Licenciement contesté pour faute grave : évaluation des responsabilités et des conditions de travail.

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Licenciement contesté pour faute grave : évaluation des responsabilités et des conditions de travail.

Sur l’exécution du contrat de travail

L’article L 1222-1 du Code du travail impose que le contrat de travail soit exécuté de bonne foi. Cette obligation de loyauté implique que l’employeur doit respecter les termes du contrat, notamment en ce qui concerne la classification et la rémunération des salariés. En vertu de l’article L 3123-9 du même code, les heures complémentaires ne peuvent pas porter la durée du travail d’un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail, ce qui signifie qu’un salarié à temps partiel qui effectue des heures correspondant à la durée légale doit voir son contrat requalifié en temps plein.

Dans le cas présent, il a été établi que Mme [B] [I] a été maintenue sous un contrat à temps partiel alors qu’elle a régulièrement travaillé à temps plein, ce qui constitue une violation de l’obligation de loyauté de l’employeur. Cette situation a causé un préjudice à la salariée, justifiant ainsi une demande de rappel de salaire.

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave, selon l’article L 1234-1 du Code du travail, est définie comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur a la charge de prouver la réalité des faits reprochés et leur gravité, conformément aux articles L 1232-1 et L 1232-6 du même code.

Dans cette affaire, la lettre de licenciement énumère plusieurs griefs, mais il incombe à l’employeur de démontrer que ces faits constituent une violation suffisamment grave pour justifier un licenciement. Le juge doit apprécier la gravité des faits en tenant compte des circonstances de l’espèce, y compris la nature des agissements, le niveau de responsabilité du salarié et les conséquences pour l’employeur.

Sur l’obligation de sécurité de l’employeur

L’article L 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cela inclut des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation, ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur doit également établir un document unique d’évaluation des risques professionnels, qui doit être régulièrement mis à jour.

Dans le cas présent, il a été contesté que l’employeur ait respecté cette obligation, notamment en ce qui concerne la transmission d’un bilan d’exposition aux risques. Toutefois, il a été établi que l’employeur avait mis en place un document unique d’évaluation des risques, ce qui répond à ses obligations légales.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral

L’article 1147 du Code civil stipule que le débiteur d’une obligation est tenu de réparer le préjudice causé par son inexécution. Dans le cadre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut demander des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi. La jurisprudence a établi que le préjudice moral peut être évalué en fonction des circonstances de l’affaire, y compris le comportement de l’employeur et les conséquences du licenciement sur la vie personnelle et professionnelle du salarié.

Dans cette affaire, le tribunal a reconnu que le licenciement de Mme [B] [I] était sans cause réelle et sérieuse, ce qui ouvre droit à des dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur les intérêts des sommes dues

L’article 1153 du Code civil prévoit que les créances de nature salariale portent intérêt au taux légal à compter de leur exigibilité. Cela signifie que les sommes dues au salarié, qu’il s’agisse de rappels de salaire, d’indemnités ou de dommages et intérêts, doivent être assorties d’intérêts à compter de la date à laquelle elles auraient dû être versées. Cette règle vise à compenser le préjudice financier subi par le salarié en raison du retard dans le paiement des sommes dues.

L’Essentiel : L’article L 1222-1 du Code du travail impose que le contrat de travail soit exécuté de bonne foi. L’employeur doit respecter les termes du contrat, notamment en ce qui concerne la classification et la rémunération des salariés. Mme [B] [I] a été maintenue sous un contrat à temps partiel alors qu’elle a régulièrement travaillé à temps plein, ce qui constitue une violation de l’obligation de loyauté de l’employeur, justifiant ainsi une demande de rappel de salaire.
Résumé de l’affaire : Dans cette affaire, une salariée, employée par la SASU AD3 en tant que lingère, a été licenciée pour faute grave. Son contrat de travail a évolué d’un CDD à un CDI, avec plusieurs avenants, jusqu’à sa nomination en tant que responsable de la blanchisserie en juin 2020. En décembre 2022, un contrôle a révélé qu’une seule lingère était présente au lieu de quatre, ce qui a conduit à une convocation pour un entretien préalable au licenciement. Le licenciement a été prononcé le 27 décembre 2022.

La salariée a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, demandant des sommes à caractère salarial et indemnitaire. Le jugement du 27 février 2024 a partiellement donné raison à la salariée, déclarant le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnant la SASU AD3 à verser plusieurs sommes, y compris des rappels de salaire et des dommages-intérêts. La SASU AD3 a fait appel de cette décision.

Dans ses conclusions, la SASU AD3 a demandé l’infirmation du jugement, contestant notamment le coefficient de classification de la salariée et la légitimité du licenciement. La salariée, de son côté, a demandé la confirmation du jugement initial, soutenant que son licenciement était injustifié et que les sommes réclamées étaient dues.

Le tribunal a examiné les griefs invoqués par la SASU AD3, notamment des modifications non autorisées des horaires de travail et des absences injustifiées. Cependant, plusieurs de ces griefs n’ont pas été retenus, tandis que d’autres ont été jugés fondés. En conséquence, le tribunal a confirmé certains aspects du jugement initial tout en infirmant d’autres, notamment en ce qui concerne les demandes de dommages-intérêts pour non-transmission d’un bilan d’exposition aux risques, jugé inexistant. La décision finale a abouti à une condamnation de la SASU AD3 à verser des sommes à la salariée, tout en déboutant certaines de ses demandes.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique du licenciement pour faute grave ?

Le licenciement pour faute grave repose sur des dispositions précises du Code du travail, notamment les articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1.

Ces articles stipulent que l’employeur doit établir l’exactitude des faits reprochés au salarié dans la lettre de licenciement et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Le juge doit apprécier la gravité des faits en tenant compte des circonstances de l’espèce, de la nature des agissements, de leur caractère éventuellement répété, des fonctions exercées par le salarié, de son ancienneté, de son niveau de responsabilité, ainsi que des conséquences des agissements pour l’employeur ou les autres salariés.

