a réalisé pour ce faire un branchement de fortune. Mais contrairement aux reproches qui lui sont faits dans la lettre de licenciement, le salarié n’a pas pris cette initiative « Contre toute attente » ni en « catimini et sans autorisation de ma part ». Au contraire, il est établi par l’attestation précise de M. [B] que le salarié avait pris soin de demander préalablement une autorisation à son supérieur hiérarchique, lequel la lui a donnée.
Ainsi et en synthèse, si, par suite d’un départ de flamme en date du 26 février 2020, l’employeur a entendu modifier le procédé de chauffe des solvants et tensio-actifs à l’occasion d’une réunion du 28 février 2020 à laquelle le salarié a été présent, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas démontré que postérieurement au 28 février 2020 le salarié aurait méconnu les directives relatives à la chauffe de ces produits et il n’est pas non plus établi que l’installation, par le salarié, d’un nouveau brûleur à gaz a été effectuée par ce dernier sans l’autorisation préalable de sa hiérarchie.
Par conséquent, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera de ce chef infirmé.
Il sera en revanche confirmé :
. en ce qu’il condamne l’employeur à payer au salarié les sommes suivantes qui ne sont pas, en leur quantum, contestées soit :
. 5 809, 92 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
. 11 329, 34 euros brut à titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
. en ce qu’il déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour insuffisance des motifs de la lettre de licenciement, les motifs ayant été clairement mentionnés, même s’ils n’ont pas été retenus par la cour.
Le salarié peut en outre prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au visa de l’article L. 1235-3 du code du travail qui, compte tenu de l’ancienneté du salarié (13 années complètes) est comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire brut.
Le salarié demande d’écarter ce texte, expliquant qu’il est contraire aux articles 24 de la Charte sociale européenne et 4 et 10 de la convention n°158 de l’OIT.
Néanmoins, les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n°21-14.490, publié), les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n°21-15.247, publié).
Compte tenu de l’ancienneté du salarié, de son niveau de rémunération (2 904,96 euros bruts mensuels), de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à son âge lors du licenciement (38 ans), à son expérience professionnelle, au fait qu’il ne justifie ni de sa situation actuelle, ni des allocations qu’il a perçues pendant sa période de chômage, ni de ses recherches d’emploi, le préjudice qui résulte, pour lui, de la perte injustifiée de son emploi sera réparé par une indemnité de 16 000 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d’infirmation, l’employeur sera condamné.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l’obligation de sécurité
Le salarié voit dans l’obligation de sécurité de l’employeur une obligation de résultat. Il expose que le simple fait d’avoir laissé à la disposition des salariés un brûleur à gaz défectueux caractérise le manquement de l’employeur. Il invoque aussi l’insalubrité de son environnement de travail en présentant des photographies de son lieu de travail.
En réplique, l’employeur conteste tout manquement à son obligation de sécurité.
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En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
En application des dispositions de ces articles la chambre sociale fait peser sur l’employeur une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, dont il lui revient d’assurer l’effectivité ; il ne peut prendre aucune mesure qui aurait pour objet ou pour effet de compromettre la santé ou la sécurité des salariés (Soc., 28 février 2006, n°05-41.555, Bull.n°87 ; Soc., 5 mars 2008, n°06-45.888, Bull. n°46).
En l’espèce, il ressort des débats que le 9 mars 2020, un brûleur à gaz présentait une défectuosité. Néanmoins, la cour observe que le salarié a pu le remplacer lui-même par un brûleur non défectueux et qu’il disposait des moyens nécessaires à la réinstallation d’un nouveau brûleur.
Au surplus, l’attention des salariés avait été attirée sur le fait qu’était proscrite l’utilisation de brûleurs à gaz pour chauffer des solvants et des tensio-actifs.
Quant aux locaux, les photographies produites par le salarié (pièce 11) ne caractérisent ni l’insalubrité alléguée ni en quoi ils compromettraient sa sécurité.
L’employeur s’est par ailleurs assuré de l’effectivité de la protection de la santé et de la sécurité de M. [O] en prenant, dès le 28 février 2020 après l’incident du 26, des mesures propres à définir des moyens de chauffe plus sûrs, en s’assurant du suivi régulier du salarié par le médecin du travail (pièce 23 de l’employeur : visites médicales du salarié entre 2012 et 2019), et en assurant au salarié des formations en matière de sécurité et d’incendie.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il déboute le salarié de ce chef de demande.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
Ainsi qu’en a jugé le conseil de prud’hommes le salarié ne caractérise pas le caractère vexatoire de son licenciement et ne justifie pas de son préjudice, la cour ajoutant qu’il ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui déjà réparé par la perte injustifiée de son emploi.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il déboute le salarié de ce chef de demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de la procédure d’appel. Le jugement sera confirmé en ce qu’il met les dépens de première instance à la charge de l’employeur.
Il conviendra de confirmer le jugement en ce qu’il condamne l’employeur à payer au salarié une indemnité de 950 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner l’employeur à payer au salarié une indemnité de 3 050 euros sur ce même fondement au titre des frais engagés en appel.
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
INFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et déboute M. [O] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [O],
CONDAMNE la société Techniques chimiques nouvelles à payer à M. [O] la somme de 16 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Techniques chimiques nouvelles à payer à M. [O] la somme de 3 050 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Techniques chimiques nouvelles aux dépens de la procédure d’appel.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Aurélie Prache, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
» » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » »’
La Greffière La Présidente
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