Ainsi, la lettre de licenciement doit clairement énoncer les griefs, et l’employeur doit prouver que ces griefs justifient la rupture du contrat de travail.

Quel est le rôle de la convention collective dans la détermination du coefficient de classification ?

La convention collective applicable, en l’occurrence celle de la blanchisserie, joue un rôle crucial dans la détermination du coefficient de classification des salariés.

Selon les dispositions de cette convention, les coefficients 5.1 et 5.2 sont définis comme suit :

– Coefficient 5.1 : l’emploi ne requiert pas de responsabilité permanente sur des salariés.
– Coefficient 5.2 : l’emploi requiert animation et responsabilité sur des salariés maîtrisant la mise en œuvre d’opérations diverses d’une même activité.

Dans le cas présent, il a été établi que la salariée exerçait des responsabilités correspondant au coefficient 5.2, notamment en encadrant une équipe de lingères et en participant à des tâches de gestion.

La reconnaissance de ces responsabilités par l’employeur, ainsi que les éléments de preuve fournis par la salariée, justifient l’application du coefficient 5.2.

Quel est le cadre légal concernant les heures complémentaires pour un salarié à temps partiel ?

Le cadre légal concernant les heures complémentaires pour un salarié à temps partiel est défini par l’article L 3123-9 du Code du travail.

Cet article stipule que les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail.

Ainsi, si un salarié à temps partiel effectue des heures correspondant à la durée légale du travail, le contrat doit être requalifié à temps plein, même si l’avenant a un caractère temporaire.

Dans le cas présent, il a été constaté que la salariée avait été maintenue sous le régime du temps partiel alors qu’elle avait effectué des heures correspondant à la durée légale, ce qui constitue une violation des dispositions précitées.

Quel est le principe de l’obligation de sécurité de l’employeur ?

L’obligation de sécurité de l’employeur est énoncée dans l’article L 4121-1 du Code du travail.

Cet article impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur doit également veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Dans cette affaire, la salariée a invoqué des manquements à cette obligation, mais l’employeur a démontré qu’un document unique d’évaluation des risques professionnels était établi et régulièrement mis à jour, ce qui a conduit à l’infirmation de certaines demandes de dommages et intérêts.

Quel est le régime des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

Le régime des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est régi par l’article L 1235-2 du Code du travail.

Cet article prévoit que le juge peut condamner l’employeur à verser au salarié une indemnité dont le montant est fixé en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise, sans pouvoir être inférieur à six mois de salaire.

Dans le cas présent, la cour a confirmé que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, ce qui a conduit à l’octroi de dommages et intérêts pour préjudice financier, conformément aux dispositions légales en vigueur.

Les montants alloués tiennent compte de l’impact du licenciement sur la situation financière de la salariée, ainsi que des préjudices moraux subis.

Arrêt n° 155

du 20/03/2025

N° RG 24/00451 – N° Portalis DBVQ-V-B7I-FO3E

OJ/ACH

Formule exécutoire le :

20/03/2025

à :

[Z]

[J]

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 20 mars 2025

APPELANTE :

d’une décision rendue le 27 février 2024 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TROYES, section COMMERCE (n° F 23/00093)

S.A.S. AD3

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Pauline BLANDIN, avocate au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Madame [B] [Y] épouse [I]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par M. [W] [J] (Délégué syndical ouvrier)

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 janvier 2025, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. François MELIN, Président, et Monsieur Olivier JULIEN, Conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 20 mars 2025.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

M. François MELIN, président

Madame Isabelle FALEUR, conseillère

Monsieur Olivier JULIEN, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par M. François MELIN, président, et Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Exposé du litige

Mme [B] [I] a été embauchée par la SASU AD3 à temps plein selon un contrat à durée déterminée du 24 mars 2017 pour une durée de trois mois en qualité de lingère en étant affectée au site « [6] » à [Localité 7].

Selon un contrat à durée indéterminée en date du 26 juin 2017, elle a été employée par la SASU AD3 en qualité de lingère catégorie 3 à hauteur de 15 heures par semaine.

De juillet 2017 à avril 2020, vingt avenants au contrat de travail du 26 juin 2017 ont été établis, Mme [B] [I] étant employée à temps plein à compter du 1er avril 2020 selon le dernier de ces avenants.

A compter du 1er juin 2020, Mme [B] [I] a été nommée responsable de la blanchisserie dans l’établissement [6] à [Localité 7].

Le 1er décembre 2022, le chef de secteur, M. [G] [N], constate la présence d’une seule lingère au lieu de quatre.

Le 9 décembre 2022, Mme [B] [I] est convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 21 suivant et mise à pied à titre conservatoire.

Mme [B] [I] a été licenciée pour faute grave le 27 décembre 2022.

Le 14 avril 2023, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Troyes aux fins de contester le licenciement et d’obtenir des sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Par jugement en date du 27 février 2024, le conseil de prud’hommes a :

– déclaré Mme [B] [Y] épouse [I] recevable et partiellement fondée en ses demandes ;

– pris acte de ce que la Société AD3 a régularisé la situation de Mme [B] [Y] épouse [I] au regard du maintien de salaire pendant le Covid, du rappel de jours de congés payés d’octobre 2022 et du rappel des jours de fractionnement ;

– dit que le coefficient applicable à Mme [B] [Y] épouse [I] est 5.2 de la convention collective Blanchisserie ;

– dit que le licenciement pour faute grave de Mme [B] [Y] épouse [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– condamné la société SASU AD3 à verser à Mme [B] [Y] épouse [I] les sommes suivantes :

– 6 578,64 euros bruts a titre de rappel de salaire avec coefficient 5,2,

– 657,86 euros bruts a titre de congés payés afférents,

– 352,83 euros bruts à titre de congés payés période de 2021 à 2022,

– 986,16 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire,

– 98,62 euros bruts à titre de congés payés afférents,

– 3 783,42 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 378,34 euros bruts à titre de congés payés afférents,

– 2 804,46 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 11 351,40 euros a titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 5 675,10 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

– 2 837,55 euros au titre de la non transmission du bilan d’exposition au risque,

– dit que ces sommes porteront intérêt aux taux légal à partir de chaque échéance exigible sur les sommes à caractère salarial et à partir du prononcé du présent jugement sur les sommes à caractère indemnitaire ;

– ordonné à la société AD3 de remettre à Mme [B] [Y] épouse [I] le certificat de travail rectifié, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 21ème jour suivant la notification de la présente décision, astreinte que le Conseil se réserve le droit de liquider ;

– ordonné à la société AD3 de remettre à Mme [B] [Y] épouse [I] son bilan d’exposition aux risques sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 21ème jour suivant la notification de la présente décision, astreinte que le Conseil se réserve le droit de liquider ;

– condamné la société SASU AD3 à verser à Mme [B] [Y] épouse [I] la somme de 1 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté Mme [B] [Y] épouse [I] du surplus de ses demandes;

– débouté la société AD3 de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné le remboursement par la Société AD3 à France Travail des indemnités chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

– condamné la société SASU AD3 aux entiers dépens, ainsi qu’aux éventuels frais d’exécution forcée par voie de commissaire de justice.

La SASU AD3 a formé appel le 19 mars 2024.

Au terme de ses dernières conclusions, déposées au greffe le 8 novembre 2024, la SASU AD3 demande à la cour de :

– INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Troyes le 27 février 2024 en ce qu’il a :

– DIT que le coefficient applicable à Mme [I] est 5.2 de la convention collective de la Blanchisserie ;

– DIT que le licenciement pour faute grave de Mme [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– CONDAMNE la société AD3 à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

* 6.578,64 euros à titre de rappel de salaire avec le coefficient 5-2,

* 657,86 euros à titre des congés payés afférents,

* 352,83 euros à titre des congés payés période de 2021 à 2022,

* 986,16 euros à titre de rappels de salaire,

* 98,62 euros à titre des congés payés afférents,

* 3783, 42 euros à titre d’indemnité de préavis,

* 378,34 euros à titre des congés payés afférents,

* 2804,46 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

* 11.351,40 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5.675,10 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral,

* 2.837,55 euros à titre de la non transmission du bilan d’exposition aux risques,

* 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– DIT que les sommes porteront intérêt au taux légal ;

– ORDONNE sous astreinte à liquider la remise du certificat travail conformes au jugement ;

– ORDONNE sous astreinte à liquider la remise du bilan d’exposition aux risques ;

– ORDONNE le remboursement par la société AD3 à France Travail des indemnités de chômage versées à Mme [I] à concurrence de six mois ;

– ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile ;

– CONDAMNE la société AD3 aux dépens y compris les frais éventuels d’exécution de la présente décision ;

Statuant à nouveau,

– DEBOUTER Mme [I] de l’ensemble de ses demandes ;

– CONDAMNER Mme [I] à lui payer une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 CPC ;

– CONDAMNER Mme [I] aux entiers dépens.

Au terme de ses dernières conclusions, notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception et déposées au greffe le 10 décembre 2024, Mme [B] [I] demande à la cour de :

– la DÉCLARER recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;

– DÉCLARER que les sommes demandées par la salariée sont dues ;

– DÉCLARER la Société AD3 mal fondée en ses demandes ;

– DÉBOUTER la Société AD3 de l’ensemble de ses demandes ;

– DÉBOUTER la Société AD3 de sa demande de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Troyes du 27 février 2024 en ce qu’il a :

– confirmé le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné l’employeur à lui verser la somme de 11 350,26 euros au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné l’employeur à lui verser la somme de 2 804,46 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;

– condamné l’employeur à lui verser la somme de 3 783,42 euros au titre de l’indemnité compensatoire de préavis (2 mois) ainsi que la somme de 378,3 euros au titre des 10 % de congés payés s’y afférent ;

– confirmé l’annulation de la mise à pied conservatoire ;

– ordonné le remboursement de la mise à pied conservatoire à hauteur de 986,16 euros et 10 % de congés payés afférents, soit 98,62 euros ;

– condamné l’employeur à lui verser la somme de : 213,24 + 139,59 soit 352,83 euros au titre de rappel de paiement des congés payés à 10 % de 2021 à 2022 ;

– confirmé que le coefficient 5,2 doit s’appliquer à sa fonction et de condamner l’employeur à lui verser la somme de 6 578,64 euros au titre de rappel de salaire ainsi que la somme de 657,86 euros au titre de 10 % de congés payés s’y afférent ;

– confirmé la remise de son bilan d’exposition aux risques sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 21ème jour suivant la notification de la décision, astreinte que le conseil des prud’hommes se réserve le droit de liquider ;

– condamné l’employeur à lui verser la somme de 2 837,55 euros au titre de non transmission de son bilan d’exposition aux risques ;

– condamné l’employeur à lui verser la somme de 5 675,10 euros (3 mois de salaire) au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

– condamné l’employeur à un article 700 à la hauteur de 1 000 euros ;

– INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a déboutée des demandes suivantes et statuer à nouveau :

– CONFIRMER qu’il y a bien manquement sur les conditions de travail et règles de sécurité ;

– CONDAMNER l’employeur à lui verser les sommes de :

* 2 837,55 euros au titre de non-respect des conditions de travail (ce qui correspond à la demande initiale de 5 675,10 euros dont la somme de 2 837,55 euros attribuée pour la non transmission du bilan d’exposition aux risques) ;

* 3 783,40 euros (2 mois de salaire) au titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;

* 1 891,70 euros (1 mois de salaire) au titre de défaut de procédure à l’entretien préalable ;

* 11 350,20 euros (6 mois de salaire) au titre de dommages-intérêts pour préjudice financier ;

– CONDAMNER l’employeur à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– DÉCLARER que toutes ces sommes porteront intérêts au taux légal en vertu de l’article 1153 du code civil ;

– DÉCLARER que les éventuels dépens, y compris les frais et honoraires de l’huissier de justice éventuellement chargé de procéder à l’exécution forcée du jugement, seront à la charge de AD3.

Motifs de la décision

I – Sur l’exécution du contrat de travail

1) Sur la classification conventionnelle et la demande de rappel de salaire afférente:

La SASU AD3 indique que la rémunération de Mme [B] [I] était composée d’un salaire mensuel de base et d’une rémunération mensuelle variable, laquelle n’est pas exclue par l’article 8.2.5 de la convention collective de la blanchisserie concernant la vérification du salaire perçu.

Elle soutient que la salariée a toujours perçu un salaire supérieur au salaire conventionnel, même lorsqu’elle était au coefficient 3.1, car il doit être tenu compte de cette part variable.

De plus, elle expose que, si Mme [B] [I] encadrait une équipe de quatre lingères, elle n’exerçait pas les responsabilités exigées pour bénéficier du coefficient 5.2 et que ses tâches correspondaient au coefficient 5.1.

Elle demande de limiter le rappel de salaire à la somme de 1.896,07 euros en cas d’application du coefficient 5.2.

Se référant à la convention collective et à la lettre du 29 mai 2020 concernant sa promotion au poste de responsable de la blanchisserie, Mme [B] [I] soutient qu’elle exerçait les responsabilités prévues pour le coefficient 5.2 depuis le 1er juin 2020, notamment par l’encadrement de plusieurs membres du personnel. Elle estime que sa perte de salaire est de 6.578,64 euros.

Sur ce,

La convention collective de la blanchisserie prévoit que les coefficients 5.1 et 5.2 correspondent aux éléments suivants :

– coefficient 5.1 : l’emploi ne requiert pas de responsabilité permanente sur des salariés ;

– coefficient 5.2 : l’emploi requiert animation et responsabilité sur des salariés maîtrisant la mise en oeuvre d’opérations diverses d’une même activité.

En l’espèce, selon la lettre du 29 mai 2020, Mme [B] [I] assure les responsabilités suivantes :

–  » Vous participez au recrutement des lingères et vous en assurez l’intégration et la formation initiale ;

– vous assurez au quotidien la relation avec les ‘référents linge’ des résidences notamment pour les nouvelles entrées, le marquage et les différentes réclamations des clients ;

– vous mettez tout en oeuvre pour atteindre les objectifs de productivité donnés par votre chef de secteur ;

– vous guiderez les lingères de votre équipe sur les priorités et les impératifs de gestion du linge ;

– vous sensibiliserez les lingères sur le respect des normes d’hygiène et de sécurité;

– vous veillerez à maintenir la cohésion d’équipe et l’ambiance générale en lingerie ;

– vous ferez appliquer les consignes définies par le chef de secteur ;

– vous aurez un rôle d’alerte auprès du chef de secteur en cas de dysfonctionnements au sein de l’équipe de travail de la lingerie ainsi que pour l’allocation des heures supplémentaires ».

De plus, selon la fiche de poste de responsable blanchisserie en vigueur au sein de la SASU AD3 (pièce employeur n° 5), la mission de ce salarié est d’assurer et de gérer le fonctionnement d’une blanchisserie externe ou multi-clients en encadrant une équipe composée de 4 à 15 lingères et de 1 à 3 chauffeurs-livreurs. Il est précisé notamment que ce responsable « suit et organise la production de la blanchisserie en donnant les priorités et impératifs de gestion du linge ; donne le rythme de la production (…) ; contrôle les horaires des lingères et réalise le pointage des feuilles d’heures (avant validation finale par le chef de secteur) ; gère les absences des salariés avec le chef de secteur, propose une trame de remplacement congé au chef de secteur en amont avant sa validation ; contrôle la cohérence des livraisons des chauffeurs-livreurs… ».

Même si Mme [B] [I] n’avait aucun pouvoir de sanction, les tâches accomplies par elle correspondent aux critères du coefficient 5.2, s’agissant de l’animation et d’une réelle responsabilité à l’égard d’autres personnels.

Par ailleurs, la fonction d’encadrement de plusieurs lingères est reconnue par l’employeur, y compris dans la lettre de licenciement et Mme [B] [I] verse aux débats des courriels confirmant son rôle de gestion des remplacements des salariés absents avec les propositions formulées au chef de secteur.

Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit applicable le coefficient 5.2.

Cependant, il sera infirmé quant au montant du rappel de salaire et des congés payés afférents compte tenu des salaires effectivement perçus par Mme [B] [I] du 1er juin 2020 au 30 septembre 2022, incluant la part variable, comme le relève à juste titre la SASU AD3.

La SASU AD3 sera ainsi condamnée à payer à Mme [B] [I] la somme de 1.896,07 euros à titre de rappel de salaire conventionnel outre la somme de 189,61 euros au titre des congés payés afférents.

2) Sur la demande de rappel de paiement des congés payés:

Dans le dispositif de ses conclusions, la SASU AD3 demande à la cour d’infirmer le jugement en qu’il l’a condamnée à payer la somme de 352,83 euros à titre de congés payés pour la période de 2021 à 2022.

Cependant, elle ne formule aucun moyen à l’appui de cette prétention.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement de ce chef concernant la période de juin 2020 à décembre 2022.

3) Sur les demandes de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et pour non transmission du bilan d’exposition aux risques:

Il sera rappelé que Mme [B] [I] a initialement sollicité des dommages et intérêts d’un montant total de 5.675,10 euros en invoquant, d’une part, le non-respect par son employeur des conditions de travail et des règles de sécurité et, d’autre part, l’absence de remise du bilan d’exposition aux risques.

A hauteur de cour, elle demande la confirmation du jugement concernant le bilan d’exposition aux risques, même si elle indique que le document n’a toujours pas été transmis, et elle soutient que la SASU AD3 n’a pas respecté les règles d’hygiène compte tenu des risques professionnels auxquels les travailleurs en blanchisserie industrielle sont exposés.

Elle affirme qu’elle a envoyé de nombreux SMS et mails pour demander des améliorations des conditions de travail.

A ce titre, en produisant un certain nombre de photographies, elle invoque les éléments suivants :

– la manipulation par les salariés de produits dangereux dont le stockage est soumis à des règles strictes ;

– l’absence de protections individuelles mises à la disposition par l’employeur, telles que des gants ou des masques de protection efficaces contre les risques de projection de ces produits ;

– le port de charges lourdes par les salariées de sexe féminin, s’agissant de la manipulation de bidons de 20 à 25 kg, malgré des réglementations qui limitent le poids en cas de port de charge occasionnel ou répétitif ;

– l’absence de bacs de rétention pour le stockage de produits susceptibles de créer une pollution des eaux ou du sol ;

– la non prise en compte des difficultés liées aux postures de travail, alors que Mme [B] [I] participait activement aux tâches de la blanchisserie et qu’elle n’avait pas seulement une activité de bureau ;

– la mise à disposition d’un extincteur hors d’usage et l’absence de formation à la manipulation d’un tel objet ;

– l’absence d’aération de la blanchisserie et ses incidences concernant le chauffage et la chaleur en été ;

– l’absence de local vestiaire ‘digne de ce nom’, alors qu’il y a du personnel féminin et masculin ;

– l’absence de sanitaires et de douche, avec la seule mise à disposition d’un lavabo à côté des produits dangereux.

En réplique, la SASU AD3 fait valoir qu’il n’existe pas de bilan d’exposition aux risques, mais seulement un document unique d’évaluation des risques (DUER) qui a été communiqué y compris en exécution du jugement. L’employeur soutient que la salariée se fonde sur une ancienne version de l’article L 4121-3-1 du code du travail qui a été abrogée en 2015.

Il soutient par ailleurs que les différents DUER produits recensent l’intégralité des risques et les mesures mises en place, notamment sur les risques biologiques et les postures de travail, que les règles de sécurité étaient affichées sur les murs du local et rappelées en permanence aux salariés.

La SASU AD3 indique qu’elle a mis en place toutes les actions nécessaires pour garantir la santé et la sécurité de ses collaborateurs et que Mme [B] [I], en sa qualité de responsable de la lingerie, était garante du respect des règles de sécurité et de bon fonctionnement de la lingerie, ayant suivi des formations à ce titre.

Quant aux différents manquements évoqués par la salariée, la SASU AD3 fait état des éléments suivants :

– les travaux de blanchisserie ne font pas partie des activités insalubres ou salissantes justifiant la mise en place de douches au sens de l’arrêté du 23 juillet 1947 modifié ; par ailleurs, des douches étaient présentes dans les vestiaires des salariés de la résidence et pouvaient être utilisées en cas de besoin impérieux ;

– les vestiaires utilisés par les lingères étaient exclusivement féminins, le chauffeur livreur prenant son service sur l’établissement de la société AD3 où il se changeait avant son service et au retour ;

– contrairement aux affirmations de la salariée, les produits lessiviels se trouvent dans la zone de lavage et non dans la salle de pause ; le stockage et le rangement des produits relevaient de la responsabilité de Mme [B] [I] en sa qualité de responsable dûment formée et il y avait des bacs de rétention ;

– l’utilisation des produits se fait sans risque conformément au DUER et aux fiches produits, en l’absence de tout contact direct, l’employeur mettant à disposition des lunettes de protection et un produit pour rincer les yeux en cas de contact accidentel ;

– la salariée ne démontre pas l’insuffisance de l’aération ni des problèmes de chauffage, aucune remontée d’information n’ayant été faite à cet égard ;

– pour les postures de travail, Mme [B] [I] occupait 50 % de son temps de travail en station assise pour les postes couture et marquage du fait de sa qualité de responsable et le médecin du travail lors de la visite du 29 juin 2022 n’a fait état d’aucune restriction ni préconisation.

Sur ce,

En application de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° des actions de prévention des risques professionnels ;

2° des actions d’information et de formation ;

3° la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

L’employeur est ainsi tenu d’établir un document unique d’évaluation des risques professionnels qui doit être régulièrement mis à jour.

En l’espèce, le texte invoqué par la salariée concernant la remise d’une fiche de prévention et repris par le conseil de prud’hommes a été modifié en 2015, avec un transfert des dispositions à l’article L 4161-1 du code du travail, lequel ne prévoit plus depuis le 19 août 2015 une telle fiche de prévention.

Par ailleurs, les documents produits par la SASU AD3 démontrent qu’un document unique d’évaluation des risques professionnels était établi au sein de l’entreprise, une mise à jour étant intervenue en 2022 puis en 2023.

L’employeur justifie que ce document a été régulièrement communiqué lors de l’instance prud’homale, ainsi qu’en exécution du jugement rendu le 27 février 2024.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la SASU AD3 à payer la somme de 2.837,55 euros pour non transmission du bilan d’exposition au risque, document inexistant, et ordonné à l’employeur de remettre à la salariée un tel document sous astreinte.

Quant au non-respect des conditions de travail et des règles de sécurité, les éléments produits par Mme [B] [I] ne sont pas de nature à justifier les manquements invoqués.

En effet, les photographies produites ne sont pas datées ni suffisamment précises quant à la localisation des produits, alors que l’employeur établit, à l’aide des documents uniques d’évaluation des risques, que les risques étaient identifiés et que des mesures propres à les prévenir étaient mises en place.

Par ailleurs, si la salariée a envoyé un courriel le 23 septembre 2022 demandant « si on pouvait rehausser les machines (…) on se fait trop mal au dos », l’employeur a immédiatement transféré le message au chef de secteur pour vérifier la possibilité de mettre des socles. De plus, selon les photographies versées aux débats par la salariée elle-même les machines à laver ne sont pas posées à même le sol (pièce n° 65).

En ce qui concerne le message de M. [G] [N] du 23 novembre 2022, concernant du linge contaminé, il sera relevé par la cour qu’il ne s’agit pas d’un signalement émanant de Mme [B] [I] mais que le chef de secteur s’est plaint de la réception de linge contaminé sans avoir été prévenu préalablement, ce qui démontre que l’employeur prend en considération les risques auxquels sont exposés les salariés et qu’il met en oeuvre les mesures pour les éviter.

Enfin, si Mme [B] [I] procède par des allégations d’ordre général, elle n’établit pas le préjudice qu’elle aurait personnellement subi du fait d’un éventuel non-respect par son employeur en matière de conditions de travail.

En conséquence, elle sera déboutée de ce chef de demande.

4) Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice financier:

Mme [B] [I] soutient qu’un avenant au contrat de travail à temps partiel ne peut pas porter vers un temps plein temporaire.

Elle expose que l’avenant du 20 novembre 2017, pour une période courant jusqu’au 9 décembre 2017, a prévu une durée de travail de 35 heures par semaine, correspondant à la durée légale, et qu’à partir de cette date l’employeur ne pouvait plus revenir à des contrats à temps partiel.

Elle estime qu’elle subit un préjudice financier depuis le mois de novembre 2017, qu’elle évalue à 17.508,92 euros hors congés payés, étant précisé qu’il s’agit d’une somme qu’elle ne peut plus réclamer.

De plus, elle soutient que, depuis 2017, ses congés payés ne sont pas calculés selon la règle des 10 % qui est plus avantageuse, ayant perdu 459,51 euros entre 2017 et 2018.

Elle indique qu’elle se trouve au chômage avec une perte de ressources mensuelles de plus de 800 euros.

Elle estime ainsi subir un préjudice financier consécutif en alléguant que son employeur n’a pas respecté la loyauté du contrat de travail ni les conditions de travail et les règles de sécurité et sollicite en réparation une somme équivalente à six mois de salaire.

Pour la SASU AD3, les modifications d’horaires ont été proposées à la salariée pour faire face à des surcroîts d’activité ou pour remplacer des salariés absents, étant précisé qu’elle a accepté toutes ces modifications.

De plus, depuis le 1er avril 2020, l’employeur expose que Mme [B] [I] bénéficie d’un temps plein et qu’elle n’a donc pas subi de baisse de salaire dans le calcul de ses allocations chômage à la suite du licenciement de décembre 2022.

La SASU AD3 estime donc que la salariée ne démontre pas le préjudice qu’elle a subi ni la réalité du quantum réclamé.

Sur ce,

Selon l’article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Selon l’article L 3123-9 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail.

Il résulte de ce texte que, si par l’effet d’un avenant au contrat de travail, un salarié à temps partiel accomplit des heures correspondant à la durée légale du travail, le contrat doit être requalifié à temps plein, y compris si l’avenant a un caractère temporaire pour le remplacement d’un autre salarié nommément désigné.

En l’espèce, il ressort des différents avenants au contrat de travail de Mme [B] [I] que la durée du temps de travail a été portée au niveau de la durée légale sur les périodes du 20 novembre 2017 au 9 décembre 2017, puis du 18 au 25 mars 2019, puis du 11 novembre 2019 au 31 mars 2020.

Dans la mesure où l’employeur a maintenu Mme [B] [I] sous le régime du temps partiel en violation des dispositions précitées, il a manqué à son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, ce qui a causé un préjudice à la salariée en l’absence de rémunération adéquate.

Quant aux autres manquements invoqués par la salariée, il a été jugé précédemment que l’employeur avait respecté les conditions de travail et les règles de sécurité.

Une somme de 1.000 euros sera allouée à la salariée au titre de son préjudice financier.

II – Sur la rupture du contrat de travail :

1) Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave:

La faute grave est celle qui résulte d’un fait, ou d’un ensemble de faits, imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise. Le doute profite au salarié.

Le juge apprécie la gravité des faits reprochés au salarié au regard des circonstances propres de l’espèce et notamment de la nature des agissements, de leur caractère éventuellement répété, des fonctions exercées par le salarié dans l’entreprise, de son ancienneté, de son niveau de responsabilité, des éventuels manquements, mises en garde et sanctions antérieurs, des conséquences des agissements pour l’employeur ou les autres salariés.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 27 décembre 2022 qui fixe les limites du litige fait état de neuf griefs reprochés à la salariée, qu’il convient d’examiner successivement.

– Faits du 1er décembre 2022 : « Lors d’une visite le 01 décembre 2022 à 13h15, à la blanchisserie, votre Chef de secteur, Monsieur [G] [N], a constaté qu’une seule lingère était présente sur le site au lieu des quatre prévues au planning ce jour-là. La lingère présente a indiqué à Monsieur [N] ne pas savoir pourquoi elle était seule cet après-midi et pourquoi les autres lingères étaient absentes. Suite à un appel de Monsieur [N], vous êtes venue à la blanchisserie et avez indiqué avoir modifié vos horaires de travail et ceux de votre équipe, pour faire rattraper des heures supplémentaires prétendument effectuées la semaine précédente. En outre, vous n’êtes pas autorisée à faire réaliser des heures supplémentaires aux lingères et modifier les horaires sans l’accord préalable de votre supérieur hiérarchique ».

L’employeur soutient que ni M. [G] [N], chef de secteur, ni M. [F] [U], chef de section, n’ont fait part d’un accord oral qui aurait permis à la salariée de ne pas venir travailler certains jours ou de partir plus tôt dès lors que le travail était fait.

Il expose que, selon le planning, toutes les lingères auraient dû être présentes le jeudi 1er décembre 2022 lors de la venue de M. [G] [N] à 13 heures 15, les pauses devant être effectuées entre 13 heures 30 et 14 heures, mais que seule Mme [D] [R] était présente, laquelle atteste que ce jour-là, Mme [B] [I] était « partie à 13 h 00 et le chef de secteur qui est arrivé à la blanchisserie a constaté que ma responsable n’était pas là avec mes collègues. Elle m’avait donné pour consigne que si mon chef de secteur appelait de lui dire que nous avions commencé à cinq heures du matin ».

L’employeur ajoute que, contrairement aux déclarations de Mme [B] [I], les lingères n’effectuaient pas des heures supplémentaires, d’autant que celle-ci n’était pas autorisée à changer les horaires de travail sans l’autorisation du chef de secteur, ce que démontrent des messages pour le 14 juin 2022 ou pour un échange d’heures entre les lingères les 9 et 13 décembre 2022 (pièces employeur n° 35 et 36).

Dans son attestation (pièce employeur n° 15), M. [G] [N] précise que Mme [D] [R] a avoué que ses collègues étaient rentrées chez elles, qu’il a donc contacté Mme [B] [I] pour avoir des explications, qu’elle était énervée de ne pas avoir été prévenue de sa visite et qu’elle indiquait avoir été autorisée à s’absenter.

Il ajoute avoir « appelé Madame [P] [K] qui m’a répondu qu’elle était chez elle comme ses collègues et que Madame [I] leur avait donné l’autorisation. Aucune mention sur les heures supplémentaires à ce moment-là et dans l’attente j’ai été par réflexe voir les feuilles de pointage, aucunes n’avaient d’heures supplémentaires indiquées ».

Selon la fiche de pointage de Mme [P] [K], ses horaires de travail le 1er décembre 2022 étaient de 9 h à 12 h 30 puis de 13 h à 16 h 30, de sorte qu’elle aurait dû être présente lors du passage de M. [G] [N].

Ce dernier fait état de ce qu’il a ensuite vu chaque salariée au sujet des heures supplémentaires, mais que seules Mmes [X] et [I] avaient indiqué en avoir effectué sans pouvoir donner de précision.

Il indique également que, le 2 décembre 2022, Mme [D] [R] l’a contacté pour l’informer que Mme [B] [I] avait « modifié les pointages et le cahier pour ‘coller’ à ses dires de la veille ».

Mme [B] [I] soutient que les heures supplémentaires n’étaient pas payées et que les salariées avaient l’accord de M. [G] [N] pour organiser la récupération de ces heures, notamment en quittant plus tôt si le travail était fini, ce qui était le cas du 1er décembre 2022, ses collègues précisant qu’il s’agissait d’une journée plus calme.

Au soutien de son argumentation relativement à un accord de l’employeur, elle verse aux débats des échanges avec son chef de secteur en 2020 et 2021 concernant des modifications d’horaires. Cependant, ces éléments ne permettent pas de déduire l’existence d’un accord systématique pour l’organisation des récupérations au mois de décembre 2022 ni d’expliquer pourquoi les heures supplémentaires prétendument accomplies n’étaient pas mentionnées.

Au vu des éléments produits par l’employeur, le grief concernant la modification des horaires de travail du 1er décembre 2022 sans autorisation est donc établi.

– Remplacement le samedi par une autre salariée : « Sur les plannings, il est prévu que vous travaillez 1 samedi sur 2. Or, il apparaît que depuis plusieurs semaines, vous ne travaillez pas le samedi et demandez à une salariée en CDD de venir travailler le samedi, à votre place, alors que son contrat ne prévoit pas le travail le samedi. En outre, vous avez déclaré sur les feuilles de pointage que vous nous transmettez chaque mois, avoir travaillé normalement le samedi et des horaires du lundi au vendredi pour la CDD, ce qui ne correspond pas à la réalité ».

Selon l’avenant au contrat de travail du 1er avril 2020, dont il n’est pas soutenu qu’il a été modifié, il est prévu que Mme [B] [I] travaille deux samedis sur trois et non un sur deux.

Par ailleurs, comme l’a relevé le conseil de prud’hommes, la SASU AD3 ne fournit aucune précision concernant les samedis pour lesquels elle aurait été remplacée par une autre salariée, alors que, selon les attestations produites par Mme [B] [I], aucun remplacement de cette nature n’a eu lieu.

Dans ces conditions, ce grief n’est pas établi et il ne peut être retenu.

– Congés de juillet 2022 : « En juillet 2022, durant les 3 semaines de congé de Monsieur [N], vous n’êtes venue travailler que 3 jours à la blanchisserie, le temps de passer les consignes alors que vous n’aviez de votre côté posé aucun congé durant cette période ».

L’employeur ne produit aucun élément étayant cette affirmation, alors que Mme [B] [I] produit des éléments concernant une activité au cours du mois de juillet 2022 à des périodes diverses, ainsi que sa fiche de pointage ne faisant état d’aucun jour de congé.

L’employeur ne rapporte pas la preuve du grief allégué.

– Absence liée au déplacement à [Localité 5] : « A la suite d’un déplacement 08 et 09 septembre 2022, dans le cadre de vos horaires de travail relatif à un marquage de vêtements dans un EHPAD, vous vous êtes absentée 2 jours de votre poste de travail, sans autorisation. N’ayant pas été prévenus, ces jours n’ont pas été décomptés en congés payés, et vous ont été indument payés ».

La SASU AD3 ne produit aucun élément pour justifier de ses allégations.

Mme [B] [I] reconnaît un tel déplacement et elle soutient qu’elle a récupéré les heures de déplacement en accord avec son chef de secteur, soit une durée de 5 heures, comme l’atteste une autre salariée.

Dès lors, ce grief ne saurait être retenu.

– Arrêt de travail de Mme [X] le 20 octobre 2022 : « Madame [T] [X], lingère, a été en arrêt de travail pour maladie le 20 octobre 2022. Vous avez pris l’initiative de ne pas déclarer cette absence au service RH AD3, et avez demandé à Madame [X] de rester chez elle. Vous lui avez validé ses horaires de présence sur sa feuille de pointage ».

L’employeur verse aux débats la feuille de pointage de Mme [T] [X] et son bulletin de salaire pour le mois d’octobre 2022 ne mentionnant pas d’absence pour maladie, alors qu’un arrêt de travail a été prescrit sur la période du 20 au 21 octobre 2022.

Il ressort également de l’attestation de M. [G] [N] qu’il a rencontré Mme [D] [R] le 6 décembre 2022, en compagnie de Mme [P] [K] et de M. [F] [U], sur un parking en dehors des locaux de l’entreprise, et qu’elle l’a informé de cet événement et de l’absence de transmission de l’arrêt de travail pour ne pas faire perdre de jour de carence à Mme [T] [X].

Mme [B] [I] soutient que Mme [T] [X] a eu une téléconsultation après sa journée de travail, qu’une salariée de la résidence [6] atteste qu’à la demande de Mme [B] [I] qui avait dû partir à 16 heures 30, elle avait vu Mme [T] [X] à 17 heures « pliée en deux » en ayant l’air de souffrir. Mme [I] indique également que Mme [X] était en repos le lendemain, cette dernière attestant qu’elle n’était pas en arrêt de travail le 20 octobre 2022.

Si les éléments produits par Mme [B] [I] ne permettent pas d’établir avec certitude que la consultation a effectivement eu lieu à 21 heures ce jour-là, même si le rendez-vous a été pris en fin de journée vers 17 heures, il ne ressort pas des éléments versés aux débats que la salariée a pris l’initiative de ne pas déclarer un arrêt de travail en demandant à sa collègue de rester à son domicile.

Le grief reproché n’est pas établi dès lors que l’absence de transmission ne saurait être imputée de manière certaine à Mme [B] [I], puisqu’il semble, compte tenu de son attestation, que Mme [T] [X] n’a pas souhaité transmettre l’arrêt de travail établi le 20 octobre 2022.

– Non respect des process de lavage : « A plusieurs reprises vous avez nettoyé le linge des résidents en le mélangeant avec des franges servant à nettoyer le sol en utilisant un programme de lavage à froid et ce afin de gagner du temps. Certains résidents se sont plaints d’irritation créées par le linge ».

L’employeur ne produit aucun élément permettant d’établir l’exactitude de tels faits, de sorte que ce grief ne saurait être retenu.

– Non déclaration d’un accident du travail : « Vous avez réfusé de déclarer un accident du travail dont a été victime Madame [D] [M] [R], lingère. Ceci pénalise la salariée et met l’entreprise en situation irrégulière nous contraignant à faire une régularisation hors délai ».

La SASU AD3 indique que Mme [D] [R] a été victime d’un accident du travail le 16 septembre 2021 que Mme [B] [I] n’a pas voulu déclarer, puisqu’elle l’aurait menacée de la faire licencier si elle effectuait une telle déclaration.

L’employeur se fonde sur l’attestation de cette salariée qui reprend de tels propos ainsi que sur un certificat du Dr [H] [A] confirmant l’avoir reçue pour un traumatisme du genou droit à la suite d’une chute au travail et sur une note d’honoraires d’un étiopathe du jour de l’accident.

Dans son attestation, M. [G] [N] fait également référence à ces faits, dont il a eu connaissance le 6 décembre 2022, même s’il mentionne de manière erronée le mois de juillet 2021 au lieu de septembre.

Mme [B] [I] conteste le grief reproché en indiquant qu’elle avait été toujours proche de ses collègues, notamment de Mme [D] [R] qui avait des problèmes de santé, et elle produit à ce titre des SMS échangés entre septembre et décembre 2022 pour démontrer leur bonne relation.

Cependant, au vu de l’attestation de Mme [D] [R] et des éléments d’ordre médical confirmant la survenue d’un événement traumatique le 16 septembre 2021, l’employeur établit la réalité du grief invoqué, dont il a eu connaissance quelques jours avant l’envoi de la convocation à l’entretien préalable.

– Menaces : « Afin de masquer votre gestion des horaires et le non-respect des process de lavage, vous avez menacé les salariées de représailles si elles en informaient la Direction ».

L’employeur verse aux débats plusieurs attestations :

– Mme [D] [R] : « Ma responsable Mme [I] [B] volait des heures de travail à la société AD3. Donc suite à ça elle me faisais du harcèlement morale et psychologique quand je ne voulais pas la remplacer pour faire la fermeture à sa place. Elle me faisait du chantage émotionnel en me disant que c’était grâce à elle que j’ai été embauchée et elle me faisait culpabiliser quand je ne voulais pas faire ce qu’elle me demandait de faire » ;

– M. [G] [N] évoque les propos de Mmes [R] et [K] lors de leur entrevue du 6 décembre 2022 : « Elles subissent des pressions de leur responsable hiérarchique depuis des mois, qu’un climat d’intimidation, la peur d’aller au travail, les remarques désobligeantes sur leur physique en particulier Madame [R] qui a fortement grossi et n’est pas à l’aise avec ça. Tout cela afin d’obtenir silence sur ces agissements » ;

– une attestation anonyme datée du 12 juin 2023 : « Je viens attester par la présente des faits qui se sont déroulés à la lingerie AD3 de [Localité 7] lors de mon passage. J’ai pu constater que la responsable Mme [I] exerçait de l’oppression auprès de ses collègues afin de partir plutôt et d’autres devaient rester pour pouvoir faire le travail qu’elle était censé faire ».

Cependant, ces attestations ne permett


